in Newsweek
Israël
devra « le payer »
Jeffrey
Bartholet
in Newsweek, 14
septembre 2007
http://www.msnbc.msn.com/id/20778660/site/newsweek/page/0/
L’ambassadeur de Syrie à Washington, Imad
Mustafa, donne sa version du mystérieux raid aérien israélien,
et pondère l’éventualité d’une riposte syrienne.
[Israel
a imposé une censure militaire draconienne sur les infos
concernant un récent raid aérien israélien dans la profondeur
du territoire syrien. Les responsables gouvernementaux américains
ont confirmé qu’un raid aérien a bien eu lieu, le 6 septembre,
mais ils n’ont pas fourni de détails supplémentaires. Des
rapports aux sources vagues, dont des récits sur un programme
nucléaire syro-nord-coréen, qui doivent encore être clarifiés,
sont en train de filtrer dans les médias. Qu’en disent les
Syriens ? Jeffrey Bartholet, de Newsweek est allé rencontrer
l’ambassadeur de Syrie aux Etats-Unis, Imad Mustafa, afin de
recueillir sa version de ces événements.]
NEWSWEEK [N] :
On nous dit que la cible visée par Israël était situé dans un
endroit appelé Daïr az-Zawr ? [Daïr az-Zawr n’est pas un
‘endroit’, c’est une ville importante, située sur l’Euphrate,
à mi-course entre Alep et l’Irak, ndt]
Imad Mustafa [IM]
: Non. Daïr az-Zawr est une ville importante, et elle n’a pas
été visée. Les avions israéliens ont, certes, largué leurs
munitions près de cette ville, mais à l’extérieur, après
quoi ils ont fait demi-tour et ils se sont débarrassés de leurs
réservoirs de kérosène de secours. Comme ils évoluaient, à ce
moment-là, au-dessus de la frontière syro-turque, ces réservoirs
sont tombés du côté turc. Il n’y a pas eu de dégâts.
N :
Qu’entendaient-ils bombarder ?
IM : Ils
n’ont rien bombardé du tout. Ayant été ‘allumés’ par nos
systèmes de défense, nous avons commencé à les attaquer ;
ils ont alors largué leurs munitions, afin de s’alléger. Et
ils ont même dû larguer leurs réservoirs de secours, qui étaient
pleins, je le signale au passage ; ils ont alors fait
demi-tour, et ils sont partis. Il vous faut bien comprendre
qu’ils évoluaient dans l’extrême nord de la Syrie, au-dessus
de la frontière syro-turque.
N : Combien de
bombes sont-elles tombées, et sur quoi ?
IM : Ils
n’ont rien touché. Leurs bombes sont tombées dans la steppe.
N : Donc ; pas de victimes ?
IM : Non.
Aucune.
N : Des
dommages matériels, à des structures ?
IM : Non,
rien, juste des impacts sur le sol. Et la Turquie a protesté à
propos des deux réservoirs pleins de kérosène, qui sont tombés
du côté turc.
N : Des
rapports ont circulé, jusqu’à présent non-encore circonstanciés,
que ce qui était visé, c’était un projet de coopération
syro-nord-coréen dans le domaine nucléaire ?
IM : Ces
rapports sont totalement, absolument, fondamentalement ridicules
et fallacieux. Il n’y a aucune installation nucléaire
syro-nord-coréenne, où que ce soit en Syrie… Nous connaissons
bien ce petit jeu [Après la chute de Bagdad], d’aucuns prétendirent
que les armes de destruction massive de Saddam auraient été passées
clandestinement en Syrie… Donc, l’histoire n’est pas
nouvelle. De temps à autre, nous entendons parler de matériels
nucléaires transférés en Syrie…
N : Quelles
sont les relations entre la Corée du Nord et la Syrie,
actuellement ? Il a été remarqué que la Corée du Nord a
immédiatement publié une dénonciation publique très énergique
de l’attaque israélienne, ce qui parut un peu inhabituel, étant
donné que la Corée du Nord se situe à des milliers de kilomètres
de là… ?
