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Analyse
Vers une « Troisième
Intifada » ?
Julien Salingue
Lundi 22 mars 2010
Il y a tout d’abord eu ce mini-scandale diplomatique consécutif
à l’annonce par le Ministère israélien de l’Intérieur, en pleine
visite du Vice-Président des Etats-Unis Joe Biden, de la
construction de 1600 nouveaux logements dans les colonies de
Jérusalem. Il y a eu ensuite cette journée du 16 mars où, à
Jérusalem et dans plusieurs villes de Cisjordanie, des
manifestants palestiniens, pour la plupart très jeunes, se sont
affrontés aux forces israéliennes.
Et soudain, certains semblent découvrir que la rhétorique
diplomatique en vogue (« reprise des pourparlers », « relance du
processus de paix », « retour à la table des négociations ») est
en décalage flagrant avec la réalité. Le gouvernement Netanyahu
n’avait-il pourtant pas promis qu’il ferait des concessions ? La
population palestinienne ne bénéficie-t-elle pas d’une
amélioration de ses conditions de vie, propice à une « reprise
du dialogue » ?
Quiconque observe de près la situation en Israël et dans les
territoires palestiniens n’est guère surpris des récents
événements. En effet il ne s’agit pas d’un coup de tonnerre dans
un ciel serein, mais bien du développement des deux logiques à
l’œuvre dans la dernière période : un renforcement de l’emprise
israélienne sur la Cisjordanie et sur Jérusalem ; une remontée
significative de la mobilisation dans les territoires
palestiniens.
Parlons, tout d’abord, de Jérusalem. 1600 nouveaux logements
dans les colonies. Et alors ? Oublie-t-on que ce sont
aujourd’hui environ 200 000 colons qui vivent à Jérusalem et
dans sa périphérie ? Oublie-t-on les dizaines d’expulsions et de
démolitions de maisons palestiniennes au cours de ces derniers
mois ? Oublie-t-on que le « gel temporaire de la colonisation »,
annoncé par Netanyahu en novembre, ne concernait pas Jérusalem ?
Les 1600 nouveaux logements ne sont pas un accident, ils
s’inscrivent dans une logique revendiquée et assumée depuis
1967 : la judaïsation de Jérusalem et son isolement du reste des
territoires palestiniens, pour contrer toute revendication de
souveraineté palestinienne sur la ville.
Parlons, ensuite, de la Cisjordanie. Si l’afflux des aides
internationales a permis à l’Autorité Palestinienne de Ramallah
de payer les salaires des fonctionnaires et de relancer
partiellement l’économie, il est très audacieux, comme le
reconnaissent le FMI et la Banque Mondiale dans leurs rapports,
de parler d’une reprise économique réelle. Si le PIB palestinien
a globalement augmenté en 2009, il demeure inférieur de 35% à
celui de 1999. En outre, cette augmentation globale dissimule
mal des disparités flagrantes : le secteur du bâtiment a certes
progressé de 24%, mais la production agricole est en chute de
17%...
Qui plus est les évolutions dans le domaine économique n’ont pas
remis en cause le contrôle israélien sur la Cisjordanie : « L’appareil
de contrôle est devenu de plus en plus sophistiqué et efficace
quant à sa capacité à affecter tous les aspects de la vie des
Palestiniens (…). L’appareil de contrôle comprend
un système de permis, des obstacles physiques (…), des
routes interdites, des interdictions d’entrée dans de vastes
parties de la Cisjordanie, et de manière encore plus notable la
Barrière de Séparation. Il a transformé la Cisjordanie en un
ensemble fragmenté d’enclaves économiques et sociales isolées
les unes des autres ». C’est la Banque Mondiale qui le dit,
dans un rapport de février 2010.
Enfin, depuis son annonce d’un « gel temporaire » de la
construction de colonies, le gouvernement Netanyahu a autorisé
la mise en chantier de 3600 logements, poursuivant une politique
de colonisation systématique qui a vu, l’an passé, le nombre de
colons installés en Cisjordanie augmenter de 4.9% tandis que
l’ensemble de la population israélienne ne croissait que de
1.8%. Last but not least, le 3 mars dernier Netanyahu
déclarait que même en cas d’accord avec les Palestiniens, il
était exclu qu’Israël renonce à son contrôle sur la vallée du
Jourdain…
Parlons de Gaza, enfin. Coupée du monde et soumise à un blocus
renforcé depuis qu’elle a été déclarée « entité hostile » par
l’Etat d’Israël en septembre 2007, la Bande de Gaza connaît une
situation de catastrophe économique et sociale sans précédent.
En l’espace de 2 ans, ce sont 95% des entreprises qui ont fermé
et 98% des emplois du secteur privé qui ont été détruits. La
liste des produits interdits à l’importation est un catalogue à
la Prévert : livres, thé, café, allumettes, bougies, semoule,
crayons, chaussures, matelas, draps, tasses, instruments de
musique… L’interdiction d’importer du ciment et de nombreux
produits chimiques empêche la reconstruction des infrastructures
détruites lors des bombardements de 2008-2009, qu’il s’agisse
des maisons ou des stations de traitement des eaux usées, avec
les conséquences sanitaires que l’on imagine.
Comment s’étonner, dès lors, que la colère monte chez les
Palestiniens ? Les événements du 16 mars font suite à de
nombreuses initiatives qui, bien que n’ayant guère eu d’écho
médiatique, témoignaient d’une remobilisation de la population
palestinienne. Entre autres : de multiples manifestations, dans
les villages autour de Béthléem ou d’Hébron, contre les
extensions des colonies et les confiscations de terres ; des
défilés hebdomadaires, dans les villages de Ni’lin et Bi’lin,
contre la construction du Mur et les expropriations ; 3000
manifestants à Jérusalem, le 6 mars, contre les projets de
colonisation et les expulsions…
La répression contre cette remobilisation a fait un saut
qualitatif au cours des derniers mois. Les manifestations ont
été systématiquement dispersées à coup de gaz lacrymogène et de
balles en caoutchouc. Le nombre d’arrestations et d’incursions
israéliennes dans les villes, villages et camps de réfugiés, a
augmenté de manière spectaculaire depuis le début de l’année
2010. Les autorités israéliennes ont récemment décrété que les
villages de Bi’lin et Ni’lin, symboles de la lutte populaire et
non-violente, auraient dorénavant le statut peu enviable de
« zones militaires fermées » chaque vendredi (jour de
manifestation), et ce pour une durée de 6 mois.
Sommes-nous au début d’une « 3ème Intifada » ? Il est
probablement trop tôt pour répondre à cette question, mais il
est néanmoins évident que nombre de conditions sont réunies pour
qu’une fois de plus les Palestiniens protestent de manière
visible et massive contre le sort qui leur est fait. Ils ne se
contenteront pas de « négociations indirectes », faisant
l’impasse sur l’essentiel (l’occupation de la Cisjordanie, le
blocus de Gaza, Jérusalem, les colonies, le sort des réfugiés,
les prisonniers) menées par un Mahmoud Abbas décrédibilisé et
inaudible. Les événements de ces derniers jours l’indiquent
clairement : nul ne peut prédire avec certitude dans quels
délais, mais la population palestinienne, composée à plus de 50%
de jeunes de moins de 15 ans, se fera de nouveau entendre.
NB : Une version courte de cet article a été publiée dans
l'Humanité
du samedi 20 mars.
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