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L'évolution du Mouvement National
pendant la Première Intifada (1987-1993). 2/2
Julien Salingue
Mercredi
21
mai 2008 Début
de l'article sur ... e) De Bagdad à Oslo
Les contacts entre les Etats-Unis et l'OLP, amorcés fin 1988
après le CNP d'Alger, sont peu fructueux durant l'année 89 et le
début de 1990, notamment en raison de l'opposition d'Israël à
toute relation avec l'OLP et la méfiance persistante d'une
partie de l'administration Bush vis-à-vis de la Centrale de
Tunis. Sur le terrain, le CNU et les Comités populaires,
rattrapés par le factionnalisme, sont de plus en plus affaiblis,
la mobilisation populaire décline et la répression israélienne
ne faiblit pas. La direction de l'extérieur et les personnalités
publiques de l'intérieur monopolisent de plus en plus le champ
politique qui, la lutte faiblissant, se réduit progressivement à
la seule représentation et aux initiatives en vue d'un règlement
négocié dans le cadre du processus diplomatique. Les tracts du
CNU (rédigés depuis Tunis) sont de moins en moins réguliers et
peu suivis par la population. Bien que des affrontements
sporadiques continuent de se produire et que des journées de
grève soient toujours organisées dans les territoires
palestiniens, l'Intifada s'éteint progressivement à cette époque
avec entre autres la fin de la campagne « modèle » de boycott du
paiement des impôts à Beit Sahour. On assiste parallèlement à la
chute de la mobilisation populaire à une militarisation de la
lutte palestinienne et à l'ascension des groupes intégristes qui
privilégient les actions armées et critiquent l'attitude selon
eux liquidatrice de tous ceux qui privilégient la négociation à
la lutte de terrain.
Si les opinions divergent et s'il est difficile de dater
précisément la « fin de l'Intifada », tout le monde s'accorde à
dire qu'au début de 1990 elle ne ressemble plus à ce qu'elle
était durant les 18 premiers mois et que la Guerre du Golfe sera
son acte de décès. Face à l'absence de résultats dans les
discussions avec les Etats-Unis, Arafat va progressivement se
rapprocher de Saddam Hussein qui, pointé du doigt par Washington
qui craint de le voir devenir un leader régional, adopte une
rhétorique de plus en plus anti-états-unienne et
anti-israélienne. Selon Aburish, les déclarations de Saddam
Hussein sur « le retrait de la flotte US du Golfe, (…) [ses]
menaces de " brûler la moitié d'Israël " en cas d'action
militaire contre un quelconque Etat arabe (…) [et] l'assurance
qu'il donnait à Arafat qu'il avait cinquante-quatre divisions
prête à être utilisées en cas de confrontation avec Israël (…)
ont attiré le leader palestinien dans l'orbite irakienne »
27. Arafat et ses proches essaient de jouer sur plusieurs
tableaux en se rapprochant de celui qu'ils considèrent comme le
futur « homme fort » de la région et indiquent aux Etats-Unis
que, s'ils sont disposés à être des partenaires pour un
processus négocié, ils ne sont pas prêts à attendre indéfiniment
que Washington exerce des pressions sur Israël. À la fin du mois
de mai 1990, une attaque perpétrée par un groupe armé
palestinien à Tel Aviv est utilisée par des sénateurs
états-uniens pour exiger du Secrétaire d’Etat James Baker qu'il
mette fin aux contacts avec l'OLP. Ce qui sera fait le 20 juin,
précipitant le rapprochement entre Arafat et Saddam Hussein.
Lors de la guerre du Golfe, Arafat fera le choix de soutenir son
nouvel allié malgré les oppositions au sein de l'OLP et le
scepticisme de nombreuses personnalités publiques dans les
territoires occupés. La population de Cisjordanie et de Gaza
suit le leader de l'OLP, convaincue que Saddam Hussein est à
leurs côtés, notamment après que celui-ci a tiré des missiles
sur Israël. L'Intifada, au sens d'un soulèvement des
Palestiniens de l'intérieur et de l'appropriation par ces
derniers de la lutte pour leur libération, avait vécu. « En
remettant leur sort entre les mains de Saddam Hussein, les
Palestiniens -de l'Intérieur comme de l'Extérieur- avaient
renoué non pas avec le modèle de libération immédiatement
antérieur au soulèvement, là où les Palestiniens eux-mêmes
étaient censés mener leur propre combat politique et militaire,
mais avec le vieux modèle des années 1950-70 durant lesquelles
ils s'étaient abandonnés entre les mains des régimes arabes »
28.
