Domestication, apprivoisement et
domptage politico-religieux
Les premiers pas
de l'Ecole de simianthropologie de Paris
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Dimanche 28 août 2011
La géopolitique de demain
Tunis, Le Caire, Tripoli et demain,
Damas, Rabat et Ryad: que de voyageurs
contraints de monter dans le train en
marche! Jamais le monde n'a poussé à ce
point et l'épée dans les reins la
science historique et la géopolitique à
changer non seulement le regard que
notre espèce tente de porter sur sa
propre complexion, mais la méthode
d'observation et d'analyse dont elle use
afin d'apprendre à se connaître et à se
comprendre.
L'idée d'étendre le champ de la science
politique au globe terrestre est née
sous Bismarck; mais cette discipline
aussi nouvelle qu'audacieuse est
aussitôt devenue un instrument du
pangermanisme de l'époque. Puis la
tentative de la rendre "objective" et
"scientifique" l'a seulement conduite à
se mettre subrepticement au service de
l'empire anglo-saxon auquel l'atlantisme
sert d'épicentre.
Du coup, il est apparu que les sciences
humaines sont nécessairement
superficielles et qu'elles n'ont pas
moins besoin d'apprendre à se regarder
du dehors que les théologies. Mais si
vous prenez le recul de Micromégas,
comment ne pas quitter le récit
événementiel? Et pourtant, il faut bien
éviter de couper le cordon ombilical
entre la chronologie et le recul
scientifique. Dans cet esprit,
l'anthropologie trans-descriptive et
néanmoins enracinée dans la texture de
l'histoire observe l'humanité en son
animalité spécifique, celle d'une espèce
narcissique, spéculaire et cérébralisée
à laquelle ses idoles servent de miroirs
géants.
C'est dire que si la simianthropologie
critique ne convainquait pas l'encéphale
actuel du simianthrope de se soumettre
au bistouri de l'évolutionnisme et de
placer sa rétine dans la postérité
chirurgicale de Darwin, jamais nous ne
prendrions le tournant qui seul
permettra à notre appareil visuel de
modifier le globe oculaire de " Dieu "
et de féconder la postérité cérébrale du
mythe qui nous sert encore de miroir.
Pour cela, ce sera progressivement qu'il
nous faudra apprendre à répondre à la
question suivante: "Quelle sorte
d'animaux la meule du temps a-t-elle
fait de nous?"
Notre ciel se rendra-t-il capable
d'observer au microscope la boîte
osseuse d'un animal en évolution? Nos
sciences humaines seront-elles en mesure
de conquérir, du moins en laboratoire,
une distanciation réelle à l'égard de
nos crânes et de leur contenu? Dans ce
cas, tentons de mettre en observation
les critères mêmes qui pilotent la boîte
osseuse de notre prétendu créateur et
vissons-nous à l'œil la loupe d'une
science de la domestication à laquelle
nous soumettons les "autres animaux",
comme disait Salluste. Serait-ce la même
que celle qui nous vassalise, nous
aussi?
Le texte ci-dessous trace l'enceinte
d'une problématique simianthropologique
de la géopolitique qui nous permettra
d'observer le lion de Juda, la panthère
de Gaza et Israël en dompteur de cirque.
1- Les
animaux et nous
2
-
Phénoménologie de la
socialisation simiohumaine
3 -
L'apprivoisement
4 - Le
domptage
5 - Israël en
dompteur de cirque
1 -
Les animaux et
nous
Une science de l'évolution de notre
espèce qui se fonderait enfin sur une
simianthropologie critique s'inspirerait
nécessairement de la jonction de deux
territoires appelés à se partager notre
savoir historique et notre art de la
politique confondus; car d'un côté, il
nous faudrait réfléchir aux types de
socialisation qui régissent les animaux,
de l'autre, examiner les sources
zoologiques du sacré au sein de l'
humanité.
Nos
frères inférieurs sont soumis à trois
formes de pédagogie, la domestication,
l'apprivoisement et le
domptage.
Le chien
a fini, sous notre férule, par
devenir un animal domestique.
L'obéissance de ce quadrupède à un
maître permanent ou de passage emprunte
désormais les formes et les contours de
la docilité auxquels les diverses races
de Médors servent de creuset: le chien
de berger et le chien de chasse
n'entretiennent pas les mêmes relations
de confiance et d'amitié avec leur
propriétaire.
