Qu'est-ce que philosopher? et Regards
sur le Proche et le Moyen Orient
L'Iran et la
nouvelle pesée de l'humain
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Samedi 14 juillet
2012
"Interroger les
grands philosophes, c'est transformer
les questions qu'on leur pose en
instruments d'approfondissement de la
connaissance du genre humain."
Jaspers
Il est difficile de
rendre la géopolitique intelligible sans
descendre de plusieurs marches
au-dessous du rez-de-chaussée ; mais
comme la visite des caves prend beaucoup
de temps et allonge le récit, j'ai
imaginé de faciliter le voyage aux
lecteurs pressés. J'ai donc indiqué par
des écriteaux les séjours dans les
souterrains et les lieux de promenade au
grand jour.
1 - Le
débarquement de la cyberguerre
Au grand jour de
l'histoire
Sans
nous en douter le moins du monde,
peut-être assistons-nous à la révolution
la plus décisive et la mieux cachée que
la méthode historique aura connue depuis
les origines de la science du passé ;
car les vraies guerres entre les nations
sont devenues industrielles et
commerciales, mais elles se doublent
d'ores et déjà d'une cyberguerre aussi
secrète que féroce. Cinq des huit Etats
détenteurs d'une apocalypse imaginaire
affrontent un seul pays, l'Iran,
désireux d'acquérir à son tour la
maîtrise d'un songe militaro-biblique.
Passage par les
souterrains
"En
automne 2011, les Iraniens
avaient trouvé dans leurs
réseaux informatiques un virus
espion, baptisé "Duqu", conçu
pour voler des informations
précieuses. Ces agressions
n'étaient jamais revendiquées,
mais, selon les experts, seul un
Etat disposait des ressources
humaines et des armes
financières indispensables pour
conduire à bien des programmes
aussi innovateurs et aussi
affinés. Les soupçons s'étaient
portés sur les Etats-Unis et sur
Israël."
Très vite on découvre qu'il
s'agit d'un monstre de
l'informatique: "Le
décryptage de son logiciel"
vous conduit "de surprise en
surprise". Dans sa version
définitive, "le code de Flame
pèse vingt mégaoctets - vingt
fois plus que Stuxnet. Il s'agit
d'un mode d'espionnage qui œuvre
en secret, donc sans perturber
le fonctionnement des
'ordinateurs qu'il espionne."
Les chercheurs le comparent à
une grosse "boîte à outils",
pleine de "logiciels
hautement spécialisés".
Flame est capable d'identifier
et de copier n'importe quel type
de fichier, de mémoriser chaque
frappe sur le clavier, de
procéder à des captures d'écran
ou encore de réveiller le micro
de l'ordinateur afin de lui
faire enregistrer les bruits et
les conversations dans son
environnement. Il est même
capable de "déclencher
l'émetteur-récepteur sans fil
Bluetooth et d'entrer en
communication avec des
ordinateurs miniaturisés ou avec
des smartphones placés autour de
lui."
De plus, Flame est doté "d'une
fonction "suicide": quand il
a achevé sa mission, il
s'autodétruit. Sans doute
dispose-t-il de fonctions encore
à démasquer - l'analyse de ses
capacités ne fait que commencer.
Les chercheurs estiment qu'il a
fonctionné pendant au moins deux
ans avant de se trouver repéré.
" Mais il n'est pas question de
découvrir les concepteurs et les
commanditaires d'un "virus
d'Etat": "En théorie, ces
enquêtes relèvent des tribunaux
des pays concernés, mais la
justice se heurte à des
empêchements techniques,
juridiques et diplomatiques
insurmontables." Et puis, le
Président des Etats-Unis est
devenu un tueur armé des foudres
du Zeus de la démocratie
mondiale: il extermine du haut
de l'Olympe de la Liberté tout
ennemi d'une Justice triomphante
sur toute la terre; et les
drones qui arment son royaume
sont d'une précision
insurpassable.
Au grand
jour de l'histoire
Cette
situation ne semble pas entièrement
nouvelle: à l'origine, la légitimité
politique d'une massue était fonction de
la musculature du justicier et il s'en
servait sans crier gare, ce que nous
avons appris tout enfants à la lecture
de La guerre du feu de
Rosny aîné. Mais la bombe d'Hiroshima a
mis fin au règne du principe stratégique
selon lequel les outils des guerres
heureuses nous seraient fournis dans
l'arène des lois universelles qui
régissent les conflits entre les Etats.
