Opinion
Il était une fois
... 1789 (2)
La souveraineté des peuples et la
Bastille des Etats
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Dimanche
9 octobre 2011
RAPPEL
1- L'Histoire,
cette coquette
Tout au long d'un
ahanement antérieur de mes modestes
méninges, j'ai tenté de rendre
prospectif un certain rétroviseur
découvert dans notre caverne originelle
et que ses découvreurs ont baptisé l'australopithecus
Sediba.
Quand la politique est appelée à se
regarder dans le miroir parlant qu'on
appelle un fossile, quand un crâne vieux
de cent mille générations se révèle un
réflecteur dans lequel une vieille
coquette, qu'on appelle l'histoire,
contemple ses charmes toujours
changeants et à jamais mémorables, ce
théâtre nous convie à placer notre
époque sous les griffes et les crocs des
millénaires.
2 - Les
verrouillages du crâne simio-humain
Mais, dans le
même temps, je suggérais au lecteur
supposé bienveillant de se fabriquer une
clé exclusivement conçue pour forcer la
serrure que les paléo anthropologues ont
baptisée une
conque osseuse,
et j'insinuais que le secret du
verrouillage de notre crâne n'est pas
aussi difficile à percer qu'on le croit.
Car, me disais-je, on fera
immanquablement sauter le cadenas si
l'on y décèle un défaut de fabrication
constant et universellement répété. Or,
les ingénieurs de nos cerveaux sont des
logiciens distraits. Sans cesse les
vices cachés de leurs constructions
grippent leurs serrures et les livrent à
la rouille. Aussi recommandais-je aux
artisans de Clio de ne quitter l'établi
qu'après un long examen des pièces,
rouages et ressorts de leurs moteurs du
temps.
3 - Les
ingénieurs des cerveaux et les maladies
de l'Histoire
Bien plus: je
signalais à leur attention que les
diagnostics des maladies de l'histoire
renvoient tous à des maladresses dans la
conception même des serrures. Comment ne
pas remarquer que l'on ne saurait à la
fois décoder les significations que
revêt l'évolution de notre os frontal et
supposer que les aventures de notre
squelette courant par monts et par vaux
auraient pris fin sous Périclès, ce qui
nous interdirait d'observer les
modifications de notre cervelle dont
notre histoire et notre politique
témoignent siècle après siècle. Or,
l'espèce de logique bancale dont nous
faisons usage aujourd'hui nous rend si
branlants et si cahotants que notre
cheminement aux côtés de Chronos nous
renvoie au fabuliste du
pot de terre
et du pot
de fer.
Aussi le
monde entier court-il à toutes jambes, à
tombeau ouvert, à bride abattue ou à
fond de train en direction d'un abîme
dont la profondeur glace d'effroi les
cochers. Les contrefaçons de la logique
la plus élémentaire auxquelles
s'exercent les serruriers de notre
histoire nous crèvent à tous les yeux :
on ne conduit pas la planète des songes
à un train d'enfer, on ne transporte pas
un vieux peuples et ses pesantes
écritures sur le territoire d'une autre
divinité, on n'engage pas les bataillons
serrés de la terre et du ciel dans une
guerre à mort entre les dieux, les
langues et les voix.
4 - Le pot de
terre de la démocratie
Et maintenant l'australopithecus
Sediba se
balance entre deux branches, et
maintenant nos ancêtres et nous-mêmes
courons tout droit vers un abîme dans
lequel nous ne savons à quelle heure
nous y tomberons. Et le pot de terre ne
cesse de se dire: "Jamais je ne casserai
le verdict de fer du tribunal de 1947,
qui a fait dévaler sur les labours et
les champs des habitants de la Palestine
une nation dispersée depuis deux mille
ans, et jamais je n'arrêterai l'autre
pot de fer, celui dont la logique non
moins invincible lève deux armées
immenses et invincibles, celle des
démocraties porteuses du droit et de la
justice et celle de leur nouvel allié,
le printemps arabe, qui font franchir à
gué le fleuve des siècle au monde
musulman tout entier. Comment des
centaines de millions de disciples
d'Allah laisseraient-ils écraser leurs
frères d'armes sans broncher?"