Au sortir de la Guerre du Golfe, l'OLP est affaiblie
diplomatiquement, politiquement et financièrement tandis que la
population des territoires occupés est exsangue et désormais
soumise à un blocus économique imposé par Israël. Mais le «
Nouvel ordre mondial » que George Bush entend établir, avec les
Etats-Unis comme seule superpuissance et donc notamment un
partenariat renforcé avec les pays arabes, passe par un
règlement, au moins provisoire, de la question palestinienne.
Les Etats-Unis vont contraindre Israël à négocier, en ayant pour
la première fois recours à l'arme financière pour exiger du
gouvernement israélien des progrès dans la négociation : un prêt
de 10 milliards de dollars est conditionné à l'acceptation des
négociations par le gouvernement israélien, ce qui fera tomber
le gouvernement de Shamir et élire celui de Rabin et Pérès avec
la promesse de « la paix dans six mois ».
Si Israël réussit à imposer au début du processus de Madrid que
les négociateurs palestiniens ne soient pas la direction de
l'OLP mais des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, il ne
s'agit pas de considérer qu'il s'agit d'un « retour en force »
des Palestiniens de l'intérieur. Les négociateurs sont en effet
sous l'étroit contrôle de Tunis et n'ont des marges de manœuvre
que très réduites, comme le rapporteront plusieurs d'entre eux,
notamment Hanan Ashrawi. De plus, il s'agit probablement d'un
calcul israélien pour obtenir un peu plus de concessions de la
part de la direction de Tunis. « L'OLP était tellement faible
qu'elle était prête à tout pour revenir dans le jeu. Le choix de
négocier avec des Palestiniens de l'intérieur était un moyen de
pression supplémentaire sur Arafat, un moyen pour obtenir de
Tunis un accord qui répondrait aux seules exigences israéliennes
» 29. Après l'élection du gouvernement Rabin-Pérès,
et parallèlement aux négociations officielles entamées à Madrid,
des négociations secrètes s'engagent entre des représentants
israéliens et des représentants de l'OLP-Tunis.
Le processus secret d'Oslo est la dernière étape de la
dépossession, par l'OLP-Tunis, de l'initiative politique des
Palestiniens de l'intérieur. Les négociations sont menées dans
la plus grande opacité par des proches d'Arafat, au premier rang
desquels Mahmoud Abbas (Abu Mazen), Ahmed Qoreï (Abu Ala) et
Nabil Shaath, qui ont pris une importance prépondérante dans
l'OLP après les morts d'Abu Jihad et Abu Iyad. Les négociateurs
investis dans le processus de Madrid ne sont pas au courant des
négociations secrètes. Hanan Ashrawi, Faysal Husseini et Haïdar
Abd-Al-Shafi (tous les trois en charge du processus initié à
Madrid) ont appris l'existence et le contenu des accords par des
journalistes israéliens à la fin du mois d'août 1993. De plus,
les hommes investis dans le canal secret d'Oslo ne sont pas des
cadres qui, comme Abu Jihad ou Abu Iyad, avaient un passé « de
terrain » et des liens avec le leadership organisationnel ou les
personnalités publiques de Cisjordanie et de Gaza. « L'avènement
d'Abu Mazen et d'Abu Ala a signifié le transfert à des
financiers de prérogatives qui appartenaient auparavant au
groupe révolutionnaire fondateur du Fatah » 30. Seule
une fraction du leadership de l'extérieur est investie dans les
négociations, une fraction qui est préoccupée avant tout de la
survie politique et financière de l'appareil de l'OLP, en
d'autres termes de sa propre survie, ce qui aura des
conséquences, comme on le verra, sur le contenu des accords et
sur l'évolution des élites politiques palestiniennes dans la
période de « l'autonomie ». Pour Naseer Aruri, « L'Intifada a
été utilisée par le leadership palestinien comme objet de
marchandage pour s'assurer de la reconnaissance officielle de
l'OLP par l'Etat d'Israël et obtenir une vague promesse que
l'établissement d'un Etat serait possible après une phase
intérimaire d'auto-gouvernement » 31.
