Opinion
Egypte: Les Frères
musulmans au service de la bourgeoisie
Mohamed
Belaali
Mardi 18 juin 2013
«Moubarak est le père de tous les
Egyptiens»
Mohamad Badie guide suprême des Frères
musulmans (1).
Depuis l'arrivée de Mohamed
Morsi au pouvoir en juin 2012 (2), la
résistance aux Frères musulmans et aux
salafistes leurs alliés se poursuit et
s'amplifie. La police et les
milices des Frères ne font désormais
plus peur aux contestataires. Grèves,
manifestations pacifiques et
affrontements violents se produisent
régulièrement un peu partout en Égypte.
Les manifestants accusent les Frères
musulmans d'avoir confisqué et trahi la
révolution qu'ils n'ont, par ailleurs,
jamais vraiment acceptée. Rappelons pour
mémoire que la Confrérie a refusé de
participer à la grande manifestation
populaire du 25 janvier 2011 qui a forcé
Moubarak, dix huit jours après, à
quitter le pouvoir le 11 février. Entre
la population et le régime, la rupture
est totale. Les masses opprimées
égyptiennes se sont vite rendues compte
que ni l'armée, ni les Frères musulmans
ne servent leurs intérêts. Bien au
contraire, ces deux pouvoirs, comme
celui de Moubarak et de Sadate, sont au
service des classes possédantes
égyptiennes et de l'impérialisme
américain. En Égypte, le processus
révolutionnaire est loin d'être
terminé(3).
En
quelques mois seulement, trois
secrétaires d’État américains se sont
rendus en Égypte pour apporter leur
soutien à Morsi alors que celui-ci est
contesté dans tout le pays (4). En mai
2013, l'Administration de Barack Obama a
reconduit discrètement l'aide militaire
à l’Égypte (1,3 milliard de dollars).
Cette «aide» revêt aujourd'hui une
importance particulière. Les américains
savent que le rôle politique des
militaires est déterminant. L'armée
égyptienne reste pour eux le moyen le
plus sûr pour sauvegarder leurs intérêts
ainsi que ceux d'Israël. Rappelons que
le montant de cette «aide» a nettement
augmenté depuis la signature du traité
de paix avec Israël en 1979 concédé par
Sadate et non remis en cause par les
Frères musulmans.
De
son côté, le Fonds monétaire
international (FMI), bras financier de
Washington, presse le pouvoir égyptien à
accepter ses conditions comme, entre
autres, la suppression des subventions
aux produits de première nécessité en
échange d'un prêt de 4,8 milliards de
dollars. Le Qatar, satellite et
sous-traitant des américains, ne cesse
de déverser ses pétrodollars sur le
régime des Frères pour le sauver de la
colère populaire (5). L'Union
Européenne n'est pas avare non plus avec
la Confrérie:«
L'Union européenne et des
institutions financières associées ont
offert un montant de plus de cinq
milliards d'euros, ou plus de 6,5
milliards de dollars, en dons, prêts à
taux réduit et prêts pour la période
2012-2013 afin de soutenir la transition
démocratique en Egypte» affirmait
le président du Conseil européen Herman
Van Rompuy (6). Tous les pays
impérialistes petits et grands, d'une
manière ouverte ou dissimulée déploient
leurs efforts pour maintenir, vaille que
vaille, au pouvoir un régime contesté
par une grande partie de la population.
Les
pays capitalistes qui ont brisé l'élan
et la vitalité admirables des
soulèvements populaires dans le monde
arabe, soutiennent aujourd'hui par tous
les moyens la confrérie des Frères
musulmans ennemis du changement et du
progrès. Les pays impérialistes menés
par les États-Unis sont, dans une large
mesure, responsables du maintien au
pouvoir des tyrans arabes anciens et
nouveaux. Leurs intérêts sont
profondément incompatibles avec ceux des
peuplesde cette région du monde
qui n'aspirent qu'à se débarrasser de
ces despotes d'un autre âge. Chaque
révolte, chaque soulèvement réellement
populaire est, directement ou
indirectement, réprimé dans le sang. Le
cas de Bahreïn est exemplaire à cet
égard (7). Mais Bahreïn n'est que
l'arbre qui cache la forêt. Combien de
révoltes ont été brisées en Arabie
Saoudite (8), en Jordanie, au Yémen, à
Oman, au Koweït etc.? Les premières
révoltes populaires et pacifiques en
Libye et en Syrie ont été transformées
par l'intervention impérialiste en
guerre civile. Des mercenaires et des
forces obscurantistes ont été armés,
entraînés, financés et soutenus
médiatiquement par l'occident
capitaliste pour renverser les régimes
en place. Les Frères musulmans, qui
soutiennent les «rebelles» syriens,
viennent de rompre toute relation
diplomatique avec Damas. Morsi a même
appelé «la communauté internationale» à
mettre en place une zone d'exclusion
aérienne au-dessus de la Syrie! Leurs
positions se confondent ainsi avec
celles des États-Unis et de ses
satellites locaux comme l'Arabie
saoudite, le Qatar ou encore la Turquie.
Dans
le cas de la Libye, il a fallu une
intervention militaire directe de
l'OTAN, bras armé de l'impérialisme,
pour renverser le régime de Kadhafi.
