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Opinion
Un quotidien libanais publie des câbles
diplomatiques US que vous ne trouverez pas sur WikiLeaks
Max Fischer
La page d’accueil du site Al-Akhbâr affichant en
exclusivité 183 télégrammes diplomatiques américains
Vendredi 3 décembre
2010
http://www.theatlantic.com/...
Près de deux-cents télégrammes
diplomatiques américains inédits ont été affichés mercredi
dernier sur le site ouèbe du quotidien libanais Al-Akhbâr. Ces
télégrammes provenant d’ambassades US dans l’ensemble du
Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord ne sont apparus ni sur le
site officiel de WikiLeaks, ni dans les médias occidentaux qui
ont repris des informations de WikiLeaks. Al-Akhbâr, quotidien
se qualifiant lui-même d’opposition, est publié en arabe. Il a
affiché la totalité des cent-quatre-vingt-trois télégrammes dans
leur version anglaise originelle, mais en promettant à ses
lecteurs une traduction pour bientôt.
La manière dont Al-Akhbâr s’est procuré ces
télégrammes secrets, dont il dit qu’ils sont ‘exclusifs’ n’est
pas claire, de même qu’il n’est pas précisé s’ils ont été
affichés sur le site avec la permission de WikiLeaks, qui a
jusqu’ici étroitement contrôlé les gens qui publient ses
messages, ainsi que quels messages ils publient, et quand.
WikiLeaks a proposé à une poignée de grands médias, tels que The
Guardian et le quotidien espagnol El Pais un accès favorisé à
certains de ces télégrammes à la condition que ces organes
médiatiques les publient de manière coordonnée. Mais ni
WikiLeaks ni ces médias n’ont publié les messages affichés par
Al-Akhbâr. Si Al-Akhbâr en avait coordonné la publication avec
WikiLeaks, l’on peut penser que la publication libanaise aurait
disposé du temps suffisant pour traduire ces dépêches en arabe.
Ces documents semblent authentiques, dès
lors que les télégrammes émanant de Tripoli sont cohérents avec
la couverture par The Atlantic d’une information [story]
remontant à l’année 2009 au sujet de la crise nucléaire
libyenne, certains détails n’ayant pas été publiés par The
Atlantic apparaissant dans les dépêches publiées par Al-Akhbâr.
Les autres télégrammes émanent d’ambassades en Irak, en Egypte,
au Liban, en Algérie, en Mauritanie, au Maroc et en Tunisie. Ils
présentent des diplomates américains perplexes s’efforçant de
comprendre et d’influer sur les régimes politiques oppresseurs
et parfois imprévisibles de ces pays.
Une série de télégrammes datés de Bagdad
rapporte que le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki a
remplacé des centaines d’officiers du renseignement et de la
sécurité parmi les plus compétents d’Irak par des « officiers de
police » non qualifiés, cela, avant les élections irakiennes de
2010.
Une autre série de télégrammes envoyés depuis l’ambassade US à
Beyrouth
montre un ministre libanais de la Défense, Elias al-Murr,
disant à des diplomates US, dans un message dont il faisait
comprendre implicitement qu’ils devraient le communiquer aux
responsables israéliens, que l’armée libanaise n’opposerait
aucune résistance à une invasion israélienne dès lors que
l’armée israélienne respecterait certaines conditions. Murr,
espérant apparemment qu’une invasion israélienne détruirait en
grande partie les insurgés du Hezbollah et les communautés
(chiites, ndt) du Sud du Liban qui soutiennent ce parti, y
faisait al promesse qu’une invasion israélienne pourrait se
dérouler sans opposition dès lors qu’elle n’outrepasserait pas
certaines limites géographiques et dès lors que les communautés
chrétiennes ne subiraient aucun bombardement. Un responsable de
l’ambassade US écrivait ainsi : « Murr est en train d’essayer
d’évaluer de combien de temps une offensive (israélienne) aurait
besoin pour nettoyer la plaine de la Bekaa du Hezbollah ». Murr
ajoutait qu’il avait discuté de ce plan avec le commandant en
chef de l’armée libanaise à l’époque, Michel Sleiman, qui est
devenu depuis lors le président de la République libanaise. La
peu nombreuse mais très active communauté des bloggers arabes
anglophones du Moyen-Orient ont exprimé leur indignation contre
les invitations ouverts de Murr et de Sleiman (à une
intervention armée israélienne), prédisant qu’une telle
intervention ne pourrait qu’entraîner une
catastrophe politique et
sans doute pire.
