Tunisie
An III de la
Révolution, bienvenue en Tunisistan !
Mohamed
Ridha Bouguerra
Mercredi 16 janvier
2013
La Tunisie
demeurera toujours ouverte, pacifique,
tolérante et tournée vers la modernité,
et cela malgré les assauts des forces
obscurantistes et rétrogrades qui la
menacent aujourd'hui.
Par
Mohamed
Ridha Bouguerra*
Avec l'irrépressible envie, la
fougue et la passion de leur âge, une
fille et un garçon, presque encore
adolescents, s'embrassent sur la voie
publique. Un tiers les dénonce. Que
pensez-vous que fit alors la police?
Immédiatement, elle les arrête. Ils sont
traduits en justice, comme de dangereux
criminels, selon la procédure de
flagrant délit. Ils sont condamnés à
deux mois de prison ferme.
Est-ce là un canular? On ne le sait,
mais si cette information révélée par le
journal ''Essarih'' devait,
finalement, s'avérer exacte, elle serait
bien lourde pour l'avenir des libertés
individuelles dans le pays. Certains ne
se privent pas déjà d'exprimer leur
satisfaction pour un tel un verdict, à
l'instar du sieur Adel Almi qui voit
dans l'échange d'un baiser en public
rien de moins qu'un «acte
attentatoire à la société et au peuple
tunisien musulman»!
Des
salafistes manifestent devant
l'ambassade de France à tunis. (Ph.Mohamed
M'Dalla)
Contre la
mixité et pour la polygamie
Est-ce pour l'application de telles
lois que le peuple s'est soulevé contre
la dictature le 14 janvier 2011? Car
cela ne se passe pas à Kaboul, mais en
Tunisistan!
M. Almi, déjà cité, marchand de
quatre saisons de son état, est devenu,
par la grâce de la révolution des
martyrs et des blessés du 17 décembre au
14 janvier, par la grâce de la
révolution de la Liberté et de la
Dignité, président de l'Association pour
la conscience et la réforme,
initialement dénommée Association pour
incitation à la vertu et répression du
vice. Le «saint» homme a appelé
ses partisans à manifester le 14 janvier
afin, entre autres objectifs, de
réclamer la séparation des élèves des
deux sexes dans les établissements
scolaires. Le but étant, nous apprend
''News of Tunisia'', de
«ramener le peuple tunisien vers sa
religion», selon le dire de
l'intéressé qui considère, en outre, la
polygamie comme «une insistante
revendication populaire».
Des
salafistes manifestent devant la
cathédrale de Tunis.(Ph.Mohamed M'Dalla)
Est-ce pour de telles revendications
que le peuple s'est soulevé contre la
dictature le 14 janvier 2011? Car cela
non plus ne se passe pas à Kaboul, mais
en Tunisistan !
Un parti salafiste, Hizb Ettahrir, a
appelé lui aussi ses partisans à
manifester lors de la commémoration de
la révolution du 14 janvier 2013. Il
exige, tout bonnement, l'introduction de
la chariâ dans la future constitution.
Est-ce là vraiment la priorité du
moment? Est-ce vraiment encore pour
l'application de la chariâ que le peuple
s'est soulevé contre la dictature le 14
janvier 2011? Car cela non plus ne se
passe pas à Kaboul, mais en Tunisistan !
Dans un ordre d'idée voisin, Sana
Haddad, députée d'Ennahdha à l'Assemblée
nationale constituante (Anc), condamne
l'attribution d'un nom patronymique aux
enfants abandonnés ou de filiation
inconnue. Cette disposition
«porterait atteinte, selon l'honorable
députée, à nos racines arabo-musulmanes»!
Nos racines devraient être bien faibles
si elles sont ébranlées par une mesure
si humaniste!
Extrémistes religieux brûlent le drapeau
français devant l'ambassade de France.
(Ph.Mohamed M'Dalla)
Ne vous étonnez pas, vous êtes bien,
en effet, en Tunisistan.
Qui arrêtera
aussi les nouveaux Vandales?
L'impétueux et autoproclamé imam de
la Grande mosquée, après avoir fait, au
mépris de la loi, main basse sur la
vénérable institution, se tourne
maintenant vers ses annexes. Il vient de
confisquer, à l'aide de ses acolytes, le
local de la prestigieuse Khaldounia,
siège de nombre d'associations
culturelles et scientifiques. Il en a
chassé les occupants légitimes et en a
changé les serrures, comme il avait déjà
procédé à la mosquée Zitouna. Il l'a
déclaré haut et fort au journal ''La
Presse'' daté du 8 courant, il n'a
pas l'intention de s'arrêter en si bon
chemin et compte inscrire à son tableau
de chasse de nouvelles conquêtes comme
l'ancien lycée Ibn Charaf et même la
faculté du 9-Avril et d'autres
établissements à l'intérieur du pays.