IM : Les gens,
en la matière, disent tout et n’importe quoi… Le gouvernement
libanais a fait une déclaration allant dans le sens que vous
dites, la Turquie aussi, l’Indonésie aussi. La Corée du Nord a
très peu d’amis, de par le vaste monde… Mais quant à nous,
nous avons des relations amicales avec ce pays…
N : Des
relations commerciales ?
IM : Très peu
de relations concrètes… Notre relation d’amitié est réelle.
Nous ne le nions pas. Il n’y a d’ailleurs strictement rien à
cacher.
N : Mais il y
a eu un commerce de missiles, par le passé, quoi qu’il en
soit… Des Scuds ?…
IM : Je ne
suis pas au courant des questions militaires. Je laisse ces détails
aux experts en la matière. Ce que je dis, moi, c’est ceci :
il n’y a rien de particulièrement sinistre. Parler d’usine
nucléaire syro-nord-coréenne, c’est vraiment regrettable,
parce que cela me rappelle le genre d’histoires que l’on a
fabriquées, ici, aux Etats-Unis, avant la guerre contre l’Irak,
au sujet des « armes de destruction massive »
irakiennes, notamment. On aurait pu croire que l’Amérique avait
retenu la leçon, et qu’elle ne goberait plus ce genre
d’histoires désormais. Et puis on ne peut que s’étonner
quand on voit que les principaux médias publient à nouveau ce
genre de sornettes. On est stupéfait devant cette absence de mémoire
à court terme, chez les médias américains.
N : Il y a eu
une inspection de l’Agence Internationale de l’Energie
Atomique, en 2003, qui a donné nettement…
IM : L’AIEA,
nous coopérons avec elle !
N : Il y a eu
un autre rapport, non confirmé, selon lequel la cible visée était
une usine irano-syrienne de production de missiles. Enfin, un
troisième rapport indiquait que la cible était un convoi
d’armes à destination du Hezbollah. ?
IM : Toutes
ces fausses informations sont absolument ridicules. Ah bon :
eux, ils repèrent un convoi d’armement à destination du
Hezbollah libanais… dans le Nord de la Syrie ??!
La raison de ces spéculations, dans les médias, à mon avis,
c’est que les censeurs israéliens sont en train d’imposer un
black-out très strict et que les gens qui sont au courant de
quelque chose ont suggéré que ce raid était quelque chose de très
important, que quelque chose était visé et que cette cible
aurait été atteinte. Mais, ordinairement, Israël est extrêmement
fanfaron, extraordinairement arrogant. Généralement, quand ils
font quelque chose, ils se vantent du caractère spectaculaire de
leur opération, et de son succès (par définition) total. Cette
fois-ci, il n’y a que certains rapports, de-ci de-là, avec des
gens qui prétendent ceci ou cela. Ceci dit, je ne suis pas en
train de minimiser la gravité de la provocation israélienne. En
effet, elle a changé de manière dramatique la situation entre
eux et nous. Ils nous envoyaient des messages, depuis trois mois,
selon lesquels ils n’avaient pas l’intention de poursuivre
l’escalade des tensions entre Israël et la Syrie. Ils nous ont
même fait savoir qu’ils n’avaient aucune intention hostile
envers nous. Cela, ils l’ont déclaré publiquement, c’est
‘on the record’. Et puis les voilà qui envoient leurs avions
de guerre dans l’espace aérien souverain de la Syrie. Je pense
qu’il s’agit là d’une provocation extrêmement grave.
N : A ce
sujet, le vice-président syrien Farouq al-Sha’r a déclaré à
un quotidien italien que Damas procèderait à des représailles ?
IM : Soyons sérieux :
toute action, dans le monde, génère une réaction. Aussi aller
imaginer que la Syrie se contenterait de regarder ce qui s’est
passé et de dire : « Eh bien, cela passera :
fermons les yeux ! », c’est totalement irréaliste.
