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C’est cela l’apartheid dans les
territoires Palestiniens
Jonathan
Cook
La scène : un checkpoint militaire israélien
situé en profondeur à l’intérieur des territoires
Palestiniens de Cisjordanie. Un vieil homme grand et mince, canne
à la main, contourne la file où des Palestiniens, dont bon
nombre sont des jeunes gens, attendent docilement derrière les
barrières de béton la permission d’un soldat israélien pour
passer d’un secteur Palestinien, la ville de Nablus, et entrer
dans un autre secteur Palestinien, le village voisin de Huwara. La
longue file d’attente se déplace lentement, le soldat prenant
tout son temps pour vérifier les papiers de chaque personne.
Le vieil homme s’engage résolument dans la voie
parallèle à la file d’attente, voie vide réservée à des
inspections de véhicules. Un jeune soldat commandant la
circulation du trafic humain le repère et lui commande de
rejoindre la file d’attente. Le vieil homme s’arrête, fixe le
soldat et refuse d’obéir. Le soldat a l’air effrayé et
inconfortable face à ce défi inattendu. Il demande de nouveau
mais plus gentillement au vieil homme de rejoindre la file
d’attente. Le vieil homme ne bouge pas de sa place. Après
quelques instants tendus, le soldat se radoucit et le vieil homme
peut passer.
Cette confrontation peut-elle montrer une
quelconque humanité de ce soldat israélien ? Ce n’est
certainement pas de cette manière que le voient ou le sentent les
jeunes Palestiniens parqués derrière les barrières de béton.
Ils peuvent seulement observer cette scène en silence. Aucun
n’oserait s’adresser au soldat de la même façon que l’a
fait le vieil homme ou prendre position si le soldat s’était
comporté autrement. Un vieil homme est peu susceptible d’être
détenu ou battu à un point de contrôle. Qui, après tout,
penserait que ce vieil homme pourrait attaquer un soldat ou le
menacer ou résister à une arrestation ou porter une arme ?
Mais les jeunes hommes savent que leurs propres blessures ou
arrestations méritent à peine une ligne dans les journaux israéliens
et encore moins faire l’objet d’une enquête. Ainsi, les
checkpoints israéliens qui ont émasculé les fils et les petits
fils des Palestiniens, ont fait de leurs grand’pères des
guerriers potentiels.
J’ai observé ces humiliations gratuites (de
telles humiliations sont maintenant comme des boulets aux pieds
des Palestiniens qui veulent se déplacer en Cisjordanie) pendant
mes déplacements avec Machsom Watch. Cette association fondée
par des israéliennes en 2001, surveille le comportement des
soldats dans quelques douzaines de checkpoints facilement
accessibles (machsom veut dire point de contrôle en hébreu).
Les checkpoints sont venus à dominer la vie des
Palestiniens en Cisjordanie, bien avant le désengagement de Gaza,
longtemps avant la déclenchement de la deuxième Intifada vers la
fin 2000, et même avant les premiers attentats suicides. Ils étaient
la réponse d’Israël aux accords d’Oslo, qui ont créé une
autorité Palestinienne pour régir des secteurs limités dans les
territoires occupés. Israël a commencé à limiter le nombre des
Palestiniens autorisés à travailler en Israël à ceux qui
avaient une autorisation de sortie ; le système s’est
imposé par un réseau croissant des barrages routiers. Bientôt
les checkpoints sont venus à limiter le mouvement des populations
à l’intérieur même des territoires occupés, pour protéger
apparemment les colonies juives en territoires occupés.
L’année dernière, selon l’Office de l’ONU
pour la coordination des affaires humanitaires, 528 checkpoints et
barrages routiers ont été enregistrés en Cisjordanie,
interdisant la circulation tous les quelques kms. Le quotidien
Haaretz situe la barre encore plus haut : en janvier, il y
avait 75 checkpoints permanents, environ 150 checkpoints mobiles,
et plus de 400 endroits où des routes ont été bloquées par des
obstacles. Toutes ces restrictions à la circulation sont mises en
place pour un territoire qui, selon le World Factbook de la CIA,
ne serait pas plus grand que le Colorado qui est le petit Etat des
USA.
