Dimanche 29 août 2010
1 -
Le débarquement de l'éthique dans la politique
2 -
Un sacré triphasé
3 -
Brève plaidoirie pro domo
4-
Une boîte osseuse en quête de son double branchement
5 -
Prolégomènes à une spectrographie anthropologique du capitalisme
6 -
L'homme politique, un insecte à élytres
7-
Les élytres fanés du clergé de gauche
8 -
L'enseignement politique de la philologie de la Renaissance
9-
Le défi
10
- Le stupide XIXe siècle
11
- De la survie du politique
1 -
Le débarquement de l'éthique dans la
politique
Le texte de la
semaine dernière laissait pressentir qu'au cours des mois à
venir l'étude anthropologique de la psychophysiologie qui régit
l'esprit et les comportements de la classe dirigeante mondiale
se placerait au cœur des analyses futures de la géopolitique.
Cet optimisme présupposait que la philosophie critique
n'attendait qu'une illustration planétaire de ce thème central.
Sommes-nous comblés ? Certes, il se confirme que la rencontre
projetée à Washington le 2 septembre entre M. Benjamin
Netanyahou et M. Mahmoud Abbas permettra à cette tragédie de se
dérouler d'acte en acte sur le théâtre du monde et que Clio y
mettra tout l'éclat que mériteront les péripéties et la mise en
scène d'un tel spectacle, puisque, des deux maîtres du jeu,
l'Amérique et Israël, le premier sera ridiculisé par les
représentations qu'il aura données deux ans durant et à guichet
fermé de son impuissance, tandis que le second feindra plus que
jamais de négocier avec le plus faible du trio, mais non sans
l'avoir prévenu qu'il n'a pas sa place sur les planches et qu'il
ne cèdera jamais rien sur le fond. Il appartiendra donc au pâle
figurant d'Allah au sein de ce vaudeville international
d'obtenir d'un Jahvé à la mâchoire bien dentée ce que les crocs
du Dieu fatigué des chrétiens n'auront pu obtenir. La péripétie
la plus comique de l'échec programmé de la pièce sera la
diffusion sur les écrans des cinq continents du désarroi d'un
empire américain tenu en laisse aux yeux du monde entier par un
toutou de Judée.
Mais une
spectrographie au scanner de la classe politique mondiale
exigera un autre élargissement encore du champ du regard.
Sophocle et Shakespeare, Eschyle et Cervantès, Swift et Kafka
fourniront plus que jamais à l'anthropologie critique ses usines
de retraitement de type Phoenix, lesquelles font renaître de ses
cendres le rêve d'une science mondiale des relations que
l'éthique entretient avec la politique - discipline que le
nazisme et le communisme avaient prématurément carbonisée. Car
il n'était jamais arrivé que l'humanité entière montât sur scène
afin d'illustrer le fonctionnement schizoïde de son encéphale.
Pour la première fois, on a pu observer comment cet organe trace
une ligne de démarcation flottante entre ses idéaux et sa
pratique de la politique. Un million et demi d'hommes, de femmes
et d'enfants serviront de bétail expérimental à un gigantesque
examen en plein air de l'état actuel de l'évolution
psycho-cérébrale du chimpanzé logicisé et devenu raisonneur.
Si les historiens
et les philosophes du début du IIIe millénaires ne se vissaient
pas à l'œil la loupe du ciel et de la terre il faudrait
désespérer de l'observation des troupeaux dans le gigantesque
laboratoire qu'on appelle l'Histoire.
2 - L'anthropologie d'un sacré triphasé
Dans cette situation, l'anthropologie critique rebat les cartes
de la réflexion sur la démocratie, l'oligarchie et l'autorité
d'un seul, qui ne remonte pas à Montesquieu, mais à La
République de Platon. Mais seul un historien et un
anthropologue de génie, un certain Tacite, Cornelius de son
prénom, a compris, sous Trajan que l'espèce simiohumaine est
ingouvernable par nature et qu'il sera impossible de jamais
remédier à l'infirmité politique native de cet animal. On y lit:
"Toutes les nations confient l'exercice du pouvoir soit au
peuple, soit aux notables, soit à un seul. Mais une forme de
gouvernement composée de ces trois autorités judicieusement
mélangées est plus facile à vanter (laudari) qu'à mettre en
place. De plus, et quand bien même on y parviendrait, un tel
gouvernement ne serait pas durable, parce que rares sont les
hommes dont les lumières naturelles distinguent clairement
l'honneur de la honte." (Annales, L. IV, chap.
