Mais il se trouve que mes griffonnements se
présentent à la fois comme de modestes auberges et des relais de
poste. Je dois donc laisser mes admoniteurs choisir seuls leur
itinéraire; mais comment ne me mettrais-je pas docilement à
l'écoute de mon sage pédagogue, comment ne courrais-je pas avec
empressement au devant de ses vœux ironiques et de ses justes
reproches? Car il me semble qu'il demande à la Pythie de Delphes
de lui faire connaître le destin vers lequel convergent tous les
chemins de l'humanisme mondial, ainsi que la nature des nations
et des civilisations dont nous ne sommes que les cochers.
2 - Les
ravages cérébraux du christianisme
Qu'on en juge:
c'est timidement que le XVIIIe siècle a tenté de limiter les
ravages des piétés les plus sottes mais il n'a pas eu
l'imprudence de soulever la question décisive de la nature des
religions. Le XIXe siècle a fait progresser les sciences de la
nature, les moyens de transport et la connaissance des origines
du simianthrope, mais, son tour venu, il s'est bien gardé de
l'audace d'étudier une espèce dont la tête sert de promenoir à
des dieux. Quant au XXe siècle, il a ébranlé l'univers à trois
dimensions, bousculé la matière et fait frémir tout le monde à
entrer dans l'empire sans frontières de l'inconscient, mais il
n'est pas descendu les armes à la main avec davantage de courage
que ses prédécesseurs dans les arcanes des personnages
imaginaires qui euphorisent et terrifient les peuples et les
nations. Qui sont-ils à marcher de long en large sous l'os
frontal des descendants du chimpanzé? Pourquoi le XXIe siècle
voit-il le souverain céleste et armé jusqu'aux dents du ciel des
ancêtres démontrer jour et nuit qu'il n'est pas près de laisser
oublier sa cuirasse et sa foudre? Jahvé le phosphorique a
débarqué en Palestine l'arme au poing et Allah a multiplié ses
moutons sacrés sur toute la terre habitée. Du coup, le destin de
l'humanisme armé est devenu plus planétaire que jamais; et les
dangers religieux que les trois siècles précédents avaient eu si
grand peur d'apprendre se rappellent au bon souvenir de tous les
peuples et de toutes les nations.
Demandons-nous
donc pourquoi un silence aussi unanime que craintif permet aux
sciences humaines d'aujourd'hui d'ensevelir la question des
croyances sous les patenôtres de l'oubli. En premier lieu, parce
que le territoire véritable du sacré aux poings serrés demeure
tapi au plus secret de la condition cérébrale de notre espèce.
Il en résulte que, depuis les origines, le simianthrope est un
animal dont la politique se révèle de type cultuel, donc
immolateur par nature. Ce sont ses chromosomes qui le condamnent
à offrir à ses idoles des victimes égorgées selon des rites
convenus.
Les meurtres récompensés par des idoles
auxquelles leurs autels présentent leurs étals servent de
serrures et de clés à l'histoire de la viande humaine et divine
confondues au sein de l'immolation des chrétiens. Le "sujet de
conscience", comme on dit, est sommé par ses gènes de faire
ruisseler le sang fade des sacrifices. Sa foi s'en nourrit sous
les yeux reconnaissants de son roi des nues. Il faut des
offertoires aux boucheries de la sainteté. C'est par le cadavre
rédempteur que l'assassinat dévot conjure l'angoisse dont le
vide de l'univers ne cesse d'accroître l'enflure. Pour
comprendre l'exorcisme parfumé auquel se livrent les otages de
leur terreur et de leur piété mêlées, il faut se risquer à tirer
toutes les conséquences anthropologiques de la démonstration
d'une évidence cruelle, à savoir que, depuis Abraham, c'étaient
des bœufs, des boucs et des brebis morts qu'on offrait aux
Célestes en échange de leurs faveurs. Mais la religion d'un
gibet odorant et sauveur a déclenché à nouveaux frais la
programmation du logiciel originel des crimes sacrés.
