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Analyse
Antifascistes
encore un effort, ... si vous voulez l'être vraiment
Jean Bricmont
Jean Bricmont
Mercredi 21 octobre 2009
Pour guérir
radicalement la censure, il faudrait la supprimer car
l'institution est mauvaise et les institutions sont plus
puissantes que les hommes.
Karl Marx[1]
Divers amis se sont inquiétés du fait que mon
nom soit cité dans un article (non signé) de « REFLEXes »,
intitulé « Procès Dieudonné - Faurisson : la Cour des
Miracles négationnistes » et relayé par l'AFPS
(http://www.france-palestine.org/article12838.html) et Bellaciao
(http://bellaciao.org/fr/spip.php?article91875). J'ai donc lu
l'article avec attention; il s'attaque à un certain nombre de
gens qui ont assisté au procès de Dieudonné et Faurisson suite
au spectacle du Zénith[2]
et particulièrement à Paul-Eric Blanrue, auteur du livre
« Sarkozy, Israël et les juifs » (voir
http://sarkozyisraeletlesjuifs.blogspot.com/), dont j'ai
recommandé la lecture. Cet article est intéressant parce qu'il
illustre tous les défauts d'une certaine « gauche
antifasciste ».
Le fond de l'affaire
tourne autour de la liberté d'expression. Ayant expliqué
ailleurs mon point de vue à ce propos
(http://www.legrandsoir.info/La-liberte-d-expression-quels-principes.html),
je ne vais pas y revenir en détail. Et, avant de continuer, je
voudrais souligner (même si cela devrait être inutile) que
défendre la liberté d'expression de X ne signifie nullement
approuver les idées de X. Cette défense découle seulement d'une
réflexion sur les principes de droit sur lesquels repose une
société démocratique. Et, dans une société réellement
démocratique, il y aura nécessairement une telle multiplicité
d'opinions qu'il est impossible de les approuver toutes-mais on
peut néanmoins considérer que l'expression de toutes ces
idées, aussi folles et mutuellement contradictoires qu'elles
soient, doit être légale. La liberté d'expression est un
principe fondamental de la démocratie, et pas, comme on le dit
trop souvent, un « prétexte » pour « soutenir » X ou Y. Il est
pour le moins étrange que des « antifascistes » approuvent le
fait que l'on rende, comme l'a dit Chomsky à propos de l'affaire
Faurisson, un triste hommage aux victimes de l'holocauste en
adoptant la doctrine centrale de leurs bourreaux, à savoir qu'il
appartient à l'état de déterminer la vérité historique et de
condamner ceux qui ne s'y conforment pas.
Mais, même si l'on ne
partage pas ce point de vue, la question de la pente glissante
se pose: jusqu'où ira-t-on dans la répression des opinions
« scandaleuses »? On requiert un an de prison (avec sursis)
contre Dieudonné pour un sketch. On est évidemment libre
d'estimer ce sketch de très mauvais goût, insultant, et le condamner moralement[3].
Mais un an de prison (même avec sursis)? Que répondra-t-on aux
Noirs et aux musulmans qui pourraient se sentir insultés par
d'autres sketches (y compris certains sketches de Dieudonné)?
Comment éviter que les musulmans, qui se considèrent insultés
par les caricatures du Prophète, et l'impunité dont elles
jouissent (heureusement), n'y voient une nouvelle preuve du
« deux poids, deux mesures » à leur égard[4]?
Aujourd'hui, divers courants au sein de l'Union Européenne
veulent sacraliser la mémoire des « victimes du communisme ». Où
s'arrêtera-t-on? Une partie de la gauche s'inquiète de cette
dernière sacralisation-mais peut-être aurait-elle été mieux
avisée de ne pas entrer, justement à propos des victimes du
fascisme, dans le jeu de la sacralisation.
A mon humble avis, c'est
cette constante restriction de la liberté d'expression qui
devrait donner « froid dans le dos » aux antifascistes
véritables.
Par une pure
coïncidence, cette affaire Dieudonné se produit en même temps
que la levée de boucliers du monde intellectuel et artistique en
faveur de Polanski. Alors que, dans cette dernière affaire, le
« talent artistique » semble tout permettre, même des miracles,
comme le fait de commettre une erreur de jeunesse (dixit BHL) à
43 ans, ou d'avoir des rapports sexuels avec une mineure non
consentante sans commettre de viol (dixit Costa-Gavras), pas un
mot n'est prononcé par ce même monde intellectuel et artistique
en faveur de Dieudonné qui, au cours de toute sa carrière, n'a
jamais été « coupable » que de délit d'opinion. Dans le cas de
Polanski, le fait qu'une fille pose nue (Finkielkraut) ou
paraisse plus âgée qu'elle n'est (Costa-Gavras), ou que le
violeur soit une victime (du nazisme et du
communisme-Finkielkraut et BHL) sert de circonstance atténuante.
Finkielkraut vit dans « l'épouvante ». Lelouch compare la police
suisse à la Gestapo. BHL en appelle à l'esprit de tolérance
suisse, mentionnant Voltaire, comme si c'était Polanski et non
Dieudonné qui était poursuivi pour délit d'opinion. Etrange
époque où la lutte contre « l'ordre moral» et contre le
« fascisme », ou encore le « il est interdit d'interdire »,
mènent simultanément à la complaisance à l'égard du viol et au
rejet de la simple liberté d'expression.
