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Rapport
« Il est temps de prendre des mesures exceptionnelles contre
Israël »
60 ans de Nakba, 41
ans d’occupation
Plus que jamais, le BDS (Boycott-Désinvestissement-Sanctions)
Omar Barghouti
Omar Barghouti
Une fois n'est pas coutume, je ne suis pas l'auteur de
l'article qui suit. J'ai en effet décidé de donner la parole à
un intellectuel palestinien défendant des positions politiques
largement méconnues en France et pourtant très répandues dans
les territoires occupés, notamment dans la société civile
palestinienne.
Comme avec les interviews que j'ai déjà publiées sur ce blog, je
ne fais pas miens l'ensemble des propos qui suivent. Ils me
semblent néanmoins très largement dignes d'intérêt dans la
mesure où ils sont ceux d'une personnalité représentant pas
moins de 172 associations et organisations palestiniennes.
Omar Barghouti est un analyste politique palestinien
indépendant. Il est l’un des membres fondateurs de la
Palestinian Campaign for the Academic and Cultural Boycott of
Israel (PACBI). Il a présenté cet exposé lors de la troisième
Conférence Internationale de Bil’in pour une résistance
populaire, le 4 juin 2008.
Traduction Julien Salingue
« L’idée est de mettre les Palestiniens à la diète, mais pas
de les faire mourir de faim », disait il y a quelques
années Dov Weisglass, le plus proche conseiller de Sharon.
Aujourd’hui Israël est en train d’étouffer lentement Gaza et de
conduire la population civile au bord de la famine et d’une
catastrophe humanitaire planifiée.
Si le gouvernement états-unien est évidemment un complice qui
finance, justifie et dissimule l’occupation et les autres formes
d’oppression israéliennes, l’Union Européenne, le plus
important partenaire commercial d’Israël au niveau mondial,
n’est pas moins complice de la perpétuation de l’oppression
coloniale d’Israël et de son apartheid particulier.
Alors qu’Israël assiège cruellement Gaza, inflige une punition
collective à 1.5 millions de civils palestiniens, les condamne à
la désolation et promet à une mort imminente des centaines de
patients, bébés prématurés et autres, l’Union Européenne adresse
une invitation à Israël en vue d’ouvrir des négociations pour
rejoindre l’OCDE. Au lieu de mettre un terme à l’accord
d’association UE-Israël en raison des graves violations, par
Israël, de la clause concernant les droits de l’homme.
Non seulement les Etats-Unis et les gouvernements européens
apportent à Israël des aides économiques massives et lui ouvrent
leurs marchés, mais en plus ils lui fournissent des armes,
l’immunité diplomatique et un soutien politique sans limite.
Ils étendent leurs relations mutuelles précisément au moment où
Israël commet des actes de génocide.
En suspendant régulièrement, et pour de longues périodes,
l’approvisionnement de Gaza en carburant et en électricité,
Israël, la puissance occupante, s’assure en fait de
l’impossibilité du pompage et de la distribution d’eau « potable
» dans les maisons et les diverses infrastructures ; les
hôpitaux ne peuvent plus fonctionner correctement, ce qui
entraîne de nombreux décès, notamment chez les plus vulnérables
; on dénombre déjà plus de 180 décès résultant directement du
récent siège parmi les patients de Gaza, principalement des
enfants et des personnes âgées ; les quelques usines qui
continuent de fonctionner malgré le blocus vont bientôt devoir
fermer, ce qui augmentera encore un peu plus un taux de chômage
qui est déjà extrêmement élevé ; le traitement des eaux usées
s’est interrompu, ce qui entraîne une pollution accrue des rares
et précieuses réserves d’eau de Gaza ; les institutions
universitaires et les écoles sont dans une large mesure dans
l’incapacité de fonctionner normalement ; et la vie de tous les
civils est gravement bouleversée, voire même atteinte de
dommages irréversibles.
En résumé, Israël est en train de condamner toute la prochaine
génération des Palestiniens de Gaza à des maladies chroniques, à
une pauvreté abjecte et à des restrictions durables en termes de
développement. Le Rapporteur Spécial du Conseil des Droits de
l’Homme de l’ONU, le spécialiste de droit international Richard
Falk, considérait le siège israélien comme un « prélude au
génocide » avant même le dernier crime consistant à couper
entièrement l’approvisionnement en énergie. Aujourd’hui
les crimes israéliens à Gaza peuvent être catégorisés comme des
actes de génocide au sens strict, même si ce génocide est
lent.