33) De plus, Tacite explique tout au long l'illusion selon
laquelle le peuple parviendrait un jour à détenir réellement le
pouvoir : dans les démocraties, écrit-il, les nations sont
toujours dirigées par de fins connaisseurs du caractère d'une
nation et des moyens de la diriger "avec tact et dextérité".
Mais le règne de
trois monothéismes qui se sont progressivement partagé
l'encéphale politique de l'humanité depuis l'apparition d'Allah
au VIIe siècle a introduit des cartes changeantes dans le jeu,
parce que les dirigeants de la démocratie mondiale doivent
maintenant apprendre les ressorts du sacré triphasé qui régit
l'inconscient politique de la planète depuis le trépas des dieux
de l'Olympe.
3 - Brève plaidoirie pro domo
Je saisis cette
occasion pour faire le point sur une critique qu'on m'adresse:
on juge parfois abusive l'ambition que l'on m'attribue bien à
tort de "réhabiliter" le vocabulaire devenu inintelligible des
religions autrefois cérébralisées à outrance à l'école de leurs
théologiens. Mais si je tente de réintroduire dans la pensée
rationnelle d'aujourd'hui des formulations doctrinales dont les
siècles passés faisaient usage et qui paraissent inintelligibles
au premier abord, c'est parce que le décryptage anthropologique
et critique de l'inconscient religieux des démocraties
contemporaines passera nécessairement par les retrouvailles des
sciences humaines de demain avec le décodage du contenu
psychique et politique du discours catéchétique patiemment
élaboré au cours de deux millénaires; car la civilisation
mondiale se trouve désormais unifiée en apparence par trois
branches d'un monothéisme dont les formulations jurent entre
elles.
On ne trouvera
les clés de la pensée méta-idéaliste du XXIe siècle que si l'on
apprend à forcer les serrures de l'inconscient universel qui
pilote la psychobiologie du trio des trois monothéismes, donc
des trois encéphales qui commandent encore de nos jours une
politique mondiale ivre d'idéalités pseudo séraphiques. De cette
dichotomie mentale partagée, Gaza présente le champ
d'expérimentation commun. Gardons-nous donc de l'imprudence
d'égarer en route jusqu'au souvenir des rêves de la pensée et de
la parole politique des polyglottes des nues : leurs syllogismes
serrés et bien ficelés étaient fondés sur la croyance en
l'existence d'un empereur du cosmos dont la souveraineté avait
été longuement pesée et assortie de divers garde-fous au gré des
époques et des lieux. L'humanité s'était auto-intellectualisée,
auto-ligotée et auto-libérée à l'école des valeurs et de
l'éthique que charriait un songe cosmologique aux multiples
agencements.
Comment Erasme, par exemple sonorisait-il la boîte crânienne
d'un Dieu dont l'encéphale à la fois logicien et onirique était
réputé bien connu de tout un chacun ? D'où le grand humaniste
tirait-il l'autorité de mettre ce personnage solitaire à
l'écoute de son inconscient schizoïde? Comment pouvait-il se
permettre d'attribuer au Zeus nouveau les compétences du
philologue et du grammairien dichotomiques du XVIe siècle? "Dieu
ne s'offense pas des solécismes, écrit-il, mais il n'en est pas
non plus charmé."
La spectrographie
de l'encéphale impérial et flottant de la classe dirigeante
mondiale sur l'écran de Gaza a besoin de l'assise d'une
anthropologie des idoles biphasées qui s'y trouvent à l'état de
latence et qui n'y dorment que d'un œil. La flottille qui se
rendra dans les parages de la ville affamée et qui tentera de
jeter l'ancre dans son port sera porteuse d'un message - celui
d'une anthropologie inspirée par l'air du grand large. Mais
auparavant, il faut se mettre à l'œil le microscope des
insectologues de "Dieu".
