Opinion - RIA Novosti
Les USA installent
un radar ABM en Turquie
Konstantin Bogdanov
Les USA
installent un radar ABM en Turquie
© RIA Novosti. Mikhail Fomichev
Mardi 6 septembre
2011
Un
radar américain sera installé en Turquie
où, très probablement, il commencera à
suivre les lancements de missiles sur le
territoire iranien et ne pourra pas être
utilisé contre les forces stratégiques
russes. Cependant, le système global
américain de défense antimissile (ABM)
comporte toujours un risque pour la
Russie.
L’ABM
américain se dote d’un nouveau radar
Une station radar en cours de
création par les Etats-Unis et l’OTAN
sera déployée en Turquie, a déclaré
vendredi le porte-parole du ministère
turc des Affaires étrangères Selçuk Ünal.
"Le déploiement de cet élément de l’ABM
en Turquie sera une contribution de
notre pays au système de défense
développé dans le cadre de la nouvelle
stratégie de l’OTAN et renforcera le
potentiel de défense de l'Alliance et de
notre système national de défense",
a-t-il fait remarquer.
Pour autant qu’on puisse en juger
actuellement, il s’agit de variations
sur le thème du radar centimétrique
AN/TPY-2 intégré dans le complexe
américain THAAD destiné à l'interception
endo-atmosphérique des missiles de
moyenne portée. Le radar couvre un rayon
d’environ
1.000 kilomètres.
La particularité de cette station est
qu’hormis la transmission des paramètres
au complexe de tir THAAD destiné à
détruire les ogives lancées, elle peut
être utilisée comme une sorte de "point
d’observation" avancé dans la structure
projetée du nouvel ABM américain
(ce qu’on appelle le régime Forward-based
mode). Dans ce cas, le radar est utilisé
pour une détection précoce des
lancements de missiles et la
détermination des éléments de leurs
trajectoires.
Dans
quelle direction le radar sera-t-il
orienté?
Le site prévu pour le déploiement de
la station radar réduit rapidement le
cercle des
"ennemis éventuels" de la région
sud-européennes de l’ABM américain.
Selon les médias turcs, il est question
des régions sud-est de la Turquie.
Le radar ne pourra pratiquement pas
fonctionner contre la Russie à partir de
cette position : premièrement, sur le
plan purement théorique sa portée
suffira jusqu'à Novorossiïsk, et
deuxièmement, la crête du Caucase et les
montagnes à l’est de la chaîne pontique
empêcheront fortement le radar de
surveiller la situation au-dessus du
territoire russe, même s’il était
déployé sur l’un des sommets autour du
lac Van.
Sans parler du fait que dans ce
secteur il est inutile de surveiller
quoi que ce soit qui soit lié aux
lancements des missiles stratégiques
russes. Ils sont déployés au nord-ouest
de Russie, dans sa région centrale et en
Sibérie, et leurs trajectoires
opérationnelles sont dirigées vers le
nord,
au-dessus des régions polaires et le
Groenland.
De plus, et surtout, même en
supposant que ce radar soit capable de
détecter quelque chose qu’il ne devrait
pas voir (par exemple, des lancements
hypothétiques de missiles tactiques
au-dessus de l’Abkhazie et de l’Ossétie
du Sud en cas de nouveau conflit au sud
de la crête du Caucase), les Américains
ne pourraient rien en faire. Les
vecteurs pour antimissiles en Géorgie
pourraient convenir, mais la possibilité
de leur déploiement dans les conditions
actuelles est très faible.
Vendredi, Dmitri Rogozine,
représentant permanent de la Russie
auprès de l’OTAN, a annoncé que le radar
turc ne représentait aucune menace pour
la Russie. Par contre, deux Etats de la
région devraient s’en inquiéter: l’Iran
et la Syrie.
Si la Syrie ne dispose pas de
missiles capables d’atteindre le
territoire européen (et a peu de chances
de s’en procurer à moyen terme), l’Iran
est sur le point de créer de tels
systèmes. Et ses principales bases de
missiles connues du public sont situées
à l’ouest et au nord-ouest du pays (près
de Khorramabad et Tabriz), et le
lancement d’un missile serait
certainement détecté par la nouvelle
station radar américaine.
Mise au
point de la politique générale
La logique du déploiement d’un radar
en Turquie renforce l’orientation
ouverte anti-iranienne de la composante
européenne de l’ABM américain (ce qui a
été ouvertement annoncé).
