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Les défis de l'Europe

Alice Clinton au Pays des Merveilles
Manuel de Diéguez


Manuel de Diéguez

Lundi 15 février 2010

"Au début de chaque cours, j'explique à mes étudiants que le but de la politique étrangère est de persuader les autres pays d'accepter ce que nous voulons . Et à cette fin, le président et son ou sa secrétaire d'Etat disposent de moyens allant du recours pur et simple à nos forces armées, au travail patient du tissage diplomatique, sans oublier l'efficacité des arguments de la logique."

Dieu, l'Amérique et le monde, Mémoires de Mme Madeleine Albright, antépénultième Secrétaire d'Etat, Editions Salvator 2008, p. 22

1 - Une Clio acéphale
2 - Des fantômes fort actifs
3 - La trappe du sacré et le complot des spectres
4 - L'arbre de la connaissance
5 - Le mufle des vassaux

1 - Une Clio acéphale

Depuis qu'il existe des empires, leur victoire n'est définitivement acquise qu'à l'heure où les peuples miraculés par la gloire des armes d'un souverain prestigieux ne s'étonnent plus en rien de l'installation à demeure de soldats étrangers sur leur sol. Sans doute les relations déférentes que les nations européennes - la France exceptée - entretiennent désormais avec les troupes des Etats-Unis d'Amérique à jamais agrippées à leur territoire en sont-elles arrivées au degré d'inconscience dans la soumission où les naïfs descendants d'Athènes et de Rome ont fini par juger fort naturel que les légions du Nouveau Monde campent dans leurs potagers. Pourquoi personne ne se demande-t-il plus pourquoi elles se trouvent là? Pourquoi les populations allemande ou italienne se montrent-elles si peu stupéfaites de les voir installées en chair et en os sur leurs arpents qu'elles jugeraient saugrenu de soulever la question de la légitimité en droit international de leur domiciliation dans leur jardin? Bien plus : par un renversement des ahurissements de la raison des nations, ce sont les observateurs américains et les chefs d'Etat étrangers qui se montrent abasourdis de l'accoutumance des peuples à leur sottise. "Puisque vous avez un patron, nous préférons nous adresser à lui qu'à vous", disait récemment Damas à l'Europe.

Le discours que Mme Hillary Clinton a prononcé à l'Ecole Militaire de Paris le 29 janvier 2010 appelle donc à ce titre une analyse particulièrement riche d'enseignements anthropologiques. Quel regard les futurs historiens du Vieux Continent porteront-ils sur une civilisation désormais dépourvue des ressources de l'incrédulité, donc de l'intelligence politique au spectacle de sa propre capitulation intellectuelle? Il sera bien impossible à des chroniqueurs, à des mémorialistes et à des historiographes au petit pied de rendre intelligible leur récit au jour le jour d'une candeur cérébrale qui métamorphose l'occupant en protecteur des lopins sur lesquels il a planté sa tente : il leur faudra recourir à une psychanalyse de l'attachement viscéral des peuples et des Etats au sceptre des dieux qui règnent sur leur imagination, ce qui élèvera Clio au rang d'une visiteuse martienne de l'Europe des socs et des charrues d'aujourd'hui.

2 - Des fantômes fort actifs

Car enfin, mes enfants, dira la muse voyageuse, si les Etats-Unis d'Amérique veulent bien, disent-ils , "former, consolider et préserver la sécurité de l'Europe", où donc se sont-ils cachés, les adversaires dangereusement invisibles censés menacer notre continent et comment expliquer le plus sérieusement du monde à des nations réputées avoir accédé à l'âge adulte que tout ce discours s'adresse aux peuples et aux dirigeants d'un astéroïde imaginaire et soustrait à ce titre au regard par des prodiges de fabrication démocratique? Comment se fait-il qu'une politique construite dans les nues puisse faire mine de se consolider sur la terre? Une science de la mémoire calquée sur un livre d'images et qui ne disposerait en rien d'une anthropologie et d'une psychophysiologie en mesure d'expliquer le débarquement sur la terre d'une fantasmagorie parareligieuse et d'une "liberté" messianisée se montrerait incapable d'entrer dans les arcanes d'une mythologie laïcisée, puis d'observer les entrailles d' une positivité politique de type onirique et enfin de radiographier un rédemptionnisme diplomatique devenu planétaire. Il nous faut donc nous demander quel fil d'Ariane nous devrons apprendre à tenir à la main afin de tenter d'expliquer le basculement subit du cerveau simiohumain dans une version modernisée du surnaturel du Moyen Age.