Deux mises à mort dites racheteuses se sont alors imposées à
l'Europe. L'une présente au ciel le souvenir d'un homme
autrefois cloué sur une potence par la justice de son pays,
l'autre croit non seulement faire passer réellement cette
victime de vie à trépas tous les dimanches, mais elle se
persuade en outre d'en dévorer sans relâche la chair et d'en
boire inlassablement l'hémoglobine. L'offrande imputrescible à
consommer et à boire sa vie durant est dite de "bonne odeur"
sur l'autel, parce que les narines de la divinité censée se
cacher dans le cosmos en sont agréablement chatouillées. Il
s'agit, pour le mangeur et le buveur, d'intérioriser le donateur
d'une immortalité posthume. Jusqu'au bord de la fosse, une
éternité immaculée aura été achetée par la digestion séraphique
d'un corps humain. On qualifie de "propitiatoires" les
mises à mort purifiantes dont la fonction plus modeste se
contente de rendre le tueur suprême propice aux vœux de
l'exécutant et de "satisfactoires" les assassinats
rituels dont le sang est appelé à calmer un instant les fureurs
sans cesse renaissantes du monstre vaporisé dans le ciel, donc à
lui fournir jour après jour les prébendes que son appétit
insatiable réclame de sa perfection.
3 - Les
peurs de la raison
On comprend que tous les peuples et toutes les nations de la
terre se trouvent piquées au vif par un escamotage de leurs
crimes d'un calibre théologique de si belle taille. D'un côté,
il s'agit bel et bien d'un étalage officiel, solennel et public
de leur identité religieuse inconsciemment carnassière; de
l'autre, beaucoup de fidèles voudraient profaner au grand jour
la mise en scène idéalisée de leur foi, tellement ils commencent
d'y voir un masque peu béatifique et livré aux ricanements
impies des spéléologues du singe auto-sacralisé. Mais les
sciences humaines dites "objectives" se montrent encore
terrorisées d'observer sous la loupe de l'anthropologie critique
les vêtements ensanglantés dont toute histoire et toute
politique se révèlent habillées, tellement les effigies
glorifiées des trois tueurs réunis en un seul monothéisme ne
sont jamais que des portraits auto absolutoires des sociétés
dont elles symbolisent la sainte face. Toute autorité
simiohumaine se veut lustrale, précisément de se fonder sur un
meurtre récompensé. L'autorité publique christianisée magnifie
et sacralise une foi sanctifiée à la double école de ses
prébendes patelines et de ses châtiments éternels. La sauvagerie
posthume est réputée blanchie par l'assassinat payant. Les
Romains le savaient mieux que personne, eux qui qualifiaient
déjà leurs empereurs de "juges suprêmes des châtiments et des
grâces". Depuis que la théologie des juifs et des chrétiens
a mis le glaive de sa justice infernale entre les mains d'un
créateur mythique du cosmos, la politique de la torture présente
la face inconsciente et cachée des trois monothéismes: le
meurtre de l'autel se trouve tout ensemble étalé et occulté,
honni et fleuri, concrétisé et angélisé.
Aussi l'idole
semble-elle généreuse, puisqu'elle est censée accorder à ses
plus proches serviteurs une immortalité posthume garantie de son
sceau; mais, en réalité, elle se montre d'une férocité inouïe,
puisque, à l'instar de sa créature, elle subit la contrainte
psychogénétique irrésistible de soumettre les récalcitrants en
tous lieux et de siècle en siècle à des violences physiques sans
fin - sinon comment parviendrait-elle à se faire obéir des
peuples et des nations pécheurs de naissance et qu'on ne
dissuadera qu'en leur inspirant une terreur perpétuelle?
Mais puisqu'il
est démontré que toutes les sociétés se reflètent dans le miroir
de leurs félicités et de leurs géhennes alternées, un Etat
atomique qui se voudra bienveillant à l'égard de la masse de la
population paraîtra obéir au Dieu atomique à son tour dont les
bienfaits, quoique tardifs, paraîtront d'un prix inestimable aux
yeux de ses fidèles, tandis que le droit pénal d'un Etat féroce
n'égalera jamais sur la terre la sauvagerie crématoire du
monstre vénéré dans les nues.
