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Regards sur le Proche et le Moyen Orient

L'Europe et l'islam - L'avenir cérébral de deux civilisations
Manuel de Diéguez


Manuel de Diéguez

Dimanche 1er avril 2012

Le 25 mars, j'ai mis en ligne sur ce site une première réflexion sur les chances d'un avenir commun de la pensée philosophique de l'Islam et de l'Europe et je situais un approfondissement de la connaissance anthropologique du meurtre rituel au cœur de cette spéléologie. Le 23 mars, l'affaire Merah était aussitôt devenue la proie des factions politiques. M. Nicolas Sarkozy y a évidemment trouvé l'occasion de rappeler que le prestige attaché à la fonction présidentielle est une arme politique bienvenue en période électorale. Alain Rey nous rappellerait que le substantif autorité se dit auctoritas en latin et que l'ajout de ce c vient du verbe augere, augmenter, prendre du poids et de la force - augere donne auctum au passé. Mais ce qu'il conviendrait de faire croître n'est autre que les relations intellectuelles entre les deux civilisations. Car le meurtre sacrificiel se trouve enraciné depuis trois millénaires en Occident, tandis que la transgression des religions immolatrices est du côté de l'islam. L'affaire de Toulouse sera-t-elle le déclencheur d'une réflexion anthropologique sur les relations que les deux civilisations entretiennent avec le sang au cœur de l'assassinat sacré qui a ponctué la politique, la religion et l'histoire de l'humanité? Quelle mise en orbite d'un nouvel avenir de la pensée rationnelle!

Introduction

Donner à une divinité gloutonne un être humain ou un animal à dévorer n'est que le transport de victuailles terrestres dans des nues voraces: les religions inassouvies ne naissent qu'après coup -il a bien fallu trouver un destinataire insatiable des offrandes de sang d'un petit carnassier à la recherche d'un fauve de plus grande taille que lui dont il fera son mandataire et son protecteur.

Telle est la portée anthropologique immense d'une découverte qui appartient à Chateaubriand. Sans le trait de génie de l'esthète préfreudien du Génie du christianisme, on ne saurait saisir sur le vif l'origine semi animale des relations que le sang de l'histoire entretient avec le sacré. Suétone: "On montrait encore à Vélitres [ville des Volsques située dans le Latium] un autel consacré à Octave [le futur Auguste], qui commandait l'armée romaine et qui, averti d'une incursion soudaine de l'ennemi pendant qu'il offrait un sacrifice à Mars, retira aussitôt du feu les entrailles encore à moitié crues de la victime et courut au combat, d'où il revint victorieux." (Suétone, Octave-Auguste, chap. 1)

Il s'agissait de porter en toute hâte une mangeaille de choix au dieu de la guerre. Du temps de Romulus, il était encore interdit de goinfrer les dieux de viandes non préparées et insuffisamment amollies par la cuisson (madida), mais à partir de Tullius, on permit sans vergogne de leur offrir des plats mal cuisinés, tellement elle est glissante, la pente de la piété vers la négligence ou même l'irrespect. Mais, en l'espèce, il a fallu se précipiter à la table du dieu - il y avait urgence de lui apporter à manger.

Elargir le champ du regard sur l'inconscient religieux de la politique, c'est tenter d'approfondir la connaissance anthropologique de l'histoire à l'école d'une interprétation rationnelle de l'évolution de notre cerveau; mais c'est également armer les Etats de l'assise d'un décryptage psychobiologique du meurtre originel dont le sacrifice de l'autel se présente en témoin universel. Car quelques siècles seulement plus tard, on n'offrait plus de la chair crue ou cuite à point au Dieu des chrétiens ; mais, de nos jours encore, le créateur du cosmos hume le parfum d'une chair et d'un sang agréables à ses narines devenues délicates. Que penser d'un sacrifice rendu exclusivement olfactif et qualifié de "bonne odeur" par ses théologiens, que penser d'une idole privée de proies à dévorer à belles dents? Comment ne pas se demander si notre espèce appartient encore à la zoologie ou déjà à une espèce pensante, du moins à titre embryonnaire, comment ne pas déplacer résolument la frontière actuellement admise entre l'homme et l'animal, comment ne pas cesser de tracer une ligne de démarcation artificielle entre la bête et nous ? Ce n'est pas à partir de Prométhée, le voleur du feu de Zeus qu'Adam est apparu, mais à l'heure de la transgression cogitante qui place l'Octave de Suétone quelque part entre l'homme à venir et le chimpanzé. Observons le singe nu qui, encore de nos jours, porte des entrailles mal cuites (semicocta) au dieu Mars.