«Tous les locaux de la Zitouna
seront récupérés», nous promet-il,
foi d'imam. Il s'enorgueillit d'avoir
déjà rétabli l'enseignement zeitounien
dans plus d'une vingtaine d'institutions
où la mixité est bannie et où les
enseignements sont focalisés sur la
mémorisation des versets du Coran comme
dans le bon vieux temps. Le cheikh ne
doit pas connaître le mot de
Châteaubriand qui dit que «ce qui
était bon hier est périmé et caduc
aujourd'hui.» Qui arrêtera le
boulimique et autoproclamé imam? Ne
comptez pas trop sur la justice
«révolutionnaire» de notre pays qui
ne fait même pas mine de se hâter
lentement dans cette affaire malgré les
plaintes déposées par les responsables
des sociétés scientifiques lésées en la
matière.
Cela non plus ne se passe pas à
Kaboul, mais en Tunisistan!
Qui arrêtera aussi les nouveaux
Vandales qui circulent cachés parmi
nous, ces incendiaires qui ont déjà à
leur actif la destruction, saccage et
incendie de plus d'une dizaine de
mausolées.
La
bannière des salafistes érigée au
fronton de l'ambassade américaine à
Tunis.
(Ph.Mohamed
M'Dalla)
Si en Afghanistan ce sont des
Bouddhas géants que l'on détruit au
mortier, en Tunisistan, ce sont des
tombes de saints, objet d'une piété
populaire ancestrale et séculaire, ce
sont des monuments de la mémoire
nationale, dont certains inscrits au
patrimoine de l'humanité par l'Unesco,
comme celui de Sidi Bou Saïd, qui sont
lâchement vandalisés.
Rarement arrêtés, les instigateurs de
ces actes sont, au contraire, reçus
officiellement par le président de la
république provisoire au Palais de
Carthage où ils ont le loisir de donner
des conférences! Comme sont reçus,
toujours au palais présidentiel, les
miliciens fascistes, complices des
assassins de feu Lotfi Nagdh, ces
dirigeants des prétendues Ligues de
protection de la révolution (LPR).
Qui osera encore parler de poursuites
à l'encontre des assassins de feu le
militant de Nida Tounès à Tataouine?
Il est vrai que notre justice
new-look a d'autres dossiers plus
urgents et importants à instruire.
Celui, par exemple, de cette journaliste
d'investigation qui a osé, oh, la
coupable, révéler de fortes suspicions
de dilapidation de deniers publics au
ministère des Affaires étrangères. Du
coup, elle se trouve sous la menace de
nombreuses accusations. Celui, aussi, de
Jaber Mejri et Ghazi Béji, ces deux
jeunes jugés pour une caricature
considérée comme offensante à l'égard du
prophète Mohammed et condamnés à plus de
sept ans de détention.
Faudrait-il rappeler encore que ce
procès ne s'est pas déroulé à Kaboul,
mais en Tunisistan !
Il va falloir, finalement, prendre au
sérieux les propos des responsables des
associations de magistrats qui nous
affirment à longueur de journée, dans
une quasi indifférence générale, hélas,
que la situation de la justice est
catastrophique dans la Tunisie d'après
le 14 janvier 2011.
La
quasi-faillite des caisses sociales
Comme il va falloir prêter une
oreille plus attentive aux économistes,
à l'instar de Mansour Moalla ou Houcine
Dimassi, anciens ministres des Finances,
qui nous prédisent une bien difficile
année sur le plan économique et
financier, comme la probabilité d'une
incapacité de l'État à rémunérer, dans
les mois à venir, ses employés, ou
encore la faillite quasi inéluctable
dans un avenir proche des caisses de
retraite, de maladie et de prévoyance
sociale.
Le
portrait de Ben Laden brandi par des
extrémistes religieux à Tunis, en
septembre 2012.
(Ph.Mohamed
M'Dalla)
Ainsi donc la troïka et l'équipe
gouvernementale en place, avec ou sans
remaniement annoncé et toujours attendu,
nous préparent un avenir radieux qui
fera de la Tunisie la sœur jumelle de
ces pays sous-développés où les
serviteurs de l'État vivent à crédit
plusieurs mois dans l'année. Où la
justice ne garantit plus
l'épanouissement de l'être humain, mais
le bride ; ne protège ni le citoyen ni
le patrimoine national des violences des
milices illégales et destructrices, mais
en devient complice par son silence et
son laisser-faire; où elle n'apporte pas
son soutien à ceux qui dénoncent les
dépassements de l'exécutif, mais les
transforme en accusés. Où l'enseignement
au lieu de développer la créativité chez
les jeunes apprenants pour faire d'eux
des acteurs dans une société moderne, et
les mettre au diapason des progrès
techniques que vit notre époque, les
enferme, au contraire, dans un passé
obsolète et hors du temps présent.
Bienvenue donc en Tunisistan en ce
début de l'an III de la Révolution.
Mais la Tunisie demeurera toujours
l'éternelle Tunisie, ouverte, pacifique,
tolérante, tournée vers la modernité, et
cela malgré les orages qu'elle affronte
actuellement. Ses dignes fils et filles
ne la livreront jamais aux forces
obscurantistes et rétrogrades qui la
menacent aujourd'hui et qu'ils finiront,
unis, par vaincre.
* Universitaire.
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réservés
Publié le 17 janvier 2013 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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