f) Les élites palestiniennes à la veille de l'autonomie
- Les élites traditionnelles, liées à la Jordanie, ont été
considérablement affaiblies par la décision d'Amman de rompre
ses liens avec la Cisjordanie et de renoncer à sa prétention à
la souveraineté sur la rive ouest du Jourdain. Comme on l'a vu,
la principale force des notables reposait en effet sur leur rôle
d'intermédiaires entre la Jordanie et la population des
territoires occupés, notamment par leur position dans
l'administration civile et, au-delà, dans les structures de
pouvoir jordaniennes. Avec la décision de juillet 1988, les
élites traditionnelles perdent un peu plus de leur poids dans la
société palestinienne. De plus, le rôle des grandes familles
dans la gestion des relations sociales s'est affaibli au début
de l'Intifada avec l'émergence des Comités populaires qui, dans
de nombreuses villes et de nombreux quartiers, ont souvent joué
le rôle de médiateurs dans les conflits entre Palestiniens.
Mais il ne faut pas surestimer ce dernier phénomène. Comme l'a
montré Glenn Robinson dans son étude du Comité populaire de Beit
Sahour, il n'y a pas de dichotomie stricte entre les structures
qui ont émergé pendant l'Intifada et les structures
traditionnelles : « Même si ces nouvelles structures étaient en
général basées sur les principes modernes de la participation
individuelle et de la hiérarchisation démocratique, elles
opéraient souvent dans la configuration du clan local, de la
Hamula » 32. L'émergence de nouveaux acteurs et la
marginalisation des élites traditionnelles ont donc été
effectives mais, dans la mesure où il n'y avait pas de rupture
stricte avec les structures traditionnelles, celles-ci ont
repris toute leur importance avec l'affaiblissement de la
mobilisation et la répression dont les comités populaires ont
été victimes. À Hébron, certains affirment même « [qu']aucune
décision importante des structures locales n'a été prise sans
l'aval des chefs de familles et de clans qui avaient des
représentants dans presque tous les partis politiques » 33.
Enfin, la direction de l'OLP a établi des liens directs avec un
certain nombre de ces notables, au cours des années 80 et
surtout après le retrait de la Jordanie, « afin d'étendre sa
légitimité à l'intérieur et de contrebalancer le poids [du
leadership organisationnel] qui pouvait remettre en cause son
hégémonie » 34. Une frange non négligeable des
notables, se sentant abandonnée par la Jordanie et par la
soudaine décision du Roi Hussein, s'est donc convertie au
nationalisme de l'OLP pour conserver une partie de son poids
dans la société palestinienne : « [ils] avaient compris la leçon
(…) et se sont mis à manœuvrer pour se raccrocher à la caravane
nationaliste » 35. Au moment de la signature des
Accords d'Oslo, les notables sont donc dans une situation de
relative faiblesse par rapport à la force qu'ils exerçaient
traditionnellement, mais la fin de la mobilisation populaire et
la politique intéressée de l'OLP à leur égard les maintiennent
dans une position d'acteurs à part entière dans la vie des
territoires palestiniens.
- Les élites nationalistes « de l'intérieur » n'ont pas réussi à
conquérir leur autonomie vis-à-vis de l'extérieur qui a achevé
de les marginaliser en signant les Accords d'Oslo sans les
associer ni même les informer du processus en cours. L’Intifada
a cependant considérablement accéléré le phénomène que j’ai
décrit plus haut : la montée en puissance d’élites politiques
qui diffèrent des élites sociales et économiques
traditionnelles.
