Ha'aretz
Les temples de l’occupation
Meron Benvenisti
Haaretz, 28 décembre
2006
www.haaretz.co.il/hasite/spages/806538.html
Version
anglaise : The
temples of the occupation
www.haaretz.com/hasen/spages/806575.html
A
ce jour, pas un seul barrage n’a encore été retiré en
Cisjordanie sur les dizaines de barrages qu’il avait été décidé
d’enlever pour faire un « geste » à l’égard de Mahmoud Abbas.
Le
projet de « levée des
barrages » est repoussé, sous l’un ou l’autre prétexte,
depuis quelques années déjà et, en attendant, leur nombre a
augmenté. On peut supposer avec un bon niveau de certitude que
cette nouvelle tentative visant à faciliter la vie des
Palestiniens échouera elle aussi, tout comme les précédentes.
Parce que le régime des barrages n’est pas l’affaire d’un
geste insignifiant, marginal, ni une question de nombre dont la réduction
serait susceptible d’indiquer un changement quelconque dans la
situation existant dans les Territoires occupés. Les barrages
constituent le pilier central du contrôle israélien sur la
Cisjordanie et ils remplissent trois fonctions fondamentales :
symbolique, géostratégique et sociopolitique. Dès lors, à
celui qui ne leur reconnaîtrait qu’une signification tactique sécuritaire
ou un lien de dépendance aux colonies, il manquerait
l’essentiel.
De
ce point de vue, les officiers de l’armée israélienne (qui
sabotent toute tentative de lever des barrages) sont plus fidèles
et dévoués aux conceptions de base d’Israël que le Premier
Ministre et le Ministre de la Défense qui utilisent les barrages
comme un moyen politique à court terme. Les centaines de barrages
fixes ou mobiles, construits ou improvisés, blocs de béton ou
barrières tournantes, monceaux de terre ou tranchées, sont tous
conçus dans un même but : marquer qui a le pouvoir de contrôler
la vie des Palestiniens.
De
petits groupes de jeunes soldats font office d’agents d’une
autorité qui force des centaines de milliers de personnes à se
conformer à des lois arbitraires qui désorganisent leur vie au
niveau le plus élémentaire. Ce contrôle est mis en œuvre, pour
l’essentiel, sans qu’il soit besoin de recourir à la force
mais en jouant sur la peur et l’inquiétude des Palestiniens.
Le
mépris pour les Palestiniens et le recours à une mentalité de
soumission ne se manifestent pas seulement par les barrages, mais
aussi par les procédures de « contrôle »
qui sont appliquées sans égard pour la dignité des Palestiniens
ni leurs besoins. On attend d’eux qu’ils attendent, en file,
en silence et dociles. Sinon, on les « punit ».
Les
régimes coloniaux se sont toujours appuyés sur l’arrogance de
soldats peu nombreux, qui administraient la vie de millions
d’autochtones par un recours minime à la force et en se fiant
à une « dissuasion »
assurant un statut inférieur aux sujets placés sous leur autorité.
Israël a perfectionné la méthode coloniale : au lieu que
les forces d’occupation gèrent la vie des autochtones au niveau
de l’existence quotidienne, dans leurs villes et leurs villages,
elles imposent aux autochtones un contrôle indirect par
enfermement dans des enclaves clôturées et en interférant avec
la routine de leur vie. Le maître ne pénètre pas dans leur
domaine, mais les autochtones sont obligés de l’implorer dans
les temples de l’occupation – les barrages – et tant
qu’ils se plient aux règles qui leur sont dictées,
l’occupant sait que sa position est solide.
Les
barrages servent de moyen géostratégique de premier ordre :
institutionnalisant l’expropriation de l’espace physique et de
l’infrastructure publique de Cisjordanie et leur cession à
l’usage exclusif des Israéliens. La carte des centaines de
barrages installés à l’intérieur des centres de population
palestiniens dessine le partage physique de la Cisjordanie en
territoires qui ont été annexés de fait – l’ouest de la clôture
de séparation et la vallée du Jourdain coupée de ce qui
l’entoure – et en dix enclaves palestiniennes, de Jénine au
nord jusqu’au sud du mont Hébron.
Les
monceaux de terre et les blocs de béton placés sans ordre
apparent constituent en réalité tout un système géostratégique,
et l’enlèvement de quelques tas de terre ou de fermetures de
routes pourrait altérer un dispositif planifié avec tellement de
méticulosité. Ceux qui croient que l’idéologie du Grand Israël
a disparu, évanouie, feraient bien de comprendre que les barrages
sont le symbole de l’expropriation des territoires de la
Cisjordanie, sans annexion, en sus de la création de « réserves »
palestiniennes.
La
division géographique crée une réalité sociale et politique
qui entraîne l’éclatement de la communauté palestinienne en
sous-communautés faibles et pauvres, où ce qui domine c’est la
coupure entre le centre et la périphérie, la dégénérescence
des centres urbains et l’appauvrissement de l’espace
villageois, la séparation des familles, l’empêchement mis aux
soins médicaux et aux centres d’enseignement – le tout avec
l’espoir que ce blocus politique et social conduira à des problèmes
démographiques et peut-être à un émigration.
Les
planificateurs du régime des barrages ont voué d’importants
efforts à l’élaboration du système et à sa mise en œuvre,
mais ils semblent avoir mal évalué l’efficacité de leur méthode.
La société palestinienne montre une cohésion et une capacité
d’adaptation aux conditions de vie pénibles, impitoyables, qui
lui sont imposées, et on ne voit pas de signes que les objectifs
stratégiques programmés auraient été atteints. Les concepteurs
des barrages ont dès lors l’impression qu’il leur faut en
augmenter le nombre chaque année. Il y en a déjà 522, soit un
barrage pour 3.500 Palestiniens.
Celui
qui aspire sérieusement à ce qu’il soit mis un terme à cette
marche folle – dont même la maigre utilité au plan sécuritaire
est mise en doute et dont le préjudice est clair pour tout le
monde – celui-là est tenu d’ordonner le démantèlement de
tous les barrages qui ne sont pas situés à la frontière d’Israël
souverain, et de ne pas se soumettre au maquignonnage que les
officiers de l’armée tentent d’imposer.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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