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TLAXCALA

De l’art israélien de fomenter le « clash entre les civilisations »
Jonathan Cook

on CounterPunch.com, 23.09.2006

http://www.counterpunch.com/cook092320060.html

Nazareth - En remontant la trajectoire d’une campagne de longue haleine ayant donné naissance, ce mois-ci, à un scandaleux rapport pluraliste du Parlement britannique sur le soi-disant « antisémitisme » au Royaume-Uni, on tombe sur un intense lobbying du gouvernement israélien qui remonte à plus de quatre ans en arrière, soit au tout début de l’année 2002.

A l’époque, Ariel Sharon finissait de déchiqueter les lambeaux des accords d’Oslo en ré-envahissant les villes de Cisjordanie  confiées à l’Autorité palestinienne, en procédant à ses destructions dévastatrices connues sous l’antiphrase d’ « Opération Bouclier de Protection »… Mais il n’en avait pas oublié, pour autant, de lancer les médias israéliens dans la bataille. Des quotidiens (britanniques, notamment) commencèrent à mettre en exergue des préoccupations au sujet de l’arrivée d’on ne sait trop quel « antisémitisme nouveau » [à consommer avec modération… ndt], thème promptement repris au vol, avec un bel enthousiasme, par le lobby sioniste aux Etats-Unis.

Bien entendu, ce n’était pas la première fois qu’Israël appelait à la rescousse ses loyaux amis américains. Dans son ouvrage Beyond Chutzpah [Au-delà du Culot], Norman Finkelstein attribue de manière circonstanciée l’apparition d’allégations d’un nouvel antisémitisme à la piètre performance israélienne dans la guerre d’Octobre 1973. A cette occasion, escomptaient d’aucuns, l’accusation d’antisémitisme pourrait toujours être formulée contre les détracteurs d’Israël, afin de réduire la pression s’exerçant sur ce pays pour lui faire restituer le Sinaï à l’Egypte et le contraindre à négocier avec les Palestiniens.

Israël mit en alerte le monde entier contre une énième vague d’antisémitisme au début des années 1980, juste au moment où il se trouvait sous un feu roulant de critiques sans précédent au sujet de son invasion et de son occupation du Liban. Ce qui distinguait le nouvel antisémitisme du racisme anti-juif classique du type de celui qui avait conduit aux camps d’extermination allemands, c’était que, cette fois-ci, il s’emparait plutôt de la gauche progressiste que de l’extrême droite.

La dernière cuvée d’antisémitisme nouveau a été annoncée au printemps 2002, le site en anglais du prestigieux quotidien israélien Ha’Aretz affichant en Une, plusieurs mois d’affilée, un supplément spécial on-line proposant des articles consacrés au « nouvel antisémitisme », mettant en garde sur le fait qu’une « haine ancestrale » était en train de connaître un regain tant en Europe qu’en Amérique. Ce refrain ne tarda pas à être repris par le Jerusalem Post, un quotidien de droite de langue anglaise, régulièrement utilisé par l’establishment israélien pour racoler du soutien à sa politique parmi les juifs de la Diaspora.

Comme celles qui l’avaient précédée, affirmaient les thuriféraires d’Israël, la dernière vague d’antisémitisme en date était attribuable aux mouvements européens progressistes de gauche – avec toutefois un je ne sais quoi de nouveau. Un antisémitisme occidental toujours bien présent, mais largement de manière latente, aurait été porté au degré de la frénésie par l’influence politique et intellectuelle croissante d’immigrants musulmans fanatiques…. Le sous-entendu étant qu’une alliance sacrilège aurait été conclue entre la gauche et l’islamisme militant.

Ce genre de billevesée fut tout d’abord diffusé par des membres du cabinet de Sharon. Ainsi, au cours d’une interview accordée au Jerusalem Post en novembre 2002, Binyamin Netanyahu avertissait que l’antisémitisme latent était en train de sortir de sa léthargie :

« A mon avis, il y a beaucoup de gens, en Europe, qui condamnent l’antisémitisme, et beaucoup de gouvernements et de dirigeants qui luttent activement contre ce fléau, mais la tendance n’en existe pas moins, sur ce Continent. Dire que l’antisémitisme n’y est pas présent, ce serait ignorer la réalité. Désormais, il est associé comme marié au – et stimulé par le – vecteur d’antisémitisme sans doute le plus puissant et le plus effronté qui soit, j’ai nommé  : l’antisémitisme islamique, issu de certaines minorités musulmanes dans les pays européens. Cet antisémitisme est souvent camouflé en antisionisme. »

Netanyahu a proposé de « crever l’abcès » en entreprenant une campagne de relations publiques agressive à base d’ « autodéfense ». Un mois après, le président israélien Moshe Katsav sélectionna l’objectif le plus aisé de tous, en avertissant, au cours d’une visite d’Etat, que la lutte contre l’antisémitisme devait être entreprise en Allemagne, où « des voix antisémites commencent à se faire entendre ».