Comment validerait-on une discipline
bien connue, mais subitement devenue
étrangère aux règles en usage depuis des
millénaires ? Tout savoir n'est
capturable que dans sa propre enceinte.
Celles de l'herboristerie ou de
l'héraldique sont tellement immuables
qu'elles transportent leurs méthodes
dans un sac à dos inusable. Mais, depuis
Hiroshima, nous avons commencé de
déserter le cirque des méthodes
éprouvées des ancêtres ; et nous tentons
d'observer de l'extérieur et dès le plus
jeune âge les combats inattendus de la
logique guerrière. Du coup, nous
circonscrivons un échiquier changeant.
C'était rien de moins, pensons-nous, que
son véritable champ d'exercice qui
manquait aux stratèges d'autrefois.
Maintenant, il s'agit de porter le
regard d'Alexandre, d'Hannibal, du
prince de Condé sur la fausse science
qui commandait la guerre classique,
maintenant, c'est cela qu'il faut
enseigner aux grands galonnés du passé.
2 - Pourquoi,
pourquoi, pourquoi…
Passage
par les souterrains
Exemple: si vous observez à la
jumelle la navigation tranquille
de cinq mastodontes d'acier dont
l'armada mondiale s'élève à huit
unités et si vous constatez
qu'ils tentent de mettre tout le
poids de leurs cuirasses dans la
balance d'une apocalypse de type
onirique, vous découvrez que
leur ambition se réduit à
empêcher un tiers d'entrer en
possession légale d'une arme
mythique par nature, mais dont
les agresseurs sont fiers de
disposer tout seuls. Du coup,
vous vous trouverez contraints
non seulement de modifier toute
la plateforme de validation de
la force des glaives sur la
planète des armes et des anges,
mais de métamorphoser la
méthodologie et la foudre
séraphiques de l'humanité,
tellement la problématique
angélique qui régissait la
connaissance rationnelle des
ongles et des griffes des Etats
d'aujourd'hui ne vous fournira
plus les instruments d'optique
adéquats à un examen réel ni de
leur denture ni de leur
théologie.
Au grand
jour de l'histoire
Pourquoi
serait-il interdit aux moralistes et aux
savants de la Perse de demander à ses
interlocuteurs fulminants de faire
valoir à haute et intelligible voix et
face au genre humain tout entier, leur
titres à faire crisser les mâchoires de
leur éthique? Quels sont les syllogismes
irréfutables et assurément titanesques
sur lesquels se fonde la prétention de
leur civilisation du droit et de la
justice de régner seuls sur tout le
globe terrestre? Pourquoi la Chine et la
Russie feignent-elles à leur tour de
légitimer, mais seulement du bout des
lèvres, le refus pur et simple des cinq
molosses de l'excommunication majeure
des modernes de partager avec l'Iran
leur pouvoir hallucinogène - mais censé
réel - d'exterminer le genre simiohumain
le plus saintement du monde? Pourquoi
cette autorisation doctrinale se
trouve-t-elle assortie de la restriction
catéchétique imposée aux assaillants
selon laquelle tout recours à la guerre
contre le récalcitrant serait
discourtois? Pourquoi l'Iran et les huit
Atlas du néant se gardent-ils d'exposer
clairement et coram populo,
l'évidente impossibilité cosmologique de
jamais se servir d'un explosif dont la
puissance trans-stratégique par
définition se révèle totalement
disproportionnée aux mensurations du
globe terrestre? Pourquoi un seul Etat,
le plus microscopique de tous, Israël,
exerce-t-il l'autorité suprême de mettre
en scène une mascarade ridicule, alors
qu'un simulacre théologal de cette
taille ne trompe que des aveugles
volontaires? Pourquoi, sur les cinq
continents, personne ne se livre-t-il à
une réflexion sereine sur un
escamotage-géant dont le trompe-l'œil
devrait faire écarquiller les yeux de
tous les politologues de sens rassis?
3 - La politique
onirique de l'humanité
Passage
par les souterrains
En 2001 je soutenais déjà sur ce
site que le cours naturel des
évènements placerait
immanquablement le cerveau
schizoïde de l'humanité au cœur
de l'histoire et de la politique
des démocraties messianisées à
l'école de leurs propres
Ecritures. Aujourd'hui, qui ne
voit qu'on ne saurait tenter de
comprendre les coordonnées d'une
réflexion anthropologique
d'avant-garde sur notre
dichotomie cérébrale sans
observer en tout premier lieu
les fondements para-bibliques de
la politique de domestication de
l'Iran. Pourquoi les Etats-Unis,
l'Europe et Israël s'y
acharnent-ils d'un commun
accord?