1 - La démocratie mondiale et l'avenir de l'esprit
2 - L'éveil cérébral et l'éveil spirituel
3 - Le singe ascensionnel
4 - Les autels de la Liberté
5 - Une religion potentiellement trans-sacrificielle
6 - Les feux de la raison
7 - La biographie transcendantale
8 - Les médecins des Célestes
9 - La spiritualité de la raison
10 - L'avenir spirituel de l'islam

1 - La démocratie mondiale et l'avenir de l'esprit

On voit qu'il sera bien impossible que le décervellement progressif du monde libre auquel les démocraties actuelles nous conduisent aboutisse au tarissement pur et simple de la pesée des gènes et des neurones que les Anciens étaient convenus de saluer sous l'égide de leur "vie spirituelle" et dont les falsificateurs scolastiques des chrétiens apprêtaient tour à tour les parfums et les brouets. En ces temps reculés, il s'agissait encore de délivrer le sacré du meurtre "rédempteur" des théologiens qui s'appliquaient à rendre les sacrifices de sang politiquement profitables, il s'agissait encore d'arracher des mains du fauve du ciel le tribut nourricier que concoctaient les Etats immolateurs.

Certes, les trucidations dévotes, donc sanglantes que réclamaient les idoles de bois, de pierre ou d'airain et dont un monothéisme aux prises avec le rapetissement du créateur du cosmos avait pris le relais ont fait subir une décote tragique aux ripailles du ciel. La décorporation constante de Jahvé a réduit son service de table au sacrifice de plus en plus rabougri des chrétiens. Mais les nouveaux cuisiniers ont réussi à équilibrer l'égorgement alimentaire de manière à le rendre plus titanesque qu'auparavant, mais en cachette. Du coup, la boucherie nouvelle est devenue subrepticement bien plus rentable que celle d'hier, et cela par un effet inattendu de son amoindrissement apparent; car, à lui seul, il égalait les oblations de tous les autres cultes réunis. On sait que, depuis deux mille ans, les chrétiens se partagent en abondance le capital et les dividendes du meurtre inépuisable d'un seul homme - mais le plus précieux de la terre, celui du fils unique du roi de l'univers.

Certes, les cérémonies cultuelles des chrétiens ont cessé de bénéficier du prestige et de la somptuosité des offrandes gustatives aux dieux d'autrefois; certes, et il faut le redire, les charcutiers d'une espèce festoyante et qui commençait seulement d'ouvrir un œil ont subi une décote sans précédent de leur gastronomie gigantale. Mais les anthropologues, les psychanalystes et les psychologues actuels désespèrent des traites que le singe semi-réflexif tire sur sa vie posthume, tellement la chute des valeurs à la bourse de la rédemption leur fait sans cesse frôler la banqueroute. Aussi les caissiers de notre éternité sommitale négocient-ils désormais à l'économie le meurtre immortel qui assurait leur prospérité sacerdotale. Il y a longtemps qu'ils ne parieraient plus sur les bons du trésor émis par l'Eglise des commensaux du ciel si, de son côté, la raison laïque avait pris son élan ; mais elle est demeurée aussi désarmée qu'une théologie, tandis que l'islam moderne tarde à découvrir les instruments de la pensée transsacrificielle dont elle est porteuse depuis les origines. Et notre espèce est demeurée si peu empressée de se rendre pensante que le christianisme agonise dans un silence et une indifférence inféconds.

2- L'éveil cérébral et l'éveil spirituel

Diagnostic: Jahvé est demeuré l'idole aux tripes guerrières du dieu Mars, le Jupiter à trois têtes des chrétiens ne roule plus carrosse et Allah ne dispose que de l'assistance d'une multitude de pratiquants peu doués pour la dialectique. Une foi musulmane non moins inculquée aux enfants dans leurs langes que le christianisme l'était autrefois dans une Europe tout entière agenouillée aux bancs d'œuvre des Eglises, une telle foi, dis-je, demande à ses fidèles de n'immoler qu'un mouton festif en lieu et place d'Isaac, d'Iphigénie ou de Jésus-Christ. Mais l'anthropologie moderne attend impatiemment l'essor de l'Islam de la pensée pour s'attacher à la tâche pressante de filmer la bête des sacrifices dans le miroir de ses potences; car en tous lieux et à toutes les époques, les cultes mettent en scène une divinité prébendée par les cadavres qu'elle réclame sur ses gibets sacrés et dont elle tente de dissiper les mauvaises odeurs avec le secours des brûle-parfums en usage dans les sacrifices. Et pourtant, l'islam joyeux et convivial a vocation de s'interroger ardemment et les yeux grands ouverts sur la portée anthropologique de la substitution d'un agneau euphorisant à des charpentes humaines devenues décidément trop coûteuses.