4 - Les
sacrilèges de la connaissance
Mais pourquoi
"Dieu" est-il un tortionnaire adoré? Bien plus: pourquoi les
sociétés charitables dans la distribution de leurs pieux
colifichets se sont-elles bientôt montrées honteuses de la
barbarie de leurs châtiments sur la terre, puisqu'elles se
voilaient la face au spectacle du sang que leur justice faisait
couler sous la hache de leur piété ? On sait que l'humanité
chrétienne d'autrefois en confiait l'administration à un
bourreau qu'elle traitait en pestiféré. Aujourd'hui, elle en
remet la gestion à une bureaucratie pénitentiaire qu'elle prend
soin de rendre toute confuse de sa gérance des "conditions de
détention" repoussantes des condamnés. Quelle est la source
anthropologique du fossé qui sépare la probité des lois du ciel
et de la terre de l'enfer de leur application?
Car la copie
béatifiée des Etats à laquelle la divinité sert de modèle
irréprochable prend le plus grand soin, jusque dans les nues où
elle siège, de ne jamais se salir les mains à l'école des
cruautés qu'elle semble contrainte d'ordonner et auxquelles elle
ne saurait retirer la caution de ses propres chromosomes. Ce
sera le Diable, le précieux délégué des gènes de Dieu, que la
théologie des châtiments éternels chargera d'administrer les
tortures divines à grand renfort de feux infernaux.
La mise en
parallèle de la doublure céleste des Etats avec leur archétype
dans le temporel est tellement aveuglante que toutes les
civilisations illustrent la philosophie et l'éthique dont leur
idole présente l'orchestration et porte les couleurs; et le ciel
n'a jamais d'autre choix, hélas, que de s'absenter
définitivement de l'histoire de sa créature et de se dissoudre
dans l'atmosphère ou d'osciller sans fin entre la distribution à
pleines mains de ses récompenses fantastiques d'un côté et
l'inévitable nécessité, de l'autre, d'infliger des châtiments
atroces sous la terre, puisque l'épouvante est le ressort focal
de la politique depuis que notre espèce se construit des cités
et promulgue des lois branchées sur ses Jupiter.
C'est dire que si les sciences humaines de
demain refusaient de faire pâlir de jalousie les sacrilèges pour
enfants de chœur du siècle de Voltaire, il ne faudrait pas
donner cher de leur validation anthropologique, puisqu'elles
cesseraient aussitôt de se vouloir expérimentales et qu'elles y
perdraient non seulement les séquelles de leur dignité
intellectuelle, mais la robustesse et la longévité que leur
timidité scientifique leur accorde encore du bout des lèvres.
C'est dire également que les dérobades méthodologiques
auxquelles l'anthropologie pseudo objectivante des modernes se
livre sous nos yeux en font une chienne de garde apeurée par ses
propres démissions. Cinq siècles après la Renaissance, ses
aboiements interdisent encore à un humanisme tenu en laisse de
franchir quelques pas décisifs en direction de son véritable
objet. Mais quand elle s'attachera à sa vocation épistémologique
les yeux grands ouverts, elle jaillira du courage spirituel que
le bouddhisme appelle l'éveil. Alors le "Connais-toi" socratique
bénéficiera de nouveau des ressources de la lucidité libératrice
qui, depuis le paléolithique, ouvrent les chemins de
l'intelligence messianique aux saintes audaces de la raison.
5 - Le
naufrage de la raison à l'heure des chrétiens
Naturellement, il n'est pas question de
déserter un seul instant les larges avenues de la connaissance
rationnelle de l'univers sans lesquelles la science demeurée si
bancale de notre espèce n'aurait même pas vu le jour; mais il
est devenu évident que les clés de notre vie onirique, donc de
notre politique des songes ne se trouvent accrochées nulle part
ailleurs que dans nos pauvres têtes et qu'il est aussi vain de
les chercher dans le cosmos que d'y traquer des divinités
bavardes. Si nous n'examinons pas nos serrures cérébrales à la
loupe, nous aurons beau observer les atomes sous la lentille de
nos microscopes électroniques ou dans la chambre de Wilson, nous
nous retrouverons une fois encore précipités tout soudainement
la face contre terre par des interlocuteurs imaginaires. La
première civilisation de la science qu'a connue notre planète -
la civilisation byzantine - a fini prosternée par surprise dans
la poussière.
