Opinion
L'actualité de la
stratégie d'encerclement de la Russie
Jean
Géronimo
Mercredi 1er
février 2012
«L’actualité de la
stratégie d’encerclement de
la Russie »,
Revue Europe et Orient, « Turquie :
une démocratie inachevée »,
Institut Tchobanian, n° 12, juin
2011.
Intervention à
l’Institut de la Démocratie et de la Coopération, 3 décembre
2010, Paris[i].
Introduction : un rapprochement
trompeur…
A l’heure du
surprenant et radical rapprochement de la Russie avec l’Occident, il
serait opportun de s’interroger sur la
réalité de la menace de l’axe Otan/USA.
Dans ce cadre, il s’agira de revenir sur
la perception russe des dangers issus de
l’ingérence occidentale dans sa proche
périphérie et, en particulier, de la
volonté américaine de se rapprocher des
ex-républiques de l’URSS présentant un
caractère stratégique.
Selon une lecture
plus globale de l’évolution
géopolitique, la stratégie américaine
garde une cohérence structurelle, au
sens où elle reste guidée par la
ligne Brzezinski centrée, d’une
part, sur l’encerclement de la Russie et, d’autre part, sur la déstabilisation de
sa ceinture périphérique en vue de son
contrôle.
A l’issue de la fin
de
la Guerre froide, ce
maintien d’une relative
inertie stratégique nous amène à
nous interroger sur l’évolution passée,
présente et future de la Russie, pour, en dernière
instance, nous interroger sur son statut
international hérité du post-communisme.
Dans une première
partie, nous verrons donc le rôle de
l’Otan comme levier de la politique
étrangère américaine, en phase de Guerre
froide.
Dans une seconde
partie, nous présenterons la ligne
structurellement anti-russe conduite par
la puissance américaine depuis la fin de la Guerre froide.
Dans une troisième
partie, nous analyserons les enjeux
cachés du récent rapprochement
russo-américain.
Dans une quatrième
et dernière partie, nous nous
interrogerons sur le statut
post-soviétique de la puissance russe en
transition identitaire et sur sa volonté
de retour vers l'Europe.
I - Historiquement, l’Otan apparait
comme un levier de la politique
étrangère américaine.
La politique
extérieure américaine est marquée par 2
phases principales : l'endiguement de la
puissance soviétique (1) puis, à partir
de 1991, le reflux de la puissance russe
(2).
1/
L’endiguement de la puissance
soviétique, comme stratégie dominante en
phase de Guerre froide.
- Après la seconde
Guerre mondiale, le nouvel ordre mondial
est caractérisé par
l’équilibre stratégique de
la Guerre
froide : (USA + Otan) versus (URSS +
Pacte de Varsovie).
- A l'origine, la
théorie de G. Kennan du "Containment"[ii]
(endiguement) de la puissance soviétique
- par la suite, appelée aussi "doctrine
Truman" - a pour objectif de
bloquer l’expansion du bloc
communiste sous leadership russe, en
aidant les pays prêts à s’y opposer. A
l’époque, l’Administration Truman
(1945–1953) redoute l’offensive
militaire d’une Union soviétique
surpuissante qui, désormais, "fait
peur". D’autant plus que cette dernière
développe une force de frappe nucléaire
impressionnante, qui égalisera la
puissance américaine au début des années
70.
- L’endiguement :
c’est l’amorce d’une ligne
anti-soviétique, présentant une relative
cohérence sur long terme et qui
sera, plus tard, reprise par le
conseiller à la sécurité du président
Carter, Z. Brzezinski.
- L’objectif :
contenir l’expansion du communisme
en Afrique, Asie, Europe et Amérique
latine, quel qu’en soit le prix (dont
l’émergence de dictatures militaires
fascisantes, notamment au Chili).
Ex : en Amérique
latine, on peut rappeler le Coup d’Etat
de 1973 contre S. Allende au Chili ("la
révolution assassinée", pour reprendre
le titre d’un ouvrage).
- Une stratégie
alternative a été
d’encourager les mouvements
nationalistes et démocratiques, pour
déstabiliser le pouvoir russe.
Ex : la révolution
polonaise de Solidarnosc, en 1989, avec
le rôle des ONG étrangères,
principalement américaines (ancêtre des
révolutions "colorées" qui toucheront
plus tard l’espace post-soviétique).