En conséquence, le déplacement des biens et des
personnes d’un endroit à un autre de la Cisjordanie est devenu
un cauchemar en matière de moyens, de coûts et de délais. Aux
points de contrôle, la nourriture s’abîme, les patients
meurent et des enfants sont empêchés d’atteindre leurs écoles.
La banque mondiale blâme l’installation des checkpoints et des
barrages routiers parce que cela étrangle l’économie
Palestinienne.
Embarrassé par la publicité récente au sujet du
nombre croissant de checkpoints, le premier ministre israélien
Ehud Olmert a promis au Président Palestinien Mahmoud Abbas en décembre
dernier, de faciliter les déplacements en Cisjordanie. Du vent
selon des rapports des médias israéliens. Bien que l’armée
ait annoncé à mi-janvier que 44 barrages terrestres ont été démantelés
pour remplir les engagements d’Olmert, il s’avère en final
qu’aucun barrage routier n’avait été là réellement en
premier.
QUE SE PASSE-T-IL AU NIVEAU
DES CHECKPOINTS ?
Contrairement à l’impression de la plupart des
observateurs, la grande majorité des checkpoints ne se trouve même
pas près de la ligne verte qui est la frontière
internationalement identifiée d’Israël au moment de la conquête
de la Cisjordanie et Gaza en 1967. Certains checkpoints sont
tellement loin à l’intérieur des territoires Palestiniens que
l’armée refuse d’autoriser Machsom Watch de les visiter. Là,
les militantes disent que personne ne sait quels abus sont commis
sur des Palestiniens loin des regards.
Mais au point de contrôle de Huwara, où le vieil
homme a refusé de se soumettre, les soldats savent que la majeure
partie du temps, ils sont observés par des Israéliennes et que
leur comportement est enregistré mensuellement. Machsom Watch a
une expérience historique dans le montage des photographies et
des videos pour dénoncer le comportement des soldats. C’est par
exemple la publicité donnée à la bande vidéo montrant en 2004
un jeune homme Palestinien obligé par les soldats de jouer au
violon au point de contrôle de Beit Iba, histoire qui a attiré
l’attention internationale parce qu’elle rappelait les
affronts subis par les Juifs aux mains des nazis.
Machsom Watch compte 500 membres dont Dana, la
fille d’olmert, militante de Gauche. Mais 200 environ seulement
participent activement à l’observation des checkpoints, une expérience
qui a permis à beaucoup de personnes de dénoncer de façon véhémente
l’occupation israélienne. Machsom Watch est généralement vue
par le public israélien comme une organisation extrémiste et les
groupes d’inconditionnels d’Israël accusent ses militantes de
diabloliser Israël.
Ce genre de critiques est familier et pénible
pour Nomi Lalo, de Kfar Sava. Vétérante de Machsom Watch, elle
est la mère de trois enfants, deux qui ont déjà servi dans
l’armée tandis que le plus jeune, âgé 17, doit rejoindre
cette dernière à la fin de cette année. « Il est
davantage exposé à mes expériences dans Machsom Watch et il a
de la sympathie pour mon point de vue » dit-elle. « Mais
mon fils ainé a été très hostile à mes activités. Il a créé
beaucoup de tensions dans la famille. »
La plupart des femmes sont affectées à
l’observation d’un checkpoint à la fois par contre j’ai
accompagné Nomi qui fait de l’« observation mobile »
dans la région centrale pour nous déplacer entre les douzaines
de points de contrôle à l’ouest de Nablus.
Elle veut commencer par me montrer le système séparé
des routes en Cisjordanie, les routes sans restriction et de haute
qualité pour les colons Juifs vivant illégalement dans les
territoires occupés alors que des Palestiniens sont forcés de
faire des voyages difficiles et prolongés à travers collines et
vallées sur ce qui est souvent bien moins que des pistes pleines
de saleté.