Mais cela ne signifie nullement que la Syrie va immédiatement se
livrer à des représailles pour faire rendre à Israël la
monnaie de sa pièce, exactement de la même manière. Nous avons
nos priorités nationales… La Syrie a été très claire en ce
qui concerne son désir de mettre fin au conflit moyen-oriental au
moyen de négociations et d’une approche pacifique, fondée sur
le principe d’échange de territoires contre la paix. Nous nous
y sommes engagés. Ceci dit, jusqu’à ce que ces négociations
aboutissent, nous resterons en guerre avec Israël. Et il y a différentes
manières de répliquer. Cela ne doit pas nécessairement être
fait en recourant aux mêmes méthodes…
N :
Pourriez-vous m’en citer quelques exemples ?
IM : Je vous
l’ai dit : je ne suis pas un expert militaire. Mais
quiconque a étudié la situation au Moyen-Orient comprendra. Ils
veulent occuper nos territoires, et ils le paieront.
N : Parlez-moi
des efforts diplomatiques qui ont entouré ces événements. Les
responsables américains vous ont-ils contactés ; et vous,
l’avez-vous fait ?
IM : Non, non :
rien de tout ça. Les Etats-Unis continuent à fournir un soutien
massif à Israël, quoi qu’il fasse. D’une certaine manière,
ils lui ont exprimé leur soutien tacite. Mais nous avons déposé
une plainte officielle devant le conseil de sécurité de l’Onu.
Nous avons informé la Ligue arabe, les Européens, la Russie, la
Chine… et nous avons indiqué publiquement que nous nous réservions
le droit d’exercer des représailles, de la manière dont nous
le déciderons.
N : Avez-vous
fait des représentations auprès de Washington ?
IM : Non :
cela serait une perte de temps. Je ne pense pas que Washington,
aujourd’hui, soit dans une disposition d’esprit qui lui
permette de comprendre à quel point ces actes d’une gravité
extrême peuvent conduire à une nouvelle détérioration de la
situation au Moyen-Orient….
N : Quel est
l’état des relations américano-syriennes, actuellement ?
Il y a eu beaucoup de coopération en matière de renseignement,
puis une longue période de froid, et puis quelque chose semblait
s’ouvrir un petit peu, durant l’hiver et au printemps ?...
IM : Encore
une fois, nous avons dit aux Etats-Unis que nous croyons en la
coopération. Nous pouvons résoudre les problèmes, trouver des
terrains d’entente, imaginer des solutions créatives. Mais,
d’une certaine façon, il n’y a pas de dialogue,
aujourd’hui, entre la Syrie et les Etats-Unis, et nous le
regrettons. Nous pensons que nous avons besoin d’avoir de bonnes
relations avec les Etats-Unis. Il ne saurait y avoir de résolution
du conflit arabo-israélien sans l’implication directe et forte
des Etats-Unis. Ceci dit, nous avons un problème, en Irak. Il est
dans notre intérêt national d’aider à stabiliser la situation
en Irak. C’est une situation très dangereuse. Et nous sommes débordés
par plus d’un million et demi de réfugiés irakiens chez nous.
Les enjeux sont énormes. Nous n’avons cessé de répéter aux
Etats-Unis qu’ils feraient mieux de mettre un terme à leur
guerre de propagande contre nous, et de s’asseoir autour d’une
table avec nous, pour examiner de quelle manière nous pouvons
contribuer à stabiliser la situation.
N : Et puis,
il y a l’autre problème, entre la Syrie et les Etats-Unis :
le Liban…
IM : Etes-vous
certain qu’il s’agisse d’un problème entre nous et les
Etats-Unis ? Je pense que le problème, c’est ce qu’Israël
veut faire, au Moyen-Orient…
N : Un des
problèmes, c’est que plusieurs opposants à la politique
syrienne au Liban ont été assassinés [l’ancien Premier
ministre) Rafiq Hariri et…
IM :
Pensez-vous vraiment que Rafiq Hariri était un opposant à la
Syrie, au Liban ? Il était le Premier ministre du Liban à
l’époque où la Syrie y était présente militairement. Tous
ceux qui diffament aujourd’hui étaient les alliés de la
soi-disant « insupportable occupation syrienne du Liban ».
C’est un peu fort !