5 - Les
paléo-anthropologues prospectifs
C'est le
moment de faire débarquer dans la
géopolitique et dans la science
historique la réflexion des
paléo-anthropologues prospectifs, ces
peseurs de l'encéphale des évadés
actuels de la zoologie. Car l'impasse
mondiale dans laquelle la condition
simiohumaine se trouve engagée est
devenue de nature exclusivement
psychobiologique, et cela du seul fait
que l'exutoire suicidaire de la guerre
s'est changé en goulot d'étranglement ou
en garrot : les auto-exterminations
partielles d'autrefois ne sont plus de
mise quand une espèce animale s'empêtre
dans ses foudres. Le combat contre la
folie de 1947 exigerait le recours aux
armes classiques, mais le jouet de
l'apocalypse est tombé entre les mains
expertes d'Israël, ce qui exclut toute
"solution" du conflit sur un champ de
bataille.
6 - Le retour à
La Fontaine
La nature a
enfanté une bête semi cérébrale et
astucieusement volubile. A ce titre,
elle a donc appris qu'elle ne triomphera
plus de ses congénères à user d'une
musculature dérisoire, parce que ses
ossatures ne sont plus des outils à la
hauteur du véritable squelette qui
inspire sa politique Du coup, cette bête
se voit conviée à demander à son aurige,
l'évolution de son espèce, de lui faire
subir une mutation de sa boîte
crânienne: il me faut trouver, se
dit-elle des moyens de faire sauter la
serrure de mes siècles ; et elle se
trouve conviée soit à jeter à la
poubelle les valeurs communes aux
mythologies sacrées et aux démocraties
des "droits de l'homme", comme on dit,
soit à faire germer des élites d'un type
nouveau au sein des classes dirigeantes
corrompues et vieillies d'aujourd'hui;
car seule une armature cérébrale d'un
type nouveau mettra en place un ordre
mondial plus équitable que le précédent.
Alors le pot de terre se cherche des
alliés; sinon, se dit-il, je vole en
éclats . "Ne
nous associons qu'à nos égaux",
nous dit notre éminent conseiller
politique du XVIIe siècle, le bon La
Fontaine.
7 - Le hiatus
Le vide politique
auquel la planète actuelle se trouve
livrée illustre cette difficulté à la
fois souterraine et visible au grand
jour. Exemple : M. Mahmoud Abbas a
présenté le peuple palestinien en
plaignant dans l'arène du monde. Israël
lui a aussitôt répondu par
l'implantation à Jérusalem Est de onze
centaines de nouveaux domiciles à
l'usage exclusif des juifs et par la
poursuite insolente de la conquête
coloniale de la Cisjordanie.
Du coup M.
Barack Obama et Mme Ashton ont exprimé
de vagues "regrets"; et , dès le
lendemain, la Maison Blanche a demandé
aux "humiliés et offensés" comme dit
Dostoïevski, d'engager une fois de plus
des négociations fictives avec un
cambrioleur à nouveau et fort
expressément autorisé par une communauté
internationale moralement disqualifiée à
poursuivre ses effractions d'une main
ferme. Un hiatus de cette taille entre,
d'un côté, une classe dirigeante
définitivement hors jeu dans l'ordre de
l'éthique comme dans celui de la
politique et, de l'autre, une classe
ascendante encore en gésine dans le
monde musulman et sur tout le globe
terrestre, un tel hiatus, dis-je,
illustre une transition psychobiologique
entre une humanité semi animale et une
humanité un peu plus civilisée.
J'ai exposé les
25 septembre et 2 octobre les obstacles
que rencontre ce voyage. Il importe
maintenant de préciser les contours
psychiques et cérébraux de la classe
politique mondiale de demain, ce qui
nous reconduira à la pesée
anthropologique précédente, qui portait
sur la nature et le contenu du mythe de
la souveraineté des peuples.
