Counterpunch
Le
HRW aurait-il attaqué Martin Luther King également ?
Les
Palestiniens se voient dénier le droit à la résistance
non-violente ?
Jonathan
Cook
30
novembre 2006
www.counterpunch.com/cook11302006.html
S’il
est une chose qui montre de manière terrifiante où conduit cette
expérience sur le désespoir humain qu’est Gaza assiégé par
Israël, c’est cette annonce qu’une femme palestinienne
d’une soixantaine d’année – une grand-mère – a choisi de
se ceindre d’une ceinture-suicide et de se faire exploser près
d’un groupe de soldats israéliens envahissant son camp de réfugiés.
En
dépit de la valeur journalistique « un
homme a mordu un chien » de cette histoire, la plupart
des médias israéliens ont minimisé l’incident. Ce n’est pas
surprenant : il est difficile de donner de Fatma al-Najar le
portrait d’une fanatique insensée vouée uniquement à la
destruction d’Israël.
Il
est tout aussi difficile de ne pas s’arrêter pour
s’interroger sur les raisons de sa mission suicide :
d’après sa famille, un des ses petits-fils a été tué par
l’armée israélienne, un autre se déplace en chaise roulante
depuis qu’il a dû être amputé d’une jambe, et sa maison à
elle a été démolie.
Ou
de ne pas penser aux années de traumatisme qu’elle-même et sa
famille ont endurées, à vivre dans une prison à ciel ouvert,
sous une occupation brutale, puis maintenant, depuis le « désengagement »,
les mois angoissants d’une misère écrasante, à être
lentement privé de nourriture, avec des bombardements aériens répétés,
et le manque de l’essentiel, comme l’eau et l’électricité.
Ou
de ne pas réfléchir à ce que cela a dû être pour elle de
passer chaque jour dans une atmosphère de peur, impuissante
contre une force nuisible en grande partie invisible, et sans
jamais savoir quand la mort ou la mutilation pourra l’atteindre,
elle, ou ses proches.
Ou
de ne pas imaginer qu’elle ait attendu avec impatience le moment
où les soldats qui ont détruit les vies de sa famille,
pourraient se montrer brièvement, s’approcher suffisamment pour
qu’elle puisse les voir et les toucher, et assouvir sa
vengeance.
Pourtant,
les observateurs étrangers, et les organisations qui devraient
représenter le meilleur de leurs valeurs des Lumières, semblent
incapables de comprendre ce qui a pu conduire une grand-mère à
devenir une bombe-suicide. Leur empathie leur fait défaut, de même
que leur humanité.
Juste
au moment où Fatma choisissait la mort et la résistance, plutôt
que l’impuissance et le statut de victime – et à un moment où
Gaza se débat dans l’une des périodes les plus affreuses et
les plus lourdes d’oppression de l’occupation israélienne, en
près de quatre décennies – Human Rights Watch publie son
dernier rapport sur le conflit. C’est un document qui fait honte
à l’organisation, aux sociétés occidentales satisfaites
d’elles-mêmes, et à la mémoire de Fatma.
Dans
son communiqué de presse, « Des
civils ne doivent pas être utilisés pour protéger des maisons
contre des attaques militaires », dont les médias
internationaux ont largement rendu compte, HRW fustige les groupes
palestiniens armés pour le fait d’appeler des civils à venir
entourer des maisons qui ont été choisies par l’armée israélienne
comme cibles d’attaques aériennes.
Relevant,
comme après-coup, que plus de 1.500 Palestiniens se sont retrouvés
sans abri du fait des démolitions de maisons des derniers mois,
et que 105 maisons ont été détruites par des attaques aériennes,
le communiqué de presse dénonce les tentatives palestiniennes
d’action collective non-violente visant à arrêter les attaques
israéliennes. HRW se réfère en particulier à trois incidents.
Le
3 novembre, le Hamas en a appelé aux femmes pour entourer une
mosquée à Beit Hanoun où des hommes palestiniens avaient trouvé
à s’abriter de l’armée israélienne. Des soldats israéliens
ont ouvert le feu sur les femmes, en en tuant deux et en en
blessant au moins dix.
Et
la semaine dernière, en deux occasions différentes, des foules
de supporters se sont rassemblées autour des maisons d’hommes
accusés par Israël d’être des militants et qui avaient reçu
des messages téléphoniques des forces de sécurité israéliennes
leur annonçant que leurs maisons familiales étaient sur le point
d’être bombardées.