4 - Une
boîte osseuse en quête de son double branchement
Afin de tenter de
préciser les méthodes d'observation et d'analyse des secrets du
cerveau simiohumain actuel, donc des moyens d'examiner les
arcanes d'une science de l'intelligence bipolaire de notre
espèce, tentons de vérifier en premier lieu et avec toute la
rigueur d'un théorème d'Euclide l'évidence que le destin
cérébral des évadés partiels de la zoologie conduit ces
prédateurs transcendantaux à une aporie politique insoluble par
nature. Mais cette espèce ne rend-elle pas cette difficulté
insurmontable par définition, puisqu'il demeure interdit à ces
fuyards masqués de la nuit qui les traque de jamais séparer
clairement leurs actes des songes dont ils se font une parure?
C'est que le blocage cérébral qui découle des habillages sacrés
se trouve connecté à la sonorité naturelle de la sorte de pavane
qui pilote cet animal, ce qui explique que la science de sa
raison dont il croit disposer n'a jamais réussi à conquérir un
regard du dehors et de haut sur ses raisonnements. Ceux-ci se
révèlent donc viscéralement truqués. Quelle est la problématique
et la logique qui donneront au simianthrope une science de ses
songes transcendante au mutisme de son histoire traditionnelle?
Pour tenter de l'apprendre, observons les divers revêtements
oniriques dont le double langage se partage le cerveau de tous
les peuples et toutes les nations de la terre.
On remarquera
d'emblée que les dissonances entre le réel et le mythe religieux
qui déchirent le singe vocalisé varient d'intensité au gré des
époques et des cultures entre lesquelles sa masse grise
dissémine ses neurones du sacré. Les relations pathétiques que
les grigris des tribus les plus primitives entretiennent encore
de nos jours avec leurs utilisateurs - ces fétiches sont censés
assurer la survie même de leurs propriétaires - ne sont pas
calibrées sur le modèle des accords plus tardifs que les poulets
du sacrifice avaient conclus avec les dieux des Romains. Quant
aux pactes que les crucifix et les cierges ont signés avec
l'immortalité posthume de tous les croyants de cette religion -
un seul spécimen serait parvenu à déclencher leur éternité - ils
démontrent l'évidence que les civilisations du rêve tentent
néanmoins de conquérir un regard de haut sur l'embryon de raison
qui campe dans leur tête, puisque leurs théologies elles-mêmes
témoignent de leurs efforts désespérés pour placer leurs boîtes
osseuses sous le regard d'une logique supérieure. Mais comme
tous les individus nichés sur un territoire déterminé se
partagent le même contenu de la conque cérébrale qui les
rassemble, ils tiennent leur cerveau partagé pour un trésor
public. Aussi vont-ils jusqu'à en défendre le contenu collectif
les armes à la main.
5 - Prolégomènes à
une spectrographie anthropologique du capitalisme
Par bonheur, une
observation sur le vif des scissions cérébrales inguérissables
entre le réel et le rêve dont souffrent les classes dirigeantes
des descendants du chimpanzé est devenue possible à la suite du
naufrage mondial de la casemate centrale qu'illustre leur
système économique, puisque la dichotomie mentale propre au
capitalisme n'aura laissé s'écouler que deux décennies depuis
l'effondrement de l'Union Soviétique pour qu'il devînt aisé de
dresser le constat aussi bien de l'invalidation définitive de ce
grigri que de l'impossibilité de le remplacer par un autre.