* Le « leadership organisationnel », s'il a conquis une place et
une audience de première importance dans les premiers mois du
soulèvement avec la formation du CNU et des Comités populaires,
a progressivement perdu de son poids. La répression israélienne
(arrestations, emprisonnement, déportations), la reprise en main
par l'OLP de l'initiative politique (que ce soit à l'intérieur
ou à l'extérieur des territoires occupés) et les rivalités
grandissantes entre des factions politiques au départ unies l'a
considérablement affaibli. Le légitimisme de ces militants du «
middle command » l'a emporté sur leur aspiration à une relative
autonomie et lorsque l'ensemble des efforts de l'OLP s'est
concentré sur la négociation, leur rôle s'est progressivement
réduit, sauf exception, à celui de porte-parole de leurs
factions respectives dans les territoires occupés. S'ils
bénéficient toujours de la considération de la population
palestinienne, la signature des Accords d'Oslo et la fin de
l'Intifada participent de leur extrême marginalisation dans le
processus politique en cours.
* Les « personnalités publiques », au départ surprises par le
soulèvement et peu impliquées dans la direction effective de
l'Intifada (à l'exception de Sari Nusseibeh, membre du premier
CNU) ont progressivement reconquis leur place par
l'intermédiaire de leurs contacts privilégiés avec Tunis. En
organisant leurs propres initiatives publiques (conférences de
presse, appels à la désobéissance civile) ils se sont affirmés
comme des porte-parole officieux du mouvement, bien que non
mandatés par le CNU ou par les structures locales. L'entrée dans
le processus de négociations les a considérablement renforcés,
comme l'indiquait Ali Jarbawi dès 1990 : « Leur principale
espérance était que, une fois que l'Intifada aurait commencé à
produire des gains politiques, ils pourraient retourner au
centre des activités politiques et diplomatiques » 36.
Etant donné le refus initial d'Israël de négocier directement
avec l'OLP-Tunis, plusieurs d'entre eux ont fait partie de
l'équipe de négociateurs de Madrid, affirmant leur légitimité
tant à l'intérieur des territoires palestiniens qu'à
l'extérieur. Mais les négociations secrètes d'Oslo, auxquelles
ils n'ont à aucun moment été associés, ont considérablement
amoindri leur poids sur le champ politique palestinien et leur
légitimité, les plaçant dans une situation de conflit parfois
ouvert avec la direction de Tunis. Hanan Ashrawi écrira par
exemple que « ceux qui ont paraphé l'accord n'ont jamais vécu
sous l'occupation » 37. À la veille de l'autonomie,
les personnalités publiques sont dans une situation
inconfortable : s'ils ont bénéficié du soutien de l'OLP qui a
fait d'eux des figures importantes dans les territoires
palestiniens, ils redoutent la marginalisation consécutive à la
mainmise de la direction de l'OLP sur le processus diplomatique
et politique.
* La situation des indépendants n'a pas connu de changement
notable. « Leur contribution à l'Intifada, dans la mesure où ils
sont issus d'un secteur éduqué, a essentiellement consisté à
agir en think tank et à émettre des idées qui ont été entendues
par le CNU » 38. Mais, avec la chute de la
mobilisation populaire et la prééminence du processus
diplomatique sur les initiatives de l'intérieur, ils ont perdu
de l'importance et du poids dans le champ politique palestinien.
Conseillers critiques des factions politiques et de leurs
directions, certains ont été associés aux négociations de Madrid
(Haïdar Abd-Al-Chafi conduit même la délégation) mais leur avis
et leurs réserves sur les Accords d'Oslo ne seront pas pris en
compte par la direction de l'OLP.
- C'est du côté des courants intégristes que les changements
sont les plus importants. En 1988 apparaît le Mouvement de la
Résistance Islamique, Hamas. Comme le Jihad islamique plusieurs
années avant lui, le Hamas entend incarner la synthèse entre
lutte contre l'occupation israélienne et (ré-)islamisation de la
Palestine. Les dirigeants des Frères Musulmans en Cisjordanie et
à Gaza ont rapidement compris que leur politique de
non-participation à la lutte contre les forces d'occupation,
dans le contexte de l'Intifada, signifiait une considérable
perte de légitimité pour le réseau d'associations et de mosquées
qu'ils contrôlent. Le Jihad islamique est dès le début de
l'Intifada une des cibles privilégiées de la répression
israélienne (arrestation et déportation de ses dirigeants).
