1 - Une énigme
anthropologique
Le
décryptage anthropologique d'une
fatalité politique, celle de la
vassalisation accélérée de l'Europe, a
connu un tournant aussi discret que
décisif, le 26 avril dernier avec la
parution en première page du journal Le
Monde, d'un éditorial retentissant signé
Natalie Nougayrède, la directrice du
quotidien français le plus prestigieux
sur la scène internationale, sous le
titre: "Le XXIe siècle se joue en
Asie".
L'affichage d'une
volonté de subordination de l'Union
européenne aussi résolue témoigne de
méthodes d'assujettissement mûrement
planifiées. Mais si elles se mettent
vigoureusement en place, leur
programmation et leur mise en
application témoignent, dans le même
temps, d'une maladresse confondante et
d'un amateurisme énigmatique ou du moins
difficiles à décoder.
Comment
Mme Nougayrède peut-elle écrire: "En
mars dernier, le dernier char d'assaut
américain a quitté l'Allemagne. Le
premier était arrivé en 1944"?
Personne n'imagine un seul instant que
Mme Nougayrède ignorerait l'incrustation
de deux cents bases militaires en
Allemagne depuis 1949, ou la récente
mise hors jeu de l'arme nucléaire
française, remplacée par un bouclier
anti-missiles appelé "Patriot"
par anti-phrase et censé prévenir un
déferlement imminent des Tartares sur
les arpents des Germains, ou le maintien
à perpétuité et l'extension continue du
champ d'opération de cent trente sept
garnisons américaines campées l'arme au
pied en Italie, ou le refus catégorique
et définitif de Washington de jamais
remettre la base navale de Naples à
l'Etat italien, non plus que de
restituer les forteresses d'Aviano, de
Gaète, de Livourne, de Sigonella, de
Pise, de Vérone, de Vicence, de la
Maddalena.
Si, sous un si vigoureux corsetage,
l'expulsion pure et simple de l' Europe
de l'arène de la politique
internationale crève les yeux de tous
les états-majors, comment décrypter la
stratégie ahurissante de l'empire
américain, qui fait écrire à Mme
Nougayrède que le dernier blindé de 1944
aurait quitté une Allemagne censée
définitivement libérée depuis soixante
huit ans, alors que tout le monde
observe avec des yeux dessillés
l'épaisseur de la cuirasse de l'armée
américaine qui bivouaque résolument sur
les terres d'Arioviste, où elle ne
cesse, sans s'en cacher le moins du
monde, d'étendre au grand jour
l'exercice de sa souveraineté. D'ores et
déjà la civilisation européenne se
trouve définitivement supplantée sur le
théâtre stratégique de l'histoire.
2 -
L'analyse anthropologique de l'histoire
et la science des empires
L'analyse du contenu anthropologique de
l'éditorial de Mme Nougayrède illustre
la passivité et la complicité des
peuples domestiqués en sous-main par
leur "délivreur". L'étude
psychobiologique de la géopolitique est
riche d'enseignements sur les méthodes
d'implantation des mythes politiques
dans les esprits. On y récolte une manne
d'observations sur l'inconscient
messianique des démocraties modernes et
sur le caractère inévitable des déclins,
mais également sur les progrès d'une
science historique mieux informée des
ressorts religieux de la
psychophysiologie des peuples et surtout
plus ambitieuse de percer à jour et
d'interpréter les rouages des évènements
tragiquement ignorés ou délibérément
méconnus. Comment se fait-il que, trois
quarts de siècle à peine après la
défaite du nazisme et un quart de siècle
seulement après la chute du mur de
Berlin, la politologie européenne semble
avoir entièrement perdu de vue l'axe
central de la scientificité de la
discipline des Machiavel ou des
Talleyrand, dont l'assise naturelle
n'est autre que la compréhension et
l'explication des travaux et des jours
des nations - à savoir, leur rivalité
sur un espace toujours trop étroit à
leurs yeux?
Le caractère
instinctif, donc aveugle, de la volonté
d'expansion et de conquête des Etats a
quitté le champ du regard de l'historien
et des plus hauts dirigeants. C'est
pourquoi une anthropologie critique de
la géopolitique appelée à fonder une
science de l'ascension et du trépas des
empires jugerait infantile l'amusement
de décrire et de décrypter l'éditorial
de Mme Nougayrède comme celui d'un agent
pleinement conscient des services que
l'empire américain attend de lui, donc
d'un instrument dont la duplicité
joyeuse serait de l'ordre de la trahison
délibérément et lucidement assumée.
