L'organisation est détournée de sa
mission originelle
L'ONU chambre
d'enregistrement des États-Unis et de
ses sous-traitants
Mohamed Bouhamidi
Jeudi 22 septembre
2011
La violence promise à l’oubli par les
philosophes de la fin de l’histoire,
après la chute du Mur de Berlin, n’a
jamais autant travaillé à accoucher
l’histoire. La fable de sa définitive
réprobation par l’histoire aura quand
même servi à désarmer, sur le plan moral
comme sur le plan politique, tous ceux
qui n’avaient qu’elle pour défendre leur
dignité et leurs biens nationaux, terre
ou ressources. Et ceux-là - les
Palestiniens en sont l’expression
achevée - comprendront bien un jour que
ces normes morales qui leur ont enlevé
le fusil de leurs mains sont elles-mêmes
une arme dans l’arsenal des spoliateurs.
Il faut quand même rappeler que, sur ces
trente dernières années, cette énorme
pression médiatique qui a mobilisé
experts «maison» et philosophes
«cathodiques» pour la dévalorisation du
recours des peuples à la violence pour
défendre leurs droits, a surtout visé
les Palestiniens. Dans un
raccourci saisissant, au même moment et
dans le même lieu – comme au théâtre –,
l’Autorité palestinienne, qui s’est
désarmée avec un zèle de pétainiste,
quémande une présence déjà refusée dans
une ONU qui avalise le résultat des
armes de l’Otan en reconnaissant un
nouveau pays la Libye-bis. Les
Etats-Unis, qui refusent toute entrée de
la Palestine à l’ONU – et en réalité ils
la refuseront toujours –, y ont fait
entrer un nouveau drapeau. Cela n’a
l’air de rien mais, pour des
spécialistes de la propagande, de la
mise en scène et du jeu sur les
symboles, les Etats-Unis - et
accessoirement leurs sous-traitants
français et anglais qui jouent aux
matamores –, la suggestion d’une Libye
nouvelle est tout aussi importante que
la réussite de leur coup d’État. Ils
veulent porter haut et fort que la chute
- ou la défaite ou la mort ou la
disparition - de Kadhafi annonce une
«nouvelle Libye», comme Condi Rice et G.
W. Bush annonçaient un nouveau monde.
Peu importe que ce nouveau monde prenne
les formes de l’ancien. Le nouveau
drapeau libyen est celui de la Libye de
Senoussi, dans laquelle les compagnies
anglaises de pétrole faisaient la pluie
et le beau temps, et ne concédaient que
le strict minimum de «royalties»
permettant juste d’entretenir une armée
dédiée à leur protection et à leur
«liberté d’entreprendre». Le symbole,
ici du drapeau, permet de reconnaitre
tout de suite qui est qui et de quoi il
parle en réalité. Reviendra-t-elle à
l’analphabétisme et au trachome
généralisés ? Reviendra-t-elle aux
allégeances claniques sous l’égide des
zawiyas ? Car les comités (ou congrès)
populaires de la Jamahiriya, ce n’est
plus l’allégeance clanique, même si les
tribus restent les centres de gravité
des grandes options et des grands choix.
Comme chez nous, le vote communal ne
peut se réduire à – ou s’épuiser dans -
son aspect de vote clanique qui permet à
des groupes familiaux de drainer vers
eux les avantages matériels et les
contrats de la mairie. La mise entre
parenthèses du drapeau vert de la
Jamahiriya préfigure de la volonté de
mise entre parenthèse de tous les États
nés d’une contestation anticoloniale.
Mahmoud Abbas, marionnette pourtant
docile du coup d’État fomenté contre
Arafat, qui avait lui-même cédé aux
pressions le poussant au renoncement à
la violence révolutionnaire, bataille
pour une dernière reconnaissance auprès
des maîtres qu’il a servis : Etats-Unis,
Union Européenne, Israël, et jusqu’à
Tony Blair, criminel au sang et à l’âme
de reptile. Le chef du CNT, enfant
naturel de l’économie de marché et de la
violence militaire, parade, lui, sous
les vivats des médias de l’Otan.
C’est cela l’image et rien que cela : le
triomphe politique symbolique de la
violence la plus brutale des Etats-Unis
et de ses satellites, le bégaiement à
peine audible d’un fidèle domestique en
demande du droit de résidence aux
confins des territoires des maîtres.
L’agression de l’Otan dirigée par les
Etats-Unis, encore soucieux de la
gestion d’image que les cercles occultes
ont assignée à Obama, et sous-traitée
par Sarkozy et Cameron vient nous
rappeler que les grandes puissances
n’ont jamais renoncé à la violence
froide, délibérée, planifiée contre les
peuples, alors même qu’elles juraient
leurs grands Dieux que seules la paix et
la prospérité de tous occupaient leur
esprit. Il fallait être un peu idiot
pour croire aux promesses de paix d’une
coalition des plus grands États, au
passé esclavagiste et colonial aussi
lourd. Il fallait être encore un peu
plus idiots de les croire, alors qu’ils
conservaient et renforçaient le rôle de
l’Otan, une organisation militaire
censée être une réaction défensive face
à la «menace soviétique». Mais il faut
flirter avec le handicap mental pour ne
pas se souvenir que, sur ces trente
dernières années, l’Otan a mené une
suite ininterrompue de guerres qui se
sont toutes avérées justifiées par des
mensonges. Guerres contre l’Irak,
l’Afghanistan, la Yougoslavie, puis
guerre à la Serbie, selon des plans et
des procédures publiquement exposés dans
des déclarations de généraux américains,
dont celle, fameuse, de Wesley Clark,
qui énonçait la liste des pays que les
Etats-Unis «allaient prendre» selon un
certain ordre (www.youtube.com).