- Une autre
stratégie a été de créer des
conflits périphériques ou
d’accélérer la course aux armements pour
épuiser l’économie soviétique (à
2 exemples).
Ex 1: Afghanistan
en 1979, formation et armement des
combattants islamistes (dont talibans)
pour enliser l’armée soviétique dans une
guerre coûteuse (il faut donner à l’URSS
"sa guerre du Vietnam", selon Z.
Brzezinski)
Ex 2 : le projet
surréaliste de "Guerre des étoiles" de
R. Reagan, au début des années 1980
(bouclier spatial anti-missiles).
à Avec l’appui de son
levier otanien, lui conférant un vernis
de légitimité internationale, il s’agit
pour la puissance américaine d’éroder
les bases économiques et idéologiques de
la domination soviétique. Dans ce cadre,
l’Otan apparaît comme un véritable
bouclier politico-militaire contre
l’avancée soviétique, destiné in fine à
rééquilibrer le "balancier stratégique".
On peut donc parler d’une Otan
défensive, adaptée au contexte
stratégique de
la Guerre
froide.
2/ Le reflux de la puissance russe,
comme stratégie post-guerre froide.
- 25 décembre
1991 : la démission contrainte du
président Gorbatchev marque la chute
finale de l’Union soviétique,
"La plus grande catastrophe géopolitique
du XX° siècle", selon V. Poutine.
- La stratégie
d’endiguement, est alors radicalisée et
transformée en stratégie de
reflux (roll back) de la puissance
russe issue de la fin de
la Guerre froide. On
remarque l’influence décisive de
Brzezinski dans cette inflexion
stratégique.
- L’objectif tacite
de l’Amérique est alors de profiter de
la
fragilité temporaire de la Russie en transition vers le
marché, pour la repousser et l’expulser
de ses postions fortes et
traditionnelles.
- L’Otan est au
cœur de cette stratégie et elle est
instrumentalisée par Washington,
pour renforcer cette orientation et lui
donner une apparente légitimité
(impression d’un consensus).
- Il s’agit aussi
de créer les conditions structurelles
d’une
irréversibilité : empêcher tout
retour en arrière et surtout, toute
velléité de reconquête impériale russe.
En d’autres termes, l’objectif est de
verrouiller la position hégémone des
Etats-Unis, en créant les mécanismes
adéquats, voire en influençant les
institutions en charge de la gouvernance
mondiale.
à Contrairement à la
promesse faite en 1989 à Gorbatchev à
Berlin, l’Otan continue de s’étendre,
notamment vers l’Europe de l’Est et
réduit, de ce fait, le glacis
sécuritaire de
la Russie. Il s’agit
d’une véritable provocation pour Moscou,
qui voit l’encerclement otanien se
resserrer autour d’elle. La Russie a l’impression d’être
trahie. Dans ce cadre, on peut donc
parler d’une Otan
offensive, intégrant les nouveaux
rapports de force issus du
post-communiste comme une réelle
opportunité d’élargir sa zone de
responsabilité, donc d’intervention.
II - Ligne structurelle anti-russe
depuis l’implosion de l’URSS, en 1991.
- La transition
post-communiste est caractérisée,
contrairement aux croyances initiales,
par l’émergence d’un monde unipolaire,
du fait de la disparition du seul
contrepoids idéologique (l’Union
soviétique) à la domination américaine.
- Au sens de F.
Fukuyama, c’est alors "la fin de
l’histoire" (1992)[iii]
et, pour reprendre D. Bell, c’est aussi
"la fin des idéologies" (1960)[iv].
En tant que vainqueur historique de
la Guerre
froide, le libéralisme s’impose comme la
seule idéologie légitime.
- Au nom de sa
supériorité morale et de sa "destinée
manifeste", la puissance américaine
cherche à étendre la démocratie libérale
à l’échelle planétaire, par la force
s’il le faut. En quelque sorte, elle
devient la nouvelle puissance
messianique, succédant dans ce rôle
à l’Union soviétique. Dans son discours
de Munich en novembre 2007, V. Poutine
dénonce cet unilatéralisme armé de la
puissance américaine. Pour certains, ce
discours marque le retour d’une forme
atténuée de Guerre froide.
à Globalement, la
stratégie anti-russe conduite par
l’Administration américaine depuis
décembre 1991 s’exprime selon
3
axes : politique, économique et
stratégique.
1
–
Axe Politique.
à Décrédibiliser
l’autorité russe dans son espace
d’influence historique.