Pour tenter de comprendre la
psychobiologie qui les commande,
il faut recourir, une fois de
plus, à l'examen et à la pesée
des rouages théo-génétiques qui
commandaient l'excommunication
majeure du Moyen Age; car les
ressorts doctrinaux qui pilotent
maintenant les tentatives
d'excommunication nucléaire de
la Perse sont construites sur le
modèle des châtiments de la
Genèse.
Au grand
jour de l'histoire
Demandons-nous, un millénaire après
l'échec d'une stratégie de l'épouvante
religieuse que Grégoire VII (1020-1085)
avait mise au banc d'essai de l'histoire
de son temps, demandons-nous, dis-je,
quelle serait aujourd'hui une politique
universelle de la torture mise en œuvre
par un pape qui saurait aussi bien que
son génial prédécesseur du XIe siècle
qu'une apocalypse des châtiments
éternels n'a jamais existé ailleurs que
dans l'imagination barbare de ses
congénères terrorisés, mais qui saurait
également que les fulminations sauvages
du Saint Siège d'autrefois ont perdu,
dans l'esprit de tout le monde, le
pouvoir de précipiter aux enfers la
moitié crétinisée du genre humain. Mais
si l'on a cessé de trembler ou de se
réjouir dans une immortalité posthume,
qu'en est-il maintenant de la
géopolitique de l'effroi?
Assurément, un souverain pontife
construit sur le modèle contemporain se
dirait qu'après tout, la croyance en une
mythologie de la dissuasion théologique
fondée sur les feux et sur les
rôtissoires d'un gigantesque camp de
concentration souterrain demeure
partagée par des centaines de millions
de rescapés du règne animal. En Afrique,
en Amérique du Sud et même au Portugal,
en Espagne et en Italie, il serait bien
sot de sacrifier tout soudainement un
atout politique aussi précieux et de sa
belle taille sur l'autel d'un progrès
cérébral du genre simiohumain
prétendument devenu irrépressible. De
même, à la suite de l'hérésie d'un bon
protestant, M. Michel Rocard, qui a
demandé publiquement que la France
renonçât d'un cœur léger à brandir une
défense nucléaire purement et simplement
devenue plus inutilisable encore que
coûteuse, la République a proclamé à cor
et à cri et par la voix de tous les
partis subitement rassemblés que l'arme
de la sottise thermonucléaire garantit
un retard cérébral patriotique qui seul
permet au pays de Descartes de siéger au
Conseil de Sécurité, ce qui lui assure
un poids décisif en Europe; et il a été
redit haut et fort que la croyance
nécessaire en une apocalypse
stupidifiante serait demeurée rien de
moins que l'assurance-vie des Gaulois.
4 - Comment gérer
la crédulité des peuples démocratiques?
Passage par les souterrains
Mais les chefs d'Etat du
monde entier se trouvent
dans la situation
embarrassante d'un pape
dûment informé du statut
fantasmagorique qui
caractérise l'encéphale
simiohumain depuis
l'escapade partielle de cet
organe hors du règne animal:
et jamais aucune époque
n'avait eu à résoudre un
problème politique aussi
vital que celui de la
réfutation des formes
nouvelles des frayeurs
sacrées. On sait que notre
espèce a quasiment cessé de
se faire peur à l'écoute de
ses idoles et qu'il n'était
pas de levier plus puissant
d'une obéissance sacrale des
sociétés à leurs chefs
divinisés que d'armer ces
derniers des foudres
exterminatrices du ciel de
l'endroit, tellement toute
autorité terrestre prenait
appui sur des rois du cosmos
aussi terrifiants que
possible. Mais, encore une
fois, comment un pape initié
aux secrets anthropologiques
de l'imagination religieuse
déciderait-il heure par
heure et au gré des
circonstances de l'usage
judicieux ou contestable
qu'il ferait de la crédulité
native de la créature? Aussi
les chefs d'Etat de l'âge
nucléaire se trouvent-ils en
perdition - les voici livrés
pieds et poings liés à une
dramaturgie politique plus
aporétique encore que celle
d'un pape du XXIe siècle qui
aurait lu Darwin et Freud en
cachette et qui aurait
appris au sortir du
séminaire que l'histoire
biblique de l'espace et du
temps à trois dimensions a
fait naufrage en 1905.