Machsom Watch appelle cela « l’apartheid »
un jugement que partage le quotiden libéral Haaretz qui dans un récent
éditorial soulignait que les parents israéliens devraient
« s’inquiéter que leur pays envoie leurs fils et filles
assurer une mission d’apartheid : limiter la mobilité des
Palestiniens dans les territoires occupés... pour permettre aux
Juifs de se déplacer librement. »
L’APARTHEID EN MARCHE
Nous quittons la petite ville Palestinienne d’Azzoun,
près de la ville de Qalqilya, en direction nord vers une autre
ville, Tulkarem. Ce voyage qui prendrait moins d’un quart
d’heure en temps normal, est maintenant presqu’impossible pour
la plupart des Palestiniens.
« Cette route est en principe vide même si
c’est le principal itinéraire entre deux des plus grandes
villes de Cisjordanie » fait remarquer Nomi. « et cela
parce que la plupart des Palestiniens ne peuvent pas obtenir les
permis pour circuler sur ces routes. Sans permis, ils ne peuvent
pas traverser les checkpoints alors ils restent dans leurs
villages ou ils doivent chercher des itinéraires détournés et
dangereux en dehors de ces routes principales. »
Nous atteignons bientôt un des points de contrôle
dont parle Nomi. A Aras, deux soldats étaient assis dans un
bunker en béton au centre de la jonction principale entre
Tulkarem et Nablus. Les soldats qui s’ennuyaient avaient tué le
temps en attendant la prochaine voiture et le conducteur dont ils
devront inspecter les papiers.
Un jeune homme Palestinien, avec son bonnet de
laine pour le protéger du froid se tenait debout près du poteau
du télégraphe à la jonction des routes. Bilal, âgé 26,
« est détenu » à la même place depuis trois heures
par les soldats. Nerveusement il nous dit qu’il essaye de
rejoindre son père malade hospitalisé à Tulkarem. Nomi le
regarde non être convaincue et après un entretien avec les
soldats et un coup de téléphone portable à leurs commandants,
elle a une idée plus claire de l’affaire.
« Il avait travaillé illégalement en Israël
et ils l’ont attrapé pendant qu’il essayait de rejoindre sa
maison en Cisjordanie. Les soldats le tiennent ici pour le punir.
Ils pourraient l’emprisonner mais, étant donné l’état désastreux
de l’économie Palestinienne, les prisons israéliennes seraient
vite débordées par l’emprisonnement de travailleurs illégaux.
Le maintenir ainsi toute la journée est une manière de le faire
souffrir. C’est illégal mais, à moins que Machsom Watch ne
vende la mèche, qui peut le savoir ? »
Est-ce bon que les commandants militaires soient
dans de bonnes dispositions pour parler avec Nomi ? « Ils
savent que nous pouvons présenter leur travail sous un mauvais
jour alors ils coopèrent. Ils ne veulent pas de la mauvaise
publicité. Je n’oublie jamais cela quand je leur parle. Quand
ils rendent service, je n’oublie pas que leur objectif premier
est de protéger l’image de l’occupation des territoires. »
Avec des cas comme celui de Bilal, avec les
checkpoints, avec les barrières de béton ou d’acier en
Cisjordanie ou la clôture comme elle dit, Nomi voit bien que cela
ne colle pas avec ce qu’Israël prétend faire. Nomi dit
qu’elle a trouvé l’autre jour, un professeur d’anglais de
l’université de Birzeit détenu à ce point de contrôle, juste
comme Bilal. Il avait essayé de partir furtivement hors de
Tulkarem pendant un couvre-feu pour donner des cours à
l’université près de la ville de Ramallah soit 40 kilomètres
environ au sud. L’intervention de Nomi a permis de le libérer.
« Il a été envoyé de nouveau à Tulkarem. Il m’a
remercié profondément, mais vraiment qu’avons-nous fait pour
lui et pour ses étudiants ? Nous n’avons pas même réussi
à l’envoyer à l’université. »
Après les coups de fil de Nomi, Bilal est appelé
par un des soldats. Pointant son doigt reprobateur sur lui, le
soldat parle à Bilal pendant plusieurs minutes avant de
l’envoyer sur son chemin en le poussant de la main de façon dédaigneuse.
