M. Benjamin Netanyahou et l'exercice biblique du droit du plus
fort
Platon observe
que le cerveau en friche de l'Athénien moyen demeure une terre
non labourée, parce que la cité du Parthénon ignore encore la
connaissance conceptualisée. Vingt cinq siècles plus tard, si
vous demandez à un enfant: "Qu'est-ce que l'honnêteté?", il vous
répondra: "C'est quand…" et il vous donnera un exemple de
l'honnêteté. La sociologie demeurera dans l'incapacité de donner
une signification plus parlante à la question du sens que celle
d'une appréciation de la qualité ou des carences de l'éducation
nationale. Mais à quel moment l'observation socratique
ressortira-t-elle à l'anthropologie critique, donc à une
philosophie élaborée? Pour l'apprendre, demandons-nous ce qu'il
en est de la faculté de peser la valeur des abstractions et d'en
juger à bon escient.
La question de l'examen des exploits du
lionceau qu'on appelle la sociologie requerra la méthode
suivante: on demandera aux jeunes griffes du fauve à quel
instant un fait social ou un évènement historique quittent le
musée des constats édentés et calibrés d'avance de Durkheim pour
entrer dans le laboratoire de l'observation anthropologique du
matériau livré aux crocs acérés des philosophes. Mais pour
accéder à la pesée socratique d'un objet social, donc pour
dévoiler la compréhensibilité de ce type de phénomènes à la
lumière d'une science interprétative, il faut déposer des
signifiants sur les plateaux d'une balance encore à construire.
Le questionnement ne devient socratique qu'à l'heure du naufrage
du sens qui avait pris l'habitude d'aller de soi dans
l'entendement commun. La philosophie enfante le soupçon à
l'égard des fabricants de la "raison" des Anciens - c'est
pourquoi on appelait Socrate la Torpille, du nom d'un poisson
tétanisant.
Prenons l'exemple
de l'effondrement ridicule, sous le choc microscopique de
quelques carlingues d'acier, de trois tours titanesques à
Manhattan le 11 septembre 2001. Tous les connaisseurs de ces
masses de centaines de milliers de tonnes savent que l'
événement constaté ne saurait résulter de la collision de ces
montagnes artificielles par deux fragiles fuselages, même
chargés de kérosène, et nul n'ignore que l'un des trois monstres
est tombé tout subitement en poussière sans qu'aucune
quincaillerie volante ne l'ait percuté, ce qui exclut, soit dit
en passant, que l'enregistrement sur pellicule des explosions
qui se sont succédées d'étage en étage soit un montage
cinématographique réalisé dans un studio de Hollywood.
3 - La
sociologie et la politique
Mais si l'explication de l'évènement matériel échappe à la
science sociologique, cette discipline serait-elle du moins
qualifiée pour rendre compte du phénomène psychique mis en
évidence par le détour d'une expérience de physique , à savoir
la croyance universelle en la validité de l'explication
officielle de la catastrophe ? Nullement: l'examen de la
crédulité innée du genre humain n'est pas non plus du ressort de
la sociologie. La foi aveugle ressortirait-elle donc à la
politologie? Mais celle-ci n'est accessible au savoir rationnel
qu'à la lumière d'un éclairage du mode de fonctionnement de
l'autorité publique sur les esprits, comme il a été démontré il
y a près de quarante ans par Stanley Milgram dans son célèbre
essai intitulé Soumission à l'autorité.
Mais cet
expérimentateur d'un réflexe de Pavlov universel, celui de
l'obéissance spontanée d'une espèce programmée par la nature
pour se plier en tous temps et en tous lieux à une autorité
pré-légitimée par des signes et des insignes reconnaissables,
donc par des panneaux d'affichage convenus, cet expérimentateur
iconoclaste, dis-je, n'est ni un politologue chevronné, ni un
anthropologue pertinent et encore moins un philosophe
socratique, puisqu'il ne revendique en rien le sacrilège
périlleux d'interpréter le phénomène collectif de la croyance en
tant que telle, et cela jusqu'au cœur de la foi religieuse.
Il faut donc nous
demander comment nous fonderons l'observation et la méthode
d'une discipline dont l'ambition la porterait à tracer une
frontière évidente et visible à tout le monde entre la
sociologie et l'anthropologie scientifique ordinaire -
discipline ensuite appelée à relever l'endroit exact où
l'anthropologie d'école quitte les chemins balisés d'une
expérimentation sociale placée d'avance sous surveillance
sociale pour atteindre la profondeur solitaire et proprement
philosophique qui seule accèdera à une spectrographie
profanatrice du cerveau du genre simiohumain actuel. Car seule
la spectrographie des édifices cérébraux qu'on appelle des
théologies donne accès à la connaissance de l'inconscient
onirique de l'humanité, c'est-à-dire à une anthropologie de
l'imaginaire et de ses constructions propres. Mais alors, nous
observerons des faits à la lumière de paramètres trans-sociologiques
par définition, donc hors de la portée du savoir durkheimien.
4 - Le
débarquement du sionisme dans la politologie
Exemple: le 24 mai 2011, M. Benjamin
Netanyahou prononce devant le Congrès américain, c'est-à-dire
devant la Chambre des Représentants et le Sénat réunis pour la
circonstance un discours que la presse israélienne de la veille
avait jugé le plus décisif de sa carrière. Pour un chef d'Etat
étranger, s'adresser au peuple américain par le relais des deux
chambres législatives réunies dans cette intention est un
honneur tellement exceptionnel que ses bénéficiaires se comptent
sur les doigts d'une seule main. Churchill et Mandela demeurent
les lauréats les plus illustres d'un exploit politique et
diplomatique en forme de diadème.
