Opinion
La démocratie
militaire
M.
Saadoune
Dimanche 4 août 2013
Les Etats-Unis étaient dans une fausse
ambiguïté sur la situation en Egypte et
le secrétaire d'Etat américain l'a levée
au Pakistan en déclarant que l'armée est
intervenue pour rétablir la démocratie.
Le propos suscite la controverse aux
Etats-Unis mêmes où certains remarquent
que John Kerry a choisi de faire sa
déclaration dans un pays où, au nom de
leurs intérêts, les Américains se sont
accommodés, voire ont soutenu les
intrusions de l'armée en politique.
Bien entendu, John Kerry a pris soin de
dire que les violences subies par les
manifestants sont «inacceptables» et que
cela «n'est pas rétablir la démocratie».
Mais c'est une exception de forme à un
soutien de fond qui n'a rien de
surprenant. Même si les Américains
avaient des lignes de contact avec les
Frères musulmans, l'armée égyptienne est
l'allié stratégique par excellence,
celui qui veille à ce que l'ordre
géopolitique ne soit pas perturbé. Et à
ce que Camp David soit respecté. Les
Israéliens, eux, ont demandé
publiquement et sans doute par des voies
plus informelles à ce que les Américains
ne la jouent pas trop «principe». Et au
fond, ils ne la jouaient pas. En
s'abstenant de parler de «coup d'Etat»,
ils ont choisi les militaires contre la
démocratie.
Les médias qui parlent d'embarras
américain se trompent clairement. Israël
le sait, toute démocratisation dans un
pays comme l'Egypte aboutira
inéluctablement à une remise en question
de Camp David et à un rapport très
différent aux Palestiniens. Quand
l'armée égyptienne intervient et reprend
le peu de pouvoir qu'elle avait concédé,
c'est Camp David qui est encore plus
protégé. Quant aux Palestiniens, il
suffit, pour ceux qui ont le cœur à ça,
de se brancher les «télés mille
collines» d'Egypte pour prendre la
mesure de la campagne haineuse et
raciste qui est menée contre eux. Quand
un processus démocratique échoue - et en
Egypte il ne peut être question de
démocratie quand une moitié d'Egyptiens
est traitée déjà en «terroriste -,
Israël, la «prétendue seule démocratie
au Proche-Orient», est tranquille. Et ce
n'est pas exagéré de reproduire la
fameuse formule «ce qui est bon pour
General Motors est bon pour les
Etats-Unis» en disant que pour
l'establishment de Washington, «ce qui
est bon pour Israël est bon pour les
Etats-Unis».
Washington en soutenant la démocratie du
général Sissi a cependant pris la
précaution de faire savoir que le droit
de manifester doit être respecté. Ce
n'est pas tout à fait inutile au moment
où le pouvoir égyptien a des velléités
d'en découdre en désignant les espaces
où les pro-Morsi organisent leur sit-in
de «menaces à la sécurité nationale».
Mais il faut en convenir, John Kerry n'a
fait que confirmer un choix d'intérêt
qui a été déjà fait par l'administration
américaine. Il n'y avait aucun embarras,
il y avait juste une gestion de la
communication à faire. Désormais avec
les déclarations de John Kerry on n'est
plus dans le faux-semblant. L'intérêt
prime. Washington devra cependant s'en
souvenir : elle n'a pas, une fois de
plus, de leçon de démocratie à donner.
Même si du haut de sa surpuissance
Washington pense qu'elle peut faire
passer au monde entier l'idée biscornue
qu'il suffit d'être l'ami des Américains
pour bénéficier du label de démocratie.
Sissi l'est, Sissi est donc démocrate.
C'est court et c'est américain.
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