Analyse
Gaza, carrefour de
l'éthique mondiale
Socrate en Palestine
Manuel de Diéguez
Manuel de Diéguez
Lundi 28 septembre 2009
Introduction
A - Le Titan
enchaîné
B - Les
nouveaux guerriers de l'intelligence
C - Un
électrochoc épistémologique
1 - Comment installer un Etat
truqué sur la scène internationale ?
2 - Les dieux infernaux du simianthrope
3 - Que dirait Socrate
aujourd'hui ?
4 - Une radiographie de la
politique de la torture
5 - Une histoire des tortures
sacrées
6 - L'abîme du "connais-toi"
Introduction
A -
Le Titan enchaîné
La semaine
dernière, je me suis un peu expliqué sur l'inconscient
théologique de la politique simiohumaine et notamment sur le
fonctionnement parareligieux de l'encéphale de la démocratie
mondiale. Mais comme il se trouve que l'histoire écrite nous
raconte quelque six millénaires d'alternance de l'expansion et
de la chute des empires, il fallait se décider à prévoir la ruée
fatale de la planète de demain vers un affrontement herculéen
entre les idéaux rédempteurs et apostoliques dont le mythe
démocratique de la Liberté est censé s'inspirer d'une part et la
volonté non moins ardente et viscérale des peuples et des
nations de s'étendre par le fer et le sang.
Le drame de
l'histoire guerrière de notre astéroïde que l'empire américain
nous déroule avec ténacité sur les planches du théâtre du monde
depuis 1945 nous contraint d'esquisser un premier scannage des
mécanismes psychobiologiques qui assurent le fonctionnement
mental, puis physique de la religion d'aujourd'hui, mécanisme
fondé sur la foi en l'avènement d'un nouveau type de "royaume
des cieux". Les Etats-Unis et Israël font un usage conjoint de
cette croyance depuis 1947, mais cette alliance forcée et
artificielle va connaître des soubresauts et des convulsions
mortels, parce que la coalescence entre le messianisme américain
et le sionisme guerrier ne conduira la mappemonde qu'à une
symbiose périssable de leurs angélismes respectifs. Comment
cette collaboration résisterait-elle longtemps à la défense des
seuls intérêts et à la promotion exclusive des ambitions
politiques du Nouveau Monde?
Jamais on ne verra un empire sacrifier aveuglément son avenir
politique sur l'autel éphémère dont Jahvé et le Dieu de Calvin
se partagent pour l'instant les senteurs. D'où les efforts
titanesques de l'Amérique de John Fitzgerald Kenndy, de Bush
senior, puis de M. Barack Obama pour se défaire de ses chaînes
et ramener le peuple hébreu dans le giron qui lui avait été
tendrement aménagé en 1947, mais dont il était élémentaire de
prévoir qu'il s'en évaderait d'un bond pour exercer pendant des
générations ses crocs juvéniles, puis de plus en plus aiguisés
sur les proies tentantes des alentours.
B - Les nouveaux guerriers de
l'intelligence
Tel est le
contexte simianthropologique durable dans lequel la Palestine
est appelée à devenir, pour un siècle entier, le cœur battant
d'un conflit mondial insoluble entre la politique immémoriale
des glaives et les séraphins aux ailes fragiles des démocraties.
Le cerveau biphasé de notre espèce se trouvera précipité une
fois de plus dans l'arène des gladiateurs: d'un côté, il sera
bien impossible de valider un jour la béance irrémédiable entre
le règne de la justice et du droit dont les républiques
professent les béatitudes depuis Périclès et l'expansion
territoriale invalide par nature dont Washington et Tel-Aviv se
disputent les symboles et les sceptres.