- Ingérence
politique via les
ONG anglo-saxonnes (ex du
Kirghizstan : 8000 ONG étrangères en
2005, lors du renversement du président
Akaïev, soit 25 ONG au km²
: un record du monde !).
- Soutien aux
révolutions libérales "de couleur"
(Géorgie 2003, Ukraine 2004, Kirghizstan
2005 et 2010), avec un rôle décisif des
ONG étrangères, alimentées par des
financements américains.
-
Instrumentalisation des mouvements liés
au
nationalisme religieux, dont les
courants islamistes radicaux
(Kirghizstan, Tadjikistan,
Ouzbékistan…).
- Cette
effervescence ethno-religieuse est
aujourd’hui une véritable
bombe à retardement pour la Russie, d’autant plus
qu’elle tend à se répandre au Nord
Caucase.
à Remettre en cause la
légitimité du pouvoir et des
prérogatives de Moscou en CEI.
- S’imposer comme
leadership idéologique
alternatif à la domination russe.
- Initier un
rapprochement politique avec
certaines républiques ex-soviétiques
(Azerbaïdjan, Ouzbékistan, Kurdistan,
Kazakhstan). NB : depuis peu, le
Kazakhstan est devenu un couloir de
transit aérien pour les forces de
l’Alliance, suite au voyage de H.
Clinton en Asie centrale.
2
–
Axe Economique.
à Développer un
partenariat économique avec les Etats de la CEI (aide financière, technologique, formation du
capital humain...).
- Ex : L’initiative
de la Dette (PPTE)[v]
vise, en théorie, à réduire le poids de
la dette et la pauvreté au Kirghizstan.
Dans les faits, grâce à la
conditionnalité de l’aide, elle cherche
à imposer un
modèle politique émancipant ce pays
de la tutelle russe (conditions
drastiques imposées par le FMI et
la Banque mondiale, en
vue d’une économie assainie et
désétatisée)[vi].
- Proposer des
circuits énergétiques alternatifs
aux tubes russes (Nabucco, BTC : Bakou/Tibilissi/Ceyhan…).
NB : Brzezinski a été l’ambassadeur du
projet BTC.
- En réaction,
la Russie cherche à
développer d’autres projets de tubes
(South et North Stream), pour
court-circuiter les itinéraires
américains.
- Grâce au levier
énergétique, parfois utilisé comme
instrument de pression,
la Russie
cherche à renverser les alliances en se
rapprochant de l’Europe, de la Chine et de l’Inde. A terme,
elle aspire à créer un axe eurasien pour
contrebalancer l’hyperpuissance
américaine.
à Entraver le
développement de
la Russie
pour freiner son retour comme grande
puissance.
- Freiner
l’adhésion russe à l’OMC. A ce jour,
la question de l’intégration de la Russie n’est toujours pas
réglée (veto géorgien, succédant au veto américain[i]).
- Imposer un modèle
inadapté au contexte
macro-économique russe, caractérisé par
une dérégulation anarchique et un
retrait inquiétant de l’Etat. Cette
orientation, validée par Boris Eltsine,
est une aberration dans une économie de
la taille d’un continent, exigeant à la
fois le maintien d’une certaine
centralisation et d’une forte autorité
étatique. Tendanciellement, l’espace
historique russe est en effet menacé par
des forces centrifuges fragilisant le
contrôle central, donc son unité et sa
stabilité.
- Ex : les réformes
proposées par le
Consensus de Washington (J. Sachs),
durant la transition post-communiste,
ont déstructuré l’économie russe et
appauvri la société (décroissance,
c'est-à-dire croissance négative sur
1992-1998), au profit d’une nouvelle
élite privilégiée, devenue une véritable
Nomenklatura capitaliste flirtant avec
l’économie mafieuse. On a alors assisté
à l’émergence d’une véritable
bourgeoisie
"compradoro-mafieuse",
pour reprendre l’expression de Lilly
Marcou dans son livre "Le crépuscule du
communisme" (1997, p. 96)[vii].
- Le paradoxe de la
transition russe est que la nouvelle
classe privilégiée, issue en partie de
l’ancienne Nomenklatura communiste, a
transformé sa rente politique en
rente économique, via le processus
douteux de privatisation initié par
l’Administration Eltsine. Sur ce point,
voir l’ouvrage de J. Sapir sur le "Chaos
russe" (1996)[viii].
3
–
Axe Stratégique.
