Récit
« Le Grand Soir » au
Tibet
Maxime Vivas
Dimanche 25 juillet 2010
Sur invitation, Maxime Vivas est au Tibet avec
un groupe de journalistes (Le Figaro, Le Monde et deux
journalistes free-lance). Il nous livre ici une première
approche de la question tibétaine en la replaçant dans le
contexte qui la projeta sous les feux de l’actualité lors du
passage de la flamme olympique à Paris en avril 2008.
Dans un autre article à venir, il dira ce qu’il a vu et qui
rompt avec le discours ambiant.
LGS.
Le rude et haut pays des monastères, de la
sérénité, de l’amour du prochain, de l’harmonie, le pays annexé,
appauvri, privé de sa culture, victime d’un « génocide
ethnique », martyrisé par la puissance coloniale, tel est, en
quelques mots, l’image du Tibet, si répandue que quiconque se
hasarde à en dessiner une autre, ou même simplement à la
nuancer, s’expose à un collage dorsal d’étiquettes infamantes.
C’est le risque qu’il me plaît de prendre pour
Le Grand
Soir à l’occasion d’un voyage journalistique au Tibet.
Tout d’abord, un résumé des épisodes précédents.
En 2008, Reporters sans frontières, « ONG »
subventionnée par les USA et Taïwan (1) a déployé un activisme
forcené (qui a culminé au mois d’avril lors du passage de la
flamme olympique à Paris) contre les J.O. de Pékin.
On se souvient qu’il s’ensuivit une brouille qui
se traduisit par des suspensions de signatures de contrats ainsi
que par la montée d’un sentiment anti-français en Chine, pays où
la France était très aimée depuis que le général De Gaulle avait
avancé une idée alors saugrenue : la Chine représentée à l’ONU
ne devait plus être Formose (Taïwan) mais la Chine continentale,
dont la capitale est Pékin.
Pour réparer les dégâts, le gouvernement
français dut dépêcher d’urgence plusieurs émissaires de hauts
rangs, dont Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre. Pour
l’anecdote, l’interprète (remarquable) qui nous est affectée fut
celle de J.P. Raffarin, lors de sa mission de pompier volant.
La campagne « pour la liberté du Tibet » et pour
la promotion du dalaï lama (et non plus pour la liberté de la
presse stricto sensu) fut allègrement menée
par un Robert Ménard qui obtint un résultat inattendu :
l’opinion publique étant chauffée à blanc pour la défense des
moines, le président de la république française hésita à
participer à la cérémonie d’ouverture des jeux, tergiversa, se
décida au dernier moment, ne fit qu’un rapide aller-retour
tandis que nos grands amis (et concurrents sur cet immense
marché) états-uniens y étaient présents, avant, pendant et
après, en la personne de George W. Bush. Présence prolongée qui
ne suscita aucune vague de réprobation chez RSF et dans les
médias qui popularisaient ses indignations à géométrie variable.
Ce que le public (celui qui croyait défendre la
liberté de la presse en achetant les agendas, calendriers,
albums photos, sacs à dos, DVD, tee-shirts, etc. de l’épicerie
ménardienne) ne sait pas, c’est que quelques mois auparavant,
Robert Ménard avait été invité en Chine par le gouvernement
chinois, qu’il y fut reçu quasiment comme un chef d’Etat et que
des choses lui avaient été dites et montrées qui, sans être
assez convaincantes sans doute pour faire adhérer cet ancien
trotskiste au Parti communiste chinois, auraient pu sans doute
édulcorer son manichéisme habituel dont on ne voit pas toujours
bien en quoi il est utile à la liberté de la presse, ni à celle
des journalistes qui sont morts en trop grand nombre ces
dernières années sur des champs de bataille sans émouvoir aux
larmes RSF, ni même utile à la démocratie (surtout s’il s’agit
de promouvoir une théocratie), mais dont il est facile de
constater qu’il nuit souvent aux intérêts de notre pays (qui le
subventionne, hélas !).
Bref, les autorités chinoises n’ayant pas été en
mesure de promettre la dissolution du PCC et l’adoption d’une
démocratie « à la française » avant l’ouverture des jeux, Ménard
s’employa à prôner le boycott par le président français (pas par
le président états-unien. Ceux qui ont lu mon livre : « La
face cachée de reporters sans frontières » savent pourquoi).