Encore une autre humiliation gratuite. Au moment de partir, Nomi
reçoit un appel d’un groupe de Machsom Watch au point de contrôle
de Jitt, quelques kms plus loin. L’équipe de femmes dit que
quand elles ont commencé leurs observations, les soldats ont puni
les Palestiniens en fermant le point de contrôle. Les femmes
paniquent parce qu’un bouchon fait de voitures principalement
des taxis et des camions conduits par Palestinians avec des permis
spéciaux vient de se former. Qprès discussion avec Nomi, la décision
est prise pour que les femmes de Machsom Watch quittent les
lieux<
DE L’AUTRE CÔTÉ DU MUR
Nous nous dirigeons en amont vers un autre
checkpoint, situé à 500 mètres environ d’Aras et qui contrôle
l’entrée de Jabara, un village dont la population instruite
comprend beaucoup de professeurs et d’inspecteurs d’école.
Aujourd’hui, cependant, les villageois vivent comme plusieurs
milliers de Palestiniens dans une zone « crépusculaire légale »,
emprisonnés du côté israélien du mur. Séparés du reste de la
Cisjordanie, les villageois ne sont plus autorisés à recevoir
des invités. Ils ont besoin de permis spéciaux pour acccéder
aux écoles où ils travaillent. 500.OOO Palestiniens sont ainsi
isolés et d’Israël et de la Cisjordanie enfermés dans de véritables
ghettos.
« Les enfants qui se marient en dehors de
Jabara ne sont pas autorisés à rendre visite à leurs parents
ici » dit Nomi. La « vie de famille a été cassée, déchirée,
rendant les personnes dans l’impossibilité d’assister à des
enterrements et à des mariages. Je ne peux pas imaginer ce que
cela représente pour eux. La Cour Suprême a exigé que la barrière
soit déplacée mais l’Etat prétend qu’il n’a pas
d’argent pour l’instant pour a déplacer. »
A la sortie de Jabara, nous devons passer par une
porte verrouillée pour quitter le village. Là encore, nous
sommes accueillis par un autre checkpoint qui est plus près de la
ligne verte sur une route qu’utilisent les colons pour entrer en
Israël. C’est l’un des points de contrôle qui se multiplient
de façon louche. Ils ressemblent à des postes frontières même
quand ils ne sont pas sur la ligne verte et ils comportent des
cabines et des couloirs spéciaux pour que les soldats puissent
inspecter les véhicules.
Les soldats voient notre plaque minéralogique
jaune qui nous distingue des plaques vertes des Palestiniens et
nous autorisent à passer.
Nomi utilise une carte des colonies, qu’elle a
acheté à une station-service à l’intérieur d’Israël, pour
nous guider vers le prochain point de contrôle, Anabta, situé près
d’une colonie isolée appelé Enav. Bien que la route que nous
empruntons soit une route principale à grande circulation, le
point de contrôle est vide et les soldats tournent en rond sans
avoir rien à faire. Il n’y a aucun Palestinien en garde à vue
alors nous passons notre chemin.
Nomi doute des affirmations qu’elle entend dans
les médias israéliens au sujet des checkpoints qui empêcheraient
les attaques-suicides tout comme celles de l’armée au sujet du
démantèlement des checkpoints.« Je passe toute ma journée
pour observer ce qui se passe dans un point de contrôle, je
reviens à la maison en soirée, j’allume la TV et j’entends
que quatre volontaires d’attentats suicides ont été attrapés
au point de contrôle où j’avais justement travaillé. Cela se
produit trop souvent à mon goût. Cela fait longtemps que j’ai
cessé de croire ce que dit l’armée. »
Nous arrivons à un autre colonie qui compte une
vingtaine de familles juives et qui s’appelle Shavei Shomron.
Elle est située près de la route 60, autrefois principal itinéraire
entre Nablus et la ville Palestinienne la plus au Nord, Jenin.
