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The Electronic Intifada
Quand un best-seller requinquant dézingue un mythe fondateur en
béton ...
Jonathan Cook
Shlomo Sand
on The Electronic Intifada, 8 octobre 2008
http://electronicintifada.net/v2/article9884.shtml
Personne n’est davantage surpris que Shlomo
Sand (l’auteur) au constat que sa dernière somme universitaire
figure déjà depuis dix-neuf semaine sur la liste des bestsellers
israéliens, et qu’un professeur d’histoire comme lui connaisse
ainsi un succès sans précédent, en dépit du fait que son ouvrage
s’attaque au Tabou des Tabous israéliens…
M. Sand avance que l’idée d’un peuple juif
– dont le besoin d’un havre de paix fut utilisé, à l’origine,
pour justifier la création de l’Etat d’Israël – n’est qu’un
mythe, qui a été inventé voici, de cela, tout juste cent ans…
Spécialiste d’histoire européenne à l’Université de Tel Aviv, M.
Sand s’est basé sur une recherche historique et archéologique
exhaustive pour étayer non seulement sa propre thèse, mais
plusieurs autres – tout aussi rafraîchissantes.
De plus, il avance que les juifs n’ont
jamais été exilés de la Terre Sainte, que la plupart des juifs
contemporains n’ont aucun lien que ce soit avec la terre appelée
Israël et que la seule solution politique du conflit avec les
Palestiniens ne peut consister qu’en l’abolition de l’Etat juif.
Le succès de son ouvrage [en
hébreu] When and How Was the Jewish People Invented ? est
appelé à se répéter, dans le monde entier. Une traduction en
français [Comment le peuple juif fut inventé [ ?], aux éditions
Fayard], mise sur les rayons des librairies au mois de
septembre, se vend tellement comme des petits pains qu’elle a
déjà dû être rééditée à trois reprises !
D’autres traductions sont en cours, dans
une douzaine de langues, dont l’arabe et l’anglais. Mais
l’auteur a d’ores et déjà prédit une réaction violente du lobby
pro-israélien, quand l’ouvrage sera lancé aux Etats-Unis,
l’année prochaine, par Verso, son éditeur en langue anglaise.
Par contraste, explique-t-il, les
Israéliens se sont montrés, sinon carrément des fans, tout au
moins curieux de connaître son argumentation. Tom Segev, un des
journalistes les plus en vue du pays, a qualifié l’ouvrage de
« fascinant et (positivement) provocateur ».
Etonnamment, poursuit M. Sand, la plupart
de ses collègues universitaires, en Israël, se sont gardés de
réfuter ses arguments, une des rares exceptions étant Israel
Bartal, professeur d’histoire juive à l’Université Hébraïque de
Jérusalem. S’exprimant dans les colonnes du quotidien israélien
(‘progressiste’, ndt) Haaretz, M. Bartal s’est très peu attaché
à réfuter les affirmations de M. Sand ; il a consacré le plus
gros de son article, en lieu et place, à une défense et
illustration de sa profession, suggérant que les historiens
israéliens ne sont pas aussi ignorants au sujet du caractère
totalement fictionnel de l’histoire juive que le prétend M.
Sand.
M. Sand explique que l’idée d’écrire ce
livre lui est venue il y a plusieurs années, mais qu’il a
attendu jusqu’à tout récemment pour s’y consacrer pleinement.
« Je ne saurais prétendre faire preuve d’un courage particulier
en publiant ce livre, aujourd’hui », a-t-il déclaré. « J’ai
attendu d’être titulaire d’une chaire universitaire : vous
savez, dans le monde universitaire israélien, avant de pouvoir
exprimer des opinions telles que celles-là, il y a un ticket à
payer ! »
Exactement de la même manière, l’idée
sioniste contemporaine selon laquelle les juifs se devraient de
« revenir » de leur soi-disant « exil » [de la diaspora, ndt] en
Terre Promise est totalement étrangère au judaïsme, a ajouté M.
Sand.
« Le sionisme a totalement modifié la
vision de Jérusalem. Auparavant, les lieux saints étaient
considérés comme des endroits auxquels le croyant aspirait, mais
qu’il n’envisageait en aucun cas d’habiter. Si, durant deux
millénaires, les juifs sont restés à l’écart de Jérusalem, ce
n’est nullement parce qu’ils ne pouvaient pas matériellement y
« retourner », mais bien parce que leur religion, le judaïsme,
leur interdisait d’y retourner avant la venue du Messie… »
Au cours de ses recherches, il eut la
surprise de sa vie lorsqu’il commença à étudier les vestiges
archéologiques remontant à l’ère biblique :
« Je n’avais pas été élevé en sioniste,
mais comme tous les autres Israéliens, il était évident pour moi
que les juifs étaient un peuple vivant en Judée et qu’ils en
avaient été exilés par les Romains, en l’an 70 de l’ère
chrétienne…
« Mais ayant commencé à étudier les indices
archéologiques, j’ai découvert que tant le royaume de David que
celui de Salomon étaient purement légendaires !