Exemple: "La Russie n'est plus un adversaire, mais un partenaire sur des dossiers mondiaux essentiels", déclare Mme Clinton. On cherche où le "principe de réalité" d'un certain docteur Sigmund Freud peut bien s'être dissimulé; car pour défendre la "sécurité" d'une Europe qu'aucun adversaire ne menace, l'ombre d'un personnage inoffensif à souhait va surgir des coulisses et monter d'un pas résolu sur les planches. Que dit cet acteur habillé en "partenaire"? "C'est une Europe qui inclut les Etats-Unis comme partenaire".

Tiens donc, si le protagoniste russe de la pièce joue exactement le même rôle sur la scène du monde que son confrère d'outre-Atlantique, comment se fait-il que les deux acteurs censés se montrer les armes à la main face à un adversaire absent affichent une si grande inégalité du poids de leur armure? Impossible de douter que l'un soit plus casqué que l'autre sur nos terres; impossible de douter que le premier se garde comme de la peste de faire allusion à sa gigantesque panoplie, puisque son arsenal pèse deux cents places fortes en Allemagne, cent trente sept en Italie et que son quartier général se trouve installé en Belgique depuis plus de soixante ans, pour ne rien dire des ogives nucléaires partout répandues et si coûteuses à entretenir année après année.

Il est d'autant plus extraordinaire que les nouveaux "hallucinés de leur arrière-monde" (Nietzsche) n'aient pas d'yeux pour les cohortes de séraphins présents dans leurs champs, alors que leurs munitions nucléaires et conventionnelles s'entassent sur de vastes étendues crûment appelées des " bases militaires. C'est donc qu'il faut psychanalyser une cécité et une obéissance politiques secrètement désirées, mais dont il serait indécent de faire étalage - cécité et obéissance qui seules peuvent rendre invisibles les armées en chair et en os des démocraties célestes. Mais voici que le "partenaire" armé jusqu'aux dents salue le désarmé, et voici que sa puissante musculature feint de traiter celle de son comparse en alliée de taille, voici qu'il la convie gentiment à partager avec elle la puissance benoîte de son propre sceptre: "C'est une Europe qui inclut la Russie"

3 - La trappe du sacré et le complot des spectres

Quel est le vrai rôle d'une Russie flattée de la sorte? Décidément, il doit y avoir anguille sous roche, décidément, tant de générosité diplomatique cache un vilain calcul, décidément, le génie de la politique a émigré loin de l'Europe de Machiavel et de Talleyrand. Car le second partenaire est seulement appelé à donner une apparence d'étoffe au vaporeux art. 5 du traité de l'OTAN qui "fonde la solidarité des alliés en cas d'attaque de l'un d'entre eux". Puisque l'histoire est devenue une maison hantée, pourquoi ne pas ajouter un fantôme de plus à une assemblée de spectres? Quel sera donc l'ombre d'un attaquant désigné du doigt par ses comparses et comment appellera-ton ce complice de mèche avec les autres vapeurs comploteuses?

Allons-nous enfin le voir paraître sur l'écran, le géant réputé agresser les autres acteurs l'épée à la main, le Hercule qui leur donnera l'occasion inespérée de brandir des glaives solidaires face à un péril imaginaire? Comment conjurer le plus héroïquement possible une apocalypse de plumitif spécialisé dans le roman de cape et d'épée de la démocratie mondiale? De plus, dit la conférencière "la Russie est invitée à participer à des projets communs" et même à collaborer à la construction d' "une nouvelle architecture de défense antimissile" dont la vaillance protègera "tout le territoire de l'OTAN".

Décidément un Shakespeare du fantastique historique mène le tragique de l'histoire en bateau: voici que le metteur en scène de l'évangile des démocraties invoque une "transparence" annonciatrice d'un grand mystère, voici qu'il donne dans le surnaturel démocratique, voici qu'il nous vaporise dans une eschatologie prometteuse, voici qu'il enveloppe la planète dans le mythe de la liberté , voici que la rédemption américaine copie le mythe chrétien de la délivrance. Pourquoi cet évangile a-t-il basculé dans l'inconscient salvifique des démocraties modernes ? Qu'en est-il de la trappe du sacré, comment y tombe-t-on sans s'en apercevoir et peut-on s'en retirer sur le modèle résurrectionnel?