Qu'en fut-il du naufrage de la raison orchestrée par les
premiers chrétiens? Une légende tenace veut que, dans la
solitude de leurs cloîtres, les moines auraient copié les
chefs-d'œuvre de l'Antiquité avec une si pieuse ardeur
polythéiste que l'Europe civilisée serait redevable au zèle
inlassable des monastères d'avoir conservé quelques lambeaux de
la mémoire des civilisation de l'Olympe. Hélas, la vérité est
tout autre. Un seul exemple: l'empereur Aurélien a été assassiné
en 275. Son malheureux successeur, Marcus Claudius Tacitus, le
sera dès l'année suivante. Mais ce grand lettré croyait compter
Tacite parmi ses ascendants, de sorte qu'il fit déposer des
copies de l'œuvre de son illustre aïeul dans toutes les
bibliothèques et toutes les archives de l'empire. Au XVe siècle,
il ne restait que deux manuscrits fort tronqués des
Annales. Le premier fut découvert à la fin du XIVe
siècle à l'abbaye de Corbie en Westphalie, le second fut
probablement acheté en orient par Cosme de Médicis, qui en fit
don au couvent de Saint Marc qu'il venait de fonder. Le premier
pape qui se porta à la tête du Saint Office, Pie V, détruisit le
tombeau de l'illustre historien et en dispersa les cendres,
parce qu'il avait "mal parlé du christianisme"…
6 - Une radiographie politique de
Dieu
Si les terrorisés par l'agonie des Olympe de l'époque ne
s'étaient pas rués aveuglément vers le Dieu nouveau des
chrétiens, les Grecs, devenus plus pensifs, se seraient demandé
qui étaient leurs dieux maintenant tout déconfits et pourquoi
ils s'étaient rendus crédibles si longtemps. Au premier siècle,
tout était prêt pour la lancée de l'intelligence humaine vers
une connaissance plus profonde d'elle-même. Dans quel état la
raison antique se trouvait-elle? En l'an 15 de notre ère, le
Tibre, grossi par des pluies continuelles, avait transformé en
marais les parties basses de Rome. Quand les eaux s'étaient
retirées, des édifices s'étaient écroulés et de nombreux
citoyens avaient été écrasés. Fallait-il empêcher à l'avenir les
débordements du dieu ou bien s'offenserait-il qu'on troublât la
gloire de sa coulée? Les esprits scientifiques invoquaient une
nature bien inspirée et qui avait si sagement veillé aux
intérêts des mortels qu'elle avait fixé au fleuve "leur
embouchure, leur lit, le commencement et la fin de leur cours".
Mais Tacite, qui croyait en l'existence de Jupiter et de ses
compagnons, jugeait superstitieux les "sentiments religieux
qui avaient consacré des fêtes, des bois et des autels aux
rivières".
A
partir de là, on aurait pu découvrir pourquoi tels dieux étaient
censés exister et non tels autres ; et une premières
psychanalyse aurait étudié le réflexe de projection et
d'appropriation qui fait personnaliser les fleuves, la mer ou le
soleil. Mais le christianisme a rendu impossible l'étude de la
stature politique des trois tueurs cosmiques. Et pourtant, on
gravait sur les cadrans solaires que c'était par sa prévoyance
que Dieu avait créé toutes choses et que c'était par une
prévoyance non moindre qu'il les dirigeait "Omnia creasti,
nec minore regis providentia".
Du coup, la voie était grande ouverte pour
une radiographie politique de Dieu : il était devenu évident que
l'homme se donne les Célestes que méritent ses civilisations et
que celles-ci se donnent à peser sur la balance de leur justice.
Mais en se précipitant tête baissée en direction d'une idole qui
servirait, comme les anciennes, de guide et de chef du cosmos,
le christianisme a arrêté la crue de la raison prête à bondir
hors du lit du sacré sous Tibère.
7 - Les nouveaux clochers de l'ignorance
Depuis lors, et faute d'avoir préparé de longue main le cerveau
onirique de l'humanité à la tragique découverte de sa solitude
dans un cosmos désert, une moitié de notre espèce ne trouve plus
refuge dans les Ecritures qu'elle n'attribue à une idole qu'au
prix d'une régression mentale exorbitante et qui la rend
étrangère aux connaissances scientifiques de notre siècle,
tandis que l'autre moitié se trouve frappée d'une errance et
d'un désarroi effrayants pour avoir perdu sans explication le
réconfort d'un guide et d'un chef secourable dans les nues. Un
humanisme sous-informé a remplacé l'ignorance religieuse par
l'ignorance laïque des ultimes ressorts du genre humain; et elle
a cru que "Dieu" n'était qu'un fardeau qu'on jetterait
impunément aux orties. Si l'on avait eu moins froid aux yeux et
si l'on avait appris à connaître davantage ce personnage que les
Romains ne connaissaient leurs fleuves et leurs forêts, on
aurait enseigné à tous les peuples de la terre à prendre sur
leurs épaules la charge politique des trois égorgeurs universels
qui ont remplacé Jupiter dans les têtes. Voyez comme ils font
peine à voir, les enfants désemparés d'avoir égaré leur pilote
et leur boussole dans l'immensité!
