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Nous sommes tous palestiniens
Mahmoud Senadji
Lundi 5 janvier 2009 Si pour traduire
l’émotion vécue après le choc du 11 septembre, l’expression
« nous sommes tous américains [1] »est
devenue l’emblème de la compassion et de l’identification avec
la victime, qui hélas, son histoire passée et récente
représente, pour beaucoup de peuples, le symbole de la
domination ; que dire alors, de la population de Gaza, elle,
qui n’a jamais chaussé les bottes de l’oppresseur ? Pourquoi le
slogan « nous sommes tous des juifs allemands » de mai 68,
symbole de lutte contre l’exclusion, support de toutes les
métamorphoses (nous sommes tous des immigrés…) ne s’identifie
pas aux victimes de Gaza ?
Comment expliquer, que des
expressions aussi fortes, aussi chargés de sens, sont sourdes
devant une tragédie orchestrée par une puissance militaire
belliqueuse dont la volonté affichée est la mise à mort d’une
population représentée par le Hamas, démocratiquement élu, et
organisation enchâssée dans la société palestinienne ? A quoi
est dû ce déficit intellectuel, cette cécité qui laisse entendre
et voir qu’il y a les victimes et des victimes…. Quelqu’un et
quelconque…
Est-ce la nature de la victime ? Ou
la nature de l’oppresseur ?
La victime – le persécuté- l’image
autour de laquelle se forge la conscience humaine est la
traduction philosophique du concept de l’autre, de l’ouverture à
l’autre dans la philosophie contemporaine. Ce tournant
philosophique dans la pensée occidentale est la conséquence de
la pensée totalitaire des années trente, accoucheuse de la
terreur, de massacres et de génocide. Pour se dédouaner de sa
culpabilité dans la souffrance et la persécution des juifs,
l’Occident-la chrétienté en somme- a accompagné l’idée d’un
foyer juif par la création de l’Etat d’Israël.
La victime, le persécuté, l’Autre a
pris la figure du juif errant. Le juif est devenu la victime par
excellence de l’histoire. L’Autre – la victime-, rappelle au
bourreau qu’il est une face de son histoire, une partie
intégrante de son identité. Ce rapport ne fait qu’instaurer un
dialogue occidentalo-occidental. Si l’Allemagne Nazie, par qui
le malheur est arrivé, voulait être la traductrice de la Grèce,
la Nouvelle Athènes, l’Autre veut ajouter à la civilisation
gréco-chrétienne son chaînon manquant : Jérusalem. Celle-ci a
pour mission de pallier à la défaillance de l’Occident en
l’amarrant à sa dimension éthique.
L’Etat d’Israël, produit du sionisme
politique est le fruit de la modernité : il a fait de la
possession de la terre la vérité de l’âme du judaïsme. La nation
comme horizon politique de la modernité est entachée d’un mal
incommensurable : le colonialisme.
C’est pour cette raison, que la
naissance de l’Etat d’Israël, fondée sur l’expropriation et la
persécution des palestiniens est un acte colonial pur.
L’Etat d’Israël, implanté en orient,
reste un Etat occidental. Il porte en son sein, le mal radical
des républiques occidentales : le colonialisme. Ni le poids de
l’histoire, ni les traumatismes de la mémoire ne peuvent voiler
ce qui est au cœur du conflit israélo-palestinien : la question
coloniale. Ainsi, l’Etat d’Israël, cet enfant des lumières, en
incarnant dans le proche orient la civilisation occidentale,
symbolise la dernière figure de l’Occident colonial.
Comment expliquer, qu’en France,
après avoir vécu dans un passé proche, l’insoutenable paradoxe
entre la république et la colonisation, dans le cas d’Israël, le
fait colonial est toujours évacué. Comment n’arrive-t-on pas à
voir, dans l’armée israélienne, dans sa logique de légitime
défense, la litanie de l’armée d’Afrique en Algérie : la
« pacification ». Les massacres perpétrés depuis 1948 par
l’armée israélienne ne sont que l’autre version des Enfumades du
Dahra, la « pacification » meurtrière de l’Armée d’Afrique[2].
La logique de la puissance en se déployant dans l’espace est la
proie de son ambition dévorante : la conquête. Et toute conquête
est grosse d’une logique d’extermination.
