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Le calendrier
musulman en 10 questions (1/2)
Khalid Chraibi
Vendredi 26 septembre 2008
« Le soleil et la lune (évoluent) selon un
calcul (minutieux) » (Coran, Ar-Rahman, 55 : 5) « C’est Lui
(Dieu) qui a fait du Soleil une clarté et de la Lune une
lumière ; il en a déterminé les phases afin que vous connaissiez
le nombre des années et le calcul du temps » (Coran, Yunus, 10 :
5)
« Les ulémas n’ont pas le monopole
d’interprétation de la charia. Evidemment ils doivent être
consultés au premier plan sur les questions de la charia. (Mais)
ce ne sont pas eux qui font la loi religieuse, de même que ce ne
sont pas les professeurs de droit qui font la loi, mais les
parlements » (Ahmed Khamlichi, Point de vue n° 4)
Question 1 : Pourquoi les
musulmans se basent-ils sur l’observation de la nouvelle lune
pour déterminer le début des mois ?
Quand les compagnons du Prophète l’interrogèrent
sur la procédure à suivre pour déterminer le début et la fin du
mois de jeûne, il leur recommanda de commencer le jeûne du mois
du ramadan avec l’observation de la naissance de la nouvelle
lune [au soir du 29è j du mois] et d’arrêter le jeûne avec la
naissance de la nouvelle lune (du mois de shawal). « Si le
croissant n’est pas visible (à cause des nuages) comptez jusqu’à
30 j. ». (1)
A l’époque, les bédouins ne savaient ni écrire,
ni compter. Ils ne connaissaient rien à l’astronomie, dont les
données n’étaient pas communément disponibles. Ils étaient
habitués à observer la position des étoiles, de nuit, pour se
guider dans leurs déplacements à travers le désert, et à
observer l’apparition de la nouvelle lune pour connaître le
début des mois. La recommandation du Prophète cadrait
parfaitement avec les données de leur situation.
Question 2 : Pourquoi la
nouvelle lune, à sa naissance, est-elle visible dans certaines
régions du globe seulement ?
Le nouveau mois lunaire commence, sur le plan
astronomique, à partir du moment où la « conjonction » mensuelle
se produit, c’est-à-dire quand la Lune se trouve située sur une
ligne droite entre la Terre et le Soleil. A ce moment-là, la
lune est invisible. Le croissant lunaire ne commence à être
visible, en général, que quelques 18 h après la « conjonction »,
et uniquement lorsque des conditions favorables d’observation
sont réunies. Elles incluent le nombre d’heures écoulées depuis
la conjonction ; les positions relatives du Soleil, du croissant
lunaire et de l’observateur ; l’altitude de la lune au coucher
du soleil ; le lieu où l’on procède à l’observation ; l’angle
formé avec le soleil au moment du coucher ; la limite de
détection de l’oeil humain ; etc. (2)
Chaque mois, la nouvelle lune sera d’abord
aperçue à certains endroits spécifiques du globe, avant de
devenir visible partout ailleurs, par la suite.
Question 3 : Peut-on
déterminer à l’avance les lieux les plus favorables à
l’observation de chaque nouvelle lune ?
Des astronomes musulmans renommés, tels que Ibn
Tariq (8è s.), Al-Khawarizmi (780 ?-863), Al-Battani (850-929),
Al-Bayrouni (973-1048), Tabari (11è s.), Ibn Yunus (11è s.),
Nassir al-Din Al-Tousi (1258-1274 ?), etc. ont accordé un
intérêt particulier à l’étude des critères de visibilité de la
nouvelle lune, dans le but de développer des techniques de
prédiction fiables du début d’un nouveau mois.
Mais, ce n’est que récemment que des astronomes
et des informaticiens réputés ont réussi, en conjuguant leurs
efforts, à établir des procédures permettant de prédire à
l’avance, chaque mois, dans quelles régions du globe les
conditions optimales seront réunies pour observer la nouvelle
lune. Ainsi, en 1984, un physicien de Malaisie, Mohamed Ilyas, a
pu tracer au niveau du globe terrestre une ligne de démarcation,
ou ligne de date lunaire, à l’ouest de laquelle le croissant est
visible le soir du nouveau mois, alors qu’il ne peut être vu à
l’est de cette ligne que le soir suivant. (2) Aujourd’hui, les
cartes détaillées des zones de visibilité de la nouvelle lune
sont établies de manière mensuelle, à l’avance, et publiées dans
des sites tels que « Moonsighting.com ». (3)
Question 4 : L’observation
de la nouvelle lune, où qu’elle se fasse, ne devrait-elle pas
marquer le début du nouveau mois pour tous les musulmans ?