Mais, du coup, la
voie est clairement tracée pour qu'un scénario de l'évolution
cérébrale bloquée de l'humanité guide les premiers pas d'une
anthropologie qui rendrait compte des apories insurmontables qui
emprisonnent cette espèce. Les méthodes d'analyse de la science
de la cécité du simianthrope vont rendre cette discipline
transcendante aux péripéties dont l'historicité simiohumaine
s'est trouvée tissée en aveugle; car il devient enfin
convaincant de tenter de porter un regard de Sirius sur le
cerveau biphasé des classes dirigeantes dont un astéroïde
tournoyant ballotte les chromosomes. Comment les élites
séraphiques ou pragmatiques pilotent-elles une espèce scindée
entre deux aveuglements conjoints et diversement dosés, mais
dont les ressorts et le fonctionnement demeurent séparables sous
la lentille du microscope? Car, d'un côté, l'animal vaporisé à
l'école de ses grammaires tombe dans l'illusion qu'il porterait
un regard " objectif " sur son ignorance, tandis que, de
l'autre, les spécimens aptères sombrent dans une torpeur
cérébrale sans remède. Tantôt des pluies verbifiques tombent
trop généreusement des nues et noient les sociétés simiohumaines
dans un tartufisme politique au petit pied, tantôt la sécheresse
des cœurs errants dans un vide sans écho rappelle aux esprits
avares qu'il est stérile d'arroser les sables du désert. Mais
pourquoi une raison économique rendue faussement triomphale pour
avoir perdu les ailes de l'utopie en 1989 conduit-elle
maintenant tout droit à la même asphyxie cérébrale à l'échelle
planétaire que la pensée angélique des théologies d'autrefois,
puis des idéologies édéniques dont les déités vocales avaient
peuplé la mappemonde pendant trois quarts de siècle?
Quand la
simianthropologie étudie la psychobiologie qui commande les
neurones euphorisés de la classe dirigeante mondiale, elle n'a
que faire des vœux pieux que les catéchètes de la politique d'un
côté et les bêcheurs du silence de l'autre se partagent. La
vocation de cette discipline l'appelle à observer les tensions
collectives qui déchirent entre elles les chefferies de la
connaissance simiohumaine. Afin de tenter de mener à bien des
radiographies de ce type, il faut observer les concrétions
ecclésiales que présentent en laboratoire et sur le terrain les
messies, les évangélistes et les rêveurs.
6 - L'homme politique, un insecte à
élytres
A
ma connaissance, la brève Apologie pré-cartésienne
d'Erasme parue en 1516 n'a jamais été traduite en aucune langue
vernaculaire, peut-être parce que le grand méthodologiste de la
théologie "raisonnée" de l'époque y aborde avec une candeur
péremptoire, quoique succinctement et comme en passant, la
question cruciale qu'aucun autre humaniste de l'époque n'a osé
mettre en évidence - celle de savoir sur quels syllogistes
résolument rationnels il convenait de fonder une critique du
mythe chrétien encore soucieuse non seulement de ne pas entacher
l'autorité proprement divine attribuée aux Evangiles,
mais, de surcroît, d'en faire briller l'éclat encore davantage
qu'autrefois, à la manière dont les tailleurs de diamants
dégagent la pierre précieuse de sa gangue afin de la livrer
pleinement à sa lumière. Cette question se situe autant au cœur
de l'argumentaire de l'anthropologie critique de demain que de
la politique irrationnelle d'aujourd'hui, puisque plus les
Républiques actuelles dénoncent leurs propres turpitudes, plus
elles sont censées révéler leurs vrais feux et enflammer
davantage la foi fatiguée des fidèles de la démocratie mondiale.
Mais Tacite ne savait-il pas déjà que la science historique
obéit, elle aussi, à une éthique? "Le principal bénéfice des
annales, je l'avoue, écrit-il, est de donner la parole à
tous les courages, afin que la crainte de l'infamie inspire la
mémoire des paroles et des évènements honteux."
On verra une
illustration anthropologique de la dépravation politique
qu'évoque Tacite dans l'analyse des revêtements ecclésiaux qui
rendent les classes dirigeantes de gauche si voletantes dans le
ciel de leurs concepts. Pendant des siècles, les clergés du
monde entier ne se sont jamais lassés de couronner leur
encéphale des tiares de leur sainteté langagière et de sertir
leur pauvre ossature des diamants de l'éloquence sacrée.
Pourquoi ce type de classe dirigeante s'exerçait-il
inconsciemment à dédoubler son étincelance en deux pavanes
distinctes, celle qu'illustrait l'étalage public de sa feinte
humilité et celle de l'ostentation de sa pompe sacerdotale?