Verrons-nous donc
reparaître le même type d'intellectuels désespérés par les
crimes et les carnages du monde qui, tels Stefan Zweig, se
suicideront en samouraïs de leur impuissance, mais aussi de leur
ignorance au spectacle de l'inexorable agonie de l'Europe de la
pensée, ou bien une race nouvelle de guerriers de l'intelligence
verra-t-elle le jour? Mais alors, comment déchiffreront-ils les
secrets du destin des armes et des songes de la démocratie
mondiale? Disposeront-ils d'une science d'experts de
l'impérissable mieux armée et plus profonde que celle de la
génération antérieure à la seconde guerre mondiale, qui était
davantage confite en dévotions culturelles qu'armée du scalpel
des fils de Darwin et de Freud?
C'est dans
cet esprit que j'ai imaginé la possibilité de rédiger un appel
provisoire des philosophes d'avant-garde de l'Islam et de
l'Occident, afin qu'ils tentent de donner courage et confiance
au peuple et aux intellectuels palestiniens encore privés des
scalpels et des bistouris de la raison de demain. Car le monde
entier est sur le point de découvrir que l'empire américain en
tant que tel ne sera jamais en mesure de se légitimer aux yeux
du droit international, donc de se rendre compatible avec
l'éthique universelle dont il se réclame, et cela pour le motif
simple et évident que la notion d'empire ne répand pas des
effluves compatibles avec ceux qui émanent des principes
juridiques et moraux dont ce régime politique est condamné à se
réclamer sur la scène internationale. L'odeur de son
illégitimité originelle, Washington la partage donc avec celle
du peuple de conquérants que Jahvé est censé avoir armés.
Vous me direz que le hiatus entre l'évangélisme politique et
l'histoire a subi l'épreuve de vingt siècles de christianisme et
que les prie-Dieu de la démocratie n'ont pas de raison de se
montrer moins durables que ceux du Saint Siège. Ce serait
oublier que le règne temporel du Vatican n'est plus qu'un
souvenir et que le catholicisme a cessé de produire des
philosophes marquants depuis la mort de Hegel en 1830. Une
religion qui ne produit plus de penseurs sérieux depuis cent
quatre-vingts ans doit etre déclarée cérébralement défunte. Mais
l'esprit ne meurt pas avec l'encéphalogramme plat d'un clergé:
au contraire, le monde attend la nouvelle "
Lettre aux Romains" d'une
hostie de l'esprit.
Qui peut croire que le souverain pontife du sacerdoce planétaire
de la démocratie dont le trône est à Washington survivra aux
Luther modernes de la Liberté qui s'attaqueront au trafic des
indulgences auquel se livrent les nouvelles capitales de Curie
deux siècles seulement après leur nativité? Qui peut croire
qu'au siècle des images et de l'instantanéité de l'information,
la planète se convertira à une démocratie mondiale des cierges
et des signes de croix? Bien plus, les philosophes à venir
mettront en évidence les ressorts transecclésiaux de l'histoire
de l'esprit et du génie des civilisations.
Mais pour mettre sur la table les cartes respectives de la
raison européenne et de l'Islam de demain, il faut une
anthropologie en mesure de rendre compte des fondements
psychobiologiques des perversions du sacré qui scindent
l'encéphale de notre espèce schizoïde entre le réel et des
mondes imaginaires tour à tour patelins et cruels. Ce sera
l'objet d'une analyse ultérieure des ressorts d'un "spirituel"
rebelle aux bons de caisse de la piété. Aujourd'hui il importe
seulement de déblayer le terrain des fausses dévotions en posant
la question centrale de savoir quelles sont les relations
politiques que le simianthrope entretient avec la torture et
dont il charge ses trois dieux uniques de les illustrer sur le
mode confessionnel et théologique.