«L'intervention
impérialiste en Libye a fait des
dizaines de milliers de victimes
innocentes. Elle a détruit l'essentiel
de l'infrastructure économique du pays.
Elle a brisé l'unité de la nation
libyenne. L'impérialisme américain et
son supplétif européen ont imposé au
peuple libyen par la violence un pouvoir
sans légitimité aucune, mais qui leur
est totalement soumis»
(9).
Le
soulèvement populaire en Égypte, s'il a
écarté Moubarak du pouvoir, n'a pas
réussi à renverser son régime. Les
Frères musulmans ont repris tel quel
l'appareil répressif d’État et le font
fonctionner pour leur propre compte afin
de sauvegarder les intérêts des classes
dominantes et de l'impérialisme
américain leur protecteur. Les
structures économiques, sociales et
politiques sont, à quelques inflexions
près, restées les mêmes. Le régime se
régénère et se reproduit avec une
rhétorique différente dans une situation
différente. La tête de Morsi a remplacé
celle de Moubarak au sommet de l’État.
Le régime continue à fonctionner avec un
discours différent mais avec les mêmes
pratiques et les mêmes politiques
économiques de classes : misères et
exploitation pour l'immense majorité de
la population avec des promesses d'un
monde meilleur au Paradis, richesses et
pouvoir ici-bas pour une petite minorité
d'exploiteurs menée par les Frères
musulmans.
Les
dirigeants de la Confrérie qui nient en
théorie la division de la société en
classes et, partant, la lutte des
classes, mènent pourtant une véritable
politique économique au service d'une
seule et même classe sociale, la
bourgeoisie. Pour la Confrérie,
«Les
ouvriers ne sont qu’une masse infâme
utile à leur propagande religieuse. Ils
partagent ce mépris pour la classe
ouvrière avec leurs alliés extrémistes,
les Salafistes»
(10).
Répartition des richesses, travail pour
tous, justice sociale, droits des
femmes, droits des minorités
religieuses, lutte contre la corruption,
démocratie, dignité etc., toutes ces
revendications portées par le
soulèvement populaire ont été effacées
par le nouveau pouvoir et remplacées par
des préoccupations plus libérales que
théologique. Les préoccupations
matérielles de classes l'emportent
largement ici sur les considérations
religieuses. Pour la bourgeoisie
égyptienne, l'arrivée au pouvoir des
Frères musulmans est une aubaine qui lui
permet d'apaiser sa conscience
tourmentée et assoiffée de profit. La
Confrérie lui apporte une précieuse
légitimation de l'exploitation et de la
détention des richesses.
Les
opprimés d’Égypte n'ont pas dit leur
dernier mot. L'histoire leur a appris
comment résister aux oppresseurs avant
de les renverser. L'unité des
travailleurs, des paysans pauvres et de
tous les laissés-pour-compte est vitale
pour affronter efficacement les nouveaux
pharaons. Leur intérêt est de rendre la
révolution permanente, jusqu'à éloigner
du pouvoir les classes possédantes et
leurs serviteurs, l'armée et les Frères
musulmans.
Mohamed Belaali
@MohamedBelaali
(1)
Mohamad Badie chef suprême des Frères
musulmans
http://hebdo.ahram.org.eg/NewsContent/0/10/124/2186/Fr%C3%A8res-musulmans-Les-hommescl%C3%A9s-.aspx
(2) Les mouvements de contestation
appellent à une grande manifestation le
30 juin 2013 date anniversaire de la
prise de pouvoir par Morsi.
Par ailleurs, Morsi vient de nommer 17
gouverneurs appartenant à la Confrérie,
à l'armée et aux services de Sécurité.
Le nouveau gouverneur de Louxor
Adel al-Khayyat appartient, lui, au
Parti de la construction et du
développement, la branche politique du
groupe Gamaa-Al- Islamiya qui a
revendiqué en 1997 l'attaque sur un site
pharaonique de la région de Louxor, qui
avait fait selon les sources entre 62 et
68 morts principalement des touristes.
Les Frères musulmans poursuivent
ainsi leur mainmise sur tous les rouages
de l’État.
(3) A propos des débats sur la
révolution égyptienne, voir (en arabe)
Atef Said :«Le libéralisme impérialiste
et la révolution égyptienne»
http://www.jadaliyya.com/pages/index/11333/
(4) Hillary Clinton le 21 novembre 2012,
John Kerry le 2 mars 2013 et le
secrétaired'Etat à la Défense, Chuck
Hagel le 24 avril 2013
(5)
http://fr.reuters.com/article/frEuroRpt/idFRL5N0CX4KZ20130410
(6)
http://fr.reuters.com/article/businessNews/idFRPAE90C03C20130113
(7)
http://www.belaali.com/article-l-intervention-saoudienne-a-bahrein-et-le-silence-complice-des-bourgeoisies-occidentales-69874090.html
(8)
http://www.belaali.com/article-arabie-saoudite-le-silence-complice-des-bourgeoisies-occidentales-sur-les-revoltes-populaires-109557989.html
(9)
http://www.belaali.com/article-la-libye-apres-l-intervention-imperialiste-108002868.html
(10)
http://www.belaali.com/article-egypte-de-mohammed-ali-a-mohamed-morsi-un-combat-permanent-entre-le-passe-et-l-avenir-114107860.html
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