Pourquoi tout le haut clergé du Moyen Age portait-il les élytres
flamboyants de son verbe et de sa caste?
Il se trouve que
les ailes dorées, mais coriaces de certains coléoptères ne leur
permettent pas de voler, parce que leur rôle réel est celui d'un
stabilisateur que la nature a jugé indispensable au sûr
boitillement de l'insecte sur la terre. De même, la pourpre et
les dorures, la crosse et la mitre, la croix et le chapeau
cardinalice jouaient un rôle équilibrant entre le sceptre de la
pauvreté évangélique empreinte sur tous les visages et la tiare
de la somptuosité ostentatoire des coléoptères de Dieu. On ne
comprendra rien aux tenues vestimentaires luxueuses et aux mines
confites en dévotions des clergés d'autrefois et à celles du
clergé des idéalités démocratiques d'aujourd'hui si l'on n'en
rattache les couleurs et l'éclat à l'organisation cérébrale
ambiguë des insectes couverts des pierreries de leur ciel.
L'espèce divino-humaine tout entière est empêtrée dans la
bipolarité de ses élytres.
7 - Les élytres fanés du clergé de gauche
La scission
cérébrale qui divisait le simianthrope ecclésial entre le réel
et le sacré s'est installée au cœur des Etats démocratiques à
leur tour et elle y a aussitôt témoigné de la même schizoïdie
somptueuse qu'autrefois dans l'Eglise. Certes, le clergé de
gauche s'est désormais tellement affadi qu'il ne présente plus
qu'une pâle copie de l'autorité de type clérical qui le rendait
florissant. Mais le temporel demeure la substance dont se
nourrit l'ambition politique de tous les sacerdoces. C'est sur
le baudrier de ses principes purificateurs que la gestion
sacrale du monde d'aujourd'hui étale désormais les joyaux de ses
idéalités.
De toute
évidence, le survêtement évangélique et les auréoles vocalisées
de la démocratie des concepts ne présentent jamais que
l'habillage rationalisé et laïcisé d'une trinité apostolique
bien connue des théologiens du monothéisme, celle de
"l'espérance", de la "foi" et de la "charité". Alors que le
clergé rédempteur d'autrefois roulait carrosse pour la plus
grande gloire d'un cadavre cloué sur une potence sacrée, le
saint socialisme d'aujourd'hui roule en limousine avec un
prolétaire souffrant épinglé sur son pare-brise. Voyez la manne
des nouveaux "bénéfices ecclésiastiques" - chauffeur,
appartements de fonction, hauts salaires, retraites dorées - que
le bréviaire des dévotions distribue aux dignitaires des
nouvelles piétés. Mais la foi sacerdotale de gauche se révèle
bien souvent plus arrogante et plus cruelle à l'égard du petit
peuple que celle du clergé florissant de la droite, parce
qu'elle porte les commandements de sa catéchèse en bandoulière
et s'en fait l'alibi d'une sainteté plus scripturaire que
jamais, tandis que la bourgeoisie a relégué depuis longtemps le
chapelet de ses vertus démocratiques au musée d'une foi du
dimanche, afin de vaquer les mains libres à ses affaires les
autres jours de la semaine.
C'est que la
schizoïdie cérébrale de la gauche a beau illustrer
l'universalité de la perversion originelle qui assure le
fonctionnement dichotomique "naturel" de l'encéphale simiohumain
depuis l'avènement de la parole biphasée, la bipolarité du
cerveau collectif de la droite n'en use pas moins du masque que
charrie le langage. Le modèle en est seulement moins pontifical
que celui des classes dirigeantes que deux siècles passés sous
les ors de l'évangélisme républicain ont cléricalisées jusqu'à
l'os. Les pragmatismes crûment affichés des deux dévotions
rivales en apparence cachent leurs sortilèges respectifs sous le
même pavois et les mêmes bénitiers d'une étiquette de cour
repeinte aux couleurs de la démocratie. Peu chaut aux majordomes
d'une Liberté d'une Egalité et d'une Fraternité gravées en
lettres d'or au fronton du temple des droits de l'homme de
parader sans fards et sans cierges devant M. Lambda si les
apanages d'une oligarchie du sacré plus feutrée que la
précédente fait maintenant déborder les ciboires cachés de
l'argent-roi. Les vanités du pouvoir ne sont pas à double
tranchant, mais à double face: les unes font admirer leurs
atours, les autres rient sous cape de tromper leur ciel en
tapinois.