C - Un électrochoc épistémologique
Certes, les
Etats-Unis ne sauraient se trouver condamnés par un tribunal de
la conscience universelle des démocraties à régresser au rang
d'un Etat parmi d'autres si les parfums vertueux de l'île
d'Utopie de Thomas More fleurent la malodorance des fuyards de
la nuit animale. Et puis, même s'il devenait possible de mettre
un terme à l'expansion messianique d'Israël et de reconduire ce
guerrier à sa niche de 1967, ce miracle ne résoudrait pas la
question de l'impossibilité absolue de jamais légitimer après
coup et de guerre lasse le retour massif et meurtrier des fils
de Moïse en Palestine - retour suivi de l'extermination massive
des autochtones depuis soixante ans. Même si les pestilences de
cette morale des fauves devait bénéficier de l'aval de la
planète entière des démocraties ensauvagées par leurs propres
juristes, il sera exclu que les philosophes des deux
civilisations entérinent lâchement des puanteurs qui leur
retireraient de surcroît et à jamais toute légitimité
socratique, tant aux yeux de leur propre conscience qu'à ceux de
la postérité.
Mais qu'en
sera-t-il de la classe des accoucheurs de la raison de demain
s'ils ne sauraient ni se constituer en une classe sacerdotale,
ni s'exiler en quelque Thébaïde, ni s'enfermer dans les
monastères, ni sombrer dans un nihilisme sans remède ?
Décidément, ce sera un grand privilège spirituel pour la
Palestine d'apprendre que ses souffrances feront d'elle le
nouveau sépulcre à délivrer des mains des infidèles. Mais encore
faut-il réinventer le saut hors de la mort qu'on appelle la
philosophie .
1 - Comment installer un Etat truqué sur la scène internationale
?
Dans une leçon
précédente, je vous ai enseigné que l'esprit des lois s'apprend
sur les bancs de l'école, mais que vous ne comprendrez le droit
qu'à la lumière de la politique de la France et du monde et que
vous êtes des fils de la République nés pour vous initier aux
affaires de cette terre dès votre plus jeune âge.
-
A propos
de la bombe nucléaire de l'Iran, Esquisse d'une
théorie générale de l'inconscient religieux du
cerveau des démocraties,
21 septembre 2009
(Sections, Qu'est-ce que Philosopher et Regards
sur le Proche et le Moyen-Orient)
Aujourd'hui je vais tenter de soumettre à votre réflexion de
citoyens en herbe une illustration planétaire de cette évidence,
parce que vous allez vivre quelques semaines intenses au cours
desquelles vous découvrirez qu'un Etat né invalide par l'effet
d'une malédiction attachée à l'illégitimité de sa naissance se
trouvera empêché de laisser un Etat véritable s'asseoir à ses
côtés, parce qu'il se trouvera condamné d'avance soit à
disparaître dans le cas où il tenterait de s'imposer le devoir
de respecter les fondements du droit international public, soit
à imposer de force à son voisin la même mascarade juridique qui
lui donne sa fausse ossature. Voyez comment les Etats-Unis et
Israël tentent vainement de paraître porter sur les fonts
baptismaux un "véritable Etat palestinien", alors que,
dans le même temps, ils entendent bien refuser tout net à ce
simulacre d'Etat le statut et les attributs naturels et
traditionnels qui seuls le valideraient aux yeux du droit
international en vigueur, puisqu'ils lui demandent rien de moins
que de s'abstenir de revendiquer des frontières et de renoncer
d'emblée à se proclamer souverain.
Comment des démocraties, même devenues componctieusement
pastorales sous la houlette de Washington depuis 1945
peuvent-elles se ruer dans l'absurdité de demander à la
Palestine de s'affubler de tiares de carton, afin qu'Israël
puisse donner de l'épaisseur au vide juridique qui l'habite?