Alors le peuple français, rendu plus savant, ne serait pas
devenu à la fois le plus laïc et le plus déprimé de la planète;
et une adolescence mondiale moins décérébrée ne se mettrait pas
un casque sur les oreilles pour mieux entendre des sons
assourdissants tinter dans sa tête. Mais les nouveaux clochers
de l'ignorance sont devenus si coûteux qu'il faut se hâter de
conquérir la toison d'or d'une connaissance plus profonde de
l'humanité pour seulement apprendre à survivre dans un univers
sans voix, sans yeux et sans oreilles. Si l'intelligence moderne
ne prend pas d'urgence la relève du paganisme de type
monothéiste qui a fait son temps, qui peut croire que les
sociétés se disciplineront d'elles-mêmes et sans autre formateur
de la conque cérébrale du simianthrope que le mythe du bon
sauvage de Rousseau?
En vérité, la
connaissance anthropologique de l'humanité a d'ores et déjà
débarqué dans la morale et la politique des nations; et la
nécessité politique absolue d'ouvrir d'urgence les yeux de notre
espèce sur sa condition réelle dans le cosmos ouvre une ère
entièrement nouvelle à l'histoire des civilisations.
8 - Le
constat de mon interlocuteur
Et pourtant, l'évidence que l'avenir de la civilisation passera
par le décryptage du fonctionnement onirique de l'encéphale
simiohumain est demeuré une vérité plus dangereuse que jamais,
et cela précisément parce que le retard que le christianisme a
fait prendre depuis Tibère au décodage des secrets cérébraux
d'une espèce effarée nous place devant un obstacle
psycho-biologique qui aurait dû se trouver surmonté depuis plus
de deux millénaires, à savoir, la vaine obligation d'avoir
encore à démontrer - et même à de prétendus philosophes - que
les dieux sont nécessairement des personnages seulement
cérébraux et que leurs apanages imaginaires répondent, comme il
est dit plus haut, à l'éthique, à l'intelligence et à la sagesse
de la civilisation qu'ils symbolisent et qu'ils chapeautent: le
Jupiter de Sénèque n'est déjà plus le Zeus d'Aristophane, le
Dieu de saint Anselme n'est déjà plus celui d'Origène, le Dieu
de saint Jean de la Croix est déjà un poète fort éloigné du
préteur romain que saint Ambroise a fait camper à la force du
poignet dans le ciel des chrétiens de son temps.
Aussi, trois siècles après Diderot, l'asthénie du "Connais-toi"
des modernes impose-t-il à la science anthropologique de demain
la question cruciale de la pesée de la diversité et de
l'inégalité des capacités des peuples et des cultures de
conduire l'humanisme mondial à l'examen de la complexion
psychobiologique des idoles, donc à la connaissance, aussi bien
des composantes cérébrales du "Connais-toi" des Anciens que de
celles de nos contemporains, ce qui nous reconduit aux statues
de Mercure évoquées par mon aimable accusateur. Car il s'agit
maintenant de jauger les Hermès qui nous conduiront par des
raccourcis traumatisants, mais salutaires à une science et à une
philosophie des rêves religieux tout ensemble pacificateurs et
sanglants du simianthrope. Mon interlocuteur a-t-il raison de me
citer à comparaître devant son tribunal et de répondre de
l'accusation de fouetter vainement l'ardeur des coureurs censés
se trouver en pleine course à mes côtés au lieu de les initier à
suivre à fond de train un chemin rocailleux?
La semaine
prochaine, je passerai en revue, sans trop traîner en chemin,
les routes mal balisées qui nous attendent; et nous verrons bien
si j'ai affaire à un procureur sans pitié ou à un discret
défenseur de la lenteur de mon allure.
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