C'est précisément le contraire qu'il
faut comprendre: dans les déclins, les
défenseurs de leur maître sont le plus
souvent touchants de sincérité et
pathétiques dans leur bonne foi, parce
que leur servitude demeure involontaire
et porte les vêtements blancs des
chevaliers du mythe démocratique dans
les têtes, à la manière dont les croisés
au grand cœur portaient l'armure et la
cuirasse de leur croyance en la
délivrance du monde. Si les fidèles du
dieu Liberté ne sauraient voir un demi
millier de forteresses étrangères
tacheter de leurs drapeaux le sol du
Vieux Monde, comment se pencheraient-ils
sur les secrets psychobiologiques de
leur obéissance généreuse aux attentes
de leur foi? Lech Walesa n'a découvert
qu'après coup que si l'Eglise peinte aux
couleurs de toutes les nations ne
poursuivait pas des "intérêts d'Eglise"
unifiés, elle n'existerait pas, Vaclav
Havel était tellement persuadé que
l'Amérique se retirerait de la
Tchécoslovaquie libérée avec son appui
qu'il était allé gentiment remercier le
grand Samaritain de Washington et
s'était ridiculisé devant le Congrès.
Même un François Mitterrand a cru que la
France récolterait quelques avantages
diplomatique d'avoir participé avec une
belle ardeur à la première guerre du
Golfe et Jacques Chirac a été surpris,
lui aussi, par la fureur monocolore du
peuple américain outragé par l'hérésie
d'une France soudain désobéissante et
butée sur son refus de combattre un
moulin à vent - une fiole censée
contenir un poison foudroyant pour notre
astéroïde.
3-
L'archange saint Michel de la politique
mondiale
C'est précisément parce qu'il serait
erroné d'y dénoncer une tartufferie
éhontée que l'éditorial de Mme
Nougayrède nous présente en pointillé un
document théopolitique d'une grande
valeur anthropologique et qu'il serait
ridicule d'y voir la main de Molière.
L'acier de ce camouflage est trop épais
pour valider une herméneutique de ce
genre. Pour écrire noir sur blanc, comme
il est rappelé ci-dessus, que les armes
et les troupes d'occupation de
l'Amérique des Quichotte du monde
moderne auraient quitté une Europe
pleine de gratitude et qu'un chapitre de
l'histoire du Toboso serait
définitivement clos, il serait stérile
d'invoquer la sottise ou la candeur des
serfs. Il faut une vision sentimentale
de l'histoire, une foi ardente, un sacré
soustrait au regard, mais omniprésent,
un royaume de l'imaginaire para
religieux pour éclairer une vision
salvifique, euphorisante et messianique
de l'histoire: l'Europe, dit le credo,
aurait été sauvée des eaux en 1945 par
la bénédiction béatifiante d'un ange
Gabriel de la démocratie universelle.
L'anthropologie critique élabore la
science de l'inconscient sotériologique
du genre simiohumain. Elle démontre que
seul un type de cécité au grand cœur,
que seul un aveuglement eschatologisé,
que seul un élan de la foi en une
délivrance supra-terrestre peut
expliquer la naïveté d'origine biblique
qui sous-tend le récit de Mme Nougayrède,
dont voici le mot à mot: "La Chine
suit de très près les tourments des
Européens, la fragilité de la monnaie
unique et d'une Union au projet
politique en panne. Elle suit tout aussi
attentivement la façon dont pourrait se
former un nouveau canevas
transatlantique dédié au libre-échange.
On veut parler ici du projet d'accord
Etats-Unis-Union européenne sur la
création d'un grand ensemble tarifaire
et normatif que le président Barack
Obama a décidé de placer parmi ses
priorités internationales sitôt réélu."
Le ton
est bénédictionnel et "normatif": "Ce
grand ensemble de libre-échange
regrouperait 50% du PIB mondial,
aiderait la croissance et consoliderait
Américains et Européens face au grand
défi chinois du XXIe siècle."
4 -
Les anthropologues de Dieu
On voit
que la place gentiment réservée à une
Europe "consolidée" et dont la crédulité
confessionnelle serait modelée à
l'effigie d'une démocratie du salut la
pelotonnerait au pied du trône des
Etats-Unis d'Amérique. Le géant
d'outre-Atlantique serait supposé
promouvoir et même glorifier le rang
d'un partenaire d'un demi milliard de
consommateurs reconnaissants et
apparemment traités en égal, alors que
toute alliance entre un Titan en armes
et un infirme bénit de plein droit le
regard condescendant du maître sur ses
serviteurs. La méconnaissance du tissu
réel de l'histoire d'un monde
hiérarchisé depuis le paléolithique crée
une fausse collégialité et même une
complicité illusoire entre des
dirigeants et des subordonnés. Voici les
clauses de ce type de pacte: "La
logique est la suivante :si l'ensemble
transatlantique ne s'organise pas mieux,
la Chine ne finira-t-elle pas un jour
par imposer ses normes en arguant de son
poids de deuxième économie mondiale?"