Au
grand jour de l'histoire
Résumons: impossible de saluer bien bas
les verdicts irréfléchis du suffrage
universel, impossible de sa prosterner
devant l'infaillibilité que s'attribuent
désormais les majorités populaires,
impossible de s'agenouiller devant la
souveraineté changeante des nations,
impossible d'entrer en prières devant
l'autorité doctrinale des masses
éclairées par la religion de la Liberté
si, dans le même temps, il vous faudra
cacher aux dévots d'une République du
sens commun que la bombe nucléaire est
inutilisable par nature et par
définition et qu'une mythologie de
l'apocalypse est cependant devenue aussi
utile à la bonne gestion de
l'abêtissement des encéphales que la
théologie créationniste d'autrefois.
Comment sauvegarder le prestige et le
rang de la boîte osseuse de la France du
sens commun cartésien sur la scène
internationale?
5 -
L'anthropologie comparée
Passage
par les souterrains
Une anthropologie fondée sur un
regard de l'extérieur sur une
espèce livrée de naissance aux
simagrées de ses magiciens et de
ses sorciers de l'atome a
pourtant apporté une réponse
appropriée à une énigme
politique tout ensemble
mystérieuse et cousue de fil
blanc. Assurément, une
discipline de ce genre demeurera
sacrilège, parce que, depuis la
parution de l'Evolution des
espèces de Darwin en 1859,
toutes les sciences spécialisées
dans la pesée en laboratoire de
la boîte osseuse des expulsés
bancals du règne animal
demeurent fondées sur des
méthodes d'observation et
d'interprétation de l'évolution
de notre encéphale dont
l'inversion ferait l'effet d'un
coup de tonnerre méthodologique
: depuis cent trente trois ans,
toute l'attention des
observateurs des métamorphoses
de notre squelette et du cubage
en expansion de notre boîte
osseuse n'a cessé de se
focaliser sur les traits qui ont
progressivement séparé à notre
seul et exclusif avantage les
caractéristiques de notre
cervelle de celles du singe
toisonné et quadrumane dont nous
sommes malheureusement issus.
Que se passerait-il si un examen
,certes profanateur, mais
fécond, nous autorisait à nous
demander si le capital
psychogénétique commun aux deux
espèces serait demeuré vivant
dans les souterrains de notre
conscience politique et si cette
propriété en indivision
règnerait encore de nos jours
entre le chimpanzé et ses
descendants; car ceux-ci se
montrent de plus en plus
désemparés par le spectacle de
ce qui arrive à leur os frontal.
Certes, depuis plus de deux
millénaires, les écrivains
visionnaires et les pauvres
philosophes en apprentissage du
génie de leur plume se sont
exercés à conquérir une
distanciation de plus en plus
suréminente à l'égard de
l'encéphale du chimpanzé - mais
d'Homère à Sophocle, de
Cervantès à Kafka, de Dante à
Voltaire, de Platon à Freud,
aucun champion de nos reculs
cérébraux successifs n'est
parvenu à protéger du regard
d'un observatoire ultérieur sa
distanciation momentanément
triomphale à l'égard de notre
boîte osseuse tombée en panne à
Lilliput.
Quoi de plus traumatisant,
n'est-il pas vrai, qu'une
science historique devenue
inconsolable, parce que fondée
sur une pesée fiable de
l'encéphale d'un animal dont
nous serions demeurés
tributaires, quoi de plus
effrayant qu'une espèce capable
d'ouvrir à une Clio prospective
un champ de défrichage et de
décryptage au détriment de nos
neurones actuels, quoi de plus
blessant que de conquérir un
regard de l'extérieur sur la
bestialité spécifique de notre
politique!
Il y faudra une plateforme
d'observation capable de filmer
les exercices auxquels la pensée
rationnelle encore titubante de
nos ancêtres se livrait et qui
leur permettait de franchir
quelques pas insultants en
direction d'une connaissance
moins animale de leur propre
animalité. Mais cédons avec
courage à la tentation mortelle
d'opposer des coordonnées
simianthropologiques dangereuses
à celles d'une scientificité du
récit historique
précautionneusement construite
intra
muros
depuis Thucydide. Toute
anthropologie comparée de notre
cervelle et de celle du
chimpanzé exigera une méthode
d'analyse et de clouage au
pilori de nos neurones
d'autrefois qui rejettera la
psychobiologie construite sur la
demi- distanciation scientifique
propre à l'Occident copernicien
et galiléen. Mais afin d'éviter
de produire seulement un
document anthropologique aussi
infirme que les précédents,
commençons par disqualifier à
son tour une lecture seulement
inversée de l'évolutionnisme
naïvement "ascensionnel".