8 -
Le meurtre
originel et la démocratie
Le droit des peuples de renverser leur
Etat de leurs propres mains se situe au
fondement de la philosophie du bien
public que la Révolution française a
inaugurée. Pourquoi Saint Just et
Robespierre ont-ils jugé que la
légitimité politique d'une nation de
citoyens instruits et devenus pensants à
l'école des philosophes
anti-théocratique du siècle précédent
passerait inévitablement par la conquête
de la cohérence cérébrale propre à tout
gouvernement terrestre, donc par
l'accession de leurs élites au statut et
au rang d'une nation de logiciens
rigoureux? Pourquoi ont-ils jugé
nécessaire l'anéantissement préalable de
la légitimation théologique antérieure
du pouvoir, celle qui se fondait sur le
ficellement indéfectible de la royauté à
une cosmologie mythique?
C'est qu'un droit international
consolidé par un créateur onirique et
qui donnerait néanmoins à des élites
prétendument libérées de la fable sacrée
une assise mentale à l'écart du ciel
fonderait des Etats dichotomisés et
indignes de la dignité intellectuelle
nouvelle dont ils se réclameraient du
bout des lèvres seulement. Car une
politique qui reposerait, le sachant et
le voulant, sur la honte de présenter
humblement à l'idole de l'endroit le
tribut d'un congénère profitablement
trucidé sur ses autels, une telle
politique saurait qu'une démocratie
fondée sur ce genre de profit se
donnerait pour assiette et pour modèle
un monde divinisé à l'école de son
propre déshonneur, tant moral que
cérébral - le déshonneur de présenter
l'offrande du corps ensanglanté d'un
congénère sur l'offertoire des
sacrifices rémunérés dont les siècles
primitifs nous ont laissé l'héritage.
Puisque jamais une démocratie
auto-glorifiée par la sainte médiation
d'un assassinat cultuel ne deviendra
réellement pensante, et puisque seul un
suffrage universel légitimé par une
raison à la fois lucide et civilisatrice
se donnera le sceptre et l' auréole du
respect des droits dont l'esprit
critique revendique depuis vingt-cinq
siècles la couronne, il en résultera
qu'une raison frappée de l'incapacité de
peser les neurones du genre simiohumain
sur la balance des rescapés de la
zoologie demeurera à jamais impuissante
à arracher un jour la démocratie des
mains des exorcistes et des magiciens.
9 - Un précurseur
de l'autopsie des idoles
On me
dira que les théoriciens de la
Révolution française ne disposaient pas
encore d'une connaissance
anthropologique, psychanalytique,
historique et généalogique des
sacrifices et des ressorts politiques
des idoles; on me dira que Robespierre
était demeuré à la seule école de
Voltaire, le premier ridiculisateur des
dieux, selon lequel les hommes étaient
censés avoir déformé un "vrai Dieu" et
l'avaient sottement peint en personnage
jaloux, avide, vengeur et cruel, mais
toujours exclusivement à leur propre
image. Et pourtant les philosophes de
1789 étaient déjà de bien plus profonds
peseurs du sacré que les Robespierre et
les Saint Just. Ils savaient, eux, qu'au
XVIIe siècle déjà, un La Fontaine était
allé tout droit à une autre profondeur
de l'analyse - à savoir, que les idoles
ne sont riches que des trésors dont on
les a remplies:
"
A la fin se fâchant de n'en
obtenir rien,
Il vous prend un levier, met en
pièces l'idole,
Le trouve rempli d'or."
Le païen et l'idole de bois.
(Au XVIIe siècle, le masculin était
bien souvent une licence poétique
nécessaire pour que l'hémistiche eût
six pieds)
De
plus, dans la fable L'âne et les
reliques, comment se fait-il
qu'au siècle de Bossuet, le fabuliste
traite d'idole le dieu des chrétiens
dont Maître Aliboron porte les saintes
reliques?
Un baudet chargé de reliques
S'imagina qu'on l'adorait (...)
Ce n'est pas vous,
C'est l'idole à qui cet honneur se
rend.