Au début des années 2000,
l’administration républicaine misait sur
le déploiement des éléments de l'ABM en
République tchèque et en Pologne, où ils
pouvaient seulement menacer les missiles
Topol tirés à partir des régions
nord-ouest de Russie.
Avec l’arrivée à la Maison blanche de
l’équipe de Barack Obama, le concept de
l’ABM européen a changé : les plans de
déploiement des vecteurs ABM ont changé
au profit du sud de la Roumanie, et un
radar devait être déployé en Bulgarie ou
(comme ce sera certainement le cas) en
Turquie.
Ainsi, le flanc sud de la composante
européenne de l’ABM américain a été
dessiné dans l’ensemble. Désormais, on
peut affirmer que dans cette
configuration il s’agit effectivement de
la protection de l’Europe contre
d'éventuelles attaques de missiles en
provenance du
Moyen-Orient.
Les missiles d’un ennemi éventuel
lancés contre les pays européens
passeront au-dessus de la Turquie et les
éléments de leurs trajectoires seront
détectés par le radar turc. Ensuite, les
intercepteurs roumains traiteront les
ogives au-dessus des Balkans.
La
mosaïque complexe de l’ABM global
En comparaison avec les plans
annoncés par Washington une dizaine
d’années auparavant, le fond général du
problème de l’ABM européen a perdu son
caractère franchement antirusse.
Cependant, les risques pour la Russie
demeurent.
L’architecture de l’ABM américain
global, dans sa forme sous laquelle il
sera créé, assure une souplesse sans
précédent des systèmes de ciblage et de
guidage des systèmes d’attaque. En fait,
il est prévu que toutes les composantes
de l’ABM (les radars navals et les
intercepteurs embarqués sur les navires)
soient capables de se déplacer et, en
cas de menace, d’adopter la
configuration nécessaire au Pentagone.
Ainsi, une source haut placée au
Pentagone a déclaré au The Wall Street
Journal que la décision de déployer le
radar en Turquie avait été prise à la
fin de l’année dernière. Toutefois, afin
d’éviter d’exacerber les relations déjà
complexes dans la région, selon la
source, il a été décidé que le radar
américain identique, déployé en Israël
et intégré à l’ABM, ne recevrait aucune
information à partir du radar turc.
Ankara est réellement préoccupé par
les tensions possibles dans la région et
se prononce contre la création de l’ABM
régional intégré basé sur ces deux
radars. Toutefois, on ignore comment les
Américains garantiront l’absence
d'échange d’informations si
l’architecture de l’ABM global prévoit
un échange transparent de données (dans
l’idéal à l’échelle planétaire).
L’ABM israélien sera probablement
exclu de ce schéma, mais la facilité
avec laquelle il est possible de mettre
ces radars en liaison confirme le
caractère éphémère des garanties
avancées par les militaires américains.
Les
problèmes similaires préoccupent la
Russie.
Admettons que la probabilité de la
destruction des missiles Topol tirés
dans le nord-ouest de la Russie
au-dessus de la mer de Norvège est
relativement faible : la phase
d’accélération sera déjà terminée ce qui
compliquera l’interception. Mais à
partir des mêmes positions les croiseurs
américains de classe Ticonderoga
pourront détruire les missiles navals
russes pendant la phase de lancement
depuis les sous-marins dans la mer de
Barents.
Or c’est une grave menace : les
missiles nucléaires navals étaient
toujours considérés comme une arme de
représailles (dans les années 70 on les
qualifiés des "tueurs de villes" en
raison de leur précision relativement
faible), et l’annulation de leur
potentiel de riposte pourrait pousser
encore plus les politiques irresponsable
à effectuer une première frappe de
"désarmement" contre les forces
nucléaires russes. Notamment dans le
contexte de la future mise hors service
des silos lourds de production
soviétique, et d’une situation pour
l’instant floue concernant le rythme de
leur replacement par de nouveaux
systèmes.
La situation s’avère complexe. D’une
part, le déploiement de la composante
sud de l’ABM en Turquie et en Roumanie
ne présente aucune menace pour la
Russie.
D’autre part, la mise en place de la
mosaïque colossale de l’ABM américain
global comporte certains risques
potentiels pour les forces stratégiques
russes.
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