Aujourd’hui la route est vide, et elle ne mène nulle part ;
l’armée l’a bloquée, pour, soit disant, protéger Shomron.
Un peu plus loin, toujours sur la route 60, se
trouve le plus grand et le plus actif des points de contrôle :
Beit Iba, l’endroit où le Palestinien a été forcé de jouer
de son violon. A quelques kilomètres à l’ouest de Nablus, le
checkpoint a été installé dans dans un endroit peu propice, une
carrière qui fonctionne encore et qui a recouvert le terrain
d’une fine poussière blanche. Les taxis jaunes des Palestiniens
attendent à une extrémité de la carrière pour embarquer les
Palestiniens autorisés à quitter à pied le checkpoint. Au point
d’inspection des véhicules, un âne et son chariot sur lequel
on a empilé tellement haut des boîtes de pharmacie qu’elles
risquent de s’écrouler, attend d’être contrôlé à côté
des ambulances et des camions.
Tout près se trouve le couloir familier avec ses
portes en métal, ses tourniquets et ses barrières en béton par
lesquels passent les Palestiniens un à un pour être inspectés.Sur
une table branlante, un jeune homme vide le contenu de sa petite
valise, vraisemblablement après un séjour à Nablus. Il est
obligé de défaire ses paquets de sous-vêtements devant les
soldats et les spectateurs Palestiniens. Encore une autre
humiliation gratuite. Ici au moins les Palestiniens attendent sous
une auvent en métal qui les protège du soleil et de la pluie.
« L’auvent et la table, c’est grâce à nous » dit
Nomi. « Avant les Palestiniens étaient obligés de vider
leurs sacs par terre. »
Machsom Watch tient également un petit bureau
Portakabin tout près ... portant l’inscription sur la porte :
« Poste humanitaire ». « Après que nous nous
soyons plaints au sujet des femmes ayant des bébés et obligés
d’attendre pendant des heures dans les files d’attente,
l’armée a installé cette cabine avec les équipements pour
nettoyer les bébés, des couches-culottes et du lait en poudre et
ils ont invité les médias pour venir filmer cela. »
L’expérience a été de courte durée apparemment. Après deux
semaines l’armée a prétendu que les Palestiniens
n’utilisaient pas la cabine et ils ont enlevé les équipements.
Je jette un coup d’œil au local. La cabine est entièrement nu :
juste quatre murs et un bassine très poussiéreuse.
AIDER L’OCCUPATION
Comment Machsom Watch peut-elle être efficace ?
Aide-t-elle vraiment les Palestiniens ou ajoute-t-elle simplement
une légitimité aux points de contrôle en suggérant à l’armée
des chose telles que « le poste humanitaire » et qu’
Israël doit s’inquièter de ses sujets sous occupation ?
Nomi admet que c’est une question qui la préoccupe beaucoup.
« C’est un dilemme. Les Palestiniens ici [à
Beit Iba] avaient l’habitude de devoir s’aligner sous le
soleil sans abri ou sans eau. Maintenant que nous les avons
pourvus d’un toit, peut-être que nous avons rendu
l’occupation un peu plus humaine, un peu plus acceptable. Il y a
quelques femmes qui pensent que nous devons uniquement observer,
et ne pas nous en mêler, même si nous voyons que des
Palestiniens sont maltraités ou battus », ce qui arrive, et
les rapports mensuels de Machsom Watch sont bien détaillés. Même
les médias israéliens commencent, mal à l’aise, à décrire
les comportements des soldats qui vont des agressions à ceux qui
urinent devant des femmes pratiquantes.
A Beit Iba en octobre, dit Nomi, un jeune
Palestinien a été battu sérieusement par les soldats israéliens
après qu’il ait paniqué dans la file d’attente et grimpé en
haut d’un poteau criant qu’il ne pourrait plus respirer.
Haaretz a raconté dernièrement que les soldats ont battu le
jeune homme avec la crosse de leurs fusils et lui ont cassé ses
lunettes. Il a été ensuite jeté dans une cellule de détention
au point de contrôle.
