Récemment, une femme
m’écrivait pour me demander "comment
un non-musulman peut avoir confiance dans la parole d’un
musulman." Elle disait qu’elle
"savait qu’il est permis à tous les musulmans
de mentir aux infidèles", et pour
faire bonne mesure, m’informait que le fait d’être musulman
était incompatible avec le fait d’être américain parce que
"le but ultime des musulmans (sinon
vous n’êtes pas une vraie musulmane) est d’instituer la charia
aux Etats-Unis."
"S’il vous plaît, ne discutez pas de
ce point avec moi", écrivait-elle
encore, "j’ai lu trop de commentaires
sur le monde arabe. La manière de s’emparer de l’Amérique est de
la prendre de l’intérieur."
Bon. Je n’ai donc rien à ajouter. Même si
j’avais répondu, qu’est-ce qui me garantit que ma réponse
n’aurait pas été encore interprétée comme un "mensonge à un
infidèle" ?
Bienvenue au Catch 22 [1]
de la vie musulmane américaine. Vous êtes condamné si vous
faites et condamnée si vous ne faites pas. Cela est assez clair
aujourd’hui pour les partisans musulmans de Barack Obama,
chrétien "accusé" d’être musulman.
Pour Jenan Mohajir, qui participe à un projet
de rencontres interreligieuses à Chicago, une conversation qui a
eu lieu en octobre 2006 sur un campus de gauche du Middle West
lui a ouvert les yeux sur ce que c’était que d’être un partisan
musulman de Barack Obama.
"J’avais un déjeuner de
travail avec le rabbin du campus quand l’une des enseignantes du
programme nous a abordés. Elle a d’abord engagé la conversation
avec le rabbin sur Barack Obama", m’écrit-elle dans un email.
"Puis elle s’est tournée vers moi et a dit, ’désolée que TU
perdes, mais l’Amérique n’est pas prête à avoir un président
musulman.’ J’étais si choquée que je n’ai pas eu la présence
d’esprit de lui répondre que Barack Obama n’était pas musulman".
Cette enseignante n’est pas isolée. Ses
préjugés sont bien vivants aujourd’hui. Un sondage récent
[l’article date d’août dernier, ndt] effectué par le Pew
Research Center montrait que 12% des personnes interrogées
pensaient qu’Obama était musulman.
Le père d’Obama était kenyan, athée et
d’ascendance musulmane. Barack a passé plusieurs années de son
enfance en Indonésie (pays musulman le plus peuplé du monde)
avec sa mère américaine et son mari indonésien. Dans sa
campagne, Obama a souvent utilisé les thèmes de ses racines
africaines et de ses années passées en Indonésie pour illustrer
le pont qu’il pourrait constituer entre une Amérique post-Bush
et le monde qu’elle s’est aliéné.
Alors, comment Obama en est-il arrivé à son
meeting à Detroit en juin, quand un membre trop zélé de son
staff a fait poser deux femmes musulmanes derrière lui pour que
des femmes portant foulard n’apparaissent pas sur une photo de
presse ? Obama a appelé ces deux femmes pour s’excuser et a
publié une déclaration disant que ce comportement était
inacceptable et ne reflétait pas sa campagne.
Depuis, début août, le coordinateur national
de la campagne d’Obama chargé des relations avec les musulmans a
démissionné, après que le Wall Street Journal l’eut interrogé
sur ses soi-disant relations avec un homme impliqué l’année
dernière (mais non mis en examen) dans un procès pour racket
auprès de leveurs de fonds pour le compte du Hamas, disait-on.
Difficile aussi d’ignorer
les chaînes d’emails, puériles mais efficaces, initiées par la
droite conservatrice, ainsi que le chœur de blogs incendiaires
entonnant le refrain "Obama
sonne comme Ossama (Ben Laden)". [2]
/...
Alors, que faire si on est
un Américain musulman, pour surmonter son désarroi à la vue de
sa religion utilisée comme catapulte toxique ?
Les musulmans américains sont en train d’apprendre que, dans
l’Amérique d’après le 11 septembre, ils doivent s’impliquer à
tous les niveaux de la vie politique, ne serait-ce que pour
qu’il y ait toujours quelqu‘un, quand Obama est sali, pour
dire : "Et s’il avait été musulman,
qu’est-ce que ça changerait ?" De
fait, de plus en plus de musulmans américains s’inscrivent sur
les listes électorales et participent aux congrès, démocrates ou
républicains.
Quant aux nombreux
partisans américains musulmans d’Obama, Jenan Mohajir résume les
leçons qu’elle a retenues : "Je me
suis rendu compte que, peut-être, il valait mieux ne pas trop
m’exprimer. Je ne pense pas que les rumeurs sur Obama musulman
disparaîtraient si je me mettais sur les toits avec mon hijab
rose et criais : Obama n’est pas musulman ! Obama n’est pas
musulman ! J’ai donc adopté une approche plus discrète. J’ai
décidé que ce que j’avais de mieux à faire pour Obama était de
porter mon hijab à couleurs vives et de conduire ma mère en
voiture au bureau de vote pour qu’elle puisse glisser dans
l’urne son premier bulletin pour une élection américaine. Je
voterai aussi, bien sûr."
Trad. : Gérard
pour