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Gaza: un avant et un après
Mahmoud Senadji
Mercredi 4 février 2009 La poursuite de
la contestation condamnant l’agression israélienne dans
plusieurs capitales du monde ce week-end, plus d’une semaine
après l’arrêt des bombardements, est la révélation qu’un séisme
d’une dimension planétaire a ébranlé la conscience du monde.
Gaza est un moment historique qui nous convoque à réinterroger
notre être au monde, notre rapport à l’Histoire, à la
philosophie de l’Histoire, notre rapport à l’Autre, notre vivre
ensemble : en somme à repenser notre rapport au monde et notre
vision de celui-ci.
Les événements historiques de cette
première décennie de ce troisième millénaire (11 septembre 2001,
l’invasion de l’Irak, la chute de Kaboul, la guerre du Liban
...) n’ont pas la résonnance et l’ampleur de cette tragédie :
des décombres de Gaza, de ces corps ensevelis, s’élève le grand
cri de l’injustice lancé à la face du monde.
La justice est la colonne vertébrale
de la paix. Le chaos qui plane dans cette région et ces guerres
à répétition déstabilisent notre présence au monde. Une idée
manifeste traverse la contestation mondiale : la volonté de
laver la face de l’humanité de cette souillure qui la marque
depuis soixante ans - l’injustice faite au peuple palestinien.
Gaza est l’événement philosophique
par excellence de cette décennie et, de ce fait, elle est et
demeure la tâche de la pensée. C’est pour cette raison que nous
sommes dans l’urgence d’y répondre et de dénoncer cette mise au
pas éditoriale de l’espace médiatique lorsqu’il s’agit de
traiter la question proche-orientale. Il y va de l’honneur du
pluralisme médiatique, de notre honneur en tant qu’homme, et
aussi de l’honneur de l’histoire de la France, qui a fait de la
critique le synonyme même des Lumières.
Gaza marque une césure dans la
lecture philosophique de l’Histoire qui prédomine depuis l’Age
Moderne. La fin de l’Histoire vulgarisée par le texte de
Fukuyama sur fond de lecture de pensée hégélienne place les
valeurs libérales de l’Occident comme le sens ultime de
l’histoire. Cette histoire, après la fin du communisme, signe le
triomphe du libéralisme et avec elle de l’occidentalisation du
monde. Sous cette orientation philosophique, tout ce qui arrive
dans le monde est extérieur à celui-ci car rien ne peut venir
affecter la vérité de l’histoire qu’incarne l’Etat moderne,
occidental.
Gaza est le théâtre de l’Histoire car
elle oppose le représentant de l’âme occidentale et l’Etat qui
revendique l’excellence de « la Morale et de la Justice » à une
organisation orientale qualifiée par l’Occident de
« terroriste » alors qu’elle lutte pour sa reconnaissance. Gaza
est la mise à nue de la face cachée qu’est la terreur dans
l’Etat démocratique et elle révèle le nihilisme de la logique
coloniale dans toute sa plénitude.
La lutte pour la reconnaissance des
droits nationaux des Palestiniens face à un Etat créé par
décision de l’ONU - l’Occident à l’époque, pour payer sa dette
de la barbarie orchestrée par l’Europe envers les Juifs, ouvre
de nouveau la question du sens. Il ne s’agit pas de la fin de
l’Histoire mais de la fin d’une histoire : celle du devenir
monde de l’Occident.
Sans omettre d’ajouter que l’armée la
plus morale du monde moderne, la justice des hommes attend de
juger ses généraux pour crimes de guerre et le tribunal de
l’Histoire intégrera l’idéologie sioniste au même titre que le
nazisme et le fascisme. Gaza n’est qu’une station de la
problématique Orient-Occident qui a marqué l’histoire du monde
depuis les premières confrontations des guerres médiques et
puniques.
Sur le plan historique, rappelons aux
Français un épisode sanglant de leur histoire : les massacres du
8 mai 1945. Ils furent le point de non retour en radicalisant
toutes les forces politiques en présence, qui a donné naissance
à l’insurrection nationale en 1954 où l’auteur de la fameuse
citation « La France c’est moi » en 1936, Ferhat Abbas, ne
parlait plus qu’au nom de la République algérienne après ces
massacres. L’intransigeance coloniale a fait du défenseur de
l’assimilation un nationaliste convaincu. L’Algérie et la France
n’ont pas fini, à ce jour, de vivre les séquelles de cette fin
tragique de la colonisation.