Comment une volonté
populaire demeurée bipolaire, mais que
mondialiserait une raison d'avant-garde
légitimerait-elle l'autorité schizoïde
qu'exerçait sur les encéphales de 1789
un suffrage universel demeuré ignorant
et dont les prêtres bifides d'un Dieu
sacrificateur tenaient les rênes en
coulisses?
10 - Une
nouvelle fusée mentale
Deux siècles après la prise de la
Bastille, la planète des boîtes osseuses
de la démocratie a pris un nouvel élan
cérébral, parce que notre civilisation
est appelée à honorer le rendez-vous
philosophique qu'elle a pris à partir du
XVIIIe siècle avec la logique interne
qui commande un "esprit de raison"
nouveau, celui qui sous-tendait encore
des principes démocratiques abusivement
scolarisés et demeurés superficiels.
Mais la vocation cérébrale en germe qui
commande désormais nos méninges occupe
secrètement le champ entier de la
géopolitique. Cette raison-là se demande
si le pot de terre de l'intelligence
trouvera son moteur nouveau dans une
Renaissance arabe demeurée virtuelle,
mais qui déplacera rapidement le centre
de gravité actuellement régnant entre
les trois grands empires mondiaux de
notre temps, l'Amérique, l'Europe et
l'Asie. Je crois que l'univers musulman,
deviendra bien plus tôt qu'on ne pense
la fusée mentale dont le troisième étage
ne sera autre que l'initiation
progressive, donc lente, des peuples
semi intellectualisés du monde entier à
une connaissance lucide des véritables
fondements anthropologiques de la
politique et de l'histoire.
11 - Le quintette
des souverains du "Bien"
Depuis 1945, elle ne règne qu'en
sous-main, la souveraineté de type théo-régalien
que les démocraties partiellement
laïcisées ont centralisée au profit d'un
inconscient religieux seulement grippé,
mais non terrassé. A ce titre, ce type
d'hégémonie s'exerce au bénéfice de cinq
grandes nations tenues pour séraphiques
à l'école de leur catéchèse officielle,
les Etats-Unis d'Amérique, la Russie, la
Chine, la France et l'Angleterre, donc
au nom des vainqueurs de la guerre de
1939 à 1945. Mais on n'a jamais vu un
quintette de souverains du "Bien"
auréolés de l'éthique dominante du monde
se partager le trophée d'une suprématie
de type angélique. La victoire
"spirituelle" de la "Liberté
démocratique" a conduit les Etats-Unis à
exercer le pouvoir sans partage de
rejeter dans les limbes toute initiative
politique que l'ensemble des peuples de
la terre prétendrait soustraire à
l'autorité morale solitaire d'un
pédagogue privilégié du rêve d'un
"salut" des modernes.
Il a donc fallu attendre que la France
osât menacer le monopole de la
rédemption démocratique qu'exerçait la
nouvelle Rome - notre pays n'a fait
usage qu'en 2003 de son droit de veto au
Conseil de Sécurité des Nations Unies.
Comment ne pas s'opposer, seule au
besoin, à la volonté ruineuse de
"l'éducateur du globe terrestre"
d'envahir l'Irak et de s'emparer
iréniquement, il va sans dire, de ses
gigantesques réserves de pétrole sous
les prétextes généreux allégués de tous
temps par les empires ? La sainteté
politique n'est pas une invention
chrétienne: la démocratie athénienne
brandissait déjà son messianisme de la
Liberté face à Lacédémone la guerrière
et, dans la bouche de Périclès, la ville
de Pallas était la "pédagogue de toutes
les cités".
Naturellement, c'est sur le modèle le
plus expéditif de la religion
démocratique moderne que Washington a
rejeté avec colère l' hérésie française;
il lui a suffi de passer outre aux
visées doctrinales d'un comparse gaulois
ambitieux de se montrer quelquefois
incommode, mais d'un poids politique qui
ne méritait pas d'égards particuliers.