On occupe d'avance une certaine place,
on se trouve parqué d'office dans sa
"famille", comme disait M. Sarkozy, on
appartient de naissance à telle horde ou
à telle autre.
C'est
pourquoi, dans son interview datée du 3
mai du Président Nicolas Marudo, Mme
Nougayrède évoque le "supposé
impérialisme des Etats-Unis", puis
demande à son interlocuteur: "Qui, au
XXIe siècle, doit être l'allié du
Venezuela, l'Europe ou la Chine et la
Russie?", ce qui présuppose que
l'Europe occupera nécessairement le rang
de satellite des Etats-Unis. Le
Président lui répond sèchement qu'il
existe un BRICS qui représente trois
milliards d'habitants.
C'est pourquoi un empire n'"argue"
jamais. Pourquoi avancerait-il des
arguments? Sitôt qu'il accède à un
certain degré de développement de sa
musculature, tout le monde s'incline
devant lui. Pourquoi lèverait-il le
petit doigt, alors que son ossature
parle pour lui ? Voyez comme il
déclenche massivement le réflexe de la
vénération spontanée et de la
subordination empressée: depuis des
millénaires, le genre humain est un
titanesque automate de l'obéissance.
C'est pourquoi ses prosternations
théologiques se révèlent des documents
anthropologiques normatifs: on y voit un
roi incontesté du cosmos
s'auto-congratuler d'une voix de Stentor
et se proclamer omnipotent et
omniscient. Quelle est la preuve la plus
incontestable qu'il en fournit? Le feu
des tortures éternelles au nom
desquelles deux milliards d'humains
s'agenouillent, parce qu'ils y voient le
sceptre de la sainte justice de leur
maître.
C'est dire que tout empire terrestre
n'est jamais qu'une pâle copie du modèle
absolutisé dont les Olympe transportent
l'effigie dans le ciel: si les trois
monothéismes ne se scindaient pas entre
les sucreries qu'ils distribuent dans
les nues et les châtiments épouvantables
qu'ils infligent à leurs créatures
pécheresses sous la terre,
l'anthropologie critique perdrait ses
plus éloquents témoins de l'histoire
sanglante de l'humanité. Mais tout
pouvoir politique est une théologie
miniaturisée et aux patenôtres
affaiblies. C'est pourquoi le scannage
anthropologique de Dieu progresse dans
les souterrains de l'Europe de la
pensée.
5 - Une
psychophysiologie de la servitude
politique
La Chine
et ses "normes" sont perçues comme
redoutables du seul fait qu'il s'agit
d'un empire en pleine ascension sous le
soleil - mais les "normes" que l'OTAN
vient d'imposer au grand jour à la
France, à savoir le choix du "tout
Microsoft" en lieu et place d'un
"logiciel libre", excluent
l'indépendance informatique et
industrielle de l'Europe. Pourquoi n'y
a-t-il pas eu d'appel d'offre ou de
procédure publique d'attribution de ce
marché? Parce que Microsoft travaille
avec la NSA (National Security Agency),
autrement dit en étroite collaboration
avec les services secrets de l'occupant
de l'Europe. L'ange Gabriel de la
démocratie mettra subrepticement en
place et selon son bon plaisir des
programmes d'espionnage de tous les
utilisateurs du Vieux Monde - et il se
mettra en mesure de perturber les
logiciels de ses vassaux. De plus,
Microsoft opposera son veto à la vente
de tout matériel que l'Europe
fabriquerait à partir de ses logiciels
propres. La vassalisation culturelle,
intellectuelle et linguistique de
l'Europe est l'objectif prédominant de
l'expansion idéologique de l'empire
américain depuis 1944 - c'est dire que
"l'exception culturelle" sera la
première victime à immoler sur l'autel
du "grand ensemble tarifaire et normatif
".