Tenant
un langage qui aurait fait frémir George Orwell, une des
organisations de défense des droits de l’homme les plus
importantes au monde a passé sous silence la violation continue
du droit des Palestiniens à la sécurité et à avoir un toit
au-dessus de leur tête, déclarant par contre : « Rien n’excuse le fait d’appeler des civils [palestiniens] à venir
sur les lieux d’une attaque planifiée [par Israël]. Que la
maison soit ou non une cible militaire légitime, demander
sciemment à des civils de se mettre en danger est illégal. »
Il
y a tout lieu de croire que cette lecture du droit internationale
est fausse, voire kafkaïenne. Une résistance populaire et
pacifique aux politiques d’oppression de puissances occupantes
et de dirigeants absolus, en Inde et en Afrique du Sud par
exemple, a toujours été, par nature, une aventure risquée dans
laquelle des civils sont susceptibles d’être tués ou blessés.
La responsabilité de ces morts doit retomber sur ceux qui mènent
cette oppression, et non sur ceux qui résistent, en particulier
lorsqu’ils recourent à des moyens non-violents. Selon
l’interprétation de HRW, Mahatma Gandhi et Nelson Mandela
auraient été des criminels de guerre.
HRW
utilise aussi une série de deux poids, deux mesures terribles,
dans son communiqué de presse.
Il
refuse aux Palestiniens le droit de protéger des maisons contre
des attaques, qualifiant des civils de « boucliers
humains », tout en admettant que la plupart des maisons
ne constituent pas des cibles militaires légitimes, mais il n’a
pas dit un mot de cette pratique ordinaire en Israël de
construire des usines d’armement et des bases militaires à
l’intérieur ou près de communautés, forçant par là les
civils israéliens à devenir des boucliers humains pour l’armée.
Et
le HRW préfère mettre en lumière une supposée violation du
droit international par les Palestiniens – leur choix d’agir
comme « boucliers humains » – et demander que cette pratique cesse
immédiatement, tout en passant sous silence la véritable
violation, continue, du droit international par Israël qui
entreprend de punir des familles palestiniennes par la démolition
de maisons.
Mais
laissons de côté même ces questions importantes et supposons
que, techniquement, le HRW ait raison de tenir de telles actions
palestiniennes pour des violations du droit international. Malgré
cela, HRW manque encore à ses engagements et n’offre qu’une
parodie de son mandat, parce qu’il a perdu de vue les trois
principes qui doivent guider l’approche d’une organisation des
droits de l’homme : un sens des priorités, une mise en
contexte adéquate et le bon sens.
Priorités : Chaque
jour, HRW doit choisir quelles violations du droit international
mettre en avant parmi toutes celles qui ont lieu dans le monde. Il
ne parvient à en enregistrer qu’une petite part. L’hypothèse
de beaucoup de personnes extérieures est peut-être que HRW se
centre sur les cas les plus extrêmes. Ce serait une erreur.
La
vérité est simplement que pire est le palmarès d’un Etat en
matière de droits de l’homme, plus il est épargné,
relativement parlant, par les organisations de droits de
l’homme. Cela tient à la fois au fait que si des abus se répètent
suffisamment souvent, ils deviennent à ce point banals qu’ils
passent inaperçus et que, s’il s’agit de violations étendues
et systématiques, seul un petit nombre en sera relevé.
Et
sous ces deux rapports, Israël, contrairement aux Palestiniens,
tire avantages. Après quatre décennies de rapports sur
l’occupation des Palestiniens par Israël, HRW a déjà couvert
au moins une fois tout l’éventail des pratiques israéliennes
qui violent les droits de l’homme. Avec pour résultat qu’au
bout d’un certain temps, la plupart des violations passent
inaperçues. Pourquoi publier encore un rapport sur les démolitions
de maisons ou sur les « assassinats ciblés », même s’ils ont lieu en permanence ?
Et comment relater les violations individuelles des droits de
dizaines de milliers de Palestiniens, chaque jour, aux
check-points ? Au lieu de quoi, un rapport sur les
check-points, une fois toutes les quelques années, devrait
suffire.