6 - A cheval
entre le réel et le songe
Au
grand jour de l'histoire
J'en
prendrai un premier exemple. Si vous
situez platement dans la postérité
anthropologique traditionnelle de Darwin
une histoire psycho-cérébrale des
rencontres entre l'Iran et le quintette
des cinq Goliath susdits - les
Etats-Unis, l'Angleterre, la France, la
Russie, la Chine - si vous vous
contentez, dis-je, d'observer les
non-dits, les dérobades, les silences
embarrassés, les déclarations masquées
ou tonitruantes et les criailleries des
participants détoisonnés, vous vous
apercevrez qu'il ne serait pas pertinent
de projeter systématiquement sur des
chamailleries gesticulantes de ce genre
une évidence diplomatique bien connue et
banale à souhait - à savoir que les
négociateurs massifs et muets sont bien
décidés à imposer leur carrure à un plus
petit qu'eux-mêmes. Mais s'ils ne
présentent aucun raisonnement à l'appui
de la crue volonté de régner
qu'affichent leur ossature et leur
musculature, il conviendra de ne pas
vous laisser égarer par une psychanalyse
superficielle des stratégies
semi-animales.
Observez
plutôt - mais avec la plus grande
attention - comment le simiohumain
surajoute subrepticement sa tiare à
l'animal laissé à sa nudité afin de
manifester en douce et honteusement la
puissance spécifique de la bête devenue
imperceptiblement raisonneuse et
vocalisée. Que signifie la timidité
cachée de l'affichage de la force des
démocraties, que signifient les
dérobades feutrées ou tapageusement
surarmées de la religion de la Liberté?
Le masque simiohumain tente d'escamoter
à la fois sa spécificité animale et
l'impossibilité psychogénétique dont il
souffre de faire disparaître entièrement
le spectacle taraudant d'une dimension
transanimale encore en herbe et demeurée
tâtonnante.
Passage
par les souterrains
Remarquez ensuite, avec M. de la
Palice, l'évidence que le
simiohumain n'est ni simien, ni
humain. La connivence à
décrypter entre les deux
espèces, l'une achevée dans son
ordre, l'autre inachevable par
nature, les fait jouer à
cache-cache entre l'homme
virtuel et la bête; et ce jeu-là
se place crûment au fondement
même d'une simianthropologie
potentiellement ambitieuse
d'observer comment l'animal
demeuré un animal et ses
successeurs relativement
dégrossis négocient en sous-main
les atouts matamoresques dont
ils se targuent les uns et les
autres. Car les détenteurs de la
foudre de Zeus se trouvent
empêchés de présenter leur
autorité guerrière à visage
découvert. L'éthique
embryonnaire de leur Olympe
intérieur les tourmente au point
de leur interdire la pleine et
libre expression de leurs
exigences seulement musculaires
face à la montagne magique de
l'humain qui commence de les
habiter quelque peu. Qu'est-ce
qui les tient par la bride face
à une victime sans défense,
alors qu'un claquement des
doigts suffirait à mettre fin à
la représentation?
Au grand
jour de l'histoire
Deux faux-semblants de la civilisation
spécialisée dans la mise en scène de son
angélisme politique voudraient se
soustraire au regard semi éthique et
semi animal sur le monde qui les
dichotomise de conserve: d'un côté,
l'Occident théâtralisé par son mythe de
la Liberté tente ouvertement d'asphyxier
physiquement la Perse. Pour cela, il
décide de frapper de plein fouet les
exportations de pétrole de ce pays, puis
de geler vertueusement ses avoirs en
banque, puis d'exercer de saintes
mesures de rétorsion à l'encontre des
Etats demeurés indociles à collaborer
avec la volonté des cinq Jupiter de la
démocratie d'étrangler leur proie en
silence.
Passage par les souterrains
On voit l'embarras théologique
dont souffrent des justiciers de
type simiohumain : une partie de
la planète de l'orthodoxie
refuse tout net de placer l'Iran
sous le joug de la force, même
masquée en séraphins de la
liberté démocratique. De plus,
la menace américaine de passer
sans crier gare de la
négociation apparente à la
guerre déclarée se heurte à
l'opposition doctrinale de la
Russie et de la Chine. Mais
l'autre faux-semblant
confessionnel commence de
dresser l'oreille: que se
passerait-il si l'arme atomique
se révélait décidément plus
imaginaire encore que celle de
l'excommunication majeure de
Grégoire VII contre Henri IV
d'Allemagne en 1077?