Tout cela demeurait conforme à un
exercice orthodoxe de la souveraineté de
type régalien et chrétien établie par le
traité de 1648. Puis la Russie et la
Chine ont tenté à leur tour, mais
timidement et seulement dans les marges
de la dogmatique démocratique, d'user,
eux aussi, du droit de veto attaché à
titre tout formel aux souverains
négligeables des quatre Versailles
subordonnés depuis six décennies à celui
du Louis XIV des damnations
d'aujourd'hui.
12 - Le naufrage
du mythe atomique et le nucléaire
biblique d'Israël
D'un côté, la guerre atomique a
nécessairement perdu toute crédibilité
militaire, puisque, d'un côté, elle
pulvérise sur la terre et volatilise
dans les airs le vocabulaire dont
usaient les conflits armés depuis
Homère, notamment la notion
antédiluvienne de "champ de bataille";
de l'autre, on voit une démocratie fière
de s'appuyer sur l'opinion mondiale,
mais demeurée embryonnaire, se dresser
non point face aux cinq membres du
Conseil de Sécurité, mais du seul trône
des Etats-Unis, et cela nullement pour
le motif que cet empire domine
effectivement le monde depuis 1945, mais
parce que l'Amérique a quitté les plus
hautes régions de l'atmosphère pour
tomber entre les lourdes mains d'Israël,
qui use, en fait, de l'omnipotence
biblique de ses battoirs pour interdire
toute légitimation de sa poussière qu'
un Etat palestinien viendrait à
ambitionner. Ces prémisses étant posées,
voyons s'il devient possible d'observer
de près les pesanteurs simio-anthropologico-théologiques
du sacré qui pilotent les formes
religieuses actuelles de la politique.
13 - Le biblisme
démocratique
J'observais plus
haut (voir -
Il était une fois
... 1789 (1) - La souveraineté des
peuples et la Bastille des Etats,
2 octobre 2011 )
qu'en
1654 Louis XIV, alors âgé de seize ans,
montait sur un trône garanti par la
souveraineté d'un Dieu belliciste par
nature, puisque non seulement le roi se
trouvait légitimé d'avance de se livrer
aux guerres de son choix pour la gloire
du royaume du ciel qui dédoublait le
sien, mais autorisé, de surcroît, à
valider toute guerre au profit d'une
monarchie spécularisée par son assise
dans le droit divin. Quand une théologie
gémellise une pratique politique et
reproduit dans le ciel la grandeur des
trônes attachés à la glèbe de notre
astéroïde, elle dépose sur la tête des
rois la couronne sanglante d'une
légitimité pieusement liée à une
cosmologie biblique. La reduplication du
pouvoir dans le sacré renforce encore le
tribut des dévotions sacrificielles: on
proclame que toute autorité terrestre
procède nécessairement des autels du
Dieu des immolations - omnis
auctoritas a Deo.
Du coup, la
connaissance rationnelle des sources
anthropologiques d'une mythologie des
sacrifices héritée du XVIIe siècle et
l'analyse des causes de la pérennisation
des offrandes au cœur d'une démocratie
mondiale désacerdotalisée en apparence,
soulèvent de conserve la question de
savoir si les progrès dans le
déchiffrage et le décryptage de
l'inconscient qui pilote les offertoires
et qui commande la politique des
propitiatoires des peuples et des
nations, si ce décodage, dis-je, peut
conduire à une démythification
argumentée des fruits, religieux et
théologiques à leur tour que sécrètent
maintenant les autels du mythe de la
Liberté. Car celui-ci se trouve en voie
d'enfantement de son biblisme verbal.
14 - La
démocratie du concept-roi et
l'incarnation du mythe de la Liberté
La structure politique des dynasties de
droit divin se trouvait dûment flanquée
d'un Christ expressément délégué à
l'incarnation du ciel dans un temporel
livré aux sacrifices de l'autel. L'Etat
chrétien se voyait donc dûment légitimé
sur la scène internationale par un
fidéicommis du corps sacral du roi. Le
pédigrée doctrinal des Etats
bénéficiaires d'une révélation de ce
modèle les faisait bénéficier en retour
d'une substantification assurée de la
foi, laquelle les chosifiait d'en haut
et à coup sûr. Leur concrétisation
théologique était nécessairement de
nature à rendre le roi physiquement
accessible à ses sujets: l'Etat
christifié figurait le médiateur à la
fois charnel et transcendantal chargé
d'y veiller. Mais il se trouve qu'une
démocratie terrestre et célestifiée à
l'école d'un concept biface à son tour
et qui confesse son sacre biphasé à
l'école de ses idéalités décharnées, une
telle démocratie, dis-je, s'enracine
sans seulement s'en douter dans un
capital catéchétique discrètement
proclamé bipolaire, puisque la liberté
en tant que telle n'a pas de corps, que
je sache.