En théorie, lorsque la nouvelle lune est
observée quelque part, cela marque le début du nouveau mois pour
les musulmans situés dans toutes les régions où l’information
parvient. Au temps de la Révélation, quand les communications
dans l’espace étaient difficiles, cette règle ne concernait que
des régions géographiques limitées, proches du lieu
d’observation. Mais, aujourd’hui, avec les moyens de
communication modernes, une information peut être diffusée dans
le monde entier presque instantanément. Le champ d’application
de la règle est donc beaucoup plus vaste. (4) (5)
Cependant, dans le but d’affirmer leur
souveraineté, les Etats musulmans procèdent généralement, chacun
pour son propre compte, à l’observation mensuelle de la nouvelle
lune dans le ciel (ou à défaut attendent l’achèvement d’un 30è
j) avant de décréter le début d’un nouveau mois sur leur
territoire. Chaque Etat a défini ses propres paramètres et
procédures en la matière, compliquant encore plus la situation.
(6)
Question 5 : Puisque le
mois lunaire ne peut avoir que 29 jours, ou 30 jours, pourquoi y
a-t-il parfois un décalage de deux jours (et parfois même de
trois jours) dans le début du mois du ramadan, ou dans la
célébration de l’aïd al Fitr, dans différents pays ?
Logiquement, le début du nouveau mois ne devrait
différer que de 24 heures entre tous les pays de la planète.
Certains Etats observeraient la nouvelle lune le soir du 29è
jour du mois, alors que les autres comptabiliseraient un mois de
30 jours.
En pratique, il en va autrement, puisque le 1er
ramadan 1428, par exemple, correspondait au mercredi 12
septembre 2007 dans 2 pays ; au jeudi 13 septembre dans 40
pays ; et au vendredi 14 septembre dans 9 pays. (7) De même, le
1er shawwal 1428, jour de célébration de l’aïd el-Fitr,
correspondait au jeudi 11 octobre 2007 dans 1 pays, au vendredi
12 octobre dans 33 pays, au samedi 13 octobre dans 23 pays et au
dimanche 14 octobre dans 3 pays. (8)
Etant donné que différents Etats musulmans
décrètent des jours différents pour le début du même mois, ils
atteignent également le 30è jour du mois en des jours
différents. Des considérations d’ordre politique ou
géo-stratégiques, ainsi que des défaillances humaines dans
l’observation de la nouvelle lune, expliquent aussi certains
décalages.
Des astronomes musulmans ont procédé, au cours
des dernières années, à des études approfondies de ces
questions. Ils ont abouti à la conclusion que les débuts de mois
décrétés dans les pays islamiques sur une période de plusieurs
décennies étaient souvent erronés, pour les raisons les plus
diverses. (2) (9)
Question 6 : Est-ce qu’il
existe un calendrier lunaire basé sur le calcul ?
Le calendrier lunaire basé sur le calcul
astronomique existe depuis la plus haute Antiquité. Il était
déjà un outil hautement performant du temps des Babyloniens (18è
s. av. J.C.). Le mois lunaire débute, on l’a vu, au moment de la
« conjonction » mensuelle, quand la Lune se trouve située sur
une ligne droite entre la Terre et le Soleil. Le mois est défini
comme la durée moyenne d’une rotation de la Lune autour de la
Terre (29,53 j environ).
La lunaison (période qui s’écoule entre deux
conjonctions) varie au sein d’une plage dont les limites sont de
29, 27 j au solstice d’été et de 29,84 j au solstice d’hiver,
donnant, pour l’année de 12 mois, une durée moyenne de 354,37 j.
Sur le plan astronomique, les mois lunaires n’ont pas une durée
de 30j et de 29j en alternance. Il y a parfois de courtes séries
de 29 j suivies de courtes séries de 30 j, comme illustré par la
durée en jours des 24 mois lunaires suivants, correspondant à la
période 2007-2008 : « 30, 29, 30, 29, 29, 30, 29, 29, 30, 30,
29, 30, 30, 30, 29, 30, 29, 29, 30, 29, 29, 30, 29, 30 »
Les astronomes ont posé, depuis des millénaires,
la convention que des mois de 30 j et de 29 j se succèderaient
en alternance, dans le but de faire correspondre la durée de
rotation de la Lune sur deux mois consécutifs à un nombre de
jours entiers (59 j). Cela laissait à peine un petit écart
mensuel de 44 mn environ, qui se cumulait pour atteindre 24 h
(soit l’équivalent d’un jour) en 2,73 ans.