« Itou, en ce qui concerne l’exil. De fait,
vous ne pouvez expliquer ce qu’est la judaïté, s’il n’y a pas
d’exil. Mais, m’étant mis en quête d’ouvrages historiques
décrivant les circonstances dudit exil, je n’en ai trouvé
aucun ! Pas un seul !!
« Pour la bonne raison que les Romains
n’ont exilé strictement aucun des peuples dont ils avaient
conquis le territoire. En réalité, les juifs vivant en Palestine
étaient dans leur écrasante majorité des paysans, et toutes les
preuves archéologiques suggèrent qu’ils étaient restés sur leurs
terres. »
En revanche, M. Sand adhère à une théorie alternative, davantage
plausible : l’exil a été un mythe, répandu par les premiers
chrétiens, afin de convertir des juifs à la nouvelle religion :
« Les chrétiens voulaient inciter les dernières générations de
juifs, à l’époque, à croire que leurs ancêtres auraient été
chassés et exilés par Dieu, qui voulait les punir [de leur
impiété et de leur méconduite, ndt] »
Bon, alors : s’il n’y a jamais eu d’exil,
comment se fait-il donc que de si nombreux juifs aient fini par
se retrouver dispersés sur toute la planète Terre, avant que
l’Etat d’Israël, à l’époque contemporaine, n’eut commencé à les
encourager à « revenir » ?
M. Sand explique que, durant les siècles
ayant immédiatement précédé, et suivi, l’apparition du
christianisme, le judaïsme était une religion pratiquant un
prosélytisme intensif, littéralement en proie à une fringale de
conversions : « La littérature latine de l’époque mentionne
constamment ce phénomène ».
Des juifs se rendirent ainsi dans d’autres
régions, dont ils cherchèrent à convertir les habitants, en
particulier au Yémen, et parmi les tribus berbères de l’Afrique
du Nord. Plusieurs siècles plus tard, le peuple du Royaume
khazar, au Sud de la Russie actuelle, allait se convertir en
bloc au judaïsme, donnant ainsi naissance aux juifs ashkénazes
d’Europe centrale et orientale.
Ynet, le site ouèbe du quotidien Yediot
Ahronot, le plus diffusé en Israël, a souligné cette histoire :
« Des archéologues russes ont retrouvé la capitale juive,
recherchée depuis des siècles ! » Et pourtant, aucun journal
israélien, précise M. Sand, n’a pris conscience du fait que
cette découverte cruciale remettait en cause tous les récits
standards de l’histoire juive…
Autre question corollaire, suscitée par le
récit de M. Sand, et qu’il pose lui-même : « Si, dans leur
écrasante majorité, les juifs n’ont jamais quitté la Terre
Sainte, alors, que sont-ils devenus ? »
« On ne l’enseigne pas dans les écoles israélienne, mais la
plupart des pionniers du sionisme, dont David Ben Gurion [le
premier Premier ministre israélien], étaient persuadés que les
Palestiniens étaient les descendants des juifs authentiques
ayant vécu en Palestine. Ils
étaient convaincus que les juifs, bien des siècles
s’étant écoulés, s’étaient convertis à l’Islam. »
M. Sand attribue la réticence dont font
montre ses collègues à avouer qu’ils sont d’accord avec lui au
fait que cela reviendrait, pour eux, à reconnaître
implicitement, comme énormément de monde, que tout l’édifice de
la soi-disant « histoire juive » enseignée dans les universités
israéliennes n’est qu’un château de cartes.
Le problème fondamental de l’enseignement
de l’histoire en Israël, explique M. Sand, remonte à une
décision prise dans les années 1930, de faire éclater l’histoire
en deux disciplines : l’histoire générale, d’un côté, et
l’histoire juive, de l’autre. L’ « histoire juive » était censée
justifier qu’on y consacrât une chaire universitaire à part, au
motif que l’expérience historique juive était considéré
comme « unique » en son genre…
« Dans
nos universités, en Israël, il n’y a pas de faculté de science
politique juive, ou de sociologie juive ! Seule l’histoire set
ainsi enseignée de cette façon, et cela a permis à des
spécialistes ès-histoire juive de vivre dans un monde
parfaitement insulaire et conservateur, où ils sont totalement à
l’abri des découvertes (dérangeantes, pour eux) de la recherche
historique…
« On m’a critiqué, en Israël, parce que
j’ai écrit au sujet de l’histoire juive, alors que ma
spécialité, c’est l’histoire européenne. Mais un livre tel que
celui-ci a besoin d’un historien auquel soient familiers les
concepts de l’investigation historique validés, reconnus et
utilisés par le monde académique du reste du monde… »
[Cet article a été publié originellement
dans
The National, un quotidien d’Abu Dhabi. Il est reproduit ici
avec son autorisation.]
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
[* Jonathan Cook, écrivain et journaliste, vit à Nazareth, en
Israël. Ses derniers ouvrages publiés sont :
Israel and the Clash of Civilisations: Iraq, Iran and the Plan
to Remake the Middle East (éditions Pluto Press) et
Disappearing Palestine: Israel's Experiments in Human Despair
(éditions Zed Books). Vous pouvez consulter son site ouèbe à
l’adresse URL suivante :
www.jkcook.net ].
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