N : Mais il y
a bien eu un certain nombre d’assassinats, dont des assassinats
de journalistes ?...
IM : Ecoutez-moi :
certes, ces assassinats, ce sont des crimes épouvantables. Il y a
une commission de l’Onu, qui enquête à leur sujet… Ce sont là
des problèmes très sérieux, très graves. Bien sûr, nous
disons : « Non, ce n’est pas nous », car ce
n’est pas nous qui avons perpétré ces crimes. Mais essayez de
comprendre : dès qu’un crime se produit, dans la minute
qui suit, nous sommes accusés d’être les criminels. C’est un
tort politique immense qui nous est ainsi infligé. Et malgré ça,
d’une manière extrêmement stupide, on continue à nous soupçonner
d’avoir assassiné l’une après l’autre toutes ces victimes ?...
Pourquoi ? Il y a là quelque chose d’illogique. Que
l’enquête de l’Onu tranche, et décide de l’identité des
assassins !
N : Durant les
tensions récentes, y a-t-il eu un moment où le gouvernement
syrien aurait envisagé des représailles militaires contre Israël,
comme tirer des missiles ou…
IM : Nous
n’avons nullement renoncé à notre droit à répliquer. Mais,
comme je l’ai indiqué, nous ne devons pas nécessairement répliquer
par les mêmes moyens que ceux utilisés par Israël lors de son
agression. Je ne sais donc pas exactement quelle sera la nature de
ces représailles. Elles peuvent prendre diverses formes, parfois
même des formes asymétriques. Ce n’est, certes, pas là le
premier acte d’hostilité entre la Syrie et Israël… Le problème
étant que, quelque fois, un acte inconsidéré peut avoir des
conséquences terribles…
N : Il y avait
une certaine activité diplomatique, avant cette attaque ;
Israël émettait ce qui fut qualifié de signaux « apaisants ».
Il y eut une tension, puis une période de calme, et puis cet
incident s’est produit. Pouvez-vous nous décrire la période
antérieure à l’attaque israélienne ?
IM : Je puis
vous assurer qu’Israël était en train de créer une atmosphère
lourde de menaces dans la région. Il y avait des manœuvres
d’une ampleur sans précédent de sa part, dans le Golan occupé.
Et, bien entendu, les Syriens en ont pris note, et l’armée
syrienne était en alerte maximale. Après quoi, les Israéliens,
et le Premier ministre israélien Ehud Olmert en personne, ont
envoyé publiquement des messages – à la fois via les médias,
ou en s’adressant à des responsables européens – dans
lesquels il affirmait que la Syrie n’avait aucun motif de
s’inquiéter, qu’Israël n’avait pas l’intention de
provoquer la Syrie, ni de la provoquer… Ceci dit, la Syrie
n’est pas un pays de gogos. Tant qu’il n’y aura pas
d’accord de paix, nous serons toujours prêts à toute éventualité,
comme il se doit.
N : Peut-on
dire qu’il n’est pas dans l’intérêt national de la Syrie
de répliquer ?
IM : En effet,
cela ne servirait pas notre intérêt national. Cela y porterait
atteinte, car cela encouragerait Israël à répéter les mêmes
intrusions et agressions. Comme je l’ai dit, toute réaction crée
à son tour une autre réaction. Si Israël pense qu’il peut
faire absolument ce qu’il veut, il se trompe gravement ; il
commet la même erreur qu’à l’été dernier [en 2006, en déclenchant
sa guerre contre le Hezbollah, au Liban].
N : Donc, si
je mettais comme titre à cette interview : « La Syrie
va répliquer », cela serait inexact ?...
IM : Ce que
j’ai dit, c’est qu’il s’agit d’une guerre de longue
haleine. Les Etats ont des approches des choses différentes entre
eux. Ce que j’essaie de faire comprendre, c’est qu’Israël
ne pourra plus faire ce qui lui chante sans avoir à en payer le
prix.
N : Donc ;
Israël va devoir payer ?
IM : Israël le paiera ! Et, à l’avenir,
chacune de ses agressions aura un prix.
Traduit
de l’étazunien par Marcel Charbonnier.
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