Pour solder cet écart, il suffisait d’ajouter un
jour au dernier mois de l’année, tous les trois ans environ, de
la même manière qu’on ajoute un jour tous les quatre ans au
calendrier grégorien. Le « calendrier tabulaire » ainsi élaboré
comprend 11 années dites « abondantes », d’une durée de 355 j
chacune, dans un cycle de 30 ans (années n° 2, 5, 7, 10, 13, 16,
18, 21, 24, 26 et 29), alors que les années dites « communes »,
d’une durée de 354 j, sont au nombre de 19. (10)
Question 7 : Pourquoi les
musulmans n’utilisent-ils pas le calendrier lunaire basé sur le
calcul ?
Le Coran n’interdit pas l’utilisation du calcul
astronomique dans l’élaboration du calendrier. Il précise
seulement que l’année lunaire ne comprend que 12 mois. (11)
Mais, suite à la recommandation du Prophète aux
Bédouins de commencer et d’arrêter le jeûne du mois du ramadan
avec l’observation de la nouvelle lune, le consensus des ulémas
se forgea solidement, pendant 14 siècles, autour du rejet du
calcul, à part quelques juristes isolés, dans les premiers
siècles de l’ère islamique, qui prônèrent l’utilisation du
calcul pour déterminer le début des mois lunaires. (12)
Sur le plan institutionnel, seule la dynastie
(chi’ite) des Fatimides, en Egypte, a utilisé un calendrier basé
sur le calcul, entre les 10è et 12è s., avant qu’il ne tombe
dans l’oubli à la suite d’un changement de régime. (13)
L’argument majeur utilisé pour justifier cette situation se
fonde sur le postulat des ulémas, selon lequel il ne faut pas
aller à l’encontre d’une prescription du Prophète. (14) Ils
estiment qu’il est illicite de recourir au calcul pour
déterminer le début des mois lunaires, puisque le Prophète a
recommandé la procédure d’observation visuelle. (4)
Question 8 : Le hadith du
Prophète sur l’observation de la nouvelle lune pour débuter le
jeûne du ramadan constitue-t-il une prescription religieuse
immuable et incontournable ?
Depuis le début du 20è s., de plus en plus de
penseurs islamiques, ainsi qu’une poignée d’ulémas de renom,
remettent en cause les arguments présentés contre l’utilisation
du calcul.
A leur avis, le Prophète a simplement recommandé
aux fidèles une procédure d’observation de la nouvelle lune,
pour déterminer le début d’un nouveau mois. L’observation du
croissant n’était qu’un simple moyen, et non pas une fin en soi,
un acte d’adoration (‘ibada). Le hadith relatif à l’observation
n’établissait donc pas une règle immuable, pas plus qu’il
n’interdisait l’utilisation du calendrier astronomique. (4) (15)
D’après certains juristes, le hadith ne parle
même pas d’une observation visuelle de la nouvelle lune, mais
simplement de l’acquisition de l’information, selon des sources
crédibles, que le mois a débuté. (16) Cela ouvre naturellement
de toutes autres perspectives dans la discussion de cette
question.
D’ailleurs, en Arabie Saoudite, le calendrier d’Umm
al Qura (à usage administratif uniquement) est préparé depuis de
nombreuses années en utilisant une procédure basée sur le calcul
astronomique, et qui n’a rien à voir avec l’observation de la
nouvelle lune. Par convention, si la conjonction se produit
avant le coucher du soleil aux coordonnées de la Mecque, le soir
du 29è j du mois en cours, et si le soleil se couche avant la
lune, un nouveau mois commence. Autrement, le mois en cours aura
une durée de 30 j. (17) On peut aussi noter que les musulmans
trouvent parfaitement licite d’utiliser le calendrier grégorien
dans la gestion de toutes leurs affaires, et l’utilisent de
manière routinière, depuis de nombreux siècles, sans avoir la
moindre appréhension qu’ils pourraient, ce faisant, enfreindre
des prescriptions religieuses. L’usage du calendrier solaire
grégorien, basé sur le calcul astronomique, serait-il donc
licite, alors que l’usage du calendrier lunaire islamique, basé
sur le même calcul, serait illicite
A suivre...