8 - L'enseignement
politique de la philologie de la Renaissance
Mais pourquoi le Vatican de la gauche en dentelles
s'auto-purifie-t-il encore et sans relâche à la vieille école de
la philologie enrubannée de la Renaissance, dont les plumes
érudites corrigeaient les textes sacrés avec un zèle inlassable
et dans la conviction sincère et inaltérable que la critique
grammaticale et syntaxique la plus minutieuse en rendait la
sémantique plus pieuse, plus immaculée et plus sainte ? "Si
toute l'autorité du Saint Esprit chancelait pour quelques
passages corrompus, écrit Erasme, il faudrait que le ciel serrât
les scribes et les libraires d'aussi près que les prophètes et
les évangélistes. L'esprit saint ne s'absente jamais, mais il
exerce sa puissance de telle sorte qu'il vous laisse une partie
du travail (portionem laboris). Sa fiabilité inviolable
se trouve chez les prophètes, les apôtres et les évangélistes.
Néanmoins, telle est la plus haute gloire et louange des saintes
écritures qu'elles acquièrent la vigueur de la vérité éternelle
bien qu'elles se soient coulées (transfusae) en tant de
langues, bien qu'elles aient été si souvent mutilées et gâtées
par les hérétiques, bien qu'elles aient été contaminées de tant
de manières par l'incurie des copistes." Comment se fait-il
que la sainteté exégétique de la gauche ne cesse de sarcler ses
Ecritures avec la conviction ardente qu'à en arracher le
chiendent à pleines mains, elle fera briller davantage l'éclat
de ses ailes? Comment se fait-il que toute parole attribuée à
une idole enflammée serve de tiare au coléoptère dont elle
chapeaute l'éloquence?
On ne décryptera
la signification anthropologique des rutilances du sacré que si
l'on découvre pourquoi, depuis des millénaires, des acteurs
majestueux, qu'on appelle des dieux et dont la longévité, la
tenue et le langage varient d'un siècle à l'autre, prennent avec
éclat la parole dans l'encéphale à la fois humble et solennel
des insectes à élytres.
9 - Le défi
Une espèce
masquée sous les apprêts vestimentaires étriqués ou solennels
des démocraties de la délivrance demeure sans réponse face aux
tâches messianiques qu'appelle plus que jamais une planète
privée du gouvernail en or massif de tout le genre humain qu'on
appelait le salut. En vérité, la République autrefois tenue pour
rédemptrice n'est pas moins désemparée par le naufrage de sa foi
politique que les Romains sous Tibère ou Caligula. Une espèce
tapie hier sous ses autels du sacrifice d'un homme à une idole
et embusquée de nos jours sous le tabernacle de ses idéalités
devenues vacantes retrouvera-t-elle un jour la brillance des
dévotions vaniteuses d'un clergé couvert de dorures?
Certes, les
apories politiques que révèle ce genre d'essoufflement des âmes
sont manifestes en tous lieux et à toutes les époques. La Chine
repliée derrière les murs de sa "cité interdite" témoignait de
l'incapacité soudaine de sa civilisation à construire la balance
de Confucius dont les plateaux auraient permis un équilibre
relativement viable entre les retranchements dans les enclos du
sacré et l'esprit pratique qui déchire le simianthrope. De même,
la civilisation de la Louve s'est révélée un mollusque coincé
entre la déconfiture des esprits municipalisés, qui n'étaient
plus en mesure d'assurer une direction avertie ni même la
gestion au jour le jour d'un vaste empire, d'une part et les
volètements des empereurs empêtrés dans leur omnipotence
asiatique, d'autre part.