Une espèce
dichotomisée de la sorte se trouve
placée dans un état de dépendance
onirique à l'égard du langage bifide que
véhiculent les démocraties du
concept-roi. Le salut abstrait est
arrivé. Le verbe de la Liberté lui sert
de médiateur "idéal". Mais qu'en est-il
maintenant de la psychobiologie qui
inspire le récit eschatologique, celui
de la "délivrance" à la fois mythique et
charnelle que charrie la nouvelle
annonciation évangélique, celle du
"rachat" par l'intercession de la
nouvelle parole sacrée que profère
maintenant la déesse "Liberté"? On voit
que le décodage anthropologique des
théologies de l'incarnation nous fait
débarquer dans la politique mondiale des
démocraties.
15 - La
sacralisation de la justice laïque et la
pourpre sacerdotale des idéalités
Pour comprendre ces intronisations
verbales successives et leur emboîtement
sur le modèle de l'enchâssement des
poupées russes les unes dans les autres,
il suffit d'observer l'intensité d'un
phénomène religieux de remplacement,
celui de la sacralisation collective qui
s'est aussitôt et subrepticement
focalisée sur les instruments d'une
seigneurerie sacerdotale substitutive de
celle de l'Eglise: l'appareil judiciaire
des démocraties laïques parade dans le
cérémonial et sous le sceptre d'un
habillage clérical. L'étalage de la
majesté de cour de Thémis a simplement
succédé à la glorification sur la terre
d'un Dieu censé souverainement juste,
sage, omniscient et omnipotent, mais
dont les châtiments auto-sanctificateurs
se voulaient effroyables sous la terre.
Si la démocratie d'apparat persévère à
habiller ses procureurs et ses juges de
la pourpre de ses idéalités, c'est parce
qu'il s'agit, en réalité, du clergé
schizoïde à son tour d'une Eglise aussi
solennellement revêtue que la précédente
de ses ailes d'ange dans le ciel et de
son or sur la terre. En Angleterre, plus
les Bridoison protestants montent en
grade, plus ils se présentent auréolés
et coiffés des perruques de la
monarchie; mais, en France également,
chaque automne permet d'assister à la
rentrée mitrée de Thémis.
16 - La gangrène
de l'appareil judiciaire
C'est sous les yeux d'un peuple censé
être devenu le nouveau souverain d'un
monde séraphique et terrestre confondus
que la presse quotidienne étale
maintenant au grand jour la
prévarication tenace qui gangrène les
organes de l'appareil judiciaire.
Celui-ci est tombé entre les mains de
plénipotentiaires porteurs de chasubles
noires et blanches. La démocratie
pseudo-évangélisée se présente sur la
scène sous la parure officielle de ses
idéalités vaporeuses; mais, en coulisse,
cette "victime" aux allures de crucifiée
de la démocratie des justes se révèle l'
ardente demanderesse du cancer même qui
la ronge; et c'est le plus résolument du
monde que cette fausse affligée
revendique la sainte dépendance de toute
sa hiérarchie para-ecclésiale à l'égard
d'un pouvoir d'Etat secrètement auréolé
de vertus sacerdotales.
Si toute la magistrature se met
dévotement au service des chamarrures du
faux ciel des démocraties, c'est parce
que l'appareil judiciaire est demeuré
une Curie de la tête aux pieds. Car les
peuples éprouvent le besoin inné de se
blottir sous l'aile doublement
protectrice d'un pouvoir judiciaire
subrepticement copié sur celui de la
royauté glorieusement célestifiée
d'autrefois et d'un royaume des lois
fier de se trouver aussi solidement
ancré à la terre que la monarchie
l'était au trône du Dieu mort.