La
domestication se caractérise donc
par une mutation foncière et
irréversible du capital psychogénétique
de la bête. Il faut qu'à la suite d'une
longue et patiente éducation du loup une
métamorphose de ses réflexes originels
apparaisse. Pour que la meule de la
coutume contraigne la nature à prendre à
titre héréditaire la relève de la
tradition un apprentissage
multiséculaire se révèle nécessaire.
Toutes
les espèces ne basculent pas
définitivement de l'acquis dans l'inné:
le chat n'est jamais qu'un animal
apprivoisé. A ce titre, il nous
appelle à le séduire de génération en
génération. On l'achète à l'école des
prébendes dont ce souverain juge
avantageux d'accepter le marché. Mais ce
corruptible-né ne change jamais de
psychobiologie: il se vend à titre
provisoire et toujours en échange de
concessions immédiatement profitables à
ses yeux. N'essayez pas d'en compter à
un chat: ce félin soumet son vantard de
maître à l'oscillation de ses
comportements tour à tour conciliants et
sauvages. Vous le verrez intéressé à
bénéficier de son allégeance passagère,
au plus offrant, mais il en pèsera la
dépense. Je vous en conjure, Mesdames et
Messieurs, ne vous y trompez jamais: la
soumission fièrement consentie que ce
faux domestique affiche quelquefois à
votre égard est toujours bien calculée
et le ronron cajoleur ne sera renouvelé
que si vous le méritez. Puisque
l'apprivoisement exige des compromis
réfléchis avec le "mieux disant",
l'obéissance du chat sera révocable par
définition et seulement sur l'initiative
d'un roitelet tellement autarcique que
la nature l'a armé d'une noblesse
inaliénable.
Le
domptage est une forme
d'apprivoisement en serre. Tout
seigneur-né ne subit jamais qu'une
forcerie artificielle, donc trompeuse.
Le monarque sauvage ou féroce ne cède
qu'à la peur du danger qui menace son
indocilité et qui culmine sans cesse
dans la terreur humiliante à laquelle
l'homme au fouet soumet injustement les
empereurs de la jungle. Le domptage du
lion, du tigre ou de la panthère est une
victoire inéquitable sur l'indépendance
des grands carnassiers, mais une
victoire de cirque - si le dompteur ne
sauvait son honneur à se laisser
quelquefois dévorer tout cru, la honte
du dressage serait entièrement pour lui.
2 -
Phénoménologie de la socialisation
simiohumaine
Ces modèles de la servitude des animaux
fréquentables ou d'un commerce dangereux
présentent un fidèle décalque des
avantages et des inconvénients de
l'assujettissement, triphasé à son tour,
de l'espèce simiohumaine à ses
éducateurs, à ses acheteurs et à ses
dompteurs. Comment les bénéfices actuels
du chimpanzé rendu loquace par son
évolution bizarre copient-ils les formes
triplices de la socialisation à laquelle
nous avons réussi à soumettre le chien,
le chat et le lion? A l'origine, seule
la théologie servait de moule
pédagogique et de modèle éducatif à la
socialisation artificielle et sans cesse
à recommencer de l'Adam des forêts. La
foi religieuse de certains peuples est
visiblement devenue innée par l'effet de
l'inculcation inlassable d'un
aveuglement, donc d'un moulage
multiséculaire du cerveau de la
population à l'école de divinités tour à
tour charmeuses et menaçantes.
Toute cléricature est
faite pour façonner une mythologie
doctrinale. Celle-ci se durcit de
génération en génération dans les têtes,
puis périclite sous la meule des
siècles. L'homme est un animal dédoublé
par un fantastique religieux fatigable
et dont le joug se rend transmissible à
l'école de la rigidification continue
d'un récit fabuleux ; mais les
narrateurs de l'insoluble finissent par
tomber dans un amollissement cérébral
qui préfigure l'évanouissement de leurs
récits dans le vide de l'immensité.
Longtemps l'homme a colloqué des
interlocuteurs à son effigie dans
l'espace; mais quand ils se sont
vaporisés à l'extrême, leur
insaisissabilité finit par décourager
leurs adorateurs - à moins qu'ils ne
s'incarnent en vous et moi pour deux ou
trois millénaires.
Aujourd'hui encore, le Sicilien ou le
Napolitain ignorent autant que faire se
peut les miracles physiques réputés
s'accomplir sur l'autel sanglant du
sacrifice. Qu'on y assassine réellement
une victime, qu'on en mange réellement
la chair et qu'on en boive réellement
l'hémoglobine - prodiges consécutifs aux
paroles réputées métamorphosantes que le
prêtre prononce à cet effet - autant de
merveilles censées se produire
corporellement sur les offertoires. Mais
tout cela n'est nullement conçu, connu
et réfléchi: c'est sans seulement s'en
douter que les ensorcelés par des
prodiges domesticateurs se laissent
benoitement conduire au paradis ou
précipiter sans trop rechigner ou avec
une passivité exemplaire dans un enfer
rôtisseur que le diable tient prêt jour
et nuit à les accueillir, tellement leur
capital génétique a reçu l'empreinte des
châtiments codifiés et rendus torturants
à titre héréditaire.