Pour ce qui concerne la Palestine,
commençons par rappeler qu’en 1947, les Arabes avaient refusé la
décision de l’ONU du partage de la Palestine. Un partage jugé
inique puisqu’il donnait à Israël 55% des territoires pour un
peuple qui ne comptait que le tiers de la population. Et la voix
de l’ONU traduisait la volonté occidentale. Pourquoi un peuple
qualifié de bédouins, frustre, inculte et impropre à s’élever à
l’ordre des Nations avait-il dit non au partage ? A quelle
logique répondait cette décision ? A une logique de droit et de
justice ? Ou répondait-elle seulement à la logique des rapports
de force ? La force n’est pas le droit.
Rousseau nous rappelle, avec raison,
l’inconsistance de la force car celle-ci change sans cesse de
maître. Signalons aussi que ce plan de partage, qui prévoyait
45% des territoires aux Palestiniens, est mort pour donner vie à
la résolution 242 de 1967 qui ne leur laisse que 22% des
territoires. Et les dits 22% se partagent entre une bande de
Gaza ravagée et une Cisjordanie occupée et divisée en enclaves
dans laquelle les colonies et le mur de séparation empiètent sur
les 40% de sa superficie. L’ensemble des chefs d’état israéliens
n’ont jamais négocié pour l’équation paix contre territoires.
Ils s’inscrivent tous dans la logique
de Ben Gourion que résume sa devise « La paix contre la paix »,
reprise ensuite par l’ancien chef d’état-major de l’armée
israélienne, Moshe Dayan dans une conférence de presse à
Tel-Aviv :« La question n’est pas quelle est la solution ? »,
mais « comment pouvons-nous vivre sans solution ?* ».
Le summum de cette logique qui réduit
la paix à une coquille vide, a été atteint par Barak et Sharon
lorsqu’ils ont propagé le grand mensonge relayé par la presse
occidentale : « Israël n’a pas de partenaire pour la Paix ».
Sharon, après le 11 septembre, a
qualifié l’homme qui a reconnu l’Etat d’Israël en 1988 à Alger
sans rien obtenir en retour que l’espoir d’un hypothétique Etat
Palestinien différé à l’infini en ces termes : « Arafat, c’est
notre Ben Laden. » La sanction est tombée. La mise à mort
politique d’Arafat est proclamée, sa mort physique ne fera que
suivre. La simple protestation qu’osait émettre Arafat est
refusée aux Palestiniens. L’autorité palestinienne, de
concession en concession, s’achemine vers l’affaissement total.
C’est pour cette raison que le
processus de paix entamé depuis Oslo est une véritable
mascarade. Le visage machiavélique de ce processus s’est dévoilé
lorsque l’autorité palestinienne a révélé sa mission d’anéantir
le Hamas, et graver par le fer sur le front des Palestiniens la
sentence de l’ancien chef d’état- major de l’armée Moshe Ya’alon : « Faire
rentrer profondément dans la conscience des Palestiniens qu’ils
sont un peuple vaincu* ».
Le Monde, dans un sursaut
tardif, même en voulant retrouver le sens de la déontologie,
dans son éditorial du 22 janvier Après Gaza, utilise le
terme « La victoire militaire d’Israël » pour une agression et
des actes qualifiés par des organisations des droits de l’homme
de crimes de guerre. Une façon implicite de donner une
légitimité à l’agression. L’article du Monde se termine
par une requête qui sonne comme un aveu : « Plutôt que de
pousser les Palestiniens les uns contre les autres, le temps est
venu de travailler à leur réconciliation ».
Pourquoi avoir misé depuis la
première intifadha de 1987 sur la carte de la division
qui s’est terminée par un bain de sang en 2007 ? Pourquoi avoir
encouragé la logique de l’affrontement entre l’autorité
palestinienne et le Hamas depuis la victoire électorale de ce
dernier en 2006 ? Comment peut-on interpréter le fait de l’avoir
sollicité pour participer aux élections pour le diaboliser
ensuite et le transformer ainsi en cible potentielle ? La mise à
mort politique de celui-ci s’inscrivait dans la même logique que
celle d’Arafat.