Voyez maintenant combien, en revanche, une politique durable et
un droit reconnu sont voués à se légitimer réciproquement afin
que les nations puissent devenir des acteurs de l'histoire du
monde; et voyez combien les Etats dépourvus de fondements
juridiques, donc universels parce que moraux, sont condamnés de
nos jours à disparaître rapidement en raison de leur invalidité
originelle. D'abord, il sera impossible à des pseudo Etats de ce
genre de tenter de se donner une capitale qu'ils se
partageraient gentiment. Ecarquillez les yeux, bonnes gens, au
spectacle de mimes qui va se dérouler sous vos yeux; car les
attifements des marionnettes sont utiles à l'apprentissage non
seulement de l'histoire et de la politique, mais de l'éthique
des nations civilisées à l'heure où Gaza deviendra le cœur
saignant du monde.
2 - Les dieux infernaux du simianthrope
Sachez, les
enfants, que la plus haute philosophie s'est toujours fait une
rampe de lancement de la faiblesse d'esprit du monde des
adultes. La dernière en date des sottises de vos aînés vous
conduira à réfléchir sur les relations que les trois dieux
actuellement régnants entretiennent avec la torture sur la terre
et dessous. Longtemps l'éducation nationale a suffi à assurer
votre éducation; mais maintenant, vous ne deviendrez jamais ni
des citoyens européens, ni une génération éclairée à l'échelle
de la planète si vous n'êtes pas informés des enjeux d'une
politique mondiale que l'anthropologie critique vous apprendra à
déposer sur les plateaux de la balance à peser les
civilisations. Car la connaissance réelle de ces enjeux passe
par la spectrographie du cerveau du simianthrope; et ce
scannage-là exige l'examen de l'encéphale des dieux d'hier et
des trois derniers arrivés, dont chacun se croit unique.
Mais bientôt le camp de concentration en plein air de Gaza
deviendra le laboratoire mondial dans lequel nous observerons le
fonctionnement du cerveau de notre espèce et de ses idoles; car
cette ville martyre servira de déclencheur irremplaçables des
retrouvailles de l'islam d'Avicenne, le philosophe-médecin, avec
les descendants décérébrés d'un certain philosophe français qui
inspecta notre boîte osseuse et dont le Discours de la
méthode parut en latin en 1636 et en gaulois en 1637.
Or, près de trois siècles après la parution de cet illustre
traité du bon sens, les trois dieux uniques qu'adorent encore
vos parents se chamaillent toujours sur de nombreux points de
leurs théologies respectives. Mais ils continuent sans
sourciller de se livrer à leur championnat du monde de la
torture dans l'arène des souterrains où leur rivalité n'est pas
sujette à controverse entre eux, tellement leur sainte justice
use des mêmes rôtissoires dans les profondeurs de la terre.
Quelle chance que celle de votre génération ! Vous réconcilierez
les philosophes du monde entier avec leur mission la plus
socratique, celle de se pencher sur les fours crématoires qui
servent de miroirs aux dieux infernaux qu'adore encore notre
espèce! Sachez que les épreuves auxquelles la Palestine se
trouve dévotement soumise sous le ciel des trois tortionnaires
des nues devant lesquels notre espèce s'agenouille serviront de
levain à un humanisme d'une haute impiété spirituelle, sachez
que cette tragédie mettra entre vos mains les armes de
l'intelligence à venir de l'humanité, sachez que l'islam de la
raison aidera l'Occident à retrouver le chemin de sa vocation la
plus divine, celle qui faisait dire à Aristote: "Socrate
s'est surtout occupé de la morale".
Depuis lors, la philosophie se divise
entre deux empires, celui qui se prend les pieds dans le tapis à
arpenter en vain le cosmos et celui des spéléologues d'une
espèce livrée au vide de l'immensité.
3 - Que dirait Socrate aujourd'hui
?
Le Hamas rappelle
qu'il est contraire aux principes éternels du Coran d'installer
par la volonté d'une loi internationale contrefaite, puisque
fondée sur le reniement de ses propres principes, une population
de guerriers en provenance du monde entier et de les faire
débarquer les armes à la main sur le territoire d'un peuple
innocent afin de l'exterminer froidement ou de le chasser à
coups de fouet de ses terres. Mais la barbarie du péché originel
de la démocratie mondiale se trouve condamnée à son tour et avec
la dernière vigueur par toute l'aile pensante de la planète dont
les idéaux et l'éthique se réclament de la légitimation des
droits innés et universels de l'humanité et d'abord du principe
de la liberté des nations de disposer souverainement
d'elles-mêmes.