Hélas, bien que l'islam n'allègue aucun des prodiges ensanglantés dont se réclame l'autel des chrétiens, cette religion n'a jamais seulement tenté de s'armer d'une dissection anthropologique des immolations les plus dévotes du passé, alors qu'une critique de ce genre l'aurait délivrée depuis longtemps et avant le reste du monde de la sorcellerie des juifs et des chrétiens. Si vous ne disséquez le culte des magiciens de l'offertoire, si vous ne humez les viscères des bêtes sacrifiées sur l'étal, où vos Isaïe sont-ils passés?

3 - Le singe ascensionnel

Et pourtant, dès l'origine, la question ascensionnelle que seule la spiritualité coranique a virtuellement soulevée au sein de toutes les civilisations encore fondées sur le meurtre de l'autel pourrait se formuler comme suit: l'intelligence sommitale des prophètes se verra-t-elle réduite au silence ? Les démocraties modernes rempliront-elles à leur tour l'escarcelle des cruautés dévotes?

Autrement dit, une pratique religieuse encore fondée en tous lieux sur la sacralisation du meurtre cultuel d'un mouton sera-t-elle jamais en mesure d'abolir l'égorgement d'un homme que les chrétiens immolent depuis deux millénaires à la gloire de leur rançonneur des nues? Et pourtant, le mouton des chrétiens avait substitué du pain et du vin à la chair et au sang de la victime de l'autel des juifs. Mais ce maître du symbolique ayant eu l'imprudence de dire, par métaphore, que le sang de l'esprit est le vin de la vie spirituelle, et que la chair de l'esprit est le pain de l'âme, l'Eglise s'est aussitôt ruée sur cette image; et il lui a suffi de trois siècles pour métamorphoser en sens inverse le vin en sang et le pain en chair des sacrifices d'autrefois. Les chrétiens disent maintenant que le seul sacrifice "vrai et réel" est redevenu celui dont le sang asperge les autels et que définit la Lettre aux Hébreux.

Mais l'enjeu anthropologique de cette question est sans doute immense, puisque c'est le concile de Trente, en 1545, qui rappelle ce dogme face aux protestants de l'époque, dont les narines se détournaient de l'odeur des viscères offerts de tous temps non seulement au dieu de la guerre, mais qu'on servait, depuis la plus haute antiquité à tous les repas des dieux de l'Olympe.

C'est pourquoi une réflexion résolument anthropologique de l'islam contemporain sur les arcanes du ciel des sacrificateurs chrétiens mettrait le printemps arabe à la tête de la pensée philosophique mondiale. Mais un tel tournant de la pensée exigerait une critique préalable et drastique des pratiques rituelles à peine libérées du monde animal et qui se sont enracinées dans les neurones de notre espèce. La seconde Renaissance sera celle qui déficellera une espèce encore tout entière ligotée à la zoologie sacrée.

Puisqu'il est démontré que, sitôt devenu bavard, l'homme immergé dans l'animalité cultuelle entre en transes et se livre à des conversations suivies avec les personnages fabuleux qui commencent de se promener tout leur content dans sa tête, il faut oser se demander pourquoi toutes les sociétés rendues loquaces au cours des premières étapes de l'évolution cérébrale de l'humanité fonctionnent sur le modèle de l'assassinat d'un congénère dont la chair et le sang sont jugés indispensables à la survie politique de l'espèce. Comme il est dit plus haut, quand les philosophes de l'islam poseront enfin cette question décisive au prophète, ils prendront la tête de l'évolution du cerveau de l'humanité du XXIe siècle.