Simplement, cette fois-ci, la mort
physique n’a pas suivie. Il y avait un écueil, et il était de
taille : la volonté de vivre debout des Gazaouis. L’agression
sur Gaza - une guerre planifiée par Israël - n’est que la mise
en œuvre du rêve sioniste : l’asservissement de la volonté
palestinienne. Ce que l’autorité palestinienne, le bras
supplétif du Tsahal dans la logique des accords d’Oslo, n’a pas
pu réaliser, l’armée israélienne devait l’accomplir : la chute
du Hamas. Ce dessein n’est pas seulement un objectif stratégique
pour Israël, mais il l’est aussi pour l’autorité palestinienne
et le Quartette.
Si Israël était l’ennemi historique
du Fatah d’Arafat, en se fourvoyant dans l’impasse des
négociations et en faisant de la paix un choix stratégique, le
Fatah et Israël sont devenus des alliés objectifs. Des alliés où
il n’y a place que pour le maître et son vassal. Leur seul
accord des négociations reposait sur la chute du Hamas. Pourquoi
l’autorité palestinienne a-t-elle fait sienne la stratégie
israélo-américano-européenne ? C’est l’existence même du Hamas
qui pose problème car celui-ci revendique le retrait total, sans
aucune condition, des territoires occupés après 1967.
Un retrait sans condition signifie
que le retrait n’équivaut pas à une reconnaissance de
l’existence d’Israël. Le Monde ne nous dit pas sur
quel programme politique la réconciliation à laquelle il appelle
se fera. Sur le postulat tacite des accords d’Oslo ou sur celui
de la résistance ? C’est pour cette raison que toutes les voix
qui appellent à une reprise des négociations dans l’esprit des
accords d’Oslo nous préparent une huitième guerre plus
meurtrière encore.
La seule question qu’une personne
sensée doit se poser est celle-ci : que faire avec l’Etat
d’Israël ? Si vraiment celui-ci est préoccupé par la paix qu’il
applique alors la résolution 242 de 1967. Le processus de Paix
« formolisé* »depuis Oslo n’a pour finalité que l’imposition à
une autorité palestinienne les thèses israéliennes afin que
l’accord conclu se substitue à la résolution de l’ONU. Si Israël
se considère comme un partenaire de paix, la résolution 242 de
L’ONU qui n’offre que 22% des 45% des territoires qu’elle a
octroyés aux Palestiniens est plus que généreuse pour les
Israéliens. C’est pour cette raison aussi que les conditions
réitérées par l’Europe envers le Hamas sont un non sens
politique.
Le Hamas ne remet pas en cause la
réalité d’Israël. Mais le passage de la reconnaissance de la
réalité d’Israël à la légitimation de son existence n’est pas
une simple vue de l’esprit : des centaines de roses blanches
saccagées par l’armée israélienne à Gaza se dressent sur la
route qui y mène.
Pour paraphraser Shakespeare, ce qui
a été fait ne saurait se défaire. La paix a été brisée à Gaza.
Le mot approprié pour la circonstance est la trêve. La légalité
de l’Etat d’Israël est doublement problématique : sur le plan
historique comme sur le plan théologique. Sur le plan
historique, le projet sioniste s’inscrit pleinement dans la
logique occidentale du XIXème siècle : Israël est une entreprise
coloniale.
Sur le plan théologique, le projet
sioniste, de guerre en guerre, et la dernière encore plus, ne
fait que renforcer la thèse de ceux qui considèrent le sionisme
comme une « Hérésie » par rapport aux enseignements de la
« Sainte Thora » et ne fait que vivifier le débat sur « la
difficile conciliation entre Alliance et Etat dans la tradition
politique juive.[1] »
Si la question « On ne discute pas
avec les terroristes » allait de soi pour la conscience
occidentale, que dire alors pour ceux qui disent aujourd’hui :
peut-on parler de Paix « avec des assassins ? » Et les assassins
d’aujourd’hui ont par le passé exproprié, chassé, tué, occupé et
humilié la population palestinienne !
Dans le monde arabe, la Paix comme
choix stratégique prônée par les Etats depuis trois décennies a
été battue en brèche. Le mur s’est fissuré. Le fossé qui sépare
les gouvernants de leurs populations ne fait que se creuser. Des
populations entières se sentent blessées et révoltées. Un
schisme s’est produit dans le monde arabe entre l’option de la
résistance et celle de la paix. La Nakba de 1948 a produit une
grande mutation politique dans le monde arabe. Celui-ci n’est
pas à l’abri d’un bouleversement stratégique. Gaza, plus que le
Liban, mobilise la population arabe et musulmane.