Or M. Netanyahou s'est couronné de cette tiare pour la seconde
fois, et cela en deux jours seulement de tractations entre
Washington et Tel Aviv, en raison de l'accord conclu quelques
jours plus tôt entre le Hamas et le Fatah, en raison de
l'engagement appuyé de l'Europe en faveur de la création urgente
de deux Etats dans la région, en raison de la menace brandie par
l'Assemblée générale des Nations Unies de proclamer, dès le mois
de septembre, la souveraineté pleine et entière d'un Etat
palestinien et enfin en raison de la démonstration du poids
d'une opinion internationale de plus en plus anti-israélienne.
Dans ces conditions, que dire de l'assombrissement du ciel
hébreu qui résultera de la reédition, plus considérable et plus
spectaculaire que la précédente, du sacre de l'expédition de mai
2010 de la Flottille de la Liberté dans les eaux
territoriales de la ville de Gaza encerclée et affamée par
Tsahal? En juin 2011, un navire français partira pour Gaza avec
la seconde Flottille de la Liberté. Elle sera composée d'une
quinzaine d'embarcations de proportions diverses. Des dizaines
d'organisations européennes et internationales auront collaboré
à l'entreprise aux côtés de toute la société civile
palestinienne.
5 - La
mobilisation de l'opinion publique internationale
Que dirons-nous de la levée de quatre-vingts
députés et sénateurs de la gauche française et de deux cent
quatre vingt-seize élus et représentants locaux ? Que
dirons-nous de la pression de l'opinion publique anglaise, qui a
contraint le Premier Ministre David Cameron à démissionner du
"Fonds national juif" qui recueillait de l'argent pour
l'installation de colons? Au nom de quelle discipline
scientifique évoquerons-nous la proclamation solennelle du 29
mai de M. Benjamin Netanyahou censée sceller la reconquête de la
ville entière de Jérusalem et de la réunification de la nation
sous le sceptre de sa capitale biblique retrouvée? Et puis,
jusque dans les provinces, des citoyens indignés assiègent les
tribunaux devant lesquels d'honnêtes citoyens sont cités à
comparaître au pénal et sur les instances de la justice de leur
propre patrie, alors qu'ils ne sont coupables que de boycotter
au nom de la morale qu'on leur a enseignée sur les bancs de
l'école les produits alimentaires et industriels en provenance
d'un Etat criminel?
Et puis, que dire d'une population indignée et qui commence, au
nom de l'éthique universelle dans laquelle on l'a éduquée
d'accuser des procureurs français d'origine juive de servir les
intérêts d'un Etat étranger au détriment de ceux de leur patrie
officielle, et que dire des grandes entreprises qui, dans toute
l'Europe rompent les unes après les autres leurs contrats avec
Israël, et que dire des artistes israéliens empêchés de monter
sur la scène du Vieux Continent, et que dire de l'interdiction
opposée par la directrice sioniste de l'école normale supérieure
de la rue d'Ulm au projet d'organiser un débat public sur Gaza,
et que dire de la décision du Conseil régional de la région
Rhône-Alpes de soutenir la participation française à la
Flottille de la Liberté, et que dire des intellectuels juifs
soudainement ralliés à la cause du colonel Kadhafi et qui se
sont subitement mobilisés contre le printemps arabe au bénéfice
d'un dictateur dont la Société Générale a publié les avoirs
déposés par milliards en espèces et en lingots dans ses coffres?
Décidément, nos
"sciences humaines" sont des nains en plein désarroi. Serait-ce
l'humanisme mondial tout entier qui serait aux abois, faute de
science abyssale de notre espèce? Car la guerre politique et
religieuse qui s'annonce entre Israël et le reste du monde
ridiculise les cloisons anciennes qui séparaient la politique et
la philosophie. Cet affrontement ne saurait ressortir à la
définition générale ni de la science historique, ni de la
politique, parce que les paramètres traditionnels de
l'interprétation rationnelle des événements ont la vue basse et
le souffle court. Il y faut une anthropologie aussi
transcendante au train des mémorialistes et des chroniqueurs que
le décryptage de la croyance en l'explication officielle du
mystérieux effondrement des tours de Manhattan le 11 septembre
2001. Mais si les deux évènements politiques ressortissent à une
anthropologie philosophique, quels apanages et prérogatives
demeureront-ils expressément réservés à l'interprétation de la
vie quotidienne de la planète?
6 - Les
secrets d'une omerta
La science historique classique et ses compagnes naturelles, la
politologie et la sociologie, se montreront-elles du moins en
mesure de rendre compte du discours de M. Benjamin Netanyahou,
c'est-à-dire d'expliquer un événement oratoire de ce type à la
lumière d'une interprétation ambitieuse de se montrer cohérente?
Nullement, car il faudrait, au préalable, mettre en lumière des
circonstances historiques fort étrangères aux méthodes de toutes
les sciences éprouvées et énumérées ci-dessus, puisque la
semonce tour à tour impérieuse, admonestative et doucereuse que
ce chef de gouvernement a adressée durant quarante cinq minutes
au globe terrestre, c'est-à-dire deux mille sept cents secondes
a été applaudie debout toutes les cinquante secondes,
c'est-à-dire cinquante cinq fois. Il est donc évident qu'il
s'agit non seulement de la mise en scène d'un sermon, mais de
l'orchestration politique d'une homélie aussi savante que
minutieusement chronométrée. Comment juger une mascarade
apostolique que, faute d'une anthropologie de l'éloquence
sacrée, le Guardian a déclarée "mystérieuse"?