Mais, comme toujours, la cible principale de la campagne à propos du nouvel antisémitisme furent de larges publics aux Etats-Unis, dont on sait qu’ils sont les parrains généreux d’Israël. C’est dans ce pays que les officines du lobby pro-israélien se transformèrent progressivement en un chœur de pleureuses.

Aux premiers stades de la campagne, la motivation réelle du lobby n’était nullement dissimulée : le lobby voulait étouffer dans l’œuf un débat pourtant encore balbutiant au sein de la société civile américaine, notamment dans les Eglises et dans les universités, au sujet de la nécessité de retirer d’Israël des sommes considérables qui y avaient été investies, en protestation et en réplique à son opération Bouclier Défensif.

En octobre 2002, Israël ayant effectivement réoccupé la Cisjordanie, le toujours serviable Abraham Foxman, directeur de l’Anti-Defamation League, mit les contempteurs d’Israël prônant ce désinvestissement dans le même sac que les nébuleux « nouveaux antisémites ». Il exhorta une nouvelle institution mise sur pied par le gouvernement israélien, appelée « Forum en vue de la Coordination de la Lutte contre l’Antisémitisme » [Forum for Co-ordinating the Struggle against anti-Semitism] à exprimer à haute et intelligible voix « ce que nous ressentons dans nos cœurs et dans nos tripes : à savoir quand la bande jaune (de l’antisémitisme) a été franchie. »

Quinze jours plus tard, Foxman était lancé : il avertissait que les juifs étaient plus vulnérables que jamais depuis la Seconde guerre mondiale. « Je ne pensais pas qu’à un moment quelconque de ma vie je serais  - hmmm nous serions – inquiet(s) au point où nous le sommes aujourd’hui, ni que nous aurions à affronter l’intensité d’antisémitisme que nous connaissons actuellement », déclara-t-il au Jerusalem Post.

Se faisant l’écho de l’avertissement de Netanyahu, Foxman ajouta que la diffusion rapide du nouvel antisémitisme avait été rendue possible par la révolution communicationnelle, en particulier par Internet, qui permettait aux musulmans de relayer leurs messages de haine à travers le monde en quelques secondes, infectant le brave monde dans le monde entier.

Il est clair, désormais, qu’Israël et ses affidés avaient à l’esprit trois objectifs, lorsqu’ils entamèrent leur campagne. Deux de ces objectifs étaient des mobiles déjà connus, utilisés lors des précédentes tentatives de mettre en exergue un « nouvel antisémitisme ». Le troisième, en revanche, était nouveau.

Le premier objectif, sans doute le mieux compris, consistait à couper court à toute critique d’Israël, tout particulièrement aux Etats-Unis. Au cours de l’année 2003, il devint de plus en plus apparent, pour tout journaliste, comme moi-même, que les médias américains, bien plus tôt que les médias européens, étaient de plus en plus réticents à imprimer ne fût-ce que les critiques les plus modérées sur Israël qu’ils ne le faisaient auparavant. Ainsi, alors qu’Israël commençait à accélérer notablement le rythme de construction de sa muraille monstrueuse à travers la Cisjordanie, au printemps 2003, les éditeurs de journaux étaient réticents à seulement aborder ce sujet.

Le quatrième pouvoir étant devenu muet comme une carpe, les voix progressistes de nos universités et de nos églises commencèrent à se taire elles aussi. La question du désinvestissement disparut totalement de l’ordre du jour. Des organisations de type mccarthyste comme Campus Watch contribuèrent à imposer le règne de l’intimidation. Des universitaires qui maintenaient leurs positions, comme Joseph Massad, de l’Université de Columbia, attirèrent sur eux les foudres vengeresses de nouveaux groupes d’activistes sionistes, tel le David Project.