Le magistrat des nuages de la justice
démocratique jouit du titre envié de
propriétaire de l'Eglise qu'il est
saintement devenu à lui-même: une
justice présupposée idéale dans le ciel
de son propre vocabulaire, donc tenue
pour transcendante aux affaires
triviales de ce bas monde, se proclame
non moins immanente à une démocratie
auto-spiritualisée à l'école de ses
idéaux qu'autrefois une monarchie
pieusement calquée sur le sceptre
justicier du créateur de l'univers. Aux
yeux des simianthropologues, les
contrefaçons de la justice céleste
qu'illustrent les démocraties faussement
séraphiques témoignent de ce que
l'humanité appartient à une espèce dont
le cerveau dédoublé a besoin de se
regarder dans deux miroirs, l'un
terrestre, l'autre ascensionnel.
17 - Le nouveau
clergé
Aussi la
France des Rabelais, des La Fontaine,
des Molière, des Racine, des Paul-Louis
Courrier, des Gavarni a-t-elle inscrit
dans le code pénal du ciel de la Liberté
l'interdiction de publier tout écrit qui
profanerait un idéal réputé non moins
au-dessus de toute contamination
terrestre que celui d'une Eglise
autrefois auto proclamée une "société
parfaite". L'interdit qui frappe les
atteintes à la pureté de la justice
démocratique n'est tombé en désuétude
dans notre pays que depuis quelques
années, mais seulement à titre fictif et
à la suite d'une déclaration sacrilège
et sans conséquences juridique du
Président de la cour de cassation de la
République de l'époque. C'est dire que
le péché de profanation n'a nullement
été retiré du code pénal schizoïde de la
Ve République par un motu proprio
aussi estimable qu'isolé, de sorte qu'en
réalité, le délit de démontrer
publiquement l'arbitraire, même le plus
évident, de telle ou telle décision de
justice tombe encore sous le coup de la
loi : les magistrats du siège demeurent
légitimés à l'appliquer à la lettre et
leur bon plaisir demeure inattaquable en
droit.
On peut se demander
quelle est la portée juridique de la
souveraineté d'un peuple dont le civisme
se trouve enchaîné aux verdicts de ses
tribunaux au point que son appareil de
la justice peut le traiter en délinquant
et l'incarcérer s'il prend le risque de
contester publiquement l'arbitraire de
ses Grippeminauds et de ses
Raminagrobis. Mais la
pithécanthropologie enseigne que tout
pouvoir simiohumain est copié sur celui
d'un ciel divisé à son tour entre les
tortures éternelles des pécheurs sous la
terre et l'immortalité au grand air du
paradis.
18 - L'asthénie
de la souveraineté des peuples
A cet égard, le sort du peuple
palestinien sous le soleil de la
démocratie mondiale présente à la pesée
anthropologique du traité de 1648 un
thermomètre des relations fiévreuses que
le droit international public entretient
avec la géopolitique actuelle. Car, d'un
côté, on assiste à la naissance, sur
toute la surface du globe, d'une
génération indignée, mais encore privée
de boussole. Jamais on n'avait vu la
jeunesse se soulever à l'échelle
planétaire et se rassembler sur les cinq
continents pour la défense de ses idéaux
démocratiques partout bafoués. Mais,
dans le même temps, peut-on soutenir que
les peuples jouissent d'une liberté plus
grande qu'en 1648 et qu'ils se trouvent
désormais en mesure de faire reconnaître
leur souveraineté bien davantage que
sous la royauté s'ils n'ont pas encore
en mains la balance à peser leurs
droits? En vérité, ni le peuple
palestinien, ni les peuples européens ne
disposent encore de la maturité
intellectuelle et politique qui seule
les porterait à la hauteur des
responsabilités anthropologiques que
notre astéroïde attend d'eux.