4 - L'arbre de la connaissance

Ecoutez-en la formulation catéchétique: l'objectif irénique et à long terme d'une politique édénique de ce type, dit Mme Clinton, est de faire entrer le monde dans un paradis à jamais guéri du péché originel, ce pommier du nucléaire sera déraciné et jeté au feu et le diable se verra privé à jamais de ses pommes. Il se trouve seulement que, de toutes façons, les armes suicidaires sont l'attrape nigauds que "l'arbre de la connaissance" a produites et qu'elles sont inconsommables par nature et par définition, puisque leur mûrissement est précisément conçu pour servir de garantes de la paix aux matamores de leur propre trépas.

Ce montage théologique serait-il donc à lire à l'envers de la première ligne à la dernière? S'agirait-il seulement d'exorciser une menace inutilisable et construite sur le modèle des fours crématoires dont une divinité de sauvages s'est doté sous la terre? La foudre mouillée d'une apocalypse imaginaire serait-elle un moyen détourné dont userait Satan afin de se redonner en cachette les bonnes et vieilles armes de ses guerres d'autrefois, avec leurs troupes bien exercées, leurs uniformes tirés à quatre épingles, leurs stratèges galonnés, leurs casques à pointe et leurs champs du carnage fleurant bon le champ d'honneur, afin qu'une humanité orpheline de ses héros mémorables retrouve ses stèles commémoratives et ses plus beaux monuments aux morts?

Mais peut-être l'Europe va-t-elle retrouver la vertu d'étonnement qu'elle a égarée en chemin, peut-être va-t-elle se demander pourquoi "ils sont là", peut-être va-t-elle s'indigner ou éclater de rire de ce qu'ils soient encore là, peut-être va-t-elle se frotter les yeux à ce spectacle, peut-être va-t-elle se dire: "Nous avons fait un songe de soixante dix ans. Pendant trois quarts de siècle, nous ne les avons pas aperçus, pendant trois-quarts de siècle, ils se sont rendus invisibles à nos yeux , et maintenant, nous, les miraculés de la vue, nous nous rendons grâces à nous-mêmes d'avoir retrouvé notre globe oculaire d'autrefois, qui nous fait découvrir qu'ils sont toujours là."

5 - Le mufle des vassaux

Qui aurait cru que le fond du génie politique des démocraties se révèlerait bénédictionnel ? Mais peut-être le leurre messianique que l'Amérique agite au mufle de ses vassaux est-il plus colorié qu'on ne croit, puisque les peuples asservis à la trame de leurs idéaux n'attendent que les caresses de leur souverain du salut et puisque leur crainte n'est que de voir leur rédempteur jeter du haut des cieux un regard de mépris à leur livrée. La sage gestion des rubans de la liberté n'exige-t-elle pas de changer l'Europe et ses drapeaux en l'appendice décoré et docile d'une alliance élargie à l'ex-empire des tsars, afin de donner à l'Amérique à la fois la plateforme du sacré et la rampe de lancement des patenôtres en mesure de "faire le poids", comme on dit, face aux nouveaux alpinistes de l'Olympe, la Chine, l'Inde, l'Amérique du Sud, qui frappent à coups redoublés aux portes de la planète des géants de demain? Pour cela, ne faut-il pas à la fois flatter l'encolure d'une vieille civilisation et empêcher que Moscou, Pékin, New-Delhi, Mexico, Buenos- Aires, Montréal en prennent tout de suite ombrage?

Certes, le risque est mince de voir le Vieux Monde tourner résolument casaque et prendre appui sur les Titans en formation - mais deux auto absolutions valent mieux qu'une. "Au début de chaque cours, écrit Mme Madeleine Albright, j'explique à mes étudiants que le but de la politique étrangère est de persuader les autres pays d'accepter ce que nous voulons. Et à cette fin, le président et son ou sa secrétaire d'Etat disposent de moyens allant du recours pur et simple à nos forces armées, au travail patient du tissage diplomatique, sans oublier l'efficacité des arguments de la logique."

Mettons deux fers au feu, dit Blanche Neige; et attendons que les petits fils déboussolés d'Athènes et de Rome aient pris un retard suffisant sur la marche réelle du monde pour leur faire manquer le train. Alors nous les chasserons de l'arène sous nos applaudissements .

Publié le 15 février 2010 avec l'aimable autorisation de Manuel de Diéguez

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Source : Manuel de Diéguez
http://www.dieguez-philosophe.com/


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