Que se
passerait-il si une phalange de philosophes musulmans et
européens lançait d'un seul cœur et d'une même voix un
encouragement et une exhortation aux Palestiniens dont les
termes seraient à peu près les suivants?
"On ne fonde pas
l'histoire véritable des lois sur les faux apprêts d'une nation
de parjures, on n'intronise pas un peuple dans une communauté
mondiale des hypocrites de la Liberté, on ne demande au tribunal
international d'une justice et d'une liberté infidèles à leur
propre loi de réclamer de la planète dite des droits de l'homme
et du citoyen une apostasie qu'une décennie suffirait à flétrir,
on ne bâtit pas un Etat sur le déshonneur de ses habitants. Vous
êtes devenus les gardiens des principes fondateurs de la
démocratie sur les cinq continents. Si vous deviez accepter de
trahir la patrie de vos aïeux, nos deux civilisations s'en
trouveraient détruites jusque dans les fondements de leur
éthique et de leur philosophie du droit.
"Vous êtes devenus l'enjeu des valeurs fondatrices de la
conscience universelle et de l'intelligence politique du monde.
N'acceptez jamais qu'on daigne vous accorder la grâce de vous
élever au rang d'un Etat doté du bout des lèvres d'une pseudo
souveraineté dont on brandirait bien haut les affutiaux sous vos
yeux; car une nation de ce genre fonderait votre dignité morale
et politique sur une confession de foi caduque ab origine
et par définition, puisqu'elle vous aurait été extorquée par les
faux dévots de la démocratie. Comment la prétendue légalité de
votre nouvelle patrie reposerait- elle sur la honte qui
résulterait de votre lâche acceptation d'une dépossession
définitive de la majeure partie du territoire de vos ancêtres,
alors que vous en demeurez les propriétaires à titre tellement
inaliénable qu'Allah lui-même ne saurait disposer de l'autorité
d'abolir ses propres lois ?
"Gardez courage,
Clio vous a placés à la croisée des chemins de la droiture
d'esprit du monde, gardez confiance, jamais un avenir durable ne
se bâtira sur l'abaissement d'une servitude sanctifiée par de
fausses dévotions."
Si des penseurs
de l'islam et des juristes occidentaux signaient une exhortation
au peuple palestinien à ne pas se frapper d'infamie,
qu'adviendrait-il des relations que les philosophes des deux
civilisations entretiendraient entre leurs éthiques sommitales?
Un dialogue vivant naîtrait-il de leur regard commun sur l'homme
et sur l'histoire ? Mais pour que cette initiative se révèle
heuristique, il faudrait un courage partagé par les interprètes
des trois religions du Livre, celui de débattre dans un même
esprit du statut de la raison de demain, de la nature de
l'intelligence dont dispose actuellement notre espèce et de la
définition même du mot " vérité " dont les évadés de la zoologie
font, pour l'heure, un usage pervers et corrompu dans les basses
et les moyennes régions de l'atmosphère.
4 - Une radiographie de la
politique de la torture
Voici les faits qui pourraient commencer de vous conduire dans
les profondeurs du tragique où la vérité vous présente ses crocs
et commence d'ouvrir toute grande sa mâchoire : j'ai lu dans
Le Monde du 6 septembre 2009: "Le Ministre de la
justice des Etats-Unis publie un rapport officiel qui lui a
donné la nausée: une dizaine d'agents de la CIA pourraient être
poursuivis." Le débat sur la moralité et sur l'immoralité de
la politique que nous attribuons à nos trois dieux uniques se
placerait-il tout autant au cœur de la géopolitique
d'aujourd'hui que du temps de Socrate? Car le patriotisme ne
saurait se révéler pieux au motif que la foi est utile aux
nations dans la guerre ? Mais, dans ce cas, la question de la
nature des idoles refait surface : quelle est la moralité du
personnage international que nous appelons "Dieu"? Pourquoi
Socrate s'interrogeait-il obstinément sur l'éthique de Zeus,
pourquoi se demandait-il sans cesse si les dieux sont de fieffés
commerçants et s'ils sont intéressés au premier chef à recevoir
des cadeaux ridicules sur leurs autels?