Comment concilier
la vocation désormais mondiale des chefs d'Etat tâtonnants des
démocraties à élytres d'aujourd'hui avec l'autorité ridiculement
localisée sur leurs platebandes que requiert la probité de
Cincinnatus sur ses arpents? En droit romain, la filiation
artificielle par le canal de l'adoption égalait la légitimité
par la procréation. Galba renverse Néron et introduit son
successeur, l'honnête Pison dans sa famille. Tous deux seront
assassinés par les légions d'Othon. L'empire a échoué à
terrasser les aléas de la greffe de la filiation naturelle sur
la filiation politique: Trajan, Hadrien, Vespasien, y ont réussi
avec éclat, mais Tibère succède à Auguste et Commode le
gladiateur à Marc-Aurèle, bien que ce colosse fût le fruit,
dit-on, de l'adultère de l'épouse de l'empereur-philosophe avec
un cocher de cirque. Deux mille ans plus tard, l'humanité se
trouve embarrassée par l'image angélisée de sa politique à
laquelle l'ascèse chrétienne, puis une démocratie née des
échafauds l'ont livrée; et elle demeure coite face à l'âpreté
nouvelle , des possédants que l'esprit de lucre a rendus plus
insatiables que jamais sur leurs prés carrés. La politique
mondiale se retrouve à l'heure de la chute interminable de
l'empire romain dans l'anarchie.
L'étude des gènes et des chromosomes du singe onirique et
guerrier n'en est, hélas, qu'aux balbutiements d'une
thérapeutique de ses fureurs et de ses léthargies alternées,
tandis que la pauvreté intellectuelle d'une science politique à
bout de souffle et qui a épuisé toutes les recettes de la
médiocrité de ses médications ecclésiales ne sait comment
piloter une pédagogie des oscillations du cerveau de ses
potentats et de ses clergés entre le pouvoir du peuple, des
oligarques et des princes. Tibère disait au Sénat à l'appui de
son refus catégorique qu'on lui dressât partout des temples: "Mes
autels, je veux qu'ils soient dans vos cœurs : voilà les statues
les plus belles, voilà celles qui dureront; car les monuments
qu'on taille dans le marbre n'ont que la valeur méprisable d'un
vain sépulcre quand le jugement de la postérité les frappe de la
haine publique. Puissent les peuples alliés, les citoyens, les
dieux eux-mêmes, exaucer ma prière, que les dieux m'accordent
jusqu'à la fin de ma vie la paix de l'âme et l'intelligence des
lois humaines et divines ; et quand je ne serai plus, puissent
les louanges des gens de bien accompagner mes actes et mon nom."
(Livre IV, chap.XXXVIII)
Quelle sera la
mémoire de l'avortements de ses espérances que l'Occident avait
fondées sur les démocraties du simianthrope catéchisé par les
idéaux de 1789? Sans un recul nouveau du regard de la "raison"
sur l'encéphale tantôt dévot et tantôt profanateur de notre
espèce, on ne voit pas comment le capitalisme doctrinal
réformerait l'impiété de son Vatican des saints profits, on ne
voit pas qui dotera son pontificat de pouvoirs suffisants pour
guider et féconder le destin politique et économique des peuples
ascendants, on ne voit pas qui empêchera l'Europe des sacerdoces
épuisés de se glisser sous la défroque des mercenaires de
l'empire américain, on ne voit pas qui brisera l'hégémonie
anarchique du dollar, ce trésor mondial du trafic moderne des
indulgences et ce temple de la puissance militaire des
Etats-Unis sans lequel Washington échouerait à conduire le monde
au "royaume du salut" dans le temporel. Qui insufflera une
volonté purificatrice au mercantilisme démocratique, qui
confiera à la Chine, à l'Inde, à la Russie, à l'Amérique du Sud
et à une Europe de la raison le sceptre de la civilisation de
demain, comment une culture de masse décérébrée et livrée à une
monnaie fiduciaire de la folie, change-t-elle les idéalités
elles-mêmes en trônes d'une Liberté simoniaque?