Mais la
France est pour beaucoup,
quoiqu'indirectement dans un processus
de domestication aussi patelin, parce
qu'elle se frotte les mains d'avoir
échappé à la réoccupation militaire de
son territoire à la suite de son retour
pitoyable sous le sceptre américain de
l'OTAN, dont le quartier général, lové
en France pendant toute la IV République
et jusqu'en 1966, s'est ensuite tapi à
Mons en Belgique. Or, les populations
allemande et italienne commencent
seulement de s'apercevoir de
l'enracinement d'un empire étranger et
armé jusqu'aux dents sur leur sol - mais
leur épiderme le ressent bien davantage
que le péril vague et lointain de
l'émergence, sur la mappemonde, d'une
Chine qui aurait le mauvais goût d'"arguer"
de son poids industriel et commercial
sur la scène internationale. C'est
l'illusion de son autonomie retrouvée
qui fournit à la France les apprêts, les
attraits et toute la bijouterie dont se
parent les démocraties vassalisées sous
la quincaillerie et les affûtiaux d'une
pseudo souveraineté peinte en fer.
Le socle
anthropologique de la servitude de la
France sur le globe terrestre actuel est
fort mal masqué par le livre d'images
dont Le Monde se montre le
dessinateur. Ce modèle de la
géopolitique ne trompe plus personne
dans la haute classe en livrée. Des
années avant sa chute, M. Strauss-Kahn
avouait déjà sur TF1 qu'un petit pas de
plus rendrait définitive la
vassalisation fort avancée de la France.
Il est de règle, dans les dorures des
déclins, qu'une proportion considérable
de la classe dirigeante et de
l'intelligentsia arbore spontanément les
rubans et les dentelles d'une
légitimation rampante ou étalée au grand
jour de l'hégémonie du plus fort et il
est coutumier que les naufragés de leur
gloire passée s'indignent de l'impiété
de paraître profaner l'ascendant
qu'exerce l'orthodoxie du lion nouveau.
Il faut lire et relire la fable de La
Fontaine intitulée Les animaux
malades de la peste.
6 -
L'Europe au musée
C'est
dans cet esprit que Mme Nougayrède
sollicite le Président de la République
de caresser la crinière du fauve: "M.
Hollande, qui avance à pas de loup sur
ce terrain comme sur d'autres, n'a pas
placé la France en force motrice de ce
projet. Sans plus, non plus (sic) ,
chercher à s'en démarquer
ostensiblement."
Autrement dit, la France de l'habileté
diplomatique est appelée à franchir à
pas feutrés la frontière entre la
souveraineté et la vassalité. Elle
semble vouloir garder un instant encore
ses cartes et ses broderies d'autrefois
dans sa manche. A ce titre, elle feint
d' avancer dans les deux directions à la
fois, mais la Mer Rouge s'ouvrira au
passage du nouveau peuple de l'exode.
Mme Nougayrède saurait-elle, dans son
for intérieur, que la force s'allie au
glaive? Dans ce cas, telle serait la
raison cachée qui lui ferait soutenir
pieusement, mais à titre provisoire, que
l'Europe ne brillerait déjà plus de
l'éclat des épées d'un autre, parce
qu'un char d'assaut symbolique aurait
quitté son musée en Allemagne occupée
sous l'œil des caméras du monde entier
pour aller prendre une place bien
méritée dans un musée de New-York.
Mais au
sein d'un monde dont la géopolitique
demeure muette et bouche cousue,
l'anthropologie critique dépose
l'inconscient politique des théologies
sur les plateaux de sa balance ; et elle
observe le poids variable de
l'enracinement des démocraties dans le
mythe biblique de la délivrance dont
témoigne l'expansion idéologique de
l'Amérique. L'aiguille s'arrête sur un
document politico-religieux aussi
éloquent que le Prince de
Machiavel; et elle tente de démontrer
aux amateurs de dentelles que l'histoire
véritable s'apprend à l'école du
fabuliste qui, deux siècles avant Balzac
a étudié le genre humain dans le miroir
de l'allégorie dont des animaux lui
tendent les effigies.
C'est
dans cet esprit qu'il faut regarder
l'Europe se réfléchir dans son musée à
elle: "Le reflux américain de
l'Europe se poursuit: suite logique de
la réorientation vers l'Asie-Pacifique
voulue par le président Obama. Se
poursuivent aussi les affres
européennes, dans le lancinant sentiment
de déclassement lié à la crise."
Non, dit
le ciel de la raison, le "lancinant
sentiment de déclassement" ne
résulte pas de la crise; celle-ci n'est
jamais que le dernier soubresaut de
l'effacement d'une civilisation
oublieuse de ce que l'histoire se forge
sur l'enclume de la volonté politique.
Les odeurs d'intendance montent du
désert que l'action a quitté.