à Encercler la puissance
russe et l’isoler.
- Installation de
bases ou d’infrastructures
militaires occidentales (à dominante
américaine) d’une part, en périphérie
russe (Kirghizstan, Ouzbékistan,
Tadjikistan …) et d’autre part, en
Europe de l’Est (récemment, une base
militaire au Kosovo[ix]).
- Prendre le
contrôle des ex-républiques
soviétiques stratégiques, considérées
comme des Etats-pivots dans l’optique du
verrouillage de la domination américaine
en Eurasie (les "pivots géopolitiques"
de Brzezinski (2000))[x].
à Fragiliser l’Etat russe,
dans son centre et dans sa
périphérie
post-soviétique.
- Au centre
(l’intérieur) : il s’agit de
fragmenter l’espace russe, via le
soutien informel, d’une part, aux
mouvements séparatistes et
ethno-religieux et, d’autre part, aux
partis d’opposition. (Interrogation par
rapport à la Tchétchénie, au Caucase
Nord, où on suspecte une ingérence
américaine). NB : on rappellera que
Brzezinski a dirigé le Comité pour la
paix en Tchétchénie (ONG installée dans
les locaux de radio Freedom House !).
- En
périphérie (l’extérieur) : il s’agit de
détacher la CEI de la domination russe,
d’une part, par une stratégie de soutien
aux Etats hostiles à la Russie (Géorgie, Ukraine[xi],
Azerbaïdjan) ou aux Etats indécis
(Kirghizstan, Ouzbékistan) et d’autre
part, par une stratégie de compression
de l’influence russe (via l’érosion des
liens économique, politique et
militaire, historiquement noués entre le
Centre moscovite et les Républiques
périphériques).
III - Rapprochement récent : "une paix
des braves" mais trompeuse …
En apparence, il
s’agit d’une main tendue par l’Amérique
à la Russie, mais la réalité est
tout autre. On va donc parcourir les
principaux problèmes de ce
rapprochement.
à Réduction des armes
nucléaires stratégiques dans le cadre du
traité START II.
- La fonction
politique de l’atome russe serait
doublement
pénalisée, d’une part, par le projet
anti-missiles ABM (qui, dans sa première
version – celle de G.W. Bush –,
neutralise la force de frappe nucléaire
russe) et, d’autre part, par le Traité
START II (qui comprime le potentiel
nucléaire russe).
à Réactivation du
partenariat stratégique Russie-Otan-USA
au Sommet de Lisbonne de novembre 2010.
- Longtemps, le
Conseil Russie-Otan a été perçu comme un
"aimable club de discussion" par
la Russie, c’est à dire
comme un simple mécanisme
d’entérinement des décisions
américaines. Ce conseil donnait
l’apparence d’une concertation et, en
quelque sorte, une forme de légitimité
internationale aux décisions
unilatérales de l’Administration
américaine.
à Réintégration de la Russie dans le projet du
Bouclier anti-missile européen.
- Projet encore
très flou et pouvant pénaliser la Russie. Ce
flou vient d'être dénoncé par le
président D. Medvedev en février 2010,
n’hésitant pas à menacer l’Occident de
mesures de rétorsion (dont
l’implantation de rampes de missiles
nucléaires aux portes de ce dernier), en
cas d’échec du projet. Il s’agit surtout
pour l’Otan d’obtenir la collaboration
russe dans l’élaboration du bouclier
européen, présenté comme un projet
collectif aux objectifs nobles et
purement sécuritaires.
- Flexibilité et
souplesse du nouveau bouclier de
l’administration Obama, pouvant être
utilisé – en très peu de temps –
contre
la Russie, en cas de
crise. Autrement dit, dans sa version
rénovée, ce bouclier reste une menace
latente pour la sécurité nationale
russe.
- L’objectif du
bouclier commun peut être aussi de
lier les mains de Moscou et de
l'enfermer dans un projet de long terme
qui verrouille ses orientations
stratégiques.
à Réactivation du rôle de
l’ONU dans le maintien de la paix et la
gestion de la sécurité mondiale, via la
soumission de l’Otan au contrôle
onusien.
- Décision pour
l’heure purement formelle et laissant
inchangée la perception américaine de
l’ONU comme
frein politique aux actions
militaires de l’axe Otan/USA. Alors que
dans la perception russe, l’Otan reste
un
résidu de
la Guerre
froide dont l’omniscience et
l’élargissement n’ont plus de légitimité
aujourd’hui. Dans la nouvelle doctrine
stratégique russe, définie en janvier
2010, l’alliance reste une menace
majeure (la première).