Composé de petites cellules d'activistes, n'ayant pas un réseau
aussi large que les Frères Musulmans, le Jihad disparaît
quasiment de la scène politique palestinienne au cours de
l'année 1988. À l’inverse le Hamas connaît un développement
spectaculaire : « Par l'étendue et l'ancienneté de leur réseau
(mosquées, associations de bienfaisance, dispensaires...), mais
également par un indéniable savoir-faire politique et un
engagement militaire de plus en plus marqué, les Frères
musulmans sont ainsi parvenus, via Hamas, à incarner en tant
qu'organisation la résistance islamique anti-israélienne »
39.
Conscient de la légitimité dont bénéficient l'OLP et ses
principaux dirigeants, le Hamas affirme dans sa Charte qu'il «
respecte les mouvements nationalistes palestiniens » et
considère les liens entre l'OLP et le Hamas comme des liens
familiaux. Mais dans le même temps, le Hamas développe un
discours critique de tous ceux qui envisagent de partager la
Palestine, terre d'Islam, avec l'Etat sioniste et prévient les
dirigeants de l'OLP que le mouvement ne cessera pas le combat
tant que toute la Palestine ne sera pas libérée. Le Hamas
choisit de contester l'hégémonie de la direction de l'OLP sur la
lutte nationale en se plaçant délibérément en-dehors du cadre
traditionnel du mouvement national palestinien, ce qui est un
nouveau défi pour la direction de Tunis. La concurrence, dans
les territoires palestiniens, entre OLP et Hamas est rude mais,
du moins dans les premiers temps du soulèvement, les deux
organisations arrivent à s'entendre sur certaines initiatives
communes, bien que contrairement au Jihad le Hamas refuse d'être
associé, même indirectement, au CNU. Le CNU reprendra certains
des appels à la grève du Hamas et réciproquement. Mais la
priorité accordée à la diplomatie au détriment de la lutte est
montrée du doigt, et durant les années 1990-1992 le Hamas va
élargir son audience, entrer dans une confrontation plus directe
avec la direction de l'OLP et prendre la tête du camp des
organisations palestiniennes critiques de la politique d'Arafat
et ses proches. Le 21 octobre 1991, soit trois jours après que
le Comité exécutif de l'OLP a donné son accord à l'ouverture des
négociations à Madrid, le Hamas, le FPLP et le FDLP émettent une
déclaration commune affirmant « [leur] rejet catégorique du
projet liquidateur états-unien et [leur intention] de le
combattre » 40.
Israël va prendre conscience du développement et de la capacité
de nuisance d'un mouvement qu'il voyait au départ d'un œil
bienveillant comme un contrepoids à l'influence de l'OLP. La
radicalisation et l'audience grandissante du Hamas vont conduire
Israël à adopter une politique de répression d'ampleur contre
ses cadres et ses militants, qui connaîtra son apogée en
décembre 1992 avec la déportation de 415 membres du Hamas vers
le Liban-Sud. Mais, loin d'affaiblir le mouvement, la répression
va renforcer sa légitimité populaire. À la veille de
l'Autonomie, le courant intégriste est donc en plein
développement et apparaît désormais comme la force la plus
crédible pour ceux qui veulent poursuivre la lutte contre Israël
et contester les Accords d'Oslo et l'Autorité palestinienne qui
en est issue.
- Une histoire exhaustive de l'OLP n'a pas sa place ici. Mais
une évaluation de la situation de ses instances de direction à
la veille de l'autonomie palestinienne est indispensable.
L'éviction de l'OLP de Beyrouth, en 1982, a renforcé les
tendances à l'œuvre dans la centrale palestinienne : coupure
entre base et direction, bureaucratisation et concentration du
pouvoir entre les mains de quelques dirigeants « historiques »,
au premier rang desquels Yasser Arafat. L' « appareil d'Etat
sans Etat en quête d'un Etat aux moindres frais », selon les
termes de Gilbert Achcar 41, avait établi à Beyrouth
un véritable Etat dans l'Etat. Le départ du Liban a approfondi
les divisions à l'intérieur de l'OLP, affaibli les courants qui
tiraient leur légitimité et leur force de leur base populaire
dans les camps du Liban et renforcé les pratiques autoritaires
et clientélistes de sa direction. Yasser Arafat et ses proches
monopolisent l'accès aux ressources financières et à la
représentation de la centrale palestinienne sur la scène
internationale. Ils contournent de plus en plus les instances
exécutives de l'OLP et leur imposent leur décision en les
mettant devant le fait accompli.