Dans
le cas d’Israël, des organisations comme HRW manifestent une répugnance
supplémentaire à s’attaquer à l’étendue et à la nature de
la violation par Israël des droits des Palestiniens. Des
communiqués de presse incessants qui dénonceraient Israël,
feraient naître des accusations, comme c’est déjà le cas
aujourd’hui, qu’on réserve un sort spécifique à Israël –
avec, en même temps, l’insinuation qu’il y a de l’antisémitisme
derrière ce traitement particulier.
Alors
HRW choisit plutôt d’user d’équivoque. Il passe sous silence
la plupart des violations israéliennes et met en exergue chaque
infraction palestinienne, même mineure. Il se retrouve par là à
faire un pacte avec le diable : il réalise l’équilibre
qui le met à l’abri de la critique mais seulement en sacrifiant
les principes d’équité et de justice.
Dans
son communiqué de presse, par exemple, HRW traite le récent
appel aux Palestiniens à exercer leur droit de protéger leurs
voisins et de faire acte de solidarité par une résistance
non-violente à l’occupation, comme ne différant pas des
dizaines de violations connues, commises par l’armée israélienne
qui enlève des civils palestiniens pour en faire des boucliers
humains afin de protéger ses troupes.
L’acte
volontaire de femmes venant entourer une mosquée devient l’équivalent
de l’incident tristement célèbre où, à Naplouse, en janvier
2003, Samer Sharif, 21 ans, fut menotté au capot d’une jeep de
l’armée et conduit au-devant de jeunes gens qui lançaient des
pierres, les soldats israéliens tirant avec leurs fusils en
s’abritant derrière lui.
Dans
la façon de HRW d’aborder le droit international, les deux
incidents sont comparables.
Contexte : Les
actions des Palestiniens s’inscrivent dans un contexte où tous
leurs droits sont déjà sous contrôle de l’occupant, Israël,
qui peut les violer à sa guise. Cela signifie qu’il y a quelque
chose de problématique, du point de vue des droits de l’homme,
à placer le poids de la culpabilité sur les Palestiniens sans
attribuer en même temps un poids bien plus grand à la situation
à laquelle les Palestiniens réagissent.
Voici
un exemple. HRW et d’autres organisations des droits de
l’homme ont pris les Palestiniens à parti pour les exécutions
extrajudiciaires de gens suspectés de collaboration avec les
forces de sécurité israéliennes.
Bien
qu’il soit d’une aveuglante évidence que le lynchage d’un
collaborateur présumé constitue une violation du droit
fondamental de cette personne à la vie, la position de HRW
consistant à simplement blâmer les Palestiniens pour cette
pratique soulève deux problèmes cruciaux.
Premièrement,
c’est là une manière d’éluder la question de la
responsabilité.
Dans
le cas d’un « assassinat
ciblé », version israélienne de l’exécution
extrajudiciaire, nous savons qui tenir pour responsable : un
appareil d’Etat, sous les figures de l’armée israélienne,
qui a exécuté le meurtre, et des politiciens israéliens qui
l’ont approuvé. (Ces représentants officiels sont également
responsables des simples spectateurs qui sont invariablement tués
en même temps que la cible.)
Mais
à moins qu’il puisse être montré que les lynchages sont tramés
et coordonnés à un échelon élevé, une organisation des droits
de l’homme ne peut appliquer les mêmes normes avec lesquelles
elle juge un Etat, à une foule de Palestiniens, de gens en proie
à la colère et à la soif de vengeance. Les deux ne sont pas équivalents
et ne peuvent être tenus de rendre des comptes de la même manière.
Des Palestiniens qui perpètrent un lynchage, commettent un crime
punissable par la loi ordinaire, intérieure ; alors que
l’armée israélienne qui exécute un « assassinat
ciblé » commet un acte de terrorisme d’Etat qui doit
être jugé au tribunal de l’opinion mondiale.
Deuxièmement,
la position de HRW ne tient pas compte du contexte dans lequel le
lynchage a lieu.
La
résistance palestinienne contre l’occupation n’est pas
parvenue à atteindre ses objectifs principalement à cause du
vaste réseau israélien de collaborateurs, des personnes qui ont
habituellement été terrorisées par des menaces contre eux ou
leur famille et/ou par la torture afin d’être amenées à
« coopérer » avec les forces d’occupation israéliennes.