- La relance du
rôle de l’ONU était, à l’origine, au
coeur de la "Perestroïka internationale"
prônée par M. Gorbatchev à la fin des
années 80, dans l’optique de créer un
nouvel ordre mondial plus
démocratique. Cette orientation a
été reprise par le gouvernement russe
actuel.
- Approche plus
égalitaire de la gouvernance mondiale
(économique, politique, sécuritaire),
dans le sens du monde
multipolaire d’E. Primakov,
revendiqué par ce dernier en tant que
premier ministre de
la Russie
en 1998-1999. Cette multipolarité est
aujourd’hui un thème récurrent du
discours politique russe, notamment
poutinien.
à En fait, un pacte
tacite, fondé sur des concessions
mutuelles.
- Pacte temporaire et stratégique,
dans le cadre d’une véritable
partie d’échecs à l’échelle de
l’Eurasie (voir l’ouvrage référence de
Brzezinski,"le Grand échiquier", paru en
1997 mais toujours d’actualité).
- Ce pacte est
porteur, à terme, d’une nouvelle forme
de
conflictualité, d’autant plus que la
menace chinoise croissante et le retour
des républicains américains au pouvoir
renforceront l’instabilité géopolitique.
- Principale
concession russe : l’espace russe comme
couloir de transit pour l’Alliance. Cela
revient à créer et à
légitimer les conditions d’une
présence américaine durable en
périphérie post-soviétique, surtout en
Asie centrale.
IV -
Le statut post-impérial de la Russie et les nouvelles
bases de sa puissance.
La transition
post–communiste est marquée par la
tentative russe de restructurer les
fondements de sa puissance pour
accélérer son retour sur la scène
mondiale
à Statut de l’atome russe
- Historiquement,
l’atome apparait comme un
levier de la puissance géopolitique
russe et de son identité internationale.
- Or, l’évolution
actuelle (sous la double impulsion du
bouclier ABM et du traité START II)
risque de remettre en cause cette
fonction
politique de l’atome, centrée sur la
dissuasion et la projection de force.
- Le pouvoir
international de la Russie, dans le prolongement du soviétisme, est
fondé sur la tryptique : EAE (Etat,
Atome Energie)[xii].
Ce sont les variables
structurantes de la puissance
géopolitique russe sur longue période.
à Montée de la question
énergétique.
- La lutte pour le
contrôle des espaces économiques vitaux
(surtout énergétiques) s’intensifie.
Pour rappel, Z Brzezinski a reconnu le
rôle politique croissant de
l'énergie dans l'ancien espace
soviétique, notamment en zone
centre-asiatique. Cela est clairement
affirmé par
Brzezinski dans son ouvrage de
2008, co-écrit avec B. Scowcroft :
"L’Amérique face au monde". L'accès
à l'énergie y est décrit comme
"une source
majeure de puissance politique''
(Brzezinski
& Scowcroft, 2008, p. 212)[xiii].
- La "guerre des
tubes" (oléoducs / gazoducs) se
renforce, réactivant par ce biais, le
Grand jeu. Dans l’esprit de
Brzezinski, le contrôle des ressources
énergétiques mais aussi – et peut être,
surtout – le tracé des tubes, ont un
impact géopolitique certain. Avec
la Chine, l’Amérique
représente donc, à terme, une menace
potentielle pour la Russie.
- La puissance
américaine reste une économie de
prédation - selon E. Todd, "Après
l’Empire" (2004)[xiv]
- de plus en plus dépendante de
l’extérieur pour son approvisionnement
en matières premières et énergétiques,
mais aussi en biens manufacturés et
industriels. Son déficit extérieur
mesure donc sa "capacité de prélèvement"
impériale sur le reste du monde (la
périphérie dominée), via le pouvoir
politique du dollar – qui autorise un
endettement quasi infini.
à Enjeu géopolitique
centré sur le contrôle de
la CEI
- Véritable
lutte d’influence au cœur de
l’espace historique russe, liée à
l’évolution des alliances et des
rapports de force en Eurasie
post-communiste.
-
La Russie
sait que son
retour comme grande puissance sur la
scène internationale implique, au
préalable, une reprise en mains de la CEI, son "Etranger proche" et
pré-carré historique. Son renforcement
régional déterminera donc, dans une
large mesure, sa capacité de rebond
géopolitique.