Mais de
même que le petit de l'homme est un
"chien du seigneur", comme on dit et
qu'il s'initie aux arcanes du langage
par l'oreille, mais perd sa capacité
auriculaire d'apprendre à parler s'il ne
se trouve placé en temps voulu dans
l'environnement sonore que requiert
impérativement sa nature, de même le
cheval laissé à l'état sauvage au-delà
du délai requis ne se laisse plus
monter, se cabre et jette à terre
l'audacieux qui tente de se cramponner à
sa croupe. La domestication
religieuse est une virtualité périssable
et qu'il faut faire germer tout de suite
ou se résigner à la jeter aux orties.
3 -
L'apprivoisement
La
seconde forme du façonnement durable du
cerveau simiohumain repose sur l'apprivoisement
au guichet d'une théologie, donc sur le
type de négociation soutenue et sans
cesse renouvelée qu'appelle le chat
devenu le créancier de son maître; mais
cette fois-ci, l'idole des débiteurs -
chattes et matous - se montre résolument
séductrice. Non seulement elle y met le
prix, mais elle rend ses appas
achetables et ses attraits désirables.
Du coup, ses atouts sont rendus publics
et elle les vend à l'encan. Il y faut
des conversations serrées entre l'idole
prévaricatrice et des créatures fort
inégalement disposées à l'entendre. De
leur côté, les futurs sujets du ciel se
disputent entre eux sur l'art d'engager
des pourparlers profitables avec un
dispensateur fantastique de ses grâces
dans le cosmos. Car tout Jupiter sue
sang et eau à se rendre persuasif à
crédit. Ecoutez les raisonnements
conciliants, et les arguments
adroitement agencés de sa dialectique de
la grâce, prêtez l'oreille à l'éloquence
de ses tractations avec une espèce
chattesque en diable.
Car l'assemblée générale des candidats à
l'immortalité de leur chair et de leurs
ossements est habile à engager la
controverse avec ses propres organes.
Elle exprime les doutes les plus tenaces
de son squelette et les arguments les
plus griffus de ses pattes au vendeur
sur parole de chats immortels. Tantôt
leur multitude prétend que l'espace du
ciel ne saurait suffire à la masse des
chats qui, n'ayant existé que d'une
génération à la suivante sur la terre,
occupent d'ores et déjà la plus grande
partie de l'univers sommital. Comment,
demandent-ils, leur père cosmique
rendra-t-il leur corps bondissant à tous
les matous et à toutes les chattes
déterrés et élevés dans les nues?
Comment le seigneur suprême des félins
apprivoisés s'y prendra-t-il pour rendre
contemporains entre eux les chats de
tout âge et de tout poil dont l'afflux
accumulera sans répit les fourrures dans
l'immensité? Certes, leur masse en
provenance des villes, des villages et
des champs de tout le globe terrestre ne
sera pas soumise jour et nuit aux
contraintes de la vie sur la terre; le
dieu des chats aura pris le plus grand
soin de les rendre insensibles au froid
et à la chaleur. Le tout puissant et
miséricordieux ne leur donnera ni à
boire, ni à manger, afin de les
préserver du péril d'une amaigrissement
affreux ou d'une obésité malencontreuse;
quant à la lanterne solaire, ils
continueront d' exposer leur fourrure à
ses rayons. Mais une nature demeurée
généreuse sera bien inutile à des chats
éternels. Et puis, des cieux dont les
luminaires n'auront plus d'heure à
marquer, quel renversement de l'ordre et
de l'harmonie de l'univers! Mais quand
la multitude intarissable des chats
impérissables aura rempli l'étendue à
ras bords, comment multiplier les
montagnes, les rochers, les rivières,
les mers et les rivages de
l'immortalité?
A ces
savantes observations des propulsés dans
l'éternité, leur créateur répondra avec
toute la vigueur de son éloquence. Vous
le verrez monter en chaire, adjurer,
supplier, menacer, cajoler, caresser.