En parallèle, Israël est en train de lentement transformer la
Cisjordanie occupée, y compris Jérusalem-Est, en un ensemble de
réserves dans lesquelles la vie est impossible et qui donnent,
en comparaison, une connotation positive au terme Bantoustan.
Israël provoque, de manière organisée, la lente désintégration
de la société palestinienne sous occupation, par l’intermédiaire
[de la construction] du Mur, de sa politique de fragmentation et
de ghettoïsation, de son déni des droits les plus élémentaires
des Palestiniens et de son obstruction au développement humain.
Israël transforme lentement, de manière régulière et
systématique, la vie des Palestiniens ordinaires, fermiers,
ouvriers, étudiants, universitaires, artistes et autres
professions, en un véritable enfer, destiné à les contraindre à
partir. L’objectif fondamental du courant dominant du
Sionisme politique, procéder au nettoyage ethnique de la
Palestine en la vidant de sa population indigène pour qu’elle
laisse la place aux seuls colons juifs, n’a connu qu’un seul
changement significatif depuis le début de la conquête coloniale
sioniste il y a un plus d’un siècle : les choses vont tout
simplement moins vite.
Depuis la Nakba, la création de l’Etat d’Israël en 1948 par le
nettoyage ethnique de plus de 750 000 Palestiniens indigènes,
chassés de leur terre, et par la destruction de la société
palestinienne, de nombreux « plans de paix » ont été élaborés
afin de résoudre le « conflit ». En réalité tous ces plans
avaient un point commun : ils ont cherché à imposer un règlement
basé sur les faits accomplis, en d’autres termes sur le
rapport de forces largement asymétrique qui laisse l’une des
deux parties, les Palestiniens, dans une situation
d’humiliation, d’exclusion et d’inégalité. Ces plans étaient
injustes : en conséquence ils ont échoué.
Le chemin vers la justice et la paix doit tenir compte des
particularités de la réalité coloniale israélienne. Dans son
essence, l’oppression, par Israël, du peuple palestinien,
comprend 3 dimensions majeures : le déni des droits des
réfugiés palestiniens, parmi lesquels leur droit de retourner
dans leurs foyers ; l’occupation militaire de Gaza et de la
Cisjordanie (y compris Jérusalem-est), incluant la colonisation
massive de cette dernière ; et un système de discrimination
raciale contre les citoyens palestiniens d’Israël, qui ressemble
en partie à l’apartheid sud-africain. Une paix juste devrait
réparer, moralement et concrètement, ces trois injustices,
condition minimale pour une justice relative.
Les récents développements politiques en Israël, tout
particulièrement les dernières élections législatives, qui ont
porté au pouvoir un gouvernement avec des tendances ouvertement
fascistes et qui ont conduit à la guerre criminelle contre le
Liban et, plus récemment, au lent génocide contre Gaza, ont
démontré sans équivoque qu’une écrasante majorité d’Israéliens
soutient avec ferveur les politiques racistes et coloniales de
l’Etat et ses violations persistantes du droit international.
Une solide majorité soutient, par exemple : les crimes de guerre
perpétrés quotidiennement par l’armée à Gaza, y compris les
coupures d’approvisionnement en énergie, le Mur d’apartheid, les
exécutions extra-judiciaires de militants palestiniens, le déni
du droit au retour des réfugiés palestiniens, le maintien du
système d’apartheid à l’encontre des citoyens palestiniens
d’Israël, et l’accaparement de larges parties de la Cisjordanie
occupée, particulièrement autour de Jérusalem, ainsi que des
ressources aquifères palestiniennes. Si c’est la paix dont la
plupart des Israéliens veulent, elle ne répond en aucun cas aux
critères minimums en termes de droit international et de droits
humains fondamentaux…
Desmond Tutu manifeste contre le blocus de Gaza
Devant la faillite de la communauté internationale à demander
des comptes à Israël, de nombreuses personnes, aux quatre coins
du monde, ont commencé, en conscience, à prendre en
considération l’appel de la société civile palestinienne à une
résistance non-violente contre Israël jusqu’au terme des trois
dimensions de l’oppression du peuple palestinien. Du
proéminent historien israélien Ilan Pappe au Ministre juif du
gouvernement sud-africain Ronnie Kasrils, en passant par
l’Archevêque Desmond Tutu, un nombre grandissant de figures de
renommée internationale ont établi des parallèles entre
l’apartheid israélien et son prédécesseur sud-africain et ont,
en conséquence, défendu le principe de mesures de type
sud-africain.