Un deuxième objectif, beaucoup moins souvent relevé, était le désir impérieux d’éviter qu’un certain nombre de juifs israéliens ne fassent défection, ce qui aurait bénéficié aux Palestiniens, les deux groupes ethniques approchant de la parité démographique dans la zone connue des Israéliens sous le nom de Grand Israël et des Palestiniens sous celui de Palestine historique.

La démographie a de tout temps été l’obsession lancinante du mouvement sioniste : durant la guerre de 1948, l’armée israélienne terrorisa ou chassa délibérément quelque 80 % des Palestiniens vivant à l’intérieur des frontières de ce qui allait devenir Israël, afin de garantir son nouveau statut d’Etat juif.

Mais au tournant du millénaire, à la suite de l’occupation par Israël de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, en 1967, et avec la croissance démographique rapide des populations palestiniennes opprimées tant dans les territoires occupés qu’en Israël même, la démographie se retrouva à nouveau en tête de l’ordre du jour politique israélien.

Durant la deuxième Intifada, tandis que les Palestiniens se battaient contre la machine de guerre israélienne au moyen d’une vague d’attentats suicides contre des autobus dans les principales villes israéliennes, le gouvernement Sharon redouta que les juifs israéliens aisés ne commencent à regarder du côté de l’Europe ou de l’Amérique, en y voyant des lieux de vie moins dangereux que Jérusalem ou même Tel Aviv. Le danger étant que la bataille démographique risquait d’être perdue, au cas où les juifs israéliens émigreraient.

En insinuant que l’Europe, comme par hasard, était devenue une pépinière pour le fondamentalisme islamique, on espérait que les juifs israéliens, dont beaucoup détiennent plusieurs passeports, prendraient peur et resteraient en Israël. Un sondage effectué par l’Agence juive dès le mois de mai 2002 a ainsi montré que 84 % des Israéliens croyaient que l’antisémitisme était redevenu une menace sérieuse pour les juifs du monde entier. Au même moment, certains hommes politiques israéliens concentraient leur attention sur deux pays européens comportant les populations juives les plus importantes : la Grande-Bretagne et la France ; soit deux pays comportant aussi [bingo !] d’importantes communautés d’immigrés musulmans. Ils braquèrent les projecteurs sur la montée supposée d’un antisémitisme dans ces deux pays, dans l’espoir d’en attirer la population juive en Israël.

Ainsi, par exemple, en France, des agressions antisémites particulières se virent accorder une couverture médiatique maximale : d’un rabbin âgé poignardé [par lui-même, allait-on apprendre un peu plus tard, mais passons…] jusqu’à une jeune femme juive attaquée dans un train de banlieue par une bande d’antisémites [à ceci près qu’elle n’était pas juive… (et qu’elle n’a pas été agressée non plus ! ndt)].

Sharon tira avantage de ce climat de peur totalement artificiel, en juillet 2004, pour proclamer que la France était aux prises avec l’ « antisémitisme le plus sauvage », exhortant les juifs français à venir s’installer en Israël.

Le troisième objectif, quant à lui, était du jamais vu. Il consistait à établir un lien entre le nouvel antisémitisme et la montée du fondamentalisme musulman en Occident, signifiant implicitement que les musulmans islamistes étaient en train de s’assurer d’un contrôle idéologique sur la pensée occidentale. Cela s’harmonisait particulièrement bien avec l’atmosphère paranoïde découlant des attentats du 11 septembre 2001.

C’est dans cet esprit que des universitaires juifs américains comme David Goldhagen caractérisèrent l’antisémitisme comme « en évolution constante ». Dans un article intitulé « Mondialisation de l’antisémitisme » [The Globalisation of anti-Semitism] publié en mai 2003 par la revue hebdomadaire juive américaine Forward, Goldhagen avançait l’argument que l’Europe avait exporté son antisémitisme raciste classique vers le monde arabe, lequel, à son tour, était en train de re-contaminer l’Occident…

« C’est alors que les pays arabes réexportèrent la nouvelle démonologie hybride vers l’Europe et, via les Nations unies et d’autres institutions internationales, vers d’autres pays, dans le monde entier. En Allemagne, en France, en Grande-Bretagne et ailleurs, une expression et une agitation antisémites intenses recourent à de vieux poncifs s’appliquant naguère aux juifs locaux – des accusations de semer le désordre, de vouloir subjuguer autrui – avec un nouveau contenu, dirigé quant à lui pour l’essentiel contre des juifs vivant en-dehors de ces pays. »