Mais, ici encore, qui ne voit à quel point ni la politique, ni
la sociologie, ni la psychologie des foules ne disposent des
instruments d'une connaissance explicatrice d'un évènement
historique de cette envergure et de ce type, alors qu'il s'agit
d'une prestation publique visiblement mise sur pied dans
l'intention inavouée de déclencher une tempête médiatique à
l'échelle internationale. Il en sera de même deux jours plus
tard, puisqu'à l'occasion d'une cérémonie de célébration du
42ème anniversaire de la conquête et de l'annexion du secteur
oriental de Jérusalem, M. Benjamin Netanyahou a répété en chaire
avec un sérieux imperturbable que la ville "restera pour
toujours" la capitale unifiée d'Israël. "Jérusalem est la
capitale d'Israël", a-t-il conclu, avant d'ajouter. "Elle l'a
toujours été, le restera pour toujours et ne sera jamais
divisée". Pourquoi tant de pieuse éloquence ? Parce que "le lien
du peuple juif et de Jérusalem remonte à des milliers d'années
(...) . C'est pourquoi " elle restera unifiée sous notre
souveraineté."
On voit
l'inutilité de relire Démosthène et Cicéron: il faudrait plonger
dans le sacré à une profondeur ignorée de Freud, pour fonder une
politologie à l'échelle du débarquement de l'Ancien Testament
dans la politique internationale. Et puis, comment expliquer que
l'arrivée de l'orateur devant ses auditeurs au Congrès ait été
saluée par des ovations délirantes et des cris d'allégresse? Car
les représentants et les sénateurs se sont précipités sur le
saint homme afin de le toucher et de lui baiser dévotement les
mains. Or, une vénération aussi bruyante est celle que les
foules en délire réservent aux coureurs cyclistes adorés et aux
chanteurs qu'elles encensent. Comment expliquer l'ascension des
croyants dans les nues?
Il s'agit
visiblement, je le répète, d'un événement théologique par
nature, donc tellement étranger aux usages mondiaux de la
politique à trois dimensions qu'il ne se rendra déchiffrable en
tant que tel que si l' on a remarqué au préalable - et avec des
yeux avertis d'avance - la spécificité cachée et pourtant
frappante à souhait du panégyrique, à savoir qu'aucun organe de
presse et aucun commentateur habituel de l'actualité politique
courante n'ont voulu ou osé relever l'évidence criante que les
respectables élus du peuple américain avaient nécessairement été
prévenus de la teneur d'un texte confessionnel. De plus, la
fraction la plus influente des représentants du peuple avait
inévitablement reçu une version où se trouvaient consignés les
endroits où il fallait se lever et applaudir à tout rompre.
Dira-t-on encore que le spectacle de la corruption des
institutions dirigeantes d'un puissant Etat démocratique par les
soins d'une ecclésiocratie masquée ressortit à la politologie, à
la sociologie et à la psychologie au quotidien? Quand l'énoncé
d'une explication abusivement qualifiée de sérieuse n'accède en
rien au champ du regard requis par la pesée d'une catéchèse à
décrypter, elle demeure fatalement aussi indéchiffrable que les
oracles d'Artémis d'Ephèse chez les Anciens. Encore une fois, la
détection, donc le simple enregistrement d'une fraude politique
aussi titanesque ne rend en rien intelligible une "omerta
démocratique" accessible aux seuls microscopes et télescopes de
la vie onirique du singe loquace.
7 - Le
bûcheron idolâtre
Pourquoi cela? Pour nous mettre sur la piste
d'une réponse, il faut avoir observé et analysé le contenu de la
foi de M. Netanyahou. Car Israël se déclare prêt à négocier un
abandon partiel de son "territoire réel". Qu'est-ce à dire ? Il
faut savoir que, dans la bouche de M. Benjamin Netanyahou,
l'adjectif "réel" désigne l'étendue des terres qu'occupe la
nation juive dans un cosmos sacré et tout imaginaire, il faut
comprendre qu'il s'agit d'une surface purement mentale, celle du
cadastre du "Grand Israël" des temps bibliques.
Si vous ignorez que dans un univers à la
fois cérébral et physique, donc surnaturel par nature, Israël
est une terre merveilleuse, celle dont Jahvé vous a remis la
propriété éternelle et matérielle en mains propres, vous ne
comprendrez pas que des négociations concrètes avec un Etat
surréel et piloté par un mythe substantifié ne ressortissent pas
à la science historique terrestre et qu'il faudra que vous
appreniez à décoder le psychisme spécifique qui commande des
cerveaux branchés sur un ciel chosifié par des cailloux.
Aussi est-ce
l'incompatibilité du réel et du sacré que la spiritualité
isaïaque a comprise la première : le prophète est à la fois
estomaqué et furieux au spectacle de la dichotomie cérébrale du
bûcheron qui se chauffe avec la moitié du bois qu'il a rapporté
de la forêt, puis se taille une idole avec l'autre moitié et
s'agenouille devant elle le front dans la poussière. La
spiritualité iconoclaste des prophètes d'Israël est la première
et la seule qui ait accouché d'une sainte fureur devant la
sottise, la première et la seule qui ait fondé toute la
philosophie sur la révolte et la colère de l'intelligence, la
première et la seule qui ait fait de la raison le sceptre
véritable de l'esprit.