Il est assez significatif de remarquer que l’ancien président US
Jimmy Carter et l’ancien Rapporteur Spécial de l’ONU aux Droits
de l’Homme, le Professeur John Duggard, qui n’ont certes pas
encore repris le mot d’ordre du boycott, ont tous les deux
accusé Israël de mener une politique d’apartheid contre les
Palestiniens. Lorsque l’on tient compte du caractère canonique
des résolutions de l’ONU à l’encontre des crimes d’apartheid, la
position de Dugard ne doit pas être prise à la légère. Ceci
pourrait bien être la première étape d’une très longue marche
ayant pour finalité d’amener les Nations Unies à identifier
Israël comme un Etat d’Apartheid et à adopter, en conséquence,
les sanctions appropriées.
En 2001 déjà, à Durban, en Afrique du Sud, malgré l’absence de
volonté officielle de l’Occident de demander des comptes à
Israël, le Forum des ONG de la Conférence Mondiale de l’ONU
contre le racisme avait largement adopté le point de vue selon
lequel la forme particulière d’apartheid israélien nécessitait
un recours aux mêmes outils qui étaient venus à bout de son
prédécesseur sud-africain. Beaucoup espèrent que « Durban 2 »
continuera sur la lancée de cet acquis essentiel.
Peu de temps après Durban, des campagnes appelant au
désinvestissement les firmes soutenant l’occupation israélienne
se sont multipliées dans les campus états-uniens. De l’autre
côté de l’Atlantique, particulièrement au Royaume-Uni, des
appels à diverses formes de boycott contre Israël ont commencé à
être entendus parmi les intellectuels et les syndicalistes. Ces
efforts se sont intensifiés avec la réoccupation israélienne de
l’ensemble des villes palestiniennes au printemps 2002, les
destructions et les victimes qu’elle a laissées derrière elles,
particulièrement les atrocités commises dans le camp de réfugiés
de Jénine.
En 2005, un an après l’avis de la Cour Internationale de Justice
contre les colonies israéliennes et le Mur d’Apartheid, la
société civile palestinienne a émis un appel pour le boycott, le
désinvestissement et les sanctions, ou BDS. Plus de 170
syndicats et organisations de la société civile palestinienne, y
compris les principaux partis politiques, ont appuyé cet appel
qui vise à contraindre Israël à se conformer au droit
international 1. 12 ans après l’échec lamentable
du soi-disant « processus de paix » amorcé en 1993, la société
civile palestinienne a décidé de revendiquer l’initiative en
mettant les revendications palestiniennes au cœur du combat
international pour la justice, depuis longtemps obscurci par des
« négociations » trompeuses et sans aucune perspective.
Phénomène sans précédent, l’appel au BDS a été émis par des
représentants des trois composantes du peuple palestinien : les
réfugiés, les Palestiniens d’Israël et ceux vivant sous
occupation. L’appel s’adressait en outre directement aux Juifs
israéliens intègres, les invitant à soutenir ses revendications.
Depuis plus d’un siècle la résistance civile a toujours été
une composante essentielle de la lutte du peuple palestinien
contre le Sionisme. Au cours de la récente histoire
palestinienne, la résistance au projet colonial sioniste a
principalement pris des formes non-violentes : des
manifestations de masse, des mobilisations populaires, des
grèves de travailleurs, le boycott des produits sionistes, et la
résistance culturelle, souvent ignorée, au travers de la poésie,
de la littérature, de la musique, du théâtre ou de la danse. La
Première Intifada (1987-1993) a été un laboratoire d’une
richesse unique en termes de résistance civile, que les
militants ont organisée, au niveau local, en encourageant l’auto-suffisance
et le boycott, à des degrés divers, des produits israéliens mais
aussi des autorités militaires. A Beit Sahour, par exemple, une
célèbre grève des impôts fut l’un des défis les plus conséquents
de cette période à l’égard de l’occupation israélienne. Le BDS
doit ainsi être appréhendé comme étant implanté dans une
authentique culture palestinienne de résistance civile, même
s’il s’inspire aujourd’hui principalement de la lutte
anti-apartheid sud-africaine. C’est ce riche héritage qui
inspire la résistance populaire actuelle à Bil’in, contre le
Mur.