Si Al-Akhbâr n’a pas reçu ces télégrammes
de WikiLeaks, il est difficile de dire s’il les a obtenus de la
part d’un lien à l’intérieur du réseau WikiLeaks, ou d’une
source tierce désireux de voler la vedette à WikiLeaks en les
publiant. Mais ce n’est pas le seul cas de publication de
documents égarés. Moins d’une semaine après le début de la
publication échelonnée de télégrammes du Département d’Etat par
WikiLeaks, un processus qui n’en est encore qu’à 0,25 % de
réalisation, le groupe clandestin prônant une transparence
radicale semble avoir perdu le contrôle qu’il avait initialement
sur les télégrammes qu’il publiait :
Josh Rogin, un journaliste de la revue (américaine) Foreign
Policy, écrivait ainsi, mercredi dernier : « Un lobbyiste basé à Washington, qui
représente des pays du Moyen-Orient, a déclaré que la presse
locale, dans plusieurs pays pour lesquels il travaille, est en
train de parler de télégrammes diplomatiques dont n’ont pas
encore parlé les grands médias ayant eu un accès en
avant-première à ce type de document. Ce lobbyiste a émis
l’hypothèse que des gouvernements étrangers pourraient aussi
être en train de tourner à leur manière des télégrammes
diplomatiques qui leur seraient tombés entre les mains afin de
les tourner en leur propre faveur, avant que WikiLeaks ou que
des médias locaux n’aient pu intervenir. « De nouveaux
télégrammes proviennent de sources douteuses, des boîtes à idées
des pays concernés.
Il y a beaucoup d’infos qui sont cités dans
la presse locale à partir de télégrammes qui n’ont pas encore
été rendus publics et je ne sais absolument pas d’où ces
télégrammes peuvent bien provenir ? » a indiqué ce même
lobbyiste.
Reste à savoir si Al-Akhbâr va traduire les
télégrammes à l’intention de ses lecteurs arabes, ou même s’il
va les laisser affichés sur son site. A l’instar du site
WikiLeaks.org, qui a été inaccessible depuis qu’il a commencé à
diffuser des télégrammes diplomatiques secrets et qui s’est vu
retirer son hébergement au moins à deux reprises, le site
Al-Akhbâr.com est de plus en plus difficile à télécharger depuis
qu’il a commencé à en diffuser lui aussi. Même si cela pourrait
résulter d’un pic dans le trafic Internet, l’attention
médiatique pour les télégrammes exclusifs affichés sur Al-Akhbâr
a été jusqu’ici relativement modique. Mais pour l’heure, il est
encore possible de prendre connaissance de ces 183 messages
ici.
Dernière minute : le rédacteur en chef d’Al-Akhbâr, M.
Khâled Sâghiyéh, auquel j’ai posé la question de la provenance
de ces télégrammes, m’a répondu : « Nous ne sommes pas en mesure
de révéler une quelconque information sur les personnes dont
nous avons reçu ces documents, cette source ayant requis
l’anonymat le plus strict. Nous avons des raisons de nous fier à
cette source ». Mais quelle qu’ait été cette source, le simple
fait qu’il (ou elle, ou ils) ai(en) requis l’anonymat suggère
qu’il ne s’agissait pas de WikiLeaks. Après tout, ce groupe a
révélé publiquement et activement promu le rôle qui fut le sien
dans la publication de chacune de ses ‘fuites’. J’en ai fait
l’observation à M. Sâghiyéh. Celui-ci a refusé de confirmer ou
d’infirmer toute implication de WikiLeaks.
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Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
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