Notes :
(1) Al-Bokhary, Recueil de hadiths (3/119)
(2) Karim Meziane et Nidhal Guessoum : La
visibilité du croissant lunaire et le ramadan, La Recherche
n° 316, janvier 1999, pp. 66-71
(3)
Moonsighting.com
(4) Allal el Fassi : « Aljawab assahih wannass-hi
al-khaliss ‘an nazilati fas wama yata’allaqo bimabda-i
acchouhouri al-islamiyati al-arabiyah », rapport préparé à la
demande du roi Hassan II du Maroc, Rabat 1965 (36 p.), sans
indication d’éditeur
(5) Abi alfayd Ahmad al-Ghomari : Tawjih
alandhar litaw-hidi almouslimin fi assawmi wal iftar, 160p,
1960, Dar al bayareq, Beyrouth, 2è éd. 1999
(6)
Procédure d’observation de la
nouvelle lune par pays
(7)
Etat d’observation du début du
Ramadan 1428 par pays
(8)
Etat d’observation du début de
Shawwal 1428 par pays
(9) Nidhal Guessoum, Mohamed el Atabi et Karim
Meziane : Ithbat acchouhour alhilaliya wa mouchkilate attawqiti
alislami, 152p., Dar attali’a, Beyrouth, 2è éd., 1997
(10) Emile Biémont, Rythmes du temps,
Astronomie et calendriers, De Borck, 2000, 393p
(11) Dans l’Arabie pré-islamique, les bédouins
utilisaient un calendrier lunaire basé sur une année de 12 mois.
Mais ils avaient pris l’habitude, depuis l’an 412, de leur
adjoindre un 13è mois mobile, (dont le concept avait été
emprunté au calendrier hébraïque), dans le but de faire
correspondre le mois du hajj à la saison d’automne. Ces
ajustements ayant fait l’objet de grands abus, le Coran les a
réprimés en fixant à douze le nombre de mois d’une année et en
interdisant l’intercalation du 13è mois.
Les versets du Coran (At-Touba 9 : 36 et 37)
sont les suivants : (Coran 9 : 36) : « Le nombre de mois, auprès
d’Allah, est de douze (mois), dans la prescription d’Allah, le
jour où Il créa les cieux et la terre. » (Coran 9 : 37) : « Le
report d’un mois sacré à un autre est un surcroît de mécréance.
Par là, les mécréants sont égarés : une année, ils le font
profane, et une année, ils le font sacré, afin d’ajuster le
nombre de mois qu’Allah a fait sacrés. Ainsi rendent-ils profane
ce qu’Allah a fait sacré. Leurs méfaits leurs sont enjolivés. Et
Allah ne guide pas les gens mécréants. »
(12)Abderrahman al-Haj : « Le
faqih, le politicien et la détermination des mois lunaires » (en
arabe)
(13)Helmer Aslaksen : The
Islamic calendar
(14) Muhammad Mutawalla al-Shaârawi : Fiqh
al-halal wal haram (édité par Ahmad Azzaâbi), Dar al-Qalam,
Beyrouth, 2000, p. 88
(15) Le cheikh Abdul Muhsen Al-Obaikan,
conseiller du Ministère de la Justice d’Arabie Saoudite, remet
lui-même en cause la méthode utilisée par le Conseil Judiciaire
Suprême d’Arabie Saoudite, qui se base sur l’observation de la
nouvelle lune à l’œil nu pour décréter le début du mois. Compte
tenu de l’état d’avancement de la science et de la technologie
modernes, utiliser l’œil nu pour déterminer le début et la fin
du mois de ramadan relève, à son avis, d’une démarche primitive.
« Il n’y a pas d’autre façon de le dire, c’est du
sous-développement à l’état pur. » Rapporté par Anver Saad,
« The Untold Story of Ramadhan Moon Sighting » Daily muslims,
October 07, 2005
(16) Al-Ghazali, Ihya’e ouloum addine, cité
dans al-Ghomari, p 30
(17)
Van Gent : The Umm al Qura calendar
Références en
français : Emile Biémont,
Rythmes du temps, Astronomie et calendriers, De Borck, 2000,
393p
Louisg : Le début des mois
dans le calendrier musulman
Louisg : Le Calendrier
musulman
Nidhal Guessoum : Le problème
du calendrier islamique et la solution Képler
Mohamed Nekili : Vers un
calendrier islamique universel
Jamal Eddine Abderrazik,
« Calendrier Lunaire Islamique Unifié », Editions Marsam, Rabat,
2004. Références en anglais :
Helmer Aslaksen : The
Islamic calendar
Selected articles on the
Islamic calendar
Islamic Crescent’s Observation
Project (ICOP) : Selected articles on the Islamic calendar
Mohamed Odeh : The actual
Saudi dating system
Khalid Chraibi. Le
calendrier musulman en 10 questions (2/2)
Publié le 27 septembre 2008 avec l'aimable
autorisation d'Oumma.com
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