Au cours des dernières années, beaucoup d’importants groupes
et institutions, aux quatre coins du monde, ont entendu les
appels au boycott venus de Palestine et se sont mis à réfléchir
ou à appliquer concrètement diverses formes de pression
effective sur Israël. Parmi eux, les deux principaux
syndicats britanniques, Unison et la Transport and General
Workers Union (TGWU) ; la British University and College Union
(BUCU), qui a récemment réaffirmé une position pro-boycott ;
Aosdana, l’Académie Irlandaise des Artistes reconnue par l’Etat
; l’Eglise d’Angleterre ; l’Eglise presbytérienne des Etats-Unis
; de célèbres architectes britanniques ; la National Union of
Journalists au Royaume-Uni ; le Congress of South African Trade
Unions (COSATU) ; le Conseil Mondial des Eglises ; le Conseil
Sud-africain des Eglises ; la Canadian Union of Public Employees
en Ontario et, plus récemment, la Canadian Union of Postal
Workers et l’ASSE, la principale organisation étudiante au
Québec ; et des dizaines d’auteurs, d’artistes et
d’intellectuels reconnus, conduits, entre autres, par John
Berger. En Europe, beaucoup d’Universitaires et de personnalités
du milieu de la Culture rejettent des invitations à participer à
des événements en Israël, pratiquant de la sorte un « boycott
silencieux ». Récemment, Jean-Luc Godard, icône du Cinéma, a
annulé sa participation à un festival du film à Tel Aviv après
que des Palestiniens le lui ont demandé. Avant lui, Björk, Bono,
les ex-membres de Beatles, les Rolling Stones… ont décidé de ne
pas de se produire en Israël, boycottant de fait les
célébrations du soixantenaire d’Israël.
Une affiche de la campagne BDS
En novembre 2007, des centaines de militants palestiniens
investis dans le boycott, des syndicalistes, des représentants
de tous les principaux partis politiques, des organisations de
femmes, des associations d’agriculteurs, des organisations
étudiantes et d’à peu près tous les secteurs de la société
civile palestinienne se sont rassemblés à l’occasion de la
première conférence du BDS dans les territoires palestiniens
occupés. L’un des résultats immédiats de l’effort accompli à
cette occasion a été la mise en place récente du Comité National
du BDS, ou BNC, pour développer la conscientisation au sujet du
boycott, pour organiser les principales initiatives locales et
pour agir comme un référent unique pour les campagnes
internationales du BDS.
Pour les cyniques qui considèrent encore que les progrès
mentionnés ici sont minimes au regard du temps écoulé, je ne
peux que rappeler ce qu’un camarade sud-africain nous disait : « L’ANC a émis un appel au boycott académique dans les années
50 ; la communauté internationale a commencé à y prêter
attention près de trois décennies plus tard ! Donc vous vous en
sortez beaucoup mieux que nous ».
Aujourd’hui, face à l’intensification des crimes de guerre
israéliens, face à l’impunité et face au mépris total du droit
international, nous appelons la société civile internationale à
initier ou à soutenir toute campagne BDS qui semble appropriée
selon chaque contexte particulier et chaque situation politique
spécifique, afin de soutenir la résistance civile palestinienne.
C’est la forme de solidarité avec les Palestiniens qui d’avère
être la plus efficace et la plus valable moralement et
politiquement. Dans des circonstances exceptionnelles où un
génocide est en train d’être commis, des mesures exceptionnelles
et lucides, d’un point de vue éthique, sont requises. C’est
le chemin le plus sûr vers la liberté, la justice, l’égalité et
la paix en Palestine et dans l’ensemble de la région.
Notes
1. Voir l'appel sur
http://www.bds-palestine.net/index.cfm?id=fr
NB : texte en anglais sur
http://www.counterpunch.org/barghouti06052008.html
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