La portion du sol que le bûcheron idolâtre
concèdera aux Palestiniens par l'effet d'une "générosité"
proclamée sans exemple - celle d'un Etat religieux et terrestre
confondus - se trouvera dichotomisée d'avance par le cerveau
schizoïde du saint donateur, qui donnera le bois de chauffage,
mais gardera l'idole propriétaire de la forêt entière. Mais
qu'arrivera-t-il si l'idole en vient à se distinguer de la terre
qu'elle sacralise? Quel sera le statut politique d'un territoire
dont la définition juridico-religieuse demeurera à jamais
impossible à cerner à la lumière d'un droit international devenu
effrontément laïc et d'une politologie réduite d'avance aux
pistes confinées dans le temporel, puisque, par définition, la
terre qualifiée de "réelle" demeure transcendante à la
topographie et fascinée par l'idole du bûcheron d'Isaïe?
On voit que nous sommes sortis de l'enceinte des disciplines
simiohumaines connues et recensées au cadastre des savoirs
rationnels - celles qui ressortissent à la raison scientifique
des modernes - parce qu'un territoire dont le statut se veut
physico-théologique et qui, à ce titre, se présente
nécessairement divisé entre une terre et un songe, un tel
territoire, dis-je, n'est saisissable qu'à la lumière d'une
anthropologie nouvelle; et c'est cela qu'un site palestinien
exprime en ces termes avec justesse, mais à son insu et sur le
mode ironique, donc superficiel: "Le grand Israël, la
petite Amérique et le monde arabe".
8 - Que
signifie " superficiel " ?
Je dis "superficiel", parce que, chez les
chrétiens et les musulmans, la séparation traditionnelle entre
le divin et le temporel se veut compatible avec la grille de
lecture des sciences exactes, alors que cette distinction
ressortit à un tout autre modèle psychique dans le matérialisme
théologique juif: puisque, dans cette religion, le surréel et le
réel - le bois qui chauffe le foyer du bûcheron et l'idole dans
son rôle d'aéronef - demeurent confusibles, donc non seulement
étroitement imbriqués l'un dans l'autre, mais consubstantiels à
leur nature secrètement partagée. Si le sacré juif se déclare
"réaliste", c'est précisément parce que le ciel est censé
débarquer effectivement dans le bois, c'est précisément parce
que la pratique des affaire du royaume de Dieu sera tangible ou
ne sera pas, c'est précisément parce que le ciel se confondra à
la pratique politique et à la gestion des affaires de ce monde,
c'est précisément parce que le "paradis soviétique" concrétisait
l'utopie que M. Benjamin Netanyahou change la démocratie
mondiale en un attrape-nigaud à son service. Si vous ne gardez
pas la clé anthropologique du sacré simiohumain constamment
présente à l'esprit, vous ne comprendrez pas le ton à la fois
souverain et soumis, cajoleur et oscillant entre l'orgueil du
croyant et la feinte humilité de l'idolâtre: l'orateur sacré
déborde de piété protectrice et de faiblesse innocemment feinte,
parce qu'entre les mains d'Israël, le mythe démocratique rend
"sincères" aussi bien l'affichage le plus cru de la force que
celui de la dévotion.
Mais seule une
anthropologie articulée avec le décryptage de la psychobiologie
du sacré chargée de piloter la foi juive en sous-main peut-elle
rendre compte d'une ambiguïté de l'inconscient religieux de la
nation? Le dédoublement dénoncé par Isaïe serait-il universel,
de sorte que les évadés de la zoologie seraient scindés de
naissance entre le ciel de leurs totems et leur chair
bûcheronne? Car le christianisme manifeste le même travers. Si
les sciences humaines de demain devaient échouer dans leur
tentative iconoclaste, donc isaïaque de percer le secret,
chrétien à son tour, de la forteresse, commune aux foyers et aux
saintes chandelles où la conscience théologique et la conscience
terrestre se barricadent dans le même tartuffisme, il
demeurerait impossible de jamais user de la raison nouvelle, qui
rendra compte du contenu et de la portée politique réels du
discours angélique et cynique confondus de M. Benjamin
Netanyahou devant le Congrès, et impossible de décrypter la
cécité volontaire qui interdit aux chrétiens à leur tour de
connaître les causes véritables de l'effondrement des tours de
Manhattan le 11 septembre 2001, tellement ces buildings
majestueux occupent, dans le ciel des séminaristes de la
démocratie, le même rôle symbolique et mythique des totems de la
liberté du genre humain que la terre d'Israël dans l'esprit
innocent de saint Benjamin Netanyahou.
9 - Une
radiographie des démocraties sacralisées
"Monsieur
le Vice-Président, vous souvenez-vous du temps où nous étions
les petits nouveaux dans la ville? Et je vois beaucoup de vieux
amis, et je vois beaucoup de nouveaux amis d'Israël, aussi bien
démocrates que républicains."
Dès ses premiers mots, M. Netanyahou ne s'adresse pas en chef du
gouvernement tout terrestre d'un minuscule Etat temporel aux
puissants représentants du pouvoir législatif d'une nation en
chair et en os de trois cent cinquante millions d'habitants - et
qui passe encore pour la plus puissante de la terre. Mais ne
vous y trompez pas, il ne s'agit pas non plus d'une cordialité
fondée sur des relations courantes entre Etats souverains: sous
l'amitié franche et loyalement affichée en apparence, il s'agit
d'une parenté surréelle et transcendante aux évènements et aux
circonstances du moment, d'une complicité inscrite dans une
allégeance invisible et secrète à un certain mythe religieux.