Cette théorie à base de contagion « flottante » de haine envers les juifs, propagée par les Arabes et leurs sympathisants à travers Internet, les médias et les institutions internationales, a trouvé de nombreux admirateurs. Ainsi la journaliste néo-conservatrice britannique Melanie Philips a clamé d’une manière racoleuse, et parfaitement abusive, que l’identité britannique était en train d’être subvertie et évincée par une identité islamique qui transformait sa ville natale en la capitale du terrorisme : le « Londonistan »…

Si l’objectif ultime des tenants du « nouvel antisémitisme » a été atteint avec un tel succès, c’est parce qu’il a pu être facilement confondu avec d’autres idées associées à la guerre américaine contre la terreur, à l’instar du concept de « clash entre civilisations ». Dès lors que c’était « eux » contre « nous », le « nouvel antisémitisme » permettait de poser d’entrée de jeu que les juifs étaient du côté des anges. Il incomba donc à l’Occident chrétien de choisir son camp, en décidant de conclure un pacte soit avec le Bien (le judaïsme, Israël, la civilisation) soit avec le mal (l’Islam, Oussama Ben Laden, le Londonistan) [aussi simple que ça !]…

Nous sommes encore très loin d’atteindre le bout de cette route traîtresse, à la fois parce que la Maison Blanche est en banqueroute d’initiatives politiques autres que sa guerre contre la terreur et parce que la place d’Israël reste, pour le moment, bien assurée, au cœur de l’ordre du jour néo-conservateur de l’administration des Etats-Unis.

Cela a été précisé de manière extrêmement claire, la semaine dernière, quand Netanyahu, l’homme politique le plus populaire en Israël, a ajouté, s’il en était besoin, une énième couche de malignité mortelle à la machine à bobards néo-conservatrice en train de faire ronfler les moteurs en vue d’une confrontation avec l’Iran, ayant pour mobile les ambitions nucléaires de ce pays : Netanyahu a carrément comparé l’Iran à l’Allemagne de 1933 et son président, Mahmoud Ahmadinejad, à Adolf Hitler… :

« Hitler a fait ses débuts dans le cadre d’une campagne militaire mondiale, après quoi il a tenté d’acquérir des armes nucléaires. L’Iran essaie d’obtenir des armes nucléaires en premier. Par conséquent, de ce point de vue, il est bien plus dangereux qu’Hitler », a déclaré Netanyahu à des décideurs israéliens en matière de lutte contre le terrorisme.

L’insinuation de Netanyahu était parfaitement transparente : l’Iran rechercherait une nouvelle Solution Finale, visant cette fois-ci Israël, ainsi que les juifs du monde entier. Le moment de rendre des comptes est proche, d’après Tzipi Livni, ministre israélienne des Affaires étrangères, qui affirme contre toute évidence que l’Iran n’est plus qu’à quelques mois de détenir des armes nucléaires.

« «  Terrorisme international » est une expression erronée », a ajouté Netanyahu. Non que le terrorisme international n’existerait pas, mais parce que le problème, c’est en réalité l’islamisme international militant. C’est ce mouvement qui recourt au terrorisme au niveau international, et c’est aussi lui qui est en train de mettre au point le stade ultime du terrorisme, à savoir le terrorisme nucléaire. »

Ainsi, le tour est joué : confronté comme Israël est censé l’être aux noirs desseins des « fascistes islamiques », tels ceux d’Iran, l’arsenal nucléaire israélien – et l’Holocauste nucléaire qu’Israël est en capacité [et même envisage] de déchaîner – peut être présenté comme la planche de salut du monde civilisé !

 

[* Jonathan Cook, écrivain et journaliste, vit à Nazareth, en Israël. Il est l’auteur de l’ouvrage à paraître [en anglais] : « Blood and Religion : The Unmasking of the Jewish and Democratic State » [Sang et religion : Bas les masques sur l’Etat « juif et démocratique »] aux éditions Pluto Press, et qui sera diffusé également aux Etats-Unis par University of Michigan Press. Son site ouèbe est à l’adresse URL suivante :

http://www.jcook.net ]

 

Traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier, membre de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique (www.tlaxcala.es). Cette traduction est en Copyleft : elle est libre de reproduction, à condition d'en respecter l'intégrité et d'en mentionner sources et auteurs.

 

 


Source : Silvia Cattori


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