Le choix fait par la direction de l'OLP de privilégier
l'activité diplomatique et la quête de légitimité internationale
a des répercussions au sein même du noyau dirigeant de l'OLP.
Les spécialistes de la diplomatie et de la finance jouent un
rôle de plus en plus important, au détriment des dirigeants
historiques de la « lutte armée révolutionnaire ». Yasser
Arafat, qui au travers de ses liens personnels avec les
dirigeants arabes et autres financiers, a le contrôle absolu sur
les finances de l'organisation, réduit les marges de manœuvre
d'Abu Iyad et Abu Jihad et accorde un rôle de plus en plus
important à Abu Mazen et Abu Ala. L'assassinat d'Abu Jihad
(responsable des contacts avec les territoires occupés) en avril
1988 par un commando israélien « permet à Yasser Arafat de
devenir le seul responsable du Fatah et de l'OLP dans les
territoires occupés » 42. Abu Iyad, membre fondateur
du Fatah et responsable des services de sécurité et des
Renseignements de l'OLP, est assassiné en mars 1991, accentuant
la mainmise d'Arafat sur ces services et son rapprochement avec
deux proches d'Abu Iyad, Mohammad Dahlan et Jibril Rajoub,
cadres du middle command du Fatah bannis des territoires occupés
et associés à l'appareil sécuritaire de l'OLP.
La disparition d'un partie des membres fondateurs du Fatah et la
marginalisation de ceux opposés aux Accords d'Oslo (tel Farouk
Kaddoumi) comme des organisations critiques de la gestion
autoritaire et clientéliste de l'OLP par Yasser Arafat
renforcent la place de ce dernier. Le « noyau dirigeant » de
l'OLP (à différencier de la direction institutionnelle du
mouvement) se réduit à quelques individus proches, bien que
parfois critiques, de Yasser Arafat (Abu Mazen, Abu Ala, Nabil
Shaath, Yasser Abed Rabbo, transfuge du FDLP, sans oublier
Mohammad Rashid, trésorier officieux de l'OLP et conseiller
financier d'Arafat…) et/ou cooptés dans le cadre des
négociations comme Saeb Erekaat. C'est au sein de ce groupe
dirigeant, dominé par Yasser Arafat qui a les moyens de
renforcer ou d'affaiblir chacun des autres, aucun ne bénéficiant
de sa légitimité sur la scène palestinienne comme sur la scène
internationale, que vont se prendre l'essentiel des décisions
des années 1990 et que va se constituer le coeur de l’élite du
pouvoir des territoires palestiniens à l’heure de l'autonomie.
Notes 27. Aburish, op. cit., p. 221.
28. Legrain, Autonomie palestinienne, la politique des
néo-notables, op. cit.
29. Samara, op. cit.
30. Aburish, op. cit., p. 249.
31. As'ad Ghanem, The Palestinian Regime, A « Partial
Democracy », Brighton, Sussex Academic Press, 2001, préface
p. VII.
32. Robinson, op. cit., p. 66
33. Entretien avec Walid Kashksish, militant du Fatah à Hébron
(mars 2007).
34. Samara, op. cit.
35. Ali Jarbawi dans Nassar et Heacok, op. cit.
36. Ibid., p. 299.
37. Aburish, op. cit., p. 259
38. Ali Jarbawi dans Nassar et Heacock, op. cit.
39. 29. Jean-François Legrain, “ Vers une Palestine islamique ?
”, L'Arabisant, n°35, 2001, p. 72-88.
40. Robinson, op. cit., p. 166.
41. Achcar, op. cit., p. 177.
42. Rafe Jabari, La monopolisation du champ politique
palestinien par le “ noyau dirigeant ” d’Oslo à nos jours,
mémoire de DEA sous la direction de Gilles Kepel, IEP de Paris,
2005, p. 20.
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