Cette connivence latente demeure
profondément enfouie dans l'inconscient collectif, mais elle est
indispensable à la manifestation concrète de la puissance
qu'exerce le groupe de pression évoqué plus haut. Sans
l'attirance effective d'un monde angélique, d'un Eden
séraphique, d'un univers biblique et chérubinique, jamais
l'association si étroite et si spectaculaire des juifs
américains avec le sionisme n'aurait obtenu, contre vents et
marées, le statut d'une entreprise nationale, donc exclusivement
régie par le droit américain et le droit israélien confondus.
Or, le combat d'un quart de siècle du sénateur Robert Kennedy
contre cette titanesque imposture juridique s'est soldé par un
échec complet.
Qu'en est-il de l'Europe sur ce point focal?
En France, le "Comité représentatif des institutions juives de
France" ne présente nullement un caractère patriotique
ostensiblement affiché ou une tonalité nationaliste revendiquée
avec insistance, bien au contraire, tandis qu'aux Etats-Unis, la
frontière entre la corruption au bénéfice des intérêts d'un pays
étranger et la loyauté du citoyen demeure floue, tellement les
membres de la chambre des représentants et les sénateurs dévoués
à Israël conservent non seulement toute leur bonne conscience,
mais partagent le sentiment profond et sincère du reste de la
population de représenter les mêmes valeurs à la fois
patriotiques et universelles de la démocratie américaine que les
immigrés d'autres nations.
La cause de la méconnaissance d'une bi-polarité psychique aussi
évidente est fort simple : le régime politique
d'outre-Atlantique se révèle à son tour viscéralement schizoïde,
eschatologique et messianique. C'est précisément la dimension
juive du christianisme rédempteur des origines, donc d'une foi
encore empreinte du "sacré réaliste" de l'Ancien Testament -
celle qui compénètre les Actes des apôtres - qui
permet à M. Netanyahou de s'adresser non seulement à des frères,
mais à des co-religionnaires et à des compatriotes d'une
religion de la Liberté appelée à se concrétiser sur la terre; et
c'est cette foi biaisée que M. Barack Obama a offensée dans son
discours trop franc d'Oslo, où il a déclaré: "Il y aura
toujours des guerres", alors que seule la guerre tartuffique
est proprement religieuse, seule la foi matérialisée est sainte
au sens du bûcheron d'Isaïe.
10 - La
foi et la guerre
"Israël
n'a pas de meilleur ami que l'Amérique et l'Amérique n'a pas de
meilleur ami qu'Israël",
s'écrie l'orateur. Mais voyez comme le messianisme
politico-religieux commun aux deux nations se greffe aussitôt
sur cette prétendue "amitié": "Nous sommes ensemble
pour défendre la démocratie. (…) Nous sommes ensemble pour
lutter contre le terrorisme."
La foi, c'est la guerre à Lucifer. Voilà l'ennemi commun dûment
désigné. La guerre unanime à la "terreur" n'est autre que la
guerre de Jahvé pour la "paix universelle"; et cette paix est
biblique par nature et par définition, donc israélienne au sens
mythologique évoqué plus haut. Il s'agit d'un irénisme
conquérant et consubstantiel à un mythe du "salut" viscéralement
combattif à son tour, celui que le peuple juif, sans cesse
menacé et réputé toujours sur la défensive, est condamné à
soutenir jour et nuit et de siècle en siècle contre le Mal. Il
en résulte que la croisade supposée rédemptrice des brebis pour
le triomphe de la Liberté sur Satan dans le monde entier sera
sans fin et que cette équipée sotériologique ne s'arrêtera
jamais parce que "l'Etat juif brillera comme une étoile de la
Liberté au milieu des despotismes de l'Orient".
Mais en vertu même des prémisses eschatologiques du tartuffisme,
il se trouve qu'Israël sera une nation éternellement en guerre
contre le Diable et pour son extension territoriale dûment
chapeautée de messianisme. C'est par nature et par un effet de
sa destination innée que ce peuple schizoïde a vocation de se
présenter à la fois les armes à la main et dédoublée sur la
scène internationale par la Justice, la Liberté et le Droit.
Quel souffle et quel élan que ceux d'un messie de la Liberté et
de la Paix en danger sur toute la terre habitée ! Pour
concrétiser cette théologie, il faudra aller jusqu'à faire jouer
à la minorité arabe qui a survécu aux massacres et aux
expulsions de 1947 le rôle de témoin de la grandeur spirituelle
du pays des prophètes. "Je veux que vous vous arrêtiez un
instant et que vous pensiez à cela : parmi les trois cent
millions d'Arabes, moins d'un demi pour cent jouit vraiment de
la liberté, et ceux-là sont tous citoyens d'Israël ! (…) Israël
ne représente pas le mal, Israël incarne la justice au
Moyen-Orient."
11 - L'arme nucléaire et Jahvé
Et Gaza? "Téhéran domine Gaza, Téhéran parraine la terreur à
travers le monde." La sous-conversation théologique
astucieusement mise en place par le nucléaire appelle maintenant
un décryptage anthropologique plus isaïaque que jamais de la
face cachée du propos.
L'idole présente trois masques. Le premier rappelle au grand
protecteur qu'on n'a plus besoin de lui à titre militaire, donc
qu'on est devenu puissant tout seul: "Mes amis, vous
n'avez pas besoin de construire la nation d'Israël. Nous sommes
déjà construits. Vous n'avez pas besoin d'exporter la démocratie
en Israël. Nous l'avons déjà obtenue. Vous n'avez pas besoin
d'envoyer des troupes américaines pour défendre Israël. Nous
nous défendons."