Le
courage nouveau auquel la pensée d'aujourd'hui vous appelle vous
conduira à peser à son tour l'immoralité du ciel triphasé avec
lequel le simianthrope continue in petto d'entretenir un
commerce rentable. Ce sera de vous que l'Islam et l'Occident
apprendront la vaillance d'écarquiller les yeux sur l'immoralité
les trois divinités demeurées en lice sous nos yeux.
Souvenez-vous que seule son audace socratique a permis à
Nietzsche d'écrire que le christianisme périra de l'immoralité
de sa divinité. Ayez à votre tour la témérité évangélique,
coranique et isaïaque de jeter demain à la face de la planète la
question des relations que notre civilisation si fière de porter
la panoplie des théologies de ses trois dernières idoles
entretient avec la torture. Vos aînés ont placé Guantanamo au
cœur de l'histoire du monde depuis huit ans. Quel est le profit
politique que les Etats d'aujourd'hui retirent de leur pratique
officielle de la torture ? Dis-nous, Socrate, ce que tu
penserais d'une philosophie qui se prétendrait socratique, mais
qui n'aurait en rien appris à radiographier le monde à ton
école? Conduis-nous par la main en direction des souterrains
concentrationnaires du sacré.
5 - Une histoire des tortures
sacrées
Certes, les morts que les amiraux athéniens victorieux aux Iles
Arginuses avaient négligé d'enterrer subissaient la torture
d'errer à jamais dans l'Hadès ; mais leurs tourments étaient
loin d'égaler ceux dont nos trois idoles se rassasient
maintenant. Et puis, ces amiraux ont été condamnés à mort par le
peuple athénien pour avoir réservé un sort aussi misérable à des
patriotes morts au champ d'honneur, alors que les tourments
infernaux dont se nourrit désormais la piété du monde ont bondi
de dessous la terre pour débarquer sur notre astéroïde de la
Liberté. Songez, mes enfants, qu'Israël torture des enfants sous
la douteuse attention d'un médecin consentant à ces pratiques.
Savez-vous que cet Etat se livre à un trafic fort rentable avec
les "dons" d'organes qu'il prélève sur les
cadavres de l'ennemi et qu'il revend au plus haut prix, parce
que les Israéliens refusent, hélas, de prolonger la vie de leurs
co-religionnaires au prix du cadeau même bien rémunéré aux
vivants, de leurs organes après leur propre trépas? Savez-vous
qu'une civilisation moins cruelle que la nôtre et qui ne
torturait pas encore ses morts sous la terre ménageait également
davantage les vivants que nos trois dieux uniques, qui ont
inventé, eux, le rôtissage éternel des trépassés?
Ce sont vos
ancêtres qui, aux côtés de leurs idoles, jugeaient nos tourments
posthumes indispensables à la piété de leurs confessions de foi,
ce sont vos ancêtres qui s'accordaient dévotement sur la cuisine
infernale de leurs dieux. Dis-moi, Socrate, pourquoi avons-nous
progressé jusqu'à nous fier à une religion spécialisée dans la
fabrication des instruments de torture les plus raffinés,
pourquoi adorons-nous un génocidaire expert en inondations et
spécialisé dans les crémations souterraines ? Apprenons à nous
regarder dans ce miroir-là. Qu'en est-il du miroir de leur
vérité politique dans lequel les chrétiens, les musulmans et les
juifs se mirent depuis deux mille ans si leur image se réfléchit
dans la galerie des glaces de leur enfer?
