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Les réfugiés sont retournés chez eux
Quand des jeunes du Camp de Balata
se rendent sur les terres de leurs grands-parents
Julien Salingue
20 juin 2008
Le jeudi 19 juin, au Camp de réfugiés de Balata, près de
Naplouse, une vingtaine d’adolescents sont revenus, ravis, d’une
excursion de 3 jours dans les villes et villages desquels leurs
grands-parents ont été expulsés en 1948. L’excursion était
organisée par le Centre Culturel Jaffa, en lien avec 2 autres
Centres, du Camp de Jénine et du Camp d’Aïda, près de Béthléem.
Ils sont 20, 10 garçons, 10 filles, et ne passent pas inaperçus
lorsqu’ils pénètrent dans les locaux du Centre Culturel Jaffa,
au Camp de réfugiés de Balata. Cris, pleurs, embrassades… Celles
et ceux qui n’ont pas pu venir les harcèlent de questions : «
Comment c’était ? » ; « Vous êtes allés où ? »
; « Vous avez vu la mer ? »… tandis que les volontaires
du Centre essaient de convaincre la vingtaine de jeunes de se
rendre dans la salle de réunion pour un rapide « debriefing »
avec Tayseer Nasrallah, l’un des responsables du Jaffa Center.
Tout le monde s’installe et Tayseer prend la parole, rappelant,
a posteriori, la philosophie de l’excursion : « Nous
organisons ce type d’initiatives pour deux raisons : la
première, c’est qu’elle vous a permis de sortir du Camp de
réfugiés, de faire connaissance avec d’autres jeunes et de
passer un bon moment. La seconde, c’est que vous avez pu voir et
toucher la terre de laquelle vos familles ont été chassées,
votre terre, et mettre des images sur des noms que vous entendez
depuis que vous êtes enfants. Nous avons que vous êtes
probablement très fatigués et que vous avez envie de rejoindre
vos familles. C’est probablement pour vous la première fois que
vous êtes éloignés d’eux pendant 3 jours… Mais auparavant nous
voudrions entendre quelques-uns d’entre vous, garçons et filles,
afin de connaître un peu vos impressions ».
Les adolescents sourient et opinent du chef. Plusieurs d’entre
eux prennent ensuite la parole. « Nous avons passé des
moments merveilleux même si dès le premier checkpoint, nous
avons eu peur car les soldats ne voulaient pas laisser passer le
bus… Le premier soir nous n’avons presque pas dormi et le
lendemain nous étions tous réveillés à 5 heures du matin car
nous voulions aller voir nos villages » explique Sanaa. «
C’est beau là-bas… Nous avons même été au bord de la mer,
sur la plage. Mais les adultes nous ont demandé de ne pas nous
éloigner car ils ne voulaient pas qu’on ait des problèmes
», ajoute Ahmad. « Car même si c’est notre terre, les
Israéliens disent que ce n’est pas chez nous ».
Taha, une adolescente d’une quinzaine d’années, intervient dans
la discussion qui s’engage : « Lorsque je suis arrivée près
du village de ma grand-mère, j’ai ressenti beaucoup d’émotions.
Mon cœur battait très vite. J’ai senti que j’étais liée à cette
terre dont on avait m’a tant parlé. Je me suis sentie chez moi.
Mais en même temps je me sentais étrangère. Car cette terre est
aujourd’hui occupée ». Elle poursuit : « La nuit
d’après j’ai fait un rêve magnifique. J’ai rêvé que j’étais
rentrée chez moi. Que j’étais sur ma terre. Que l’occupation
était finie. Que le Camp de réfugiés, c’était fini. Quand je me
suis réveillée j’étais heureuse. Mais malheureusement j’ai
compris que mon rêve était un rêve. Et qu’il était temps de
rentrer à Balata ».
Mais elle n’est pas triste pour autant. Elle sourit, comme les
autres, et ses yeux scintillent. C’est parce qu’elle sait,
dit-elle, qu’ils ont « de la chance » : « Nous avons de la
chance d’avoir pu participer à ce voyage. Mes grands-parents
n’ont jamais pu revoir leur terre. Nous avons beaucoup pensé aux
anciens pendant que nous étions là-bas. Et aussi à tous ceux qui
n’ont pas pu venir. Et à nos frères et sœurs des Camps du Liban,
de Syrie et de Jordanie, qui ne peuvent pas se rendre sur la
terre de Palestine. Nous avons lu des messages en leur nom
».
Alors que la réunion semble toucher à son terme, une jeune fille
timide, qui ne dit pas son nom, tient à s’exprimer : « Je
veux remercier tous ceux qui ont permis que ce merveilleux
voyage ait lieu. J’espère que d’autres adolescents du Camp
pourront eux aussi se rendre là-bas. J’ai ressenti tellement de
choses… Tout se mélangeait. Voir cette terre, qui est à nous,
occupée par d’autres ou tout simplement abandonnée, c’est
triste. Mais voir que nous avons autre chose qui nous attend que
la vie dans le Camp de réfugiés, ça donne de l’espoir. Alors
merci à vous ».
Tayseer Nasrallah prend une dernière fois la parole : « Nous
espérons que ce séjour vous a plu. Les volontaires du Centre se
chargeront de recueillir vos témoignages, vos impressions, vos
critiques, positives ou négatives… Tout ce qui peut contribuer à
améliorer les excursions de ce type. Nous espérons que vous
aurez compris, grâce à ce voyage, qu’être un réfugié ce n’est
pas seulement vivre dans un camp. Etre un réfugié c’est avoir
une terre, là-bas, qui est occupée. C’est avoir une histoire et
une identité que l’occupation essaie de nous enlever. Tant qu’il
y aura des Camps de réfugiés, l’occupation ne sera pas finie et
il faudra se battre ».