Mais comment expliquer à l'assemblée
générale des ressuscités réticents le
carrousel sans fin des prières, des
dévotions, des agenouillements et de
tout le cérémonial des chatteries
célestes dont les "chiens du seigneur"
n'avaient pas besoin, eux, de fatiguer
leur cerveau domestiqué d'avance?
Mais
quand l'apprivoisement cérébral
des chats a besoin de se montrer
charmeur pour convaincre, le discours
cajoleur de leur souverain n'en demeure
pas moins fort ressemblant dans son ciel
à celui qu'il adressait aux rampants du
salut et de la rédemption sur cette
terre; simplement les nouveaux-venus de
la foi veulent se trouver patiemment
instruits du contenu de la théodicée
générale à laquelle ils feront
allégeance dans leur intérêt bien
compris. L'hérétique est un chat à
circonvenir cérébralement; il faut lui
tendre un râtelier de logicien.
4 - Le domptage
Encore et
toujours à l'instar de l'archétype
animal, le domptage simiohumain
présente le troisième moule de la
socialisation par le sacré dont les
exploits de cirque auxquels notre espèce
se livre dans le ciel nous ont présenté
les modèles. Cette fois-ci, le César des
nues s'est fâché. Hâtez-vous de vous
mettre à l'abri de ses éclairs et de sa
foudre. Voyez les déchaînements du
terroriste de la piété, observez
l'épouvante bien ajustée féconder les
signes de la dévotion que les dompteurs
obtiennent des lions et des tigres. Au
terme d'un long dressage, les fidèles
bondiront à travers des cerceaux
enflammés, les saints s'assiéront en
chien de faïence sur des plots de bois
sec, les futurs immortels se plieront à
tous les exercices requis pour
l'obtention de leur salut éternel.
Ici
encore, c'est au cœur de la zoologie
qu'il faut chercher les exemples d'une
anthropologie scientifique du sacré.
Prenez un éléphant à l'état sauvage;
puis observez-le menacé par une horde de
gnomes dansants autour de lui. Ils
l'encerclent de torches enflammées; puis
ils se montrent tout subitement
charitables au point de multiplier jour
et nuit leurs petits appâtements. Le
pachyderme se laisse tenter; et l'on
voit le Titan corrompu en venir à
préférer le confort alimentaire qu'une
tribu de nains lui tend à pleines mains
au silence et à l'étendue majestueuse de
la brousse.
De même
l'espèce simiohumaine en cours de
cérébralisation croit avoir découvert
dans le néant un créateur invisible du
temps et de l'espace dont l'art grossier
de brandir les épouvantes posthumes de
l'enfer et les délices d'une vaine
éternité la laissent pantoise. Loin de
la jungle où campaient les chimpanzés
criards, le dressage de l'animal
confessionnel demeure encore de nos
jours et sur la planète entière le
modèle principal de la domestication,
de l'apprivoisement et du
domptage d'Adam.
5 - Israël en
dompteur de cirque
Tentons
maintenant d'observer, la loupe à l'œil,
les applications de ces premiers modèles
de la domestication politique,
donc de l'histoire tour à tour
vassalisatrice et prometteuse du
printemps arabe tel qu'il se déroule
sous nos yeux.
Israël tempête, piétine et danse en vain
autour de l'éléphant enfermé dans
l'enceinte des affamés de Gaza. Mais
impossible de faire bondir le prisonnier
à travers le cerceau de feu des
idéalités que lui tendent ses despotes
sacrés. Le peuple palestinien est un
fauve tellement sauvage et féroce qu'il
refuse de monter sur les tabourets à
coussinets de velours que ses dompteurs
présentent au géant dans le cirque qu'on
appelle désormais la scène
internationale. Pourquoi le mammouth
résiste-t-il aux fouets claquants des
théologiens de la démocratie mondiale?
Faut-il juger son entêtement non
domesticable, faut-il faire maigrir
l'indocile, faut-il droguer son corps et
son esprit, faut-il lui inoculer les
stupéfiants les plus dormitifs de la
conscience universelle? A l'instar du
lion ou du tigre, jamais Gaza ne se
mettra à l'école des pitances de la
"Justice" et du "Droit" du roi des
singes.
Voyez
comme les diamants de sa Liberté font
resplendir ses crocs. Gaza ne fera
qu'une bouchée des contrefaçons de sa
souveraineté que les prêtres de la
démocratie bancaire lui tendent à
travers les barreaux de sa cage.
Décidément, si la crinière du lion de
Juda n'est pas caressable, la panthère
et le léopard de Gaza sont griffus.
Reçu de l'auteur pour
publication
Les textes de Manuel de Diéguez
Les dernières mises à jour
|