7 - Comment
catéchiser la civilisation de la
Liberté?
Au grand
jour de l'histoire
Les
"conflits de devoirs" au sein des
relations difficiles que le sacré
entretient avec la science médicale et
la politique avec la raison - les
théologiens romains se demandent,
aujourd'hui encore, s'il est plus pieux
de tuer la mère ou l'embryon dans les
accouchements où le bistouri du
chirurgien est condamné à choisir
froidement sa victime - ce type de
conflits entre deux assassinats, dis-je,
engendre désormais une classe dirigeante
de thérapeutes paniqués par le suicide
imaginaire des nations. Quel est le
degré de folie de l'humanité s'il est
démontré qu'un Dachau souterrain est
rien de moins que la pièce maîtresse de
la théologie commune aux trois
monothéismes? Mais, dans le même temps,
l'heure a sonné de l'impossibilité, pour
le genre simiohumain, de peser
sérieusement son âme et sa cervelle sans
en appeler à une connaissance
anthropologique des antécédents
religieux et guerriers confondus de tous
les évadés de la zoologie.
D'un côté, la sainteté, la charité et la
perfection chirurgicales supposées du
créateur des vermisseaux du cosmos que
nous sommes demeurés font encore bon
ménage dans toutes les têtes pécheresses
avec l'exterminateur vertueux de ses
créatures. Or, ce modèle de chef et de
sceptre trouve sa réplique la plus
fidèle dans le culte que les peuples
démocratiques rendent aux hommes d'Etat
bien décidés, disent-ils, à rayer au
besoin leur pays de la carte et dont la
carrure imposante exige qu'ils adoptent
en public une gestuelle copiée sur celle
du bloc opératoire où le génocidaire du
Déluge planifiait une apocalypse
pluvieuse. On en voulait à M. Giscard
d'Estaing de paraître dubitatif au
chapitre d'une immolation collective de
ce calibre, on admirait le Général de
Gaulle pour sa virilité sacrificielle,
on saluait en Fidel Castro un théologien
de son île héroïquement vaporisée dans
les plus hautes régions de l'atmosphère.
Aussi seul le sang-froid des réalistes
de la politique exterminatrice des
modernes permet-il de situer la question
sur son terrain véritable, celui de la
double absurdité de retirer son
honorabilité militaire à la folie
atomique et de s'imaginer que la
crédibilité d'une apocalypse vantarde
sera durable au sein d'un polythéisme
nucléaire.
8 - Les truquages
de la mort
Passage
par les souterrains
Analysons l'épouvante feinte du
genre simiohumain et ses
exorcismes fictifs de magiciens
de la mort - et pour cela,
appelons-en à une connaissance
rationnelle des ensorcellements
religieux des évadés de la
zoologie. Car le double jeu
d'une lucidité savamment truquée
n'est pas un inconnu de
l'atelier des contrefaçons
auxquelles nos sciences humaines
s'exercent dans nos écoles
publiques. Tous les éducateurs
ès simulacres savent que les
pédagogies patriotiques jugées
utiles ou nécessaires à la
survie d'une espèce tombée en
panne de son évolution sont
demeurées empreintes de gravité
et de toutes les apparences de
la sagesse. L'instruction laïque
fait encore un aussi large usage
des défaussements religieux que
la croyance.
Quand, en 2006, Benoit XVI
prêche à la Sixtine, primo, que
Jésus-Christ se serait rendu en
majesté à la rencontre de la
charpente impérissable de Jean
Paul II, secundo, que le fils de
Dieu aurait tenu à saluer
solennellement l' arrivée de
l'ossature d'un si grand pape au
royaume de l'immortalité de ses
organes, tertio, que sa sainte
mère, elle aussi, aurait décidé
d'accompagner en personne sa
progéniture jusqu'au seuil du
ciel des foies et des estomacs,
on découvre que le haut clergé
catholique a su rôder des
siècles durant un langage ajusté
au cerveau, aux poumons et aux
entrailles des petits enfants.
Mais si les chefs d'Etats des
démocraties infantilisées sur le
modèle de la terreur nucléaire
se trouvaient contraints de
faire à leur tour
l'apprentissage catéchétique
d'une piété aussi puérile que
celle de l'Eglise catholique des
origines à nos jours, les
embûches que rencontrera une
initiation si tardive aux piétés
vocales proclamées en 1789 , une
telle initiation, dis-je, à la
théologie des idéalités
républicaines se changera
rapidement en un casse-tête
d'une toute autre construction
que celle des évangélisateurs
cautionnés par une divinité.