Avant qu’ils ne quittent la salle de réunion je demande aux
adolescents s’ils ont rapporté quelque chose de là-bas. J’ai
déjà eu l’occasion de rencontrer des jeunes qui avaient pu se
rendre sur les terres de leurs grands-parents. Tous avaient
rapporté un souvenir : une pierre, un sachet de terre, une
orange ou un rameau d’olivier. Lorsqu’ils entendent ma question,
ils sourient et brandissent tous fièrement les colliers de
coquillages qu’ils ont confectionnés après s’être rendus à la
plage. Des coquillages ramassés au bord de la Méditerranée,
qu’ils n’avaient jamais vue.
Après le départ des adolescents, Tayseer, un sourire radieux aux
lèvres, me confie : « Ce type d’excursions a plus d’effet
que la lecture de dizaines de livres ou la participation à des
dizaines d’ateliers sur l’histoire et les droits des réfugiés.
Nous espérons pouvoir organiser beaucoup d’autres initiatives de
ce type. Grâce à elles les enfants voient la terre d’où ils
viennent et savent ce qu’est leur véritable identité. Le tout
dans un cadre qui les rend tellement heureux. Tu as vu leurs
sourires ? ».
Oui j’ai vu leurs sourires. En observant les visages rayonnants
de ces 20 adolescents qui n’ont connu, jusqu’alors, que la vie
dans le Camp de Balata, je repense à ce que disait plus tôt l’un
des responsables du Centre Culturel Jaffa à deux visiteurs
britanniques :
« Le Camp de Balata est le plus grand camp de Cisjordanie.
Plus de 25 000 personnes y vivent, dans un espace qui n’excède
pas 1km2 et qui avait été conçu à l’origine pour 5 à
6000 réfugiés. Le Camp est surpeuplé, les rues sont minuscules
et, dans de nombreuses maisons, la lumière du soleil ne pénètre
jamais. D’après les registres des écoles de l’ONU, il y a 6000
enfants de 6 à 15 ans dans ce Camp. C’est énorme… Les familles
sont très nombreuses et les habitations très petites, alors les
enfants sortent et passent leur temps dans la rue. Ils n’ont
rien d’autre à faire…
Comme Balata est un haut lieu de la résistance palestinienne, la
répression israélienne est ici considérable. Tous les soirs,
toutes les nuits, les soldats entrent dans le camp. C’est comme
une drogue pour eux. Ils ont besoin de venir à Balata… Il y a eu
180 martyrs depuis septembre 2000, des centaines de blessés,
peut-être plus, et des centaines d’arrestations. Tous les
enfants sont marqués. Ils ont un frère, un père, un ami en
prison. Ils ont tous vu des cadavres, et même des morceaux de
cadavres… Les dégâts psychologiques sont considérables.
C’est en partant de ce constat que le Centre Jaffa a été fondé.
Et aussi d’une réalité : la majorité des Palestiniens sont des
réfugiés. La défense du droit au retour est donc une tâche
prioritaire.
Nous avons donc deux objectifs : permettre aux plus jeunes, même
ponctuellement, de s’amuser, d’apprendre à se servir des
ordinateurs, de participer à des activités diverses, que ce soit
du théâtre, de la danse, des ateliers de journalisme ou de
vidéo. Mais dans le même temps nous faisons un travail de fond,
en expliquant l’histoire des réfugiés, de la lutte
palestinienne, en organisant des formations sur les questions
démocratiques, sur la prise de responsabilité…
Il s’agit donc non seulement d’offrir aux jeunes des moments de
détente, d’évasion… mais aussi de préparer les générations
futures à défendre le mieux possible la cause des réfugiés et
l’ensemble des droits du peuple palestinien ».
Un programme et des activités qui ne plaisent guère aux
autorités d’occupation puisque le fondateur du Centre Jaffa,
Hussam Khadr, ancien député du Fatah, purge actuellement une
peine de 7 ans de prison en Israël et ne sera pas libéré avant
2010.
Hussam, que j’ai eu la chance de rencontrer en 2001 et qui, bien
que membre du Fatah, fustigeait alors la direction de l’Autorité
Palestinienne qu’il appelait sans ménagement la « Mafia
d’Oslo », a toujours mis en garde ceux qui croient pouvoir
contourner la revendication du droit au retour des réfugiés :
« Nous ne pouvons pas permettre au nettoyage ethnique de
triompher. Nous affirmerons cette position jour et nuit. Nous ne
prendrons aucun repos parce que le droit au retour est d'une
part, une question de vie ou de mort pour les réfugiés et,
d'autre part, la substance même de la cause nationale
palestinienne. La cause des réfugiés est la cause palestinienne
».
Hussam aurait probablement été fier et heureux, 10 ans après la
fondation du Centre, de voir cette vingtaine d’adolescents
revenir de leurs terres d’origine des souvenirs et des projets
plein la tête. Et il aurait probablement pensé ce que m’a glissé
l’un des responsables du Centre Yaffa alors que les jeunes
retournaient dans leurs familles :
« Tous ceux qui croient qu’ils vont se débarrasser de nous
ont du souci à se faire ».
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