Ce préambule, pour dire que les Chinois, ayant
lu mon livre, ont pensé que je pourrais faire partie d’une
délégation de journalistes français invités en juillet 2010 à
venir voir à Llassa, au Tibet. Je n’ignore pas la suspicion qui
naîtra à mon égard pour avoir répondu favorablement. Mes amis et
mon entourage m’ont prévenu contre les risques
d’instrumentalisation : « Ils » vont te bourrer le mou, « ils »
te montreront ce qu’ils veulent, « ils » t’empêcheront de parler
avec les tibétains (en tibétain ?), etc.
On se demande pourquoi ces mises en garde ne
sont jamais faites aux journalistes qui se font inviter par
charters entier par le roi du Maroc ou autres potentats qui leur
donnent matière à ne pas les blâmer et leur laissent le loisir
de braquer le canon de leur stylo vers d’autres pays sur qui ça
tombe comme à Gravelotte avec une régularité de métronome.
Bref, je me suis dit que le paradoxe serait
qu’un ennemi juré de ce pays y ait paradé alors que moi, qui
jamais ne fus « maoïste » à l’époque où c’était la mode et où
j’avais l’âge idéal pour m’enflammer à la lecture du petit livre
rouge, devrais m’en tenir éloigné, lesté que je serais d’une
tardive naïveté propice à tous les endoctrinements. Par
ailleurs, il se trouve que les Chinois connaissent le site Le
Grand Soir, qu’ils ont pu y noter la rareté des informations sur
leur pays et que mon implication dans ce site m’interdisait,
sauf par douillette lâcheté, de fuir le sujet, de me taire et de
laisser d’autres écrire seuls sur une nation qui regroupe
presque le cinquième des habitants de la planète.
Et c’est ainsi qu’en ce mois de juillet, j’ai
atterri à l’aéroport de Beijing. Terminal flambant neuf :
plafond en voûte, d’une hauteur de cathédrale et d’une beauté
architecturale qui sidère. A peine sorti de la passerelle de son
avion, le touriste est cueilli par cette démonstration de la
puissance, du modernisme et du raffinement de la Chine.
D’emblée, elle montre ses muscles huilés et souples et elle ne
cessera de la faire avec son fameux sourire (forcément
énigmatique).
Formalités de douane rapides et minimales. Je
constaterai plus tard que les contrôles tatillons s’exercent
pour les vols intérieurs et qu’on n’entre pas au Tibet avec un
dangereux briquet en poche.
J’étais déjà venu en Chine en avril 2008 pour y
rendre visite à un de mes fils qui y travaillait. Informée de ce
voyage par mon éditeur, une journaliste du Figaro s’employa à me
dénoncer à ses lecteurs en ces termes « Un
écrivain toulousain, en villégiature en Chine, cela ne s’invente
pas... » (comprendre : alors que le peuple tibétain vient de
se faire massacrer par l’armée chinoise... ). Elle pourra
ajouter aujourd’hui que j’ai récidivé, sur les lieux même du
crime, et avec un de ses confrères. En tout cas, cette petite
phrase a sans doute pesé dans ma décision d’aller y voir quand
l’occasion m’en fut donnée.
J’ai déjà raconté ici que, via Internet (mal
bridé dans l’Empire du Milieu par des filtres... vendus par une
entreprise française) j’avais visionné dans un hôtel chinois
l’émission violemment anti-chinoise de France 2 « Compléments
d’enquête » à laquelle je devais participer en avril 2008.
La veille de mon départ, 3 journalistes étaient en effet
descendus me voir chez moi à Toulouse. Je leur avais consacré
presque 5 heures dont 2 pour le filmage. Il en était resté 15
secondes où je n’apparaissais pas et où l’on voyait en tout et
pour tout la couverture de mon livre deux titres de chapitres et
deux lignes sur la National Endowment for
Democracy (NED). Par contre, Robert Ménard s’y exprimait à
loisir (2). Dure, la censure made in France !
N’avais-je pas là une troisième raison
(rancunière ?) d’aller sur place et de voir, de mes yeux ?