Et en novembre, Haitem Yassin, âgé 25, fait
l’erreur de se disputer avec un soldat d’un petit check point
près de Beit Iba appelé Al-Shamalia d’Asira. Il a été choqué
que les soldats aient par mesure de sécurité palpé par force
des femmes pratiquantes qu’il avait amenées en taxi.Selon Amira
Hass, une journaliste israélienne vétérante, Yassin a été
alors poussé par un des soldats et refoulé en arrière. Dans
l’échauffourée qui a suivi, Yassin a reçu des coups dans
l’estomac. Il a été alors menotté et battu avec les crosses
des fusils pendant que d’autres soldats empêchaient une
ambulance de lui porter. Yassin est resté sans connaissance
pendant plusieurs jours.
Le célèbre checkpoint, celui de Huwara, qui
surveille la route principale qui va de Nablus au Sud est notre
prochaine destination. Dès le début de l’Intifada, il y a eu là
des récits fréquents sur des soldats maltraitant des
Palestiniens. Aujourd’hui, Machsom Watch assure une présence
presque permanente à Huwara, et les dirigeants de l’armée font
eux-mêmes attention parce qu’ils sont préoccupés par la
mauvaise publicité.
C’est une scène surréaliste. Nous sommes à
l’intérieur de la Cisjordanie, avec des Palestiniens partout,
mais deux jeunes Juifs au milieu de colons religieux les plus extrêmes,
ayant un look hippie à la mode, flânent sur le bord de la route
pour faire de l’autostop qui doit les amener à une des colonies
les plus militantes qui encerclent Nablus. Un soldat est là pour
les protéger. Il se tient debout en train de bavarder.
Comme je photographiais le checkpoint, un soldat
portant des boots rouge et brun, signe d’un parachutiste, selon
Nomi, me fait face et m’avertit qu’il va confisquer mon
appareil-photo. Nomi le connaît, et lui demande selon quelle
autorité, il peut me faire ces menaces. Ils discutent en hébreu
pendant quelques minutes avant que le soldat ne fasse des excuses
et indique qu’il m’a confondu avec un Palestinien. « Les
Palestiniens sont-ils les seuls à ne pas être autorisés à
photographier les checkpoints ? » dit Nomi qui le
gronde ajoutant après coup : « Ne savez-vous pas que
les téléphones portables modernes ont aussi des appareils-photos ?
Comment allez-vous faire pour que le checkpoint ne soit pas
photographié ? »
L’aspect plaisant de Huwara est représenté par
Micha, un officier du District Coordination Office qui surveille
le comportement des soldats. Quand il ressortit de sa voiture,
Nomi engage la conversation avec lui. Micha nous indique qu’hier
un adolescent a été arrêté au checkpoint portant un couteau et
un équipement de fabrication de bombes. Nomi se moque de lui, ce
qui l’ennuie beaucoup. « Pourquoi arrête-t-on tout le
temps des adolescents dans ces checkpoints ? » lui
demande Nomi et elle ajoute : « Vous savez comme moi
que le Shin Bet [service de sécurité israélien] utilise ces
jeunes pour justifier l’existence des points de contrôle.
Pourquoi est-ce que quelqu’un sortirait de Naplus avec un
couteau pour l’apporter au checkpoint de Huwara ? Dieu sait
que vous pouvez acheter des épées de l’autre côté du point
de contrôle, dans le village de Huwara. »
UNE AUTRE HUMILIATION
GRATUITE
Nous laissons Huwara et pénétrons profondément
en Cisjordanie, le long d’une route « stérile »
selon le vocabulaire de l’armée pour dire interdite aux
Palestiniens, route qui ne sert aujourd’hui qu’aux colons de
Elon Moreh et Itimar. Autrefois, les Palestiniens l’utilisaient
jusqu’au village de Beit Furik mais pas plus loin. « Israël
ne met pas d’indications pour dire qu’il y a deux systèmes de
routes ici. C’est aux Palestiniens de savoir qu’ils ne peuvent
pas conduire sur cette route. Et s’ils le font, ils seront arrêtés. »
Au Sud-est de Nablus, nous arrivons au village de
Beit Furik lui-même dont l’entrée est faite d’une grande
porte en métal qui peut être fermée à clef à tout instant par
l’armée. Une faible distance encore et nous atteignons le
checkpoint de Beit Furik. De nouveau, quand j’essaye de prendre
une photo, un soldat arrive en trombe sur moi cachant à peine sa
colère. Nomi lui fait des reproches, mais il est de mauvaise
humeur. Une fois parti, elle me confie : « Ils savent
que ces checkpoints violent le droit international, qu’ils
peuvent être accusés de complicité de crimes de guerre.