Le second masque sacré avertit la Maison Blanche en sous-main
qu'Israël est décidé à se défendre à l'aide de l'arme nucléaire,
parce qu'en raison de sa petitesse, le destin l'accule à cette
extrémité."La vérité est qu'Israël a besoin de mesures de
sécurité uniques en raison de sa taille unique. Israël est l'un
des plus petits pays du monde."
Le troisième masque du message permet de déplacer le problème
nucléaire en direction d'un tiers censé seul redoutable, alors
que tous les stratèges reconnaissent que deux nations nucléaires
se neutralisent nécessairement l'une l'autre. "Un Iran
nucléarisé déclencherait une course à l'arme atomique dans tout
le Moyen-Orient et procurerait aux terroristes - (à Lucifer) -
un parapluie nucléaire. Ce serait le cauchemar du terrorisme
apocalyptique, ce serait un danger évident et présent dans le
monde entier. Je voudrais que vous compreniez bien ce que cela
veut dire: ils pourraient disséminer la bombe partout, ils
pourraient la placer sur un missile, ils pourraient la déposer
sur le pont d'un navire porte-conteneurs et cibler les ports ou
la cacher dans une valise et dans le métro. A l'heure présente,
la menace qui pèse sur mon pays ne saurait se trouver
sous-estimée. Tous ceux qui nient cette menace sont des
autruches. Moins de sept décennies après que six millions de
Juifs eurent été assassinés, les dirigeants iraniens nient
l'existence de l'Holocauste du peuple juif et en appellent à
l'anéantissement de l'État juif."
Par bonheur, l'Amérique est là. "Vous avez agi différemment.
Vous avez condamné les objectifs génocidaires du régime iranien.
Vous avez fait voter des sanctions sévères contre l'Iran.
L'histoire te salue, Amérique."
12 - La
mythologie des idéaux
Puisque l'inconscient théologique du "peuple élu", donc masqué,
lui impose le rôle d'une victime potentielle, et cela à titre
viscéral et immémorial, pourquoi, dira-t-on, cette persécution
inexplicable se renouvelle-t-elle de génération en génération et
sur toute la terre habitée? "Si l'histoire a appris quelque
chose au peuple juif, c'est que nous devons prendre au sérieux
les appels à la destruction de notre peuple. Nous sommes une
nation appelée à renaître des cendres de l'Holocauste. Quand
nous disons " plus jamais ", nous voulons dire "plus jamais!"
Israël se réservera toujours le droit de se défendre."
Qu'est-ce à dire ? Nous avons vu qu'en réalité et dans les
profondeurs de l'inconscient national , le "droit de se
défendre" est nucléaire par nature et par définition Israël peut
donc se permettre d'ironiser en théologien de son
auto-légitimation religieuse, et notamment en raison de la
minusculité de David. "Monsieur le Vice-Président, je vais
vous illustrer cela. C'est plus grand que le Delaware (La
patrie de M. Biden). C'est également plus grand que Rhode
Island. Mais c'est tout. Si Israël se trouvait ramené aux
frontières de 1967, il accepterait de se réduire à la moitié du
périphérique de Washington." On sait que le vice-président
des Etats-Unis est un Irlandais férocement sioniste et dont
l'épouse est juive. C'est lui qui avait répondu par un: "Et
alors?" à la politique d'encerclement de Gaza par Israël.
Mais alors pourquoi la Palestine vaincue menace-t-elle néanmoins
et inexplicablement un Israël pourtant pacifiste par nature et
par définition, pourquoi tant d'hostilité, et si tenace "alors
que nous avons supprimé des centaines de barrières qui faisaient
obstacle à la libre circulation des biens et des personnes"?
Pour tenter de résoudre une difficulté dont la cause politique
demeure à la fois mystérieuse et absurde, il faut observer une
fois de plus comment, un siècle après la loi française de
séparation de l'Eglise et de l'Etat, Israël parvient à imposer
les verdicts de son ciel à la planète des descendants de
Voltaire et de Freud. C'est que le monde entier demeure celui du
bûcheron d'Isaïe. L'Amérique est une nation eschatologisée à
nouveaux frais par le mythe de la grâce privilégiée dont jouit
le peuple élu, tellement la Réforme de Calvin retourne à la
théologie vétéro-testamentaire. "La providence a confié aux
États-Unis le rôle de gardien de la liberté. Tous les peuples de
la terre qui chérissent la liberté - sous-entendu individuelle -
ont une dette à acquitter à l'égard de votre grande nation, la
dette de leur profonde gratitude. Parmi les nations les plus
reconnaissantes, il y a ma nation, il y a le peuple d'Israël,
qui a combattu pour sa liberté et sa survie dans des conditions
effroyables, tant dans les temps anciens que dans les temps
modernes." Qu'est-ce que cela, sinon la théologie de la
grâce sélective du Réformateur de Genève, celle d'un croyant
emblématique que Jahvé a proclamé juste par nature et sauvé
avant qu'il l'eût en rien mérité - un certain Abel.
13 - Les
droites faussement parallèles d'Euclide
Mais il se trouve
que la sainteté de l'Abel israélien est aussi contradictoire est
aussi saisissante que le théorème en tête à queue d'Euclide
selon lequel deux droites parallèles l'une à l'autre ne se
rencontreraient jamais, mais se croiseraient néanmoins à
l'infini pour revenir à toute allure à leur point de départ. Cet
axiome renvoie au rejet, par le monde entier, de la tonalité et
des conclusions théologales du discours de M. Benjamin
Netanyahou; car, pour la première fois, on a vu la logique en
tête à queue de l'univers des abscisses et des ordonnées réfutée
par le retour précipité sur ses pas du postulat selon lequel la
Palestine originelle ne deviendra un Etat parallèle à lui-même
qu'à la condition de se réconcilier dans l'infini avec son
expulsion illégale de son territoire en 1947, celle qui a frappé
au départ sept cent cinquante mille euclidiens dont les
descendants au nombre de quatre ou cinq millions, subiront à
titre enfin définitif et de génération en génération un
châtiment que leurs ancêtres avaient laissé en panne de son
éternité.