Outre les tourments dont la
"conscience démocratique"
évoquée ci-dessus se trouvera
accablée, jamais l'éthique
frétillante de la Liberté ne se
rendra aussi élastique que les
casuistiques moelleuses de la
piété.
Au grand
jour de l'histoire
Imaginons un instant les souffrances de
la raison défaussée des prêtres de la
démocratie idéalisée. Les peuples ont
bel et bien été messianisés à l'école du
salut républicain. A ce titre, ils se
voient livrés à leur tour à un "Dieu de
justice" censé s'accommoder de leur
liberté. Mais le coût exorbitant d'une
excommunication atomique dûment copiée
sur les devoirs sotériologiques du
peuple souverain ne demeurera pas
impunément et aussi longtemps phonétisé
que la théologie de Grégoire VII, parce
que personne n'est allé constater que
les damnés de l'époque étaient arrivés
en masse sous la terre, alors que
l'auto-foudroiement atomique plongera
les accoucheurs des âmes et des méninges
des démocraties eschatologisées par le
mythe de la Liberté dans un chaos
cérébral sans remède. Du recours
précipité à un vocabulaire du salut de
type nucléaire, il résulterait que la
conscience politique pointilleuse des
chefs d'Etat rédempteurs de notre temps
souffrirait des remords sans rémission
de la démocratie outragée. Comment se
confondre en dévotions dans le temple
d'une civilisation vertueusement placée
sous le sceptre du suffrage universel si
les organisateurs de l'infaillibilité
des verdicts des peuples souverains se
voient précipités à leur tour dans la
géhenne de se contredire au chapitre de
l'auto-pulvérisation héroïque de
l'humanité?
9 - Une
apocalypse polythéiste
Passage
par les souterrains
Souvenez-vous des atouts de la
foudre divine du XIe siècle:
elle a bel et bien conduit à
Canossa l'empereur des Germains,
et ce malheureux s'est vu réduit
à faire pendouiller au bout
d'une corde non seulement un
grand nombre de capitaines
terrorisés de se trouver
précipités dans les ténèbres
éternelles d'un simple trait de
plume du Saint Père, mais à y
ajouter un quarteron d'officiers
supérieurs décidément trop
stupides pour ne pas tomber dans
le piège. Les gibets de la
sottise terrestre rivalisent en
efficacité avec la simplesse des
cuissons infernales.
Un millénaire plus tard, la
crédibilité de la potence
nucléaire soulève la question,
anthropologique à souhait, de
savoir si, de notre temps
encore, une arme aussi magique
que celle du Moyen Age, mais
plus matamoresque que la
précédente, va se rendre
héroïquement crédible, donc
durablement efficace ou si une
révolution philosophique à
l'échelle mondiale en résultera,
ce qui entraînera un
bouleversement de la
problématique et de la
méthodologie des sciences
humaines.
Car, depuis la plus haute
antiquité, trois
psychophysiologies bien
distinctes commandent le vaste
territoire de la philosophie
simiohumaine. La première
ordonne à cette discipline de
demeurer entièrement couchée
devant un souverain tellement
puissant et dont l'omnipotence
se voulait à ce point solitaire
qu'il n'existait pas encore de
sceptre de la pensée
rationnelle. Une seule tiare
chapeautait le cosmos, une seule
voix s'élevait dans le silence
de l'immensité, un seul penseur
enseignait sa foudre et son
omniscience à la masse
tremblante de ses créatures. On
n'apprenait qu'à réciter, on
n'écrivait que sous la dictée,
nul ne songeait à cogiter motu
proprio.
La
seconde complexion des candidats
à l'autonomie de leur réflexion
installait les néophytes dans un
fauteuil suspendu entre le ciel
et la terre et leur accordait le
rang de négociateurs et de
médiateurs entre le joug du
potentat suprême et la houe de
la créature. Mais bientôt les
diplomates du ciel et de la
glèbe se sont changés les uns en
fideicommis
des nues, les autres en
plénipotentiaires de leur
poussière et de leurs terroirs,
et toute la construction
cérébrale déhanchée de la sorte
courait à la ruine, parce que ni
les pouvoirs d'une divinité
resplendissante de tous ses
feux, ni la pompe, les ors et
les lumières des cours royales
ne parvenaient à signer un
accord satisfaisant entre deux
monarchies rivales l'une de
l'autre.