La
grande majorité des attaques projetées échouent parce qu’un
membre de l’équipe collabore avec Israël. Il ou elle ne sabote
pas seulement l’attaque mais donne souvent aussi à Israël
l’information dont il a besoin pour tuer les chefs de la résistance
(en même temps que de simples passants). Les collaborateurs,
pourtant courants en Cisjordanie et à Gaza, sont l’objet d’un
grand mépris – et pour une bonne raison. Ils rendent impossible
l’objectif de la libération nationale.
Les
Palestiniens ont du mal à trouver des moyens de rendre la
collaboration moins intéressante. Lorsque l’armée israélienne
menace de mettre votre fils en prison, ou refuse d’accorder le
permis qui permettrait à votre épouse de recevoir les soins
hospitaliers dont elle a besoin, vous pouvez en venir à accepter
de faire des choses terribles. Les groupes armés et beaucoup de
Palestiniens ordinaires approuvent les lynchages parce qu’ils
sont vus comme un contrepoids aux puissantes techniques israéliennes
d’intimidation – une dissuasion, donc, bien que largement
infructueuse.
En
publiant un rapport sur l’exécution extrajudiciaire de
collaborateurs palestiniens, des groupes comme HRW ont le devoir
de mettre tout d’abord en lumière, et en y insistant davantage,
la responsabilité d’Israël et des décennies d’occupation,
dans les lynchages, comme contexte dans lequel des Palestiniens
sont forcés d’imiter la barbarie de ceux qui les oppriment,
pour avoir la moindre chance de les vaincre.
Le
communiqué de presse qui dénonce le fait que les Palestiniens
choisissent collectivement et pacifiquement de résister aux démolitions
de maisons, mais ne se concentre pas sur les violations commises
par Israël qui détruit les maisons et recourt à des formes
militaires d’intimidation et de châtiment contre des civils,
constitue, pour la même raison, une parodie.
Bon sens : Et
finalement, des organisations des droits de l’homme ne doivent
jamais déserter le bon sens, ce fil qui fait le lien de notre
humanité, lorsqu’elles décident des priorités.
Au
cours des quelques derniers mois, Gaza a sombré dans un désastre
humanitaire manigancé par Israël et la communauté
internationale. Quelle a été la réponse de HRW ? Il vaut
la peine d’examiner ses rapports les plus récents, ceux qui
faisaient la première page de la section Proche-Orient de son
site Internet, la semaine passée, au moment où le dernier
communiqué de presse était publié. Quatre articles se
rapportent à Israël et la Palestine.
Trois
d’entre eux critiquent les militants palestiniens et plus
largement la société palestinienne, à plusieurs titres :
pour le fait d’encourager le recours aux « boucliers
humains », pour le fait de tirer des roquettes
artisanales sur Israël, et pour l’échec à protéger les
femmes de la violence domestique. Et un rapport réprimande
doucement Israël, en pressant le gouvernement de s’assurer que
l’armée enquête convenablement sur les raisons du bombardement
qui a tué 19 habitants palestiniens de Beit Hanoun.
Ce
honteux déséquilibre, tant dans le nombre de rapports publiés
à l’encontre de chaque partie qu’au niveau de l’échec à
tenir pour responsable le camp qui commet de loin les pires
violations aux droits de l’homme, est devenu la norme dans
l’approche par HRW d’Israël-Palestine.
Mais
dans son dernier communiqué, à propos des boucliers humains, HRW
touche de nouveaux fonds, en dépouillant les Palestiniens du
droit d’organiser des formes non-violentes de résistance et de
chercher de nouvelles voies de démonstration de solidarité face
à une occupation illégale. Bref, HRW traite les gens de Gaza
comme de vulgaires rats de laboratoire – c’est comme ça que
l’armée israélienne les voit – bons pour l’expérimentation
à volonté.
Les
priorités de HRW en Israël-Palestine prouvent qu’il a perdu sa
position morale.
Jonathan Cook est
un écrivain et un journaliste basé à Nazareth, Israël. Il
est l’auteur d’un livre à paraître chez Pluto Press :
« Blood and Religion: The Unmasking of the Jewish and
Democratic State » et disponible aux Etats-Unis auprès des
presses de l’Université du Michigan. Son site Internet est www.jkcook.net
(Traduction
de l’anglais : Michel Ghys)
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