Beaucoup de soldats sont inquiets et ils ne veulent pas être
photocgraphiés. »
Face à l’hostilité de ce soldat, nous
abandonnons bientôt Beit Furik et nous partons en direction de
Huwara. Moins d’une minute de Huwara (Nomi me demande de vérifier
ma montre), et nous tombons sur un autre checkpoint : Yitzhar.
Un grouillement de taxis, de camions et de quelques voitures privées
bloque le couloir d’inspection pour les Palestiniens. Nous
prenons la file d’attente réservée aux plaques jaunes (colons)
et atteignons l’autre côté du point de contrôle.
Nous trouvons un chauffeur de taxi en train
d’attendre sur le côté de la route près de sa voiture jaune.
Faek attend là depuis 90 minutes après qu’un policier israélien
lui ait confisqué sa pièce d’identité et son permis de
conduire et n’a plus donné signe de vie. Est-ce que Faek a
demandé le nom du policier ? Non, répondit-il. « Bien
sûr que non » admet Nomi. « Quel Palestinien
risquerait-il de demander à un fonctionnaire israélien son nom ? »
Nomi donne quelques coups de fil et on lui dit que
Faek peut venir au commissariat de police dans la colonie voisine
d’Ariel pour récupérer ses papiers. Mais, en vérité, Faek
est pris au piège. Il ne peut pas traverser les checkpoints le séparaant
d’Ariel sans sa carte d’identité.. Et même s’il pouvait
trouver un itinéraire tortueux autour des points de contrôle, il
pourrait encore être arrêté pour ne pas avoir un permis et se
voir infliger une amende de quelques centaines de shekels, une
petite somme pour des Israéliens mais lui, il lui faudra lutter
pour la payer. Il doit prendre son mal en patience en espérant
que le policier puisse revenir.
Nomi est désespérée : « Il est illégal
de prendre des papiers sans donner de reçu mais ce genre de
choses se produit tout le temps. Que peuvent faire les
Palestiniens ? Ils ne peuvent pas discuter. C’est le Far
West sauvage ici. »
Un peu plus tard, alors que le soleil déclinait
et que le vent froid se levait, Faek était toujours en train
d’attendre. La mission de Nomi prenait fin et nous devions
retourner en Israël. Elle promet de continuer à faire pression
par téléphone sur la police pour qu’elle rende à Faek ses
papiers. Presque deux heures plus tard, alors que j’arrivais à
la maison, Faek appella inopinément pour dire qu’on lui a
finalement rendu ses papiers. Mais il n’était pas content parce
qu’il a écopé d’une amende de 500 shekels ($115) et il dit
que le téléphone de Nomi restait occupé. Est-ce que je pourrais
l’aider à obtenir une réduction de l’amende ?
Jonathan Cook
fait partie d’un groupe d’observation en Cisjordanie, sur les
innombrables abus et humiliations que subissent les Palestiniens
ordinaires dans leur vie quotidienne sous l’occupation israélienne.
L’auteur est aussi un journaliste basé dans
Nazareth en Israël. Son livre Blood and Religion (Sang et
Religion) a été publié l’année dernière chez Pluton Press.
22 février 2007 - Al Ahram weekly - Vous pouvez
consulter cet article à :
http://weekly.ahram.org.eg/2007/833...
Traduit de l’anglais par D. HACHILIF
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