Ecoutons l'avocat de ce parallélisme truqué entre la "paix", la
"justice" et le "droit". "Pourquoi la paix n'a-t-elle pas été
obtenue ? Parce que, jusqu'à présent, les Palestiniens se sont
montrés réticents à accepter qu'il existât un État palestinien
souverain si, en retour, ils légitimaient un État juif à leurs
côtés."
Et l'orateur d'enfoncer le clou: "Vous voyez, notre conflit
n'a jamais porté sur le principe de la création d'un État
palestinien, il a toujours et exclusivement porté sur le droit à
l'existence éternelle de l'État juif. Voilà l'objet de ce
conflit. En 1947, l'Organisation des Nations Unies a voté pour
la reconnaissance internationale d'un État juif et pour celle,
parallèle, d' un État arabe. Les Juifs ont dit oui. Les
Palestiniens ont dit non. Ces dernières années, les Palestiniens
ont refusé par deux fois l'offre si généreuse des Premiers
Ministres israéliens d'installer un État palestinien sur
presque - c'est moi qui souligne - tous les territoires
conquis par Israël au cours de la guerre des Six Jours. "
Décidément la logique des parallèles d'Euclide excelle dans
l'art de noyer le poisson, puisque l'Etat de 1947 n'obéit pas à
la même logique des droites et des courbes que celle de 1967.
Quel est le péché originel des méchants Palestiniens? "Ils ne
sont tout simplement pas disposés à mettre fin au conflit. Et
j'ai le regret de vous dire ceci: ils continuent d'élever leurs
enfants dans la haine à notre égard. Ils continuent de baptiser
leurs places publiques du nom de leurs terroristes, et le pire,
c'est qu'ils persévèrent à nourrir l'illusion que le jour
viendra où Israël se trouvera submergé par les descendants des
réfugiés palestiniens de 1947."
De plus, toute paix qui se conclurait par la signature d'un
éventuel compromis entre les postulats des deux géomètries devra
"refléter les changements démographiques survenus depuis
1967. La grande majorité des six cent cinquante mille Israéliens
qui vivent au-delà des frontières de 1967 résident dans les
quartiers et les banlieues de Jérusalem et du Grand Tel Aviv.
Ces zones sont fort peuplées, mais elles occupent un territoire
assez limité. En vertu d'un accord de paix réaliste - c'est moi
qui souligne - les zones d'une certaine importance stratégique
seront intégrées dans les frontières définitives d'Israël."
Sur des fondements aussi généreux, Israël fera néanmoins valoir,
comme précédemment, qu'il demeurera pourtant menacé jour et nuit
par le nouvel Etat: "Les observateurs européens dans la bande
de Gaza se sont évaporés du jour au lendemain. Donc, si Israël
quitte simplement ces territoires, un afflux d'armes en
direction d'un futur État palestinien demeurerait sans
surveillance. Des missiles seraient tirés à partir des
territoires dont nous nous serions retirés et pourraient
atteindre toutes les habitations d'Israël en moins d'une minute.
Je voudrais que vous y pensiez. Imaginez que vous auriez moins
de soixante secondes pour trouver un abri contre un tir de
missile. Qui souhaite vivre de cette façon? Eh bien, si vous ne
le souhaitez pas, nous non plus."
14 - Une
ombre d'Etat
L'Etat palestinien ne sera jamais qu'une ombre, de sorte qu'il
ne saurait disposer d'une armée. Mais qu'importent ces nouveaux
défis au droit international: "Il est absolument vital pour
la sécurité d'Israël qu'un État palestinien soit pleinement
démilitarisé. Et il est essentiel qu'Israël maintienne sa
présence militaire le long du Jourdain. Les mesures de sécurité
fiables seront nécessaires non seulement afin de protéger la
paix, mais afin de protéger Israël dans le cas où la paix
tomberait en quenouille. Dans notre région, qui est si instable,
personne ne peut garantir que nos partenaires actuels de la paix
seront encore là demain."
Sommes-nous parvenus au terme de la fable de La Fontaine cui
titulo inscribitur La Génisse, la Chèvre et la Brebis en
société avec le Lion, qui mirent "en commun le gain
et le dommage"? On se souvient que le lion décida de se
réserver la totalité des proies qui tomberaient dans leurs rets
communs, et cela pour quatre raisons universelles, dont la
première lui accordait l'entièreté des prises en raison de son
nom, la seconde en raison de la pertinence de sa force, la
troisième en raison de la célébrité de sa vaillance, la
quatrième du fait qu'il étranglera sans barguigner quiconque
toucherait à son butin .
A
cela, il faut ajouter, dit le lion, que les négociations de paix
en commun seront menées par des partenaires angéliques, donc
acquis d'avance à la signature de la paix dans les conditions
séraphiques ci-dessus précisées par le roi des animaux. Or,
ajoute le chérubin à crinière, les crocs du Hamas ne sont pas un
"partenaire pour la paix", puisque cet animal conteste le droit,
exclusif à son tour, dont la démocratie mondiale se réclame pour
son propre compte - celui de légitimer pour l'éternité un Etat
en rupture de ban et à titre originel avec le droit
international d'Abel. Mais alors, comment fonder la démocratie
sur la liberté universelle des peuples de disposer d'eux-mêmes
et dans le même temps, implanter un puissant Etat colonial dans
l'Eden des séraphins et des chérubins de la sainte démocratie?