Que diront-ils alors à toute la terre? Que si la mort était le carburant de la vie, si le sacrifice était le vrai moteur de l'histoire, si l'habillage religieux d'un assassinat était la parure civilisatrice des sociétés, alors un culte fondé sur la glorification de la torture d'un innocent se révèlerait le plus barbare de tous; et seul un Allah rendu transsacrificiel sous l'os frontal de ses fidèles viendrait trancher à Gaza et en Cisjordanie la question de l'avenir spirituel de la civilisation mondiale ou de sa chute dans la sauvagerie. Que diront les saints d'Allah? "Le regard de l'islam de la pensée sur Jahvé le tueur sera l'éducateur du dieu enténébré des chrétiens et le guide du singe ascensionnel à venir."

4 - Les autels de la Liberté

Certes, les impresarii de la victime immolée au Jahvé des chrétiens sur l' autel du Golgotha s'est montré plus ardent et plus habile à mettre son héros en scène sur le théâtre de sa gloire dans le ciel et sur la terre que les victimes tremblantes et palpitantes des primitifs, dont l'ambition d'éterniser leurs sacrifices à leurs tigres des nues n'a pas fait déborder les encriers: les sauvages se contentaient d'apprivoiser à mains nues, si je puis dire, et titre toujours provisoire et précaire leurs idoles privées d'écritoire. Nous avons vu qu'il suffisait à Octave de quelques bestiaux à payer comptant sur le marché muet du Dieu Mars pour remporter la victoire à la guerre.

Et puis, l'inflation sacrificielle avait connu son apogée au cours de l'expédition des Dix-Mille : on avait immolé tant de bœufs que l'armée n'avait quasiment plus de bêtes de trait pour tirer ses chars. En revanche, du temps d'Octave, l'empire était si bien établi qu'il n'y avait plus lieu de recourir aux massacres massifs et désespérés d'animaux. Du coup, l'homme et son ciel se partageaient plus équitablement le festin. Suétone raconte que l'appétit de Vitellius s'étendait aux bêtes du sacrifice: "Il ne pouvait s'empêcher de prendre sur l'autel et de manger les entrailles et les gâteaux à peine sortis du feu." (Suétone, Vie des douze Césars, chap. XIII, Vitellius (12-69)

Mais les juifs et les chrétiens d'aujourd'hui se sont alourdis au point qu'ils demeurent les bras croisés au spectacle de leurs sacrifices nouveaux, ceux que leur réclame la divinité la plus insatiable de tous les temps, qu'ils appellent maintenant la Liberté; et si le propitiatoire de la démocratie universelle est devenu invisible aux yeux de ses adorateurs, il n'a rien perdu de son sang et de sa viande aux yeux des saints d'Allah. Mais seul un Allah intérieur permet d'observer un pur concept sous les traits de la bête du sacrifice, seul le Allah qui fait battre les cœurs observe le sang et la chair de la bête égorgée qui s'appelle un concept. Et Allah se dit: "Voici la nouvelle bête du sacrifice. Elle s'appelle la Liberté. Que ferez-vous de cet animal? L'apprêterez-vous tout rôti à la table du dieu Mars?"

Mais les juifs et les chrétiens n'ont pas d'yeux pour la chair et le sang de la Liberté immolée. C'est précisément pour cela que la fausse spiritualité des démocraties modernes se focalise sur une hostie toute verbale. C'est dire que si l'on ne radiographiait pas les sacrifices sanglants que les juifs et les chrétiens offrent désormais aux abstractions que sécrète leur langage, on ne saurait comprendre la nausée d'Isaïe, ni respirer de là-haut l'odeur qui monte des cadavres à Gaza.

Voir - L'Europe et l'Islam en attente de leur avenir, 25 mars 2012

Mais seul l'islam de la raison ascensionnelle à venir se mettra en mesure d'en appeler à la distanciation élévatoire du regard de la philosophie et de l'anthropologie pour observer le marché aux bestiaux de la foi. Pour cela, il faut que les fidèles d'une religion s'initient, du moins potentiellement, à la pénétration d'esprit des saints. A ce titre, l'islam de la raison jouit du bénéfice immense de se trouver infiniment moins fasciné par le sang des autels que les chrétiens et les juifs. Mais alors, le regard d'Allah sur la chair et le sang des victimes du sacrifice est celui d'un frère sur son frère, mais alors, Allah est le seul dieu de l'incarnation de la foi. Comment cela se peut-il?