Le
blasphémateur athénien a refusé de condamner à mort les amiraux
impies. Il ne partageait donc pas l'éthique du civisme que
réclamaient des citoyens dont les cadavres flottaient sur la
mer. Peut-être savait-il que le Zeus des Athéniens allait passer
de l'ignorance à la cruauté. Dites-vous, mes enfants, que la
noblesse et l'indignité du simianthrope sont la mesure de la
noblesse et de l'indignité de ses idoles.
6 - L'abîme du "connais-toi"
Si une
radiographie simianthropologique de la pastorale de la torture
que l'islam et le christianisme se partagent et qui met les deux
civilisations à l'école des cruautés de leurs empires infernaux
pouvait vous conduire à retirer aux trois sauvages du ciel leurs
saintes chambres de tortures, quel élan nouveau votre courage
donnerait à la réflexion mondiale sur la dignité du peuple
palestinien et sur les fondements de son futur Etat! Car, dans
ce cas, vous vous souviendrez de ce qu'aux yeux de Socrate, la
philosophie était la science du courage de l' intelligence; et
vous vous verrez contraints de demander aux mythes religieux en
général et aux trois monothéismes en particulier: "Qu'en est-il
de la vie spirituelle que la planète de notre abaissement dans
la torture attend de nous aujourd'hui?"
Décidément, nous avons emprunté un chemin encore si peu
fréquenté de l'histoire de notre encéphale que n'y avons
rencontré âme qui vive. Mais un appel commun des penseurs de
l'islam, du christianisme et du judaïsme au grand Athénien
aidera la simianthropologie de demain à découvrir la
signification de la sainteté que nous accordons aux tortures
éternelles des morts - sainteté qui nourrit encore les trois
théologies de la justice auxquelles notre idole pseudo unifiée
accroche ses guenilles . Et voici que le chemin de l'avenir de
la pensée mondiale nous reconduit tout droit à Gaza où un
million six cent mille hommes, femmes et enfants se trouvent
exposés en plein air et torturés au grand jour. Comment se
fait-il que l'humanité entière assiste à ce spectacle sans se
faire de souci pour si peu? Comment se fait-il que ce miroir-là
de nous-mêmes et de la sainteté de nos trois Zeus soit devenu
international sans que nous demandions à Socrate de nous
conduire au plus profond de l'abîme du "connais-toi" des
Athéniens d'aujourd'hui?
La
pensée la plus profonde de Pascal est celle-ci: "Les grandes
pensées viennent du cœur". C'est dire que, sans le cœur,
l'intelligence est aveugle, c'est dire que le cœur conduit
l'intelligence dans les profondeurs du singe parlant, c'est dire
que toutes les révolutions de l'intelligence sont celles du
cœur. Si vous ne voulez plus de l'encens du dieu des tortures,
donnez-vous en un autre et demandez à son cœur d'ouvrir les yeux
de votre raison. Qu'ont fait les prophètes, sinon de changer la
morale de la divinité nauséabonde de leur temps ? Et comment s'y
sont-ils pris ? Ils n'y sont pas allés avec le dos de la
cuillère : ils l'ont bâtonnée et tabassée à plaisir. La
Palestine sera la nouvelle terre des prophètes. De ce sol
jaillira un autre Isaïe, qui tuera les trois dieux des tortures.
Mais au précédent, Isaïe ne faisait-il pas dire déjà: "Vos mains
dégouttent de sang sur mes parvis, vos sacrifices, je les ai en
horreur "?
Vous fixerez à la
philosophie mondiale de demain l'heure de son rendez-vous avec
Socrate dans le jardin des supplices de Gaza."
Publié le 28
septembre 2009 avec l'aimable autorisation de Manuel de Diéguez
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