10 - Le stupide
XIXe siècle
Nous vivons le
même drame cérébral qu'un "stupide XIXe siècle" qui a inventé
les chemins de fer, l'aviation, le téléphone, l'éclairage au
gaz, l'automobile, le transformisme, la vaccination et la
bicyclette, mais dont les écrivains ont peiné à éduquer une
bourgeoisie demeurée inculte et sotte au regard de
l'aristocratie lettrée de la fin du XVIIIe siècle, qui
applaudissait à tout rompre ses saints fossoyeurs, les Voltaire,
les Beaumarchais, les Diderot. Il se trouve que l'ubiquité de la
technique ne favorise ni les survols de l'intelligence
visionnaire, ni l'alacrité de l'esprit critique ni l'amusement
socratique des ironistes de l'ignorance. Le "stupide XXIe
siècle" fera-t-il seulement progresser le moteur à réaction,
l'énergie nucléaire, l'électronique, les logiciels, le
stimulateur cardiaque, les trains à grande vitesse, la
chirurgie, internet et le téléphone portable, tandis qu'une
nouvelle cécité des masses prendra le relais de celle de la
bourgeoisie à l'heure de la révolte des Flaubert, des
Baudelaire, des Rimbaud?
En vérité, l'intelligence d'une espèce fécondée par les
rébellions de son encéphale est mise au défi de trouver à la
fois des réponses politiques et des réponses anthropologiques
éclairées à la question de savoir qui nous sommes.
Certes, la question du statut de la lucidité simiohumaine a
toujours été secrètement présente dans le l'Histoire. Si la
Chine, j'y reviens, avait su comment les cerveaux se fossilisent
dans l'auto-sacralisation étriquée et faussement immunitaire de
ses rituels politiques et religieux, elle ne se serait pas
abritée derrière la grande muraille - et sans doute se
serait-elle souvenue de Sparte au regard d'aigle, qui jouait si
peu à cache-cache avec le temps qu'elle faisait fièrement de ses
soldats les murailles de la ville; et si l'empire romain n'avait
pas laissé les légions se rassembler dans Rome sous Tibère,
l'armée n'aurait pas fait et défait les empereurs à sa guise.
11 - De la survie
du politique
Cette fois, la
notion même de Liberté a explosé, cette fois, une planète
angoissée par la chute de sa classe dirigeante dans le faux
sacerdoce des démocraties verbales est tellement devenue à
elle-même son propre précipice qu'elle se demande quels
instruments de la raison lui permettront de penser la politique
internationale et de lui donner un sens. Alors que sa boîte
osseuse est demeurée plus divisée que jamais entre des langues,
des religions, des territoires et des coutumes divers, l'image,
l'information, la vitesse, le crédit ont délocalisé les
encéphales cléricaux - et, du coup, le chaos a fait alliance
avec l'ubiquité des techniques. Comment résoudre des problèmes
universels sur des jardinets demeurés ecclésiaux? Décidément, si
notre boîte osseuse ne changeait pas de calibre, si elle ne se
dotait pas d'un observatoire de ses plis et replis, si elle
continuait de tricoter ses paramètres et ses syllogismes sans
écho, comme l'heure de nos funérailles serait proche!
Peut-être les historiens de l'aléatoire ne retiendront-ils
qu'une seule découverte de la première décennie du IIIe
millénaire : à force de nous fabriquer des machines de plus en
plus titanesques - nos super-calculatrices courent déjà vers les
cent milliards de milliards d'opérations à la seconde - nous
avons commencé de nous dire qu'avec ses cent milliards seulement
de neurones, notre cervelle est sûrement une machine provisoire,
elle aussi, et que si nous savions du moins que cette
malheureuse se trouve branchée sur un courant alternatif qui la
coupe en deux portions, l'une prédatrices, l'autre rêveuse,
peut-être l'heure aurait-elle sonné de résoudre un problème de
crèches et de sépulcres, celui des conditions chiffrables de la
survie de la pensée politique. Par bonheur, depuis l'âge de la
pierre taillée, le simianthrope se veut à lui-même son
navigateur et à lui-même son océan.