Egypte
Les militaires
s'emparent du pouvoir législatif
May
Al-Maghrabi
Mercredi 20 juin
2012
Parlement.
Sa dissolution sur ordre de la
justice, deux jours avant le second tour
de la présidentielle, laisse le pouvoir
législatif entre les mains des
militaires.
Le Parlement a été officiellement
dissous le 16 juin par le Conseil
Suprême des Forces Armées (CSFA) au
pouvoir, suite au verdict de la Haute
Cour Constitutionnelle (HCC) invalidant
la loi électorale.
Le 14 juin, deux jours avant le second
tour du scrutin présidentiel, la HCC a
jugé inconstitutionnelle la loi
électorale ayant régi les élections
législatives qui avaient eu lieu début
2012. Une décision qui invalide la
composition du Parlement dominé à
hauteur de 70 % par les islamistes. Le
fait que des représentants des partis
politiques se sont présentés dans les
circonscriptions individuelles réservées
aux indépendants constitue une atteinte
à l’égalité des chances. Bien que ce
vice de la loi électorale signalé par la
Cour ne concerne qu’une partie des
sièges attribués par scrutin uninominal,
le verdict de la HCC a entraîné la
dissolution de tout le Parlement.
Le maréchal Hussein
Tantawi, chef du CSFA, a notifié
officiellement au secrétariat général de
l’Assemblée du peuple la décision de
dissolution. « La dissolution de
l’Assemblée du peuple est effective dès
ce vendredi. Les anciens députés ne
peuvent désormais accéder au siège du
Parlement que sur notification et
autorisation préalables », a indiqué
la missive envoyée au secrétariat
général de l’Assemblée. Le Conseil
militaire a également déclaré qu’il
récupérait le pouvoir législatif jusqu’à
la tenue de nouvelles élections
législatives. Quant au Conseil
consultatif, la Chambre haute du
Parlement, le président de la HCC,
Farouq
Sultan, a déclaré qu’il aurait le même
sort que l’Assemblée du peuple puisqu’il
a été élu en fonction de la même loi
déclarée invalide.
Les islamistes exigent un référendum
La dissolution du Parlement a eu l’effet
d’un coup de foudre sur les islamistes,
notamment les Frères musulmans qui y
étaient majoritaires. Dénonçant « un
coup d’Etat », ces derniers
réclament que la décision de la HCC soit
soumise à un référendum.
Mohamad Al-Beltagui,
député et cadre supérieur des Frères,
accuse les militaires d’avoir orchestré
ce scénario pour préparer le terrain à
un retour de l’ancien régime. « Oui,
il s’agit d’un coup d’Etat militaire, on
ne peut pas le voir autrement. C’est le
Conseil militaire qui a élaboré la loi
électorale avec l’aide des magistrats de
la HCC qui viennent maintenant
l’invalider. Ne savait-il pas déjà
qu’elle était inconstitutionnelle ?
C’est un acte intentionné pour que les
militaires tiennent en main les règles
du jeu », accuse Al-Beltagui.
« Le verdict de la HCC concerne la
constitutionnalité de la loi électorale,
mais il revient à la Cour administrative
de préciser ses implications et les
procédures de sa mise en vigueur »,
s’insurge de son côté
Sobhi Saleh,
un autre cadre des Frères musulmans.
Sur le terrain, les forces de sécurité
ont encerclé le siège du Parlement pour
en empêcher l’accès aux députés.
De leur côté, les islamistes contestent
— eux aussi sur des bases juridiques —
la dissolution du Parlement. A l’issue
de sa réunion dimanche avec le numéro
deux du Conseil militaire, le général
Sami Anan,
le président du Parlement, Saad Al-Katatni,
a déclaré son rejet de la décision de
dissoudre le Parlement. Ahmad
Abou-Baraka, conseiller juridique du
Parti Liberté et justice, bras politique
de la confrérie, a,
lui, déclaré que les députés allaient
tenir « coûte que coûte » leurs
prochaines séances dans l’hémicycle. Il
a ajouté sur un ton défiant que «
toutes les options sont ouvertes »
dans le cas où on leur interdirait
l’accès au Parlement. « Le Conseil
militaire veut défier la volonté de 30
millions d’électeurs, qui ont voté aux
élections législatives »,
s’insurge-t-il.
Essam Sultan, député du parti islamiste modéré
Al-Wassat,
trouve, quant à lui, que la HCC a «
dépassé de loin ses prérogatives qui se
limitent à juger la constitutionnalité
d’une loi laissant au président de la
République l’application de sa décision.
Conformément à la Constitution de 1971,
celle-ci doit appeler à un référendum
sur la dissolution du Parlement »,
dit Sultan.
Des arguments qui ne tiennent pas debout
pour Gaber Nassar,
professeur de droit constitutionnel.
Nassar
explique que les verdicts de la HCC sont
définitifs et ils entrent en vigueur dès
leur publication au journal officiel. «
C’est inadmissible de soumettre une
décision de la justice à un référendum.
Ceci est contraire au principe de la
souveraineté de la loi »,
affirme-t-il.
En dehors des débats juridiques,
l’opposant Mohamad
ElBaradei, père spirituel des
révolutionnaires, trouve que « même
s’il s’agit d’un coup d’Etat militaire
comme disent les Frères musulmans,
ceux-ci endossent la responsabilité de
cette impasse dans laquelle on se trouve
». Dans une interview accordée au
journal britannique The Guardian,
ElBaradai
estime qu’après le renversement de
Moubarak, les islamistes ont voulu «
s’emparer de tout le gâteau du pouvoir
», et que leur alliance (éphémère) avec
les militaires directement a servi la
contre-révolution. « Leur véritable
problème c’est de toujours placer leurs
propres intérêts et ceux de la confrérie
au-dessus de ceux du pays »,
regrette ElBaradei.
Si ce verdict a fait l’objet
d’interprétations juridiques parfois
contradictoires, son impact sur la
transition politique est évident. Le
député indépendant Moustapha Al-Naggar
déplore un retour à la case départ après
une longue et difficile phase de
transition. « Tous les pouvoirs
maintenant sont entre les mains du
Conseil militaire. On se retrouve dans
la même situation qu’en février 2011. La
seule différence c’est que ni le peuple
ni les forces politiques n'ont le
courage de tout
recommencer », déplore-t-il.
Al-Naggar
parle de réunions actuellement en cours
entre des représentants de plusieurs
partis politiques pour trouver une
formule permettant de sortir de cette
impasse. Selon lui, les discussions
tournent autour d’une idée déjà proposée
par ElBaradei
et qui consiste à réduire à un an le
mandat du nouveau président, le temps de
rédiger la nouvelle Constitution et
d’élire un nouveau Parlement. Des
propositions qui semblent venir trop en
retard puisque la feuille de route
appartient une fois de plus au Conseil
militaire qui règne en maître, en vertu
d’une Déclaration constitutionnelle
bis .
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reproduction et de diffusion réservés. ©
AL-AHRAM Hebdo
Publié le 23 juin
2012 avec l'aimable autorisation de
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