5 - Une religion potentiellement trans-sacrificielle

Nonobstant la paralysie philosophique dont témoignent, hélas, les penseurs de l'islam d'aujourd'hui au spectacle de la victime que les chrétiens ont placée au cœur de leur sacrifice - ils ont sanctifié la crucifixion d'un homme au point d'en faire le Sésame de leur salut - il faut garder en mémoire l'évidence que ce ne sont nullement les trucidatoires ensanglantés qui nourrissent la tradition à laquelle obéit l'animal dévot et qui le convainquent de sacrifier ce qu'il a de plus précieux, c'est-à-dire un substitut emblématique de sa propre chair et de son propre sang. Certes, des usages sociaux sacralisés gravent ensuite leurs rites meurtriers dans les cerveaux sans défense des enfants. Mais, quatorze siècles après la naissance de l'islam, le troisième et le plus tardif des dieux uniques est demeuré le seul à s'adresser au cœur des croyants et à incarner sa charité à Gaza et en Cisjordanie, parce qu'il ne réclame plus la monnaie d'échange d'une victime humaine que le Pharaon Kekrops avait fait abandonner aux premiers habitants de l'Attique. Mais pourquoi l'islam a-t-il pu sauter à pieds joints par-dessus des siècles de cogitations et d'exploits de la scolastique sanglante de l'Occident, pourquoi Muhammad a-t-il réussi à brancher Allah sur les "inspirés", les muslims, les seuls vivants?

Parce que les prophètes sont des visionnaires de la politique sur le long terme et des anthropologues avant la lettre. A ce titre, Muhammad avait observé combien la sacerdotalisation intensive du monothéisme juif et chrétien, puis la cléricalisation du ciel au cours de six siècles avaient reconduit ces deux confessions à l'omnipotence ploutocratique et au monopole des propriétaires d'un Olympe ritualisé, celui des devins, des auspices et des augures d'autrefois. Les monothéismes étaient retombés dans le formalisme religieux de la Rome antique; dans toute l'Europe du VIIe siècle, une pratique cultuelle déjà truffée de la dialectique des Sorbonne à venir s'était peu à peu imposée à l'animal sacrificiel qu'on appelle le genre humain. Du coup, une réflexion rigoureuse des philosophes et des anthropologues musulmans sur la nature compassionnelle du divin aurait pu faire ses premiers pas.

Aujourd'hui le contexte historique est redevenu d'autant plus favorable à l'essor cérébral de l'islam de la seconde Renaissance que cent sept ans seulement après la loi de 1905, l'élite intellectuelle forgée sur les bancs d'une éducation nationale dépourvue de toute réflexion psychophysiologique sur le terrorisme théologique des chrétiens et des juifs a chu dans un humanisme tellement superficiel que la France a fini par promulguer, du moins tacitement, l'interdiction de seulement guider le rationalisme des descendants de Descartes vers la seule question de fond, celle de comprendre les ressorts cérébraux trans-sacrificiels des hommes de génie des ciels d'autrefois. Certes leur intelligence du sacré les avait portés, eux aussi, à n'enfanter que des dieux à l'usage des enfants et à les rendre volubiles. Mais voyez comme ils transcendaient sans seulement s'en douter l'idole dont ils accouchaient à l'usage de leurs congénères idolâtres; car le géniteur biblique du cosmos qu'ils avaient reconverti à l'éloquence de saint Ambroise sous le règne de Louis XIV excellait de nouveau dans la rédaction bien calculée de discours hyper avertis. Quels législateurs hyper sagaces, quels chefs de guerre hyper inspirés! Mais que reste-t-il de l'éthique du ciel des Bossuet, des Massillon, des Fléchier, des Bourdaloue?

6 - Les feux de la raison

La démocratie allait faire régresser la connaissance anthropologique et critique de l'humanité sommitale qui germait chez un saint Jean de la Croix, un Nicolas de Cues, un Me Eckhart. Alors les recettes de la platitude dont use la raison sitôt qu'on la prive de son envol naturel fournissent les clés, mais seulement scolaires de la sainteté de l'intelligence, et les biographes au petit pied croient élever leur globe oculaire au rang d'instrument légitime de la connaissance rationnelle des hommes du sacré.

Mais voyez comme le poète, le compositeur, le peintre se sont vus réduits au rang d'acteurs indéchiffrables, tellement les bésicles de leurs observateurs les ont rendus incapturables à l'intelligence privée d' âme et de souffle des myopes; voyez comme la littérature, le théâtre et le cinéma ont échappé au décryptage anthropologique et philosophique de haut vol, tellement la loupe des pédagogues du ciel rend orpheline une raison privée de champ de vision ascensionnel. Mais quel paradoxe, n'est-il pas vrai qu'une extension pourtant bénéfique en principe des droits de la pensée scientifique au sein de la République - celle qu'impliquait la loi de 1905 - ait empêché la démocratie mondiale de percer les secrets de la nosologie qui caractérise l'encéphale dogmatique du simianthrope de type théologal!