Les populations arabes, muselées
politiquement, voient dans leurs Etats de simples régimes
sécuritaires préoccupés plus par leur survie que par la solution
de leurs problèmes. En les brimant et en leur refusant l’accès
au politique, ces Etats se transforment en force d’occupation
empêchant l’émancipation des peuples.
La similitude avec la population
palestinienne n’est pas loin. La situation est explosive. Gaza a
démontré la caducité des armées arabes et de leurs Etats. La
mort d’Arafat a signé réellement la fin de l’idéologie nationale
telle qu’elle a sévi depuis les années 50. Ce ne sont plus les
Etats qui résistent mais des organisations sociales. La société
ne peut plus supporter ni admettre indéfiniment que l’Etat sensé
incarner sa volonté se dresse constamment contre elle.
Il est difficile après les massacres
de Gaza, de lire Levinas et de regarder les documentaires sur
les camps de concentrations sans que l’image de Gaza ne vienne
ternir le message. Mais nous continuerons à jeter les ponts avec
l’Autre car nous sommes convaincus qu’exister c’est aller avant
tout à sa rencontre. Seule cette orientation est garante de
notre humanisme. Le respect de l’Autre, c’est lui permettre
d’exprimer librement son être. Ce n’est ni la négation de
celui-ci ni son invitation dans la sphère publique pour lui
demander de neutraliser son identité, c’est savoir que l’Autre
« a une bouche et pas seulement des oreilles.[2] »
Les médias ont démontré qu’ils ont
tous interprété la même partition. Un seul compositeur les a
inspirés depuis le 27 décembre. Le « Big Brother » d’Orwell
n’avait pas pour seule résidence l’autre côté du mur de Berlin.
Comment ne pas se sentir blessé et révolté à la fois lorsqu’une
grande manifestation comme celle du 24 janvier 2009 à Paris n’a
pas été relayée par aucune chaîne de télévision publique ? Ceux
qui étaient dans la rue ce jour là étaient –ils des citoyens de
seconde zone ? Qui définit l’intérêt et l’utilité publics ? Et
sur quels critères ? Cette voix qui battait le pavé à Paris n’a
aucun relais politique ! Une bonne partie de la population n’a
pas d’existence médiatique, donc de représentation politique.
L’esprit du « Code de l’indigénat[3] »
est toujours présent dans la République.Gaza est le lieu de la
fracture médiatique. La manifestation de Paris a été transmise
par Al Djazeera le soir même. Même pour des évènements se
déroulant sur le sol national, nous sommes amenés à aller
chercher l’information sur des chaînes satellitaires. Voilà à
quoi le Big Brother nous a réduits lorsqu’il s’agit de traiter
de la politique extérieure de la France au Proche-Orient.
Ceux qui dénonçaient les images
diffusées par des chaînes arabes, principalement El Djazeera,
comme étant des images brutes, donc non policées et aseptisées
car ne s’inscrivant pas dans la pensée médiatique
unidimensionnelle, nous leur répondons que la vérité n’est
choquante que pour ceux qui veulent la cacher. Nous jetons des
draps blancs sur l’enfance assassinée et nous mettons un nom sur
le visage lugubre de la mort. Le contrat moral qui nous unissait
à cet univers médiatique est définitivement rompu. C’est pour
cette raison qu’il est vital que cette population,
principalement la population musulmane, investisse l’espace
médiatique pour la sauvegarde et la défense de l’esprit public.
Il faut également noter que le CRIF,
parlant au nom des Juifs de France, se dit solidaire de l’Etat
d’Israël. Un attachement viscéral à celui-ci sans aucune
distance critique. Aucune capacité d’objectivation n’est faite
pour distinguer entre la politique du gouvernement et l’Etat
d’Israël. Ceux qui manifestaient pour la Palestine défendaient
une cause et non un Etat.
Ils n’étaient pas dans la rue en tant
qu’Arabes ou Musulmans mais en tant que Français dénonçant
l’injustice et condamnant un Etat qui se dit ami de l’Europe.
Que les Français Juifs sachent que
l’honneur de la France durant la guerre d’Algérie a été sauvé
par Sartre dans sa préface du livre de Fanon Les Damnés de la
terre en 1961, Henri Aleg dans La Question en
1958 et l’Affaire Audin 1957-1958 de Vidal-Naquet.