Le lion demande donc au tigre palestinien de "déchirer son
pacte" avec la panthère du Hamas - mais alors comment le
président Obama a-t-il pu refuser à Israël le droit immémorial
d'occuper pour toujours la Palestine? "Le rêve d'un Etat juif
démocratique est irréalisable dans le contexte d'une occupation
permanente."
On comprend mal le hosannah qui termine un si glorieux exercice
théologique du lion. "Je parle au nom du peuple juif et de
l'État juif quand je vous dis à vous, représentants de
l'Amérique, que je vous remercie. Merci pour votre soutien
indéfectible à Israël. Merci de veiller à ce que la flamme de la
liberté brûle à travers le monde. Que Dieu vous bénisse tous. Et
que Dieu bénisse à jamais les États-Unis d'Amérique."
15 - Les
patenôtres du lion
On voit ce que
signifierait une politologie articulée non seulement avec une
connaissance anthropologique de l'âme et de l'esprit des nations
d'Abel et de leur histoire , mais sur un décodage de leur
éloquence religieuse. Pour l'heure, la science des relations
entre les Etats simiohumains de la planète se présente comme la
plus lente de toutes dans l'arène des savoirs. En vérité, cette
discipline demeure tellement poussive que la grâce démocratique
ne l'a pas fait progresser d'un pouce depuis deux millénaires -
Machiavel lui-même n'a fait que collationner les recettes tant
pratiques que messianiques qui réussissent ou échouent sur
l'échiquier des relations théologico-temporelles entre les
Etats.
Et pourtant, en
quelques jours, la planète a fait un pas de géant en direction
de la question décisive de savoir si un peuple se trouve en
droit de se réinstaller dans sa patrie mythique après deux
millénaires d'absence. Que le lion israélien conduise le monde
entier à invalider les principes fondateurs de la démocratie est
une chose; mais puisque cette tragédie ne peut trouver de
solution militaire, c'en est une autre que la planète entière
coure le risque de virer à l'exécration d'Israël par tous les
peuples de la terre; c'en est une autre que le lion israélien de
demain et d'après-demain ne bougera pas d'un pouce ; c'en est
une autre que le lion de la fable dira à toutes les nations de
la terre que la raison du plus fort sera toujours la meilleure ;
c'en est une autre que la civilisation mondiale ne trouvera
jamais un équilibre entre le lion et le mouton; c'en est une
autre que la planète se résignera à fonder l'avenir sur un Eden
dont le dieu dira au bûcheron d'Isaïe: "La planisphère connaîtra
l'évangile des deux poids et des deux mesures, la mappemonde
jouira des saintes écritures du lion et du mouton, la création
tout entière s'inclinera devant l'idole de bois du bûcheron
d'Isaïe - et vous, peuple des chèvres et des brebis,
chauffez-vous avec le bois de ce monde."
16 - Les
portes du rêve sont fermées. Incipit philosophia
Mais songez que la question du lion, de la génisse, de la chèvre
et de la brebis ne se laissera pas localiser au Moyen Orient,
songez que l'humanité tout entière rêve de s'installer dans une
patrie imaginaire et protégée des crocs du lion; songez que la
démocratie mondiale tout entière rêve d'une cité idéale, songez
que notre astéroïde tout entier fonctionne sur l'encéphale
schizoïde que son évolution a sonorisé à l'école de la parole.
L'anthropologie philosophique qui s'annonce se collètera donc
avec une science transnaturelle, celle de la connaissance du
malheureux bipède qui ne s'est évadé de la zoologie que pour
basculer dans des mondes oniriques.
Si le chat, le chien, le cheval, le tigre,
le lion, l'éléphant et la masse des animaux portaient un regard
de haut sur les herbages de chacun, ne serait-ce pas à ce rêve
d'évasion dans le ciel de leur folie que la nature porterait
leur encéphale à tous, et notre époque n'illustrerait-elle pas
un tournant mémorable de l'histoire multimillénaire de notre
espèce, puisque, pour la première fois dans notre histoire, nous
nous indignerions de notre sort misérable sans nous ruer
aussitôt et tête baissée dans une utopie plus démentielle que la
précédente? N'est-ce pas une grande chance que les portes du
rêve politique se soient définitivement fermées et qu'il nous
faille changer le monde sans nous précipiter dans un autre où
les anges et les séraphins nous apportaient un bien pâle
secours?
Il est heureux que l'univers ait pris un rendez-vous nouveau
avec la pensée. Le baron de Grimm comparait en ces termes le
XVIIIe siècle au XVIIe: "Il existe une seule sorte d'hommes
supérieurs dont il n'y en avait pas du temps de Louis XIV. Je
les appellerais volontiers philosophes de génie. Tels sont M. de
Montesquieu, M. de Buffon, M. Diderot, etc. C'est cette espèce
d'hommes, si rare et si glorieuse pour une nation, qui fait
aujourd'hui la principale gloire de la France et qui donne à
notre siècle un avantage réel sur le précédent." (1er
décembre 1753, Correspondance de Grimm, Paris
1813, t. I, p. 93)
Décidément, le
XXI siècle sera le second siècle des Lumières ou ne sera pas. "