Déjà, au lendemain de la guerre de
1967, De Gaulle, dans une conférence de presse, a tiré la
sonnette d’alarme. En qualifiant le peuple juif, « d’un peuple
d’élite, sûre de lui-même et dominateur, » en fondant un Etat,
se transformera en nation guerrière et conquérante. Et comme
force occupante, il sera confronté à une résistance qu’il
qualifiera de terroriste. Au niveau conceptuel, des distances
astronomiques séparent la France d’aujourd’hui, qui se réclame
pourtant de l’héritage gaullien, de celle de son fondateur.
Cette image de la victimisation du
juif a perduré presque un demi-siècle. Elle a volé en éclat dans
la deuxième intifada d’El Aqsa en 2000 et, principalement, après
le traumatisme de l’assassinat- filmé par l’équipe de France 2-
du jeune Mohamed-Al-Dourra, âgé de 12 ans. Mohamed-Al-Dourra est
l’image de l’Autre par excellence. Il parle une autre langue. Il
porte un autre dictionnaire. Il est façonné par un autre
imaginaire, emporté par un autre idéal. Ni Jérusalem, ni la
Grèce, ni Rome ne sont ces capitales ontologiques.
La question palestinienne est une
question nationale. Le conflit israélo-palestinien ne se réduit
pas à l’équation terroriste-victime mais à celle de
l’occupation-résistance. Ce prétendant victime, l’Etat d’Israël,
sur la scène du monde, avance masqué. Ce qu’il masque fait sa
vérité : sa nature coloniale.
A l’origine de la
résistance-terrorisme, il y a l’occupation comme impasse
politique à la possibilité de la naissance d’un état palestinien
viable.
Comment expliquer, que la vague
d’indignation qui s’est soulevée suite à la mort de Mohamed-
Al-Dourra s’est vite estompée ? Le climat de suspicion qui a
régné ses dernières années dans le débat intellectuel
français, où toute critique de la politique d’Israël est
assimilée à l’antisémitisme est la traduction politique du
11septembre. Un ennemi commun menace L’Occident et Israël :
l’islamisme.
C’est pour cette raison, que
l’agression israélienne, contre Gaza, où la victime, arabe,
palestinienne et islamiste, vu les clichés que ces noms
véhiculent depuis le Moyen-âge, ne peut être que coupable.
Mais l’histoire moderne atteste
que la diabolisation de l’Autre n’a nullement pour cause sa
religion ou son ethnie mais le programme politique qu’il défend.
L’OLP (Organisation de la Libération de la Palestine) était bien
considérée comme une organisation terroriste par Israël lorsque
celle-ci incarnait les aspirations nationales des palestiniens.
Donc l’Autre n’a d’existence
acceptable que comme entité soumise ou domestiquée. La logique
de la puissance comme volonté de domination n’admis en face
d’elle qu’une volonté serve.
Ce qui se joue à Gaza dépasse de loin
l’équation israélo-palestinienne. Nous n’enterrons pas à
Gaza les morts palestiniens car, de cette mort, fleurit l’esprit
de la résistance. La terminologie utilisée dans la conscience
arabe s’étale sur les bandes des chaînes satellitaires, et
principalement celle d’El Jazira, est celle de martyr.
Rappelons que l’opération « Paix en Galilée » en 1982 dont
l’objectif était la destruction de la structure militaro-
politique de l’O.L.P a donné naissance à une organisation pétrie
d’une culture de résistance, plus forte et plus redoutable ;
elle a infligé en 2006, une défaite à une Armée qui, se croyait
jusqu’à présent, invincible : le Hezbollah.
Il s’agit, à partir de ce qui se
passe à Gaza, de saisir ce qui se joue à Gaza : notre
devenir-monde. Gaza est le théâtre de l’histoire. De la vérité
de l’histoire. Car, ce que nous risquons d’enterrer à
Gaza, c’est l’idée d’Occident même.
Ni l’opération « Rempart » de
mars-avril 2002, destinée à détruire l’infrastructure de
l’autorité palestinienne et avec elle l’offensive « Pluie
d’été » de juin 2006, puis actuellement l’opération « Plomb
durci » visant à anéantir le Hamas, n’atteindront l’objectif
politique escompté : la domestication de l’Autre. Chaque
opération militaire a contribué à vivifier l’esprit de
résistance.
La rue arabe, ainsi surnommée pour
son incapacité à traduire son émotion en action politique, est
maintenant gagnée par la colère. Et la colère fait soulever le
populaire. La rue arabe est devenue les peuples arabes. Et dans
ce devenir, le sentiment d’injustice travaille les consciences.