La force d’exécution de leurs plans, par
les Américains, réside dans le caractère
global de leur démarche. C’est une
guerre totale, dont les premiers
bataillons, les plus disciplinés et les
plus précieux, sont les médias. Comment
caractériser une presse, dont les
articles sur les guerres menées par les
Etats-Unis se ressemblent à la virgule
près, et dont les thèmes et les
orientations sont absolument identiques,
pour le Kosovo comme pour l’Irak ou
l’Afghanistan. Les journaux ne prennent
même plus la peine de changer les
phrases. D’un quotidien à l’autre, d’un
magazine à l’autre, ce sont les mêmes
titres, les mêmes exergues, les mêmes
phrases : celles des agences de presse.
Cette unanimité guerrière des médias
permet à la violence militaire de se
dérouler dans les meilleures conditions
politiques pour les agresseurs. Combien
se souviennent du million de morts – un
million, c’est énorme ! – en Irak.
Combien se souviennent du nombre de
villages rasés en Afghanistan par les
avions de l’Otan, certains pour venger
la mort de soldats français, ce dont
s’est même vanté un général français.
Tout dans le passé esclavagiste et
colonial de ces grandes puissances
devrait nous rappeler leur barbarie et
leur recours à la plus extrême des
violences contre nos peuples «barbares»
à qui elles prétendaient ramener la
civilisation. Dans cette scène de l’ONU,
le voisinage des Palestiniens mendiant
une espèce de reconnaissance minimum du
droit à un État hypothétique et des
supplétifs libyens symbolisant le succès
des armes coloniales restera un moment
fort du retour de la barbarie à visage
découvert. Bien sûr, les États-Unis
auront forcé toute la planète à
reconnaître le CNT hormis les pays de
l’Alba. Ils ont forcé la reconnaissance
de leur coup d’État en Libye. C’est que
leur coup d’État qu’ils comptent
rééditer en Algérie n’a même pas encore
réussi en Libye. Le CNT est bien loin de
la tourmente de Tripoli. Le peuple
libyen trouve lentement mais trouve les
chemins de la résistance ; Kadhafi fait
sa mue de son statut de dirigeant d’un
État à celui de dirigeant de la
résistance ou d’une partie de la
résistance populaire. Qu’importe, dès
lors, que, dans les aléas du combat, il
soit blessé, capturé ou tué. C’est le
processus de résistance qui est
important, non ses chefs conjoncturels.
Des pans toujours plus larges de jeunes
Libyens entraînés dans «un jeu» de la
«liberté» découvrent l’horreur des
tueries à grande échelle de l’Otan et de
leurs harkis. L’énormité du butin divise
déjà les puissances coloniales et avive
les rivalités inter-impérialistes, mais
surtout disloque l’unité de façade de
l’hétéroclite coalition entre islamistes
de la première heure et anciens caciques
de l’État libyens impatient de se
débarrasser de l’obstacle Kadhafi, pour
se mettre au festin du détournement des
« futures royalties » à leur seul
profit. Comment les Etats-Unis, qui
savent toutes les difficultés du terrain
à imposer un CNT - dont la fiction
politique et militaire va éclater au
grand jour, quand les milices islamistes
retourneront leurs armes contre les
Abdeljalil et compagnies -, tiennent-ils
à cette négation des réalités du terrain
? Car les Etats-Unis se moquent de la
réalité du terrain. Leur but n’est pas
de construire une domination qu’ils
possédaient et possèdent encore en
partie. Leur but est de ne pas perdre ce
qui reste de leur domination du monde et
d’empêcher que cette domination devienne
celle d’autres puissances. Pour cela ils
n’ont que les armes de la destruction.
Détruire le monde plutôt que de le
perdre et de perdre avec le niveau de
vie et de profits de Wall Street. La
barbarie coloniale nouvelle aura ce
trait de plus par rapport à celle des
siècles passés. Elle sera la barbarie
d’un monde en perdition et d’un système
capitaliste en fin de course.
La résistance solitaire du peuple
libyen, d’autant plus admirable qu’elle
est solitaire, ne retarde pas seulement
la main de l’impérialisme de poursuivre
en Algérie le plan qu’il nous préparait
avec la Cncd et son CNT appuyés par la
presse néocoloniale. Elle nous indique
la voie qu’il faut préparer dès
maintenant pour résister nous-mêmes :
nous réapproprier le thème de la
violence juste, la violence
révolutionnaire contre les agresseurs et
contre leurs néo-harkis. L’état algérien
indépendant, fils de novembre et juillet
doit se préparer, avec son peuple, à
user de son droit d’autodéfense
politique et militaire.
Publié sur
La Tribune
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