Ils représentaient une minorité à l’époque, mais en se rangeant
du côté de la Justice, ils ont apporté à la France la même
charge symbolique que la Résistance face au Gouvernement de
Vichy.
Gaza ouvre une nouvelle histoire dans
notre rapport au monde. Si l’ère néoconservatrice de Bush a été
dominée par la « guerre contre le terrorisme », « l’axe du bien
contre le mal », le Hamas, par sa résistance à partir d’un
ancrage national, nous libère définitivement de l’épouvantail
d’El Qaïda. C’est la première fois dans un conflit où toutes les
thèses chères à El Qaïda sont présentes, qu’elle en était
quasiment absente. Les déclarations de ses deux dirigeants
survenues quelque temps après l’agression n’ont eu aucune prise
sur le cours des évènements.
Même l’intervention de Ben Laden est
restée lettre morte. C’était une voix désincarnée, la voix d’un
revenant, que la gravité de l’heure et la grandeur de la
résistance reléguaient dans les méandres de l’Histoire. Hamas
signe définitivement la mort de l’idéologie d’El Qaïda. La
contestation et la résistance n’ont sens et valeur que
lorsqu’elles reposent sur une réalité nationale. Le sol est le
socle à partir duquel la résistance puise sa légitimité et fait
entendre sa voix.
El Qaïda, cette nébuleuse
organisation créée par l’Amérique et l’Arabie Saoudite, n’est
que l’image agrandie d’une autre nébuleuse téléguidée elle-aussi
par les services de sécurité algériens, le GIA (Groupe Islamique
Armé). Ils ont le même mode opératoire, obéissent à la même
logique idéologique et produisent la même finalité : la mise en
spectacle baroque des victimes dans leurs opérations
meurtrières, la guerre à toute organisation islamique
s’engageant dans un processus politique et ont pour finalité le
renforcement de la dictature et du népotisme dans le cas de
l’Algérie, et l’avènement d’une Amérique impérialiste sur la
scène mondiale dans le cas d’El Qaïda. Du GIA à El Qaïda, du
terrorisme local au terrorisme international, la même logique
est en œuvre. Ben Laden n’est que l’autre nom de Djamel Zitouni
(chef du GIA en 1994).
Il est très utile à tout observateur
que veut comprendre le terrorisme dans sa version planétaire et
l’attitude prônée par la communauté européenne, l’Amérique,
Israël et l’autorité palestinienne envers le Hamas de bien
méditer le cas de l’Algérie.
Il suffit de regarder l’Algérie
actuelle pour saisir l’ampleur de la catastrophe. Toutes les
peurs invoquées pour légitimer l’arrêt du processus électoral
sont plus que présentes dans l’Algérie d’aujourd’hui : une
économie du bazar, une présidence à vie, une opposition
inexistante, une jeunesse désenchantée car aucune ouverture
politique ni économique ne se dessine à l’horizon. Il a fallu
plus d’une semaine après l’agression pour qu’une marche
spontanée ait lieu et qui se termine par des interpellations…
L’Algérie n’est plus que l’ombre d’elle-même, à l’image de son
président agonisant. Un nom plus qu’une réalité[4].
Le Hamas libère à jamais les
Musulmans de la charge de plomb que représente El Qaïda. Les
Musulmans, dans toute leur histoire, n’ont jamais suivi des
chefs virtuels, ni obéi à une logique suicidaire et meurtrière.
L’esprit de sacrifice n’a de valeur que dans la grandeur de la
cause qu’il sert.
Enfin, peut-on dire que l’idée d’une
Paix au Proche-Orient est envisageable ? De l’ordre du
possible ? Comment procéder ?
Commencer par maintenir la
mobilisation de soutien à la Palestine pour continuer à dénoncer
les actes criminels de l’entité sioniste et être une voix
dissonante dans le discours de pensée médiatique
unidimensionnelle.
Demander le retrait immédiat et sans
condition des territoires occupées par Israël depuis 1967 comme
preuve réelle et tangible de son désir de paix.
L’Occident et l’Etat d’Israël
admettent que le projet sioniste est le prolongement de la
logique de conquête coloniale qui a jalonné leur histoire tout
au long du XIXème siècle. Et ainsi se sentir responsable du
malheur qu’ils ont causé aux Palestiniens depuis soixante ans.