Le troisième type de mise à
l'essai des relations de
l'encéphale de l'humanité avec
ses interlocuteurs et ses
contractants accouchait de
fantassins fiers de se tenir
debout, mais raidis dans leurs
uniformes et fort embarrassés
par la brièveté de leur taille.
Aussi ces soldats détachés en
avant-garde et privés de
capitaines se promenaient-ils
seulement en long et en large
dans leurs campements de
fortune, ne sachant ni vers quel
horizon, ni à quelle hauteur il
leur était demandé de porter
leurs regards.
Enfin la bombe enfanta une
quatrième couvée de philosophes,
la prométhéenne, qui apprirent à
inspecter tantôt les ateliers
des dieux, tantôt les outils des
insectes grouillants sur la
terre. Livrés au double péril de
se brûler au feu d'en-haut et de
se faire dévorer le foie par les
vautours d'en-bas, ces héros
furent les premiers buveurs d'un
nectar qu'ils baptisèrent le
pharmacon,
d'un mot grec qui signifie à la
fois le poison et le remède; et
depuis lors on appelle
philosophes les aventuriers de
la raison empoisonnée et qui
boivent cette ciguë guérisseuse
et cette ambroisie dans une
culasse bourrée d'explosifs.
Aux dernières nouvelles,
Prométhée a découvert que les
dieux ne sont jamais que des
hommes un peu plus blasonnés et
que, pour apprendre à se
connaître soi-même, il faut
autopsier le petit pois qui sert
de cervelle aux écusionnés du
ciel. Puis les voleurs du feu de
Zeus apprirent à inspecter la
carcasse des géants d'acier sur
lesquels le feu du ciel s'est
allumé, et ils ont mis au jour
le cadavre d'un tueur suprême,
que Pascal appelait le "boucher
obscur" et nous, sa majesté
l'atome.
10 -
Les jeux de la peur avec la mort
Au
grand jour de l'histoire
Au premier abord, la crédibilité
politique d'un mythe religieux semble
supérieure à celle de la bombe
thermonucléaire, parce que l'imagination
collective qu'alimentent l'épouvante
sacrée d'un côté et, de l'autre, la
vénération pour un bourreau mythique, ne
s'usent que sous la meule patiente des
siècles. De plus, les rares progrès
cérébraux de l'humanité demeurent
limités et toujours locaux en raison
même de leur nature, qui les condamne de
génération en génération à combattre non
pas tellement les droits de la raison,
mais ceux de la peur - et cet ennemi se
révèle bien plus invincible que la
sottise: "Nous ne sommes pas là par
hasard", me disait un médecin pris de
panique. Mais si, dans les religions,
l'effroi triomphe de tous les
raisonnements, il est beaucoup plus
difficile en revanche, de perpétuer
sottement sur la terre la fiabilité
d'une apocalypse toute mécanique, parce
qu'il s'agit d'une démence tangible, si
je puis dire, donc réfutable à l'écoute
des arguments du plus simple bon sens -
un délire qui a perdu le soutien du
fantastique et du sacré confondus ne
résiste pas longtemps à la démonstration
de son absurdité intrinsèque.
Certes,
si un Etat moderne disposait du monopole
de la guillotine atomique il s'amuserait
un instant à jouer au bourreau de
l'univers et à faire trembler les
troupeaux de ses brebis. Un génocidaire
isolé et qui s'auto-légitimerait à
l'écoute de la sainteté de la démocratie
mondiale mimerait sans doute l'exploit
d'un Créateur pris d'une rage
météorologique dans le silence de
l'immensité. Mais quand huit décapiteurs
furieux se disputent l'étoffe d'une
éternité déjà rapiécée et déchirée en
huit lambeaux et si le sang des pécheurs
ne fait plus un seul torrent, dormez sur
les deux oreilles, mes chers frères,
parce qu'une apocalypse de type
polythéiste ne sera jamais qu'un hochet
politique.
Le 21
juillet vous observerez le jeu ridicule
des fossoyeurs de leur propre sépulcre.
Ces ouailles de Lucifer se verront
réduites à brandir leur forfanterie; et
nous verrons des bribes de l'encéphale
des toisonnés d'hier et des détoisonnés
d'aujourd'hui se mélanger, se
superposer, s'embarrasser réciproquement
et tenter de se sauver la face les uns
aux autres, tellement la légitimation de
la force réduite à elle-même
embarrassait déjà les neurones de
certains quadrupèdes, tel le loup, qui
accorde la vie au vaincu qui lui tend sa
gorge.
Le 14 juillet 2012
Reçu de l'auteur pour
publication
Les textes de Manuel de Diéguez
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