Un siècle après les premières biographies qualifiées un peu trop rapidement de rationalistes, mais diablement irrationnelles, puisqu'aplaties de Jésus ou de Mahomet, l'entreprise planétaire des huissiers du terre à terre s'est révélée tellement étriquée et puérile qu'un Bultmann octogénaire couronnait son parcours de démythologue du christianisme à coucher sur le papier cent vingt pages aussi maigres qu'embarrassées : le crucifié selon l'état-civil se révélait aussi incompréhensible que Bach, Mozart, Socrate ou l'Eveillé. Comme disait Valéry, "le biographe compte les maîtresses, les chaussettes, les niaiseries de son sujet".

7 - La biographie transcendantale

Du coup, il fallait se décider à porter la haute inspiration qui habite le génie religieux à un genre littéraire nouveau, celui de la "biographie transcendantale". Des Shakespeare mordants du divin falsifié, des Cervantès satiriques des contrefaçons du sacré, des Swift de la piété des Yahous nous auraient initiés aux pièges des prodiges cancéreux et des superstitions chancreuses et cela jusqu'à faire accéder la civilisation européenne à une connaissance spectrale du tartuffisme des idoles - celui que contemple la raison des prophètes. Mais comme cette littérature de visionnaires des dieux nous raconterait la course de l'intelligence parmi nos neurones, elle mettrait en scène un personnage beaucoup plus "réel" que le Socrate en chair et en os de Monsieur Xénophon. Du coup, les guides gangrenés des églises se verraient contraints de se demander comment le génie religieux s'incarne dans ses lanternes. Mais quel sacrilège, n'est-ce pas, de se demander comment Muhammad a allumé la lanterne d'Allah parmi les tueurs, comment Isaïe a allumé la lanterne de Jahvé parmi les tueurs, comment Jésus a métamorphosé le pain et le vin de sa parole en lanternes de l'esprit parmi les tueurs. Mais alors, la philosophie transscolaire allume la lanterne diogénique parmi les tueurs.

8 - Les médecins des Célestes

Comment les sciences humaines progresseront-elles dans la pesée d'un animal symbolique de la tête aux pieds, comment ces disciplines apprendraient-elles au banc d'essai de l'expérience à observer la stérilité des théologies arrosées d'eau tiède, comment radiographieront-elles en laboratoire l'encéphale des trois dieux uniques que se forgent leurs maïeuticiens socratiques et qu'on appelle des prophètes?

Voyez comme le génie religieux des accoucheurs transcendantaux d'Allah peut se liquéfier dans la même médiocrité des piétés communes que le génie littéraire s'éteint dans les minuties des grammairiens. Pourquoi cela, sinon parce que les arts ont, eux aussi, le devoir de passer entre deux périls mortels: le Charybde de leur dessèchement et le Scylla de leur évaporation les menacent tour à tour. Quand le Zeus d'Homère a commencé d'éteindre sa lanterne, l'Occident de la pensée n'a ni su, ni osé se demander pourquoi l'effigie d'une divinité plus figurée pourtant que toutes les précédentes, et qu'on vous montrait en géniteur homérique du cosmos, a pu prendre la place des songes plus étoffés que la pléiade des acteurs de l'Olympe des Grecs avait laissée vacante.

Mais, de nos jours, la lanterne de la géopolitique révèle que les trois monothéismes théologiquement incompatibles entre eux sont construits sur le même modèle anthropologique que les dieux des Anciens, parce que récompenser et punir demeurent, hélas, les mamelles, l'une fleurie, l'autre sanglante d'une espèce placée sous le joug de son histoire et de sa politique. Le génie religieux de la philosophie se révèlera un scalpel socratique et son acier percera les abcès cancérigènes du ciel des prodiges. Alors la pensée de l'islam deviendra chirurgicale et son bistouri conduira les tueurs canonisés au bloc opératoire. Assurément, la maïeutique de ces biographes-là des trois dieux uniques n'offriront ni bœuf, ni brebis à leur lanterne.