Pendant le séjour d’avril 2008, je m’étais rendu
au Centre Culturel français, où j’appris qu’il y avait de
petites manifestations anti-françaises dans le pays. Il nous
était recommandé d’être discrets et prudents. On n’imagine pas,
en France, l’importance du mot chinois « mianzi ».
Perdre « mianzi », c’est perdre la face,
subir un affront. C’est ainsi que les Chinois ont perçu les
péripéties autour de la flamme olympique à Paris. Je note que
les guides de voyage et un excellent polar (« Meurtres
à Pékin » Peter May, éditions Actes Sud, Babel noir)
insistent sur cet aspect de la susceptibilité des citoyens
chinois. Il eut fallu que les manifestants anti-flamme le
sachent. En l’ignorant, ils ont créé un problème avec la
légèreté d’un troupeau d’éléphants incultes dans un magasin de
porcelaine de l’époque Ming.
Je suis arrivé il y peu à Llassa. Dans les jours
qui viennent, je confronterai ce qu’on m’a dit en France du
Tibet à ce que je verrai durant mon séjour.
Parmi mes compagnons de voyage, un journaliste
du Figaro, un ancien journaliste du
Figaro aujourd’hui indépendant et sa femme,
journaliste-écrivain et un journaliste du Monde.
Je ne suis pas sûr que mes compagnons, (au
demeurant de fort bonne compagnie), verront la même chose que
moi. A quoi bon voyager, disait Sénèque, si tu t’emportes avec
toi ? Certes, mais il est probable que chacun de nous a emporté
un bout de ce qu’il est en France et une partie du média dans
lequel il s’exprime.
Je veux conclure pour aujourd’hui en ajoutant
ceci : s’il est permis de relater un voyage à New York sans
évoquer les centaines de milliers de civils tués en Irak depuis
que les USA ont choisi de porter le fer et le feu dans ce pays,
où de rappeler le génocide des indiens, je compte user du même
droit pour le Tibet. J’en parlerai sans doute sans traiter de la
Révolution culturelle et de la place Tian’an men. Tant pis pour
ceux qui en déduiront que cette prétention exorbitante
s’apparente à l’apologie de Mao. J’aimerais parler du sujet pour
lequel je suis là, à 3600 mètres d’altitude, sur « le toit du
monde ».
Pour l’instant j’ai pu visiter avec mes
confrères le palais de Potala, ex-lieu de résidence principal
des dalaï-lama, le temple de Jokhang, (deux monuments protégés
et visités par une foule serrée de fidèles et de moines avec une
ferveur religieuse qui s’apparente à du fanatisme et qui m’a
rendu malade mieux que le mal des montagnes), des entreprises
modernes et en plein essor, une université où des chercheurs ont
réussi à créer des programmes informatiques en langue tibétaine
dont l’écriture vient (et ressemble à) du sanscrit, un musée où
la culture tibétaine est mise en avant, un hôpital où les
médecins appliquent et enseignent la médecine traditionnelle
tibétaine, fabriquent des médicaments selon des recettes
ancestrales du Tibet. J’ai vu les enseignes des magasins, les
noms des rues, les panneaux indicateurs, écrits en mandarin et
en tibétain ainsi que des journaux.
Je me dis qu’il y a chez nous des cultures
régionales qui aimeraient être brimées de la sorte, en
bénéficiant de surcroît d’un enseignement obligatoire de leur
langue dans les écoles dès les premières classes et de
programmes de radios et de télévisons.
Je me dis aussi que les Français sont bizarres
avec leur poutre dans l’œil et leur logique peu cartésienne qui
les fait chérir la laïcité et rêver d’une province chinoise qui
rétablirait la confusion entre l’Eglise et l’Etat, qui les fait
approuver l’idée d’une partition dont ils ne voudraient certes
pas chez nous (les Corses, les Basques et les Bretons me
comprendront).
Bref, de même que le bon sens interdit de
militer pour l’importation en France du système politique
chinois, le militantisme à Paris pour un « Tibet libre » dirigé
par le dalaï-lama n’a d’excuse que le manque d’information.
J’apporterai bientôt ici des éléments dont j’espère qu’ils
seront recevables par ceux de nos lecteurs qui trouvent des
vertus à la loi de 1905 et à quelques autres dispositions de
notre Constitution.
Depuis Llassa
Maxime Vivas
pour Le Grand Soir.
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