7 -
L'anthropologie critique et l'avenir de
la culture européenne
Le scannage des relations que
l'anthropologie critique entretient avec
la pesée de l'inconscient théologique,
donc guerrier, de la politique mondiale
ne s'arrête pas à mi-chemin: la main de
velours de Mme Nougayrède nous conduit
au terme de l'analyse comparée du mythe
religieux et du mythe démocratique, donc
à l'examen du fonctionnement parallèle
des deux vassalisations. Car le
christianisme se contentait d'installer
dans le néant un souverain du cosmos et
du vide devant lequel toutes les
créatures se trouvaient nivelées à seule
fin de ne dresser aucun obstacle à
l'omnipotence en expansion d'un roi de
l'immensité et de l'éternité. Le mythe
démocratique, lui, est bel et bien
construit sur le même modèle: il égalise
tout le monde devant sa face d'ange,
mais seulement afin d'assurer à coup
sûr, et en coulisses, l'ascension du
bénéficiaire véritable de l'opération,
le nouveau chef immaculé et le maître de
justice de la politique internationale.
Du coup, l'analyse
anthropologique d'un éditorial de Mme
Nougayrède inconsciemment greffé sur le
mythe de l'Exode et du salut conduit à
une spéléologie de nature à nous
éclairer sur l'avenir de la "sortie
d'Egypte" de la politique et de la
culture européennes. Car la Renaissance
avait ouvert une brèche dans la
forteresse des "essences" et des
"quintessences"; et elle avait commencé
de fractionner la cosmologie pharaonique
de l'époque: les langues et les
croyances soudainement diversifiées et
dispersées en une mosaïque sur la
planète des coutumes et des mœurs y
perdaient l'autorité monolithique que
seul le monothéisme biblique s'était
trouvé en mesure de leur accorder. De
même, la découverte, il y a soixante
ans, de l'ADN a brisé l'universalité
artificielle du concept d'homme et
rouvert tout subitement les sciences
humaines à une connaissance abyssale du
singulier dont la Renaissance avait
seulement tracé la voie.
Mais, à
l'instar du XVIe siècle, on voit une
phalange d'avant-garde du savoir et de
la pensée se heurter à la résistance
acharnée d'une arrière-garde
démocratique construite sur le modèle
superficiel et verbifique de la
théologie du Moyen Age. Le mythe
pseudo-unificateur de la "Liberté" ne
fait que servir un nouveau monolithisme
de la foi, non plus celui d'un créateur
imaginaire de l'univers, mais celui d'un
empire exercé à brandir des totems
démocratiques tentaculaires - des
concepts au service d'une scolastique
vorace de l'abstrait.
Une
étape nouvelle du décryptage du
simianthrope conceptualisé s'annonce à
l'heure où l'Etat idéocratique dépose
sur les autels de la Liberté
l'universalité artificielle, niveleuse
et despotique de son langage des
idéalités, donc d'une égalisation
mythologique des créatures chargée
d'assurer le triomphe d'un ciel de
confection. L'empire américain est
devenu le substitut d'une nouvelle
incarnation du dieu biblique; mais,
cette fois-ci, les armes de la
connaissance d'un sacré vassalisateur ne
sont plus seulement celles de la
philologie renacentiste et d'une
histoire rationnelle des religions qui
faisait ses premiers pas, mais celles
d'une science qui conduit à l'analyse
psychobiologique comparée de
l'asservissement théologique et de son
parallèle, l'asservissement au mythe
démocratique.
Le
tournant décisif de la pensée
occidentale est celui qui ouvre un champ
immense à la connaissance rationnelle du
singulier et aux conquêtes nouvelles de
l'individualisme. Le Moyen Age des
modernes se révèle celui de la fausse
autorité intellectuelle que conquiert
une scolastique du concept de "Liberté".
Décidément, si l'agonie politique d'une
Europe subrepticement théologisée nous
conduit à la caverne d'Ali Baba où se
cache le trésor d'une seconde
Renaissance de la raison et de la
pensée, celle du nominalisme retrouvé et
fécondé, il faut remercier Mme
Nougayrède d'avoir voulu élever la
France au rang de "force motrice" de la
course à l'abîme, mais d'avoir vendu la
mèche sans s'en douter, puisqu'il lui
faut feindre que les troupes
d'occupation auraient quitté l'Europe
jusqu'au dernier char d'assaut pour que
la démocratie réapprenne à sortir du
monastère des droits de l'homme abstrait
et à s'initier au regard réaliste que
les vrais Etats portent sur le genre
humain.
Le 4 mai 2013
Reçu de l'auteur
pour publication
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