19 - L'avenir
politique de la démocratie
Si, des conseillers municipaux aux
ministres de la République en passant
par le corps législatif des députés et
des sénateurs, toute la classe politique
s'était levée d'un bond pour crier sa
colère au spectacle d'un Nicolas Sarkozy
ambitieux de prendre à son seul profit
électoral l'image de la France en otage
sur la scène internationale, elle lui
aurait crié : "Clowneries et pitreries
ne sont pas les mamelles de la politique
étrangères de la nation." Mais si nos
gouvernants n'ont pas la carte du monde
sous les yeux, comment voulez-vous que
les simples citoyens, eux, coiffent
l'ignorance de leurs élus de toute la
hauteur de leur science du pilotage de
la planète?
C'est dire que la Révolution française
ne découvre qu'aujourd'hui sa vocation
politique mondiale. Ou bien un suffrage
universel instruit donnera son sens
véritable au fondement même de la
démocratie depuis Périclès, qui n'est
autre que de meubler la souveraineté des
peuples de son véritable contenu, ou
bien on verra les pantalonnades et les
simagrées d'Erevan et de Tbilissi
rédiger la tragédie de l'épaisse
léthargie que les élites d'aujourd'hui
et les masses se partagent.
La semaine
prochaine, j'en viendrai à la question
de Lénine: "Que faire?"
Courrier des
lecteurs
Un lecteur
m'approuve de soutenir qu'une
"anthropologie évolutionniste" comme
celle à laquelle s'applique l'Institut
Max Planck de Leipzig devra se soumettre
de surcroît à une réflexion sans cesse
en devenir à son tour sur l'évolution
des méthodes mêmes d'interprétation de
l'évolutionnisme; mais il me reproche de
n'en rien faire: "Vous n'étudiez pas
l'évolution des méthodes
d'interprétation de l'évolutionnisme,
m'écrit-il, vous vous contentez
d'étendre progressivement le champ
d'application de la grille de lecture de
type évolutionniste actuellement en
usage."
Cette remarque
démasque un malentendu intéressant à
décrypter, parce que, dans les sciences
expérimentales, l'extension continue du
champ d'un savoir rationnel se révèle
parallèle à l'évolution permanente des
méthodes d'exploration d'un terrain en
voie d'élargissement. Exemple: au XVIe
siècle, l'audace de soumettre les textes
dits révélés à un examen philologique
sacrilège par définition s'est aussitôt
heurtée à une violente résistance
identitaire de l'interprétation fondée
sur le sacré dont usait nécessairement
l'orthodoxie religieuse de l'époque. Un
Dieu installé dans le surnaturel avait
dicté mot à mot à ses prophètes les
écrits dont il entendait faire connaître
la teneur à sa créature. Comment ce
personnage ferait-il des fautes de
grammaire et de syntaxe à la pelle? Et
comment renverrait-on cet illettré sur
les bancs de l'école? Erasme répondait à
ses pieux contradicteurs que Dieu
nourrissait le dessein de mettre sous
une crue lumière l'ignorance des
sténographes de la grâce.
Mais
ensuite, l'Occident dévot n'a pas osé se
demander ce qu'il en est du génie, de la
tournure d'esprit et de la grandeur
littéraire des écrivains et des poètes
de taille à faire passer un créateur
mythique du cosmos par leur voix et leur
calame, alors qu'une telle extension de
la grille de lecture de la science
philologique classique rendrait abyssale
une politologie post-darwinienne et
post-freudienne, puisqu'on découvrirait
alors que le prophète est un esprit
politique, un moraliste et un
législateur d'une profondeur
vertigineuse - il vous décode les
ultimes ressorts de l'obéissance, de la
soumission et de la vénération.
Ici
encore, les progrès dans l'analyse
heuristique, donc sacrilège, du
territoire à déchiffrer nous éclaire en
retour sur l'évolution des méthodes de
décodage, et cela à l'école des
profanations: l'étude anthropologique de
l'australopithecus Sediba conduit
à l'interprétation de la naissance et de
l'évolution du blasphème littéraire. .
Suite la semaine prochaine
Reçu de l'auteur pour
publication
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