Les sionistes d’Israël, dans un élan
plein de ferveur, à l’image de leur prière devant le temple de
Lamentations, demanderont pardon aux Palestiniens. Face à un
repentir sincère, le futur président palestinien soumettra par
voie référendaire la question de la paix à la population qui
l’acceptera.
Un seul défi. Et il n’est pas du côté
palestinien. Les Israéliens peuvent-ils s’abstraire de leur
mentalité dominatrice et voir dans le Palestinien un égal à qui
on demande pardon ? Tous les pays qui soutiennent
inconditionnellement Israël ont un passé colonial lourd
(extermination et esclavage). L’histoire de la décolonisation a
démontré que l’équation occupant-occupé a toujours été une lutte
à mort. Les Israéliens peuvent t-ils relever ce défi ? En être
l’exception ? Toute la question est là.
La présence musulmane doit saisir
l’enjeu philosophique qu’ouvre après Gaza. Une nouvelle histoire
s’écrira avec elle ou sans elle. Sans elle, qu’elle sache que
l’histoire se fera à ses dépends et encensera les défenseurs du
choc de civilisation dont la loi sur le voile n’était que le
premier tempo. Avec elle, par sa sensibilité, elle fera de la
diversité qui caractérise le paysage et l’histoire de la France
un véritable levier dont la France sortira encore plus grande.
Et de cette grandeur, un grand pas pour la justice dans le
monde.
[1]
Voir l’article de Pierre BIRNBAUN « La question du
politique, de l’Alliance à l’Etat », dans
Philosophie et
judaïsme,
Critique, Janvier-Février 2008,
pp 68-79.
[2]
Franz ROSENSWEIG, Foi et Savoir, p.159, cité par Gérard
BENSUSSAN, « Franz ROSENZWEIG, une pensée toujours
nouvelle », in Critique,
op, cit.
[3]
Le code de l’indigénat a été adopté en 1881 et appliqué aux
colonies en 1887. Il distinguait entre deux catégories de
citoyens : les citoyens français et les sujets français. Les
sujets français, les indigènes, sont un ensemble impropre
qu’il faut séparer de la nation véritable parce qu’il menace
son authenticité. Même s’il a été aboli officiellement en
1947, dans la pratique, ce code a perduré en Algérie jusqu’à
l’Indépendance en 1962.
[4]
Le traitement médiatique de la guerre sur Gaza est identique
à celui qui a été fait lors de la décennie rouge en Algérie.
Le même climat d’intoxication des années 1992-1998 a été
reproduit durant la guerre sur Gaza. Les thèses des
Eradicateurs algériens comme celles de l’Etat d’Israël ont
été repris par la France officielle et les médias. Les mêmes
plumes qui sont au service d’Israël l’ont été pour les
généraux. L’assassinat de Hachani, la personne qui aurait pu
changer la donne politique en Algérie, le 22 novembre 1999,
prouve qu’en ce pays sévit réellement un intégrisme
éradicateur, un véritable terrorisme stratégique. Par cet
assassinat, les Eradicateurs ont signé la mort du FIS (Front
Islamique du Salut) mais pas celle du GIA. Celui-ci, à
l’image d’EL Qaïda, à l’éternité devant lui. D’où
l’importance capital du sens que prend la résistance du
Hamas. Un grand oui est donc accordé au djihadisme
international avec tous les mystères qui entourent les
commanditaires pour continuer à voir dans l’Islam même, la
source du terrorisme. Un combat acharné est mené contre
toute organisation islamo-nationaliste car elle incarne une
véritable dynamique citoyenne qui remet en cause les
intérêts de ceux qui asservissent leurs peuples.
* les citations en astérisques
sont à consulter sur le site internet :
http://www.republique-des-lettres.fr/10326-conflit-israelo-palestineins.php
« Formoliser le processus de
paix » est une expression de Dov Weizglass, chef de cabinet
d’Ariel Sharon, dans une interview accordé au quotidien
israélien Ha’aretz en 2004 : le formol a pour
principal intérêt d’empêcher les corps morts de se
détériorer allant jusqu’à créer, parfois, l’illusion qu’ils
sont encore en vie. Cette citation est à l’adresse web
indiquée.
Mahmoud Senadji, ancien
professeur à l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts d’Alger
Publié le 5 février 2009 avec l'aimable
autorisation d'Oumma.com
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