à Création d’un espace
commun Europe/Russie.
- Cette structure
commune est aujourd’hui ardemment
souhaitée par la Russie sur le double plan
stratégique et économique, via le projet
sécuritaire de D. Medvedev (nouvelle
architecture de sécurité européenne) et
le projet
économique de V. Poutine (union
économique européenne, de Lisbonne à
Vladivostok).
- Dans le même
temps, cette orientation vers la "grande
Europe" remettrait en cause
l’omniscience politico-stratégique
de l’Otan et de l’Amérique dans l’espace
européen. Et au-delà, elle remettrait en
cause l’unilatéralité actuelle de
l’ordre libéral mondial, vecteur
d’asymétrie dans sa gouvernance.
Conclusion : la partie d’échecs se
poursuit …
Ainsi, en dépit du
récent rapprochement russo-occidental,
l’axe Otan-USA reste une menace
larvée et insidieuse pour
la Russie
post-soviétique, avide de défendre ses
intérêts nationaux, désormais élargis à
sa proche périphérie. Malgré les espoirs
nés de la fin de la Guerre froide, la Russie est contrainte de
maintenir une veille stratégique sur
l’espace eurasien.
Le leadership
américain, associé au levier otanien,
montre une certaine
inertie comportementale et surtout,
reste enclin à étendre son influence
dans l’espace historique de la Russie. Sa nouvelle doctrine
militaire, établie en 2011, précise son
intention de
préserver son "leadership militaire
et économique" pour les 10 prochaines
années et cela, en dépit de la rigueur
budgétaire justifiée par la crise. En ce
sens, sous une forme certes atténuée, la
stratégie d'encerclement de la Russie reste d'actualité.
L’avancée
occidentale est aujourd’hui centrée sur
le contrôle des points
névralgiques, principalement
énergétiques, de la périphérie
post-soviétique. De ce point de vue, on
peut redouter, à terme, une montée de la
conflictualité américano-russe, de plus
en plus arbitrée par la Chine.
Après la brève lune
de miel inaugurée par l’administration
Obama, on peut donc s’attendre au retour
d’une forme rénovée de
Guerre tiède, dans le cadre de
laquelle les trois superpuissances
avancent leurs pions. Au cœur de
l’Eurasie, la partie d’échecs se
poursuit …
[i]
Papier original, actualisé à la
marge.
[ii]
Kennan G.F.,
"Sources
of Soviet Conduct",
by X, Foreign Affairs,
n°4, juin 1947 (pp. 566-582).
En juin
1947, dans un article, "The
Sources of Soviet Conduct",
Kennan note la détermination de
Staline à internationaliser la
révolution communiste. Afin de
contenir l’expansionnisme
soviétique, il prône une
politique d’endiguement, connue
comme
doctrine
Truman.
[iii]
Fukuyama F. (1992) : "La fin de
l’histoire et le dernier homme",
éd. Flammarion.
[iv]
Bell D. (1960) : "La fin des
idéologies", éd. PUF.
[v]
PPTE : pays pauvres et très
endettés.
[vii]
Marcou L. (1997) : "Le
crépuscule du communisme",
Presses de Sciences Po.
[viii]
Sapir J. (1996) : "Le chaos
russe", éd. La Découverte.
[ix]
Le camp Bondsteel est situé au
sud de la province du Kosovo
prés d’Urosevac, entre Pristina
et Skopje en Macédoine. Créé en
1999, il est intégré dans un
dispositif de bases situées en
Europe orientale, de
la Bosnie à
l’Albanie, via la Croatie. Il s’agit d’une des
bases stratégiques les plus
importantes en Europe et sans
doute, hors des Etats-Unis.
[x]
Brzezinski Z. (2000) : "Le grand
échiquier – L'Amérique et le
reste du monde", éd. Hachette
(1° éd. : Bayard, 1997).
[xi]
Il s’agit de l’Ukraine de
l’ancien président V. Youchenko,
défait aux élections
présidentielles de février 2010.
[xiii]
Brzezinski
Z./Scowcroft B. (2008) :
"L’Amérique face au monde", éd.
Pearson.
[xiv]
Todd E. (2004) : "Après l’Empire
– Essai sur la décomposition du
système américain", éd.
Gallimard, collection Folio
actuel.
Jean Géronimo,
Docteur, spécialiste de
la Russie
UPMF – Grenoble
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