9 - La spiritualité de la raison

Camus disait que l'homme est le seul animal à refuser d'être ce qu'il est. Qu'est-ce à dire? L'auteur du Mythe de Sisyphe savait-il quel approfondissement anthropologique du "Connais-toi" allait résulter de ce que notre espèce n'est pas réductible à son apparence, puisque son refus de coïncider avec son image fait précisément la spécificité de sa nature. Quelle est la bête attachée à refuser la bête à laquelle son biographe voudrait la réduire?

Des microbes acharnés à exorciser la solitude qui les terrifie dans l'immensité attendent d'intérioriser l'univers privé de pilote et de maître dans lequel ils se trouvent encapsulés. Mais nous attendrons longtemps encore l'apparition de l'élite cérébrale qui se voudra attentive à son refus de reconnaître son abandon sans remède dans un cosmos désert. Et pourtant cette négatrice de son néant s'appelle elle-même à observer comment elle prend appui sur des récits mythologiques afin de se masquer sa dérobade devant sa propre solitude. Quel est l'étrange animal qui désire secrètement cela même qu'il refuse pourtant de devenir? Cette bête-là s'immole inlassablement à l'idole qui symbolise son vœu caché de conquérir sa transcendance.

Qu'en est-t-il du prophète dont la connaissance des rouages et des ressorts de l'idole dirait à Adam: "Je vois que tu réussis à te frapper de surdité et que ton idole t'y aide grandement. Pourquoi tues-tu ton propre regard sur ton suicide spirituel?

L'homme idolâtre est le tueur de sa propre surnature; et c'est sur le mode auto-sanctificateur et les yeux levés vers le ciel qu'il tue son frère à Gaza. Sa foi est le déguisement enrubanné du seul tueur qu'il voudrait ne pas être, le tueur de sa vie élévatoire. C'est cette dérobade originelle devant sa grandeur qui a fait écrire à Pascal: "Les hommes ne font jamais le mal si complètement et joyeusement que lorsqu'ils le font par conviction religieuse." (Pascal, Pensées, 139, 1670).

Serait-ce cela que se cachent à eux-mêmes les tueurs en armes à Gaza? A ceux-là, Allah a dit par la bouche d'Isaïe: " Le sang que vous répandez sur mes parvis me dégoûte." La question du dégoût d'Allah fera, de l'anthropologie critique du XXIe siècle, une scrutatrice des immolations messiano-délirantes auxquelles le singe phonétisé se livre depuis quelque cent mille ans. On attend ce dialogue sommital entre l'islam de demain et le christianisme , des bâtisseurs de leur propre transcendance.

10 - L'avenir spirituel de l'islam

Hélas ce qui s'est passé en Chine il y a plus de trois millénaires n'est pas de bon augure. On sait que notre espèce demeurait en attente de son éveil métazoologique; on sait que l'empire du Milieu avait commencé de scanner la généalogie des idoles de bois qui peuplent l'encéphale du singe vocalisé; on sait qu'il avait entrepris de décrire les meurtres sacrés en vadrouille sous l'os frontal du pithécanthrope. Mais les premiers observateurs de la bête négociatrice des récompenses qu'elle attend de sa propre mort n'ont pas tardé à métamorphoser l'Eveillé en une idole accoucheuse de fidèles abêtis.

Comment ne nous demanderions-nous pas, en tout premier lieu, pourquoi la mise à mort des idoles de bois, de pierre ou de fer du simianthrope nous remplit encore d'une nostalgie de trafiquants de nos cadavres? "Combien Voltaire avait raison de se gausser d'une divinité qui se soucierait de nos querelles d'animalcules, de nos liturgies de fourmis, de nos rituels et de nos processions d'insectes?" (Necker) Ces insectes ont-ils tué l'Eveillé? L'Eveillé est-il trépassé sous les chiquenaudes de la piété musculaire de ses fidèles? Les tourniquets des moulins à prières ont-ils tué l'œil du ciel?

Non, l'œil d'Allah l'éveilleur s'est ouvert à Gaza. Il ne reste qu'à trouver l'escalier qui conduirait l'Occident à monter de marche en marche au Mont Carmel de l'Eveil: "Le ciel d'Allah, vous connaissez? Nous cherchons l'échelle qui y conduit". Et l'islam dit à l'Occident: "Cette échelle sera celle de ta raison".

Le 1er avril 2012

Reçu de l'auteur pour publication

 

 

   

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Source : Manuel de Diéguez
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