Elles deviendront, elles aussi, à leur tour des consciences
insurrectionnelles. La rue arabe vit les moments de sa
métamorphose en rue constituante. Les images révoltantes qui
arrivent de Gaza, sous le regard bienveillant de la communauté
internationale –en un mot l’Occident- et la complicité des
régimes arabes qualifiés de modérés seront la frontière
métaphysique, d’où le dialogue avec l’Autre sera difficile, voir
presque impossible.
C’est pour cela qu’il ya urgence.
Pour les juifs. Le Sionisme en donnant au Judaïsme une forme
politique nationale l’a exposé au mal que l’idéologie nationale
génère : l’occupation et l’oppression de l’Autre. Ainsi, il
corrompt et pervertit ce qui fait l’essence du judaïsme : la
justice. Il constitue une menace mortelle sur le message
universel de la pensée juive.
Il suffit de rappeler le message de
Martin Buber[3] « Seule
une révolution intérieure donnera la force au peule juif pour
sortir de sa folie meurtrière, basée sur une haine
irrationnelle….Elle finira par nous détruire entièrement. Et
seulement alors, les jeunes et les vieux de notre pays
réaliseront combien fut immense notre responsabilité envers ces
misérables réfugiés arabes ; envers ceux dont nous avons pris
les villes pour y installer des Juifs qui furent amenés de très
loin, dont nous avons hérités les maisons, dont nous labourons
et récoltons les champs, dont nous ramassons les fruits de leurs
jardins, de leurs vergers, de leurs vignes, et dont nous avons
volé les villes pour y édifier des lieux d’éducation, de charité
et de prière, alors que nous pérorons et nous enflammons sur le
fait que nous sommes le « peuple élu » et « la Lumière des
nations ».
Rappelons aussi, que la « révolution
d’octobre de 1917 » dans laquelle on voyait la naissance d’un
homme nouveau, symbole d’un idéal d’émancipation et d’une
véritable fraternité universelle, a fini, quelques décennies
plus tard, sous la plume des ses propres enfants, à nous livrer
son visage criminel.
Pour la société civile occidentale.
Si hier, durant la guerre d’Algérie,
seule une minorité avait choisi la justice contre sa mère ; par
ce choix, elle a sauvé l’honneur de l’idée de l’homme
qu’incarnait la France des lumières. Cette minorité avait
raison. Son geste est gravé dans l’Histoire et dans la
conscience des colonisés d’hier.
A Gaza, l’Occident est entrain de
perdre son âme. Au lendemain de Noël et les fêtes de fin
d’années, la compassion chrétienne et les vœux du bonheur
doivent être dirigés aux nécessiteux, aux plus démunis, aux
assiégés, aux persécutés dans une forme de prière en leur
demandant pardon.
Dans « nous sommes tous américain »,
« nous sommes tous des juifs allemands », l’autre n’est qu’une
autre manière de dire « je ». Il fait partie de la famille de
pensée occidentale. C’est des occidentaux qui parlent à des
occidentaux. Si l’émergence de la catégorie philosophique de
l’Autre-en l’occurrence le juif-, conceptualise une réalité
tragique, celle de la logique d’extermination que poursuivait
une Allemagne Nazie dans sa quête mythique du règne de la race
pure ; la scène historique de cette tragédie est l’Europe. La
responsabilité incombe seulement, et seulement à la pensée
occidentale. Elle portait en son sein le totalitarisme et de ce
qui en découle : le mythe de l’origine. Alors que dans le cas de
la Palestine, l’Occident, la conscience du monde à cette époque,
est responsable de l’expérience tragique que les palestiniens
endurent depuis 1948 : la Nakba. Cette tragédie a-t-elle sens et
écho dans la conscience occidentale ?
La véritable ouverture à l’Autre est
le respect de sa souveraineté. C’est accepter et admettre que
l’Universel se parle aussi dans une autre langue que celle de
l’Occident. Honneur aux victimes. Nous sommes tous palestiniens.
[1]
Nous sommes tous américains, Editorial du monde du 13
septembre 2001, Jean-Marie Colombani.
Mahmoud Senadji
Ancien professeur à l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts d’Alger.
Publié le 5 janvier 2009
avec l'aimable autorisation d'Oumma.com
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