L'article de REFLEXes
soulève aussi le problème du « guilt by association », de la
culpabilité par association, fortement dénoncée aux Etats-Unis,
surtout dans la gauche, parce que c'était une des armes
favorites du McCarthysme. Que viennent faire dans cet article Michel Collon, la
librairie Résistances et moi-même? Michel Collon rien, à part le
fait que j'en suis « proche ». Mais pourquoi le citer lui et pas
Noam Chomsky, Alan Sokal, Régis Debray, Anne Morelli, ou
quantité d'autres, dont je suis tout aussi « proche »?
La librairie
Résistances, elle, a été attaquée par des nervis sionistes et a
tenu un meeting en plein air suite à cette agression, au cours
duquel Me Bastardi Daumont, avocat de Blanrue et de Faurisson,
a pris la parole. Où est le crime? Que reproche-t-on à Me
Bastardi Daumont? Suggère-t-on que Faurisson ne doit pas avoir
d'avocat, contrairement aux pires assassins? S'il doit bien en
avoir un, est-ce un crime d'être celui-là? Pense-t-on qu'un
avocat partage nécessairement les vues de son client?
Pourquoi cette coïncidence (être à la fois l'avocat de
Blanrue, de Faurisson et participer au meeting de soutien à la
librairie) ? Sans doute parce que, précisément à cause du climat
de terreur intellectuelle « antifasciste » qui règne en France,
les avocats prêts à défendre le principe de la liberté
d'expression ne se bousculent pas au portillon.
Et moi-même? J'ai lu le
livre de Blanrue et je l'ai trouvé salutaire. Bien que moins
complet, il est un peu le « Mearsheimer et Walt » français, en
ce sens qu'il met, pour la première fois, le doigt sur un
problème fondamental de nos sociétés, à savoir l'extraordinaire
influence sur notre
vie politique des réseaux pro-israéliens (ou du lobby
pro-israélien comme disent
Mearsheimer et Walt). Je le lui ai dit et je l'ai
autorisé à me citer sur son site. Je ne lui ai pas trouvé
d'éditeur, contrairement à ce qu'affirment nos spécialistes de
l'antifascisme (et du renseignement), même si j'aurais été
heureux de pouvoir le faire. Comme le dit Alain Gresh, le livre
de Blanrue « mérite débat »; mais le livre a été de facto
censuré en France, vu que le diffuseur français de son éditeur
belge a refusé de le distribuer (initiative extraordinaire de la
part d'un diffuseur, si on y réfléchit: qu'est-il advenu
du bon vieux capitalisme et de la « soif de profit »?). De plus,
bien que Blanrue soit un auteur relativement connu, aucun grand
média ne parle de son livre. La puissance des réseaux sionistes
est accrue par le tabou qui empêche de parler d'eux. Le terrorisme intellectuel
« antifasciste » ne fait que renforcer ce tabou. Le grand mérite
de Blanrue est de tenter de sortir de ce cercle vicieux qui,
comme il le souligne d'ailleurs , n'est pas, à terme, « bon pour
les juifs ».
Bref, j'apprécie le
livre de Blanrue et je le dis. Quelle relation entre cela et le
fait qu'il assiste au procès Dieudonné-Faurisson (ce qui, vu les
enjeux juridiques de cette affaire, est tout à fait
compréhensible) ou qu'il ait eu dans sa jeunesse des activités
« suspectes » (aux yeux de la police de la pensée) en Moselle?
Il a été chrétien? Je vais l'avouer: moi aussi (ainsi, il existe
encore des chrétiens en France et en Belgique; quelle horreur!
Que fait la police?). Il a été royaliste? Moi pas, mais en tant
que Belge, j'en ai rencontré beaucoup et je n'ai pas remarqué
qu'ils mangeaient des enfants au petit déjeuner. Et j'ai connu
assez de gens qui ont, dans leur jeunesse, fait une apologie
sans nuance de Staline, de Mao, ou de toute forme de violence,
pourvu qu'elle soit « révolutionnaire » (et dont certains se
sont recyclés dans l'antifascisme), pour que le genre
d'accusations portées contre Blanrue me laisse froid (est-il
vraiment si fréquent de trouver des gens en France dont le
parcours est, comme dit REFLEXes, « politiquement
limpide et irréprochable »?).
De plus, quand il
s'agit d'auteurs comme Heidegger, Céline ou Foucault (oui, oui,
même Foucault), il est permis de citer, d'étudier, d'admirer une
partie de leur oeuvre sans se soucier de ce qu'ils ont dit ou
fait par ailleurs, et qui est souvent plus étrange que ce que
l'on reproche à Blanrue. Pourquoi ne pourrait-on pas avoir la
même attitude par rapport au citoyen Blanrue? Existe-t-il un
principe de Polanski généralisé qui veut que pour des gens
suffisamment célèbres (Heidegger et co), on puisse parler de
leur oeuvre ou d'une partie de celle-ci sans parler de la
personne ou de l'ensemble de l'oeuvre, mais pour les moins
célèbres, non?
J'avoue également avoir
un petit problème avec la notion d'extrême droite en France.
Pour les « antifascistes », l'extrême droite, ce sont
exclusivement les gens qui sont supposés être nostalgiques de
Vichy, de la monarchie, de l'Algérie française, qui sont trop
souverainistes à leur goût, ou encore, pour certains, les
« islamo-fascistes ».
Mais pourquoi la censure
n'est-elle pas d'extrême droite? Pourquoi l'apologie de la
guerre (et la négation de crimes de guerre) à Gaza, au Liban, en
Afghanistan et en Irak ne l'est-elle pas? Pourquoi le fait de
considérer qu'un peuple a le droit de s'installer sur la terre
d'un autre et de l'en chasser à jamais (c'est-à-dire en lui
refusant tout droit au retour) n'est-il pas d'extrême droite?
Pourquoi n'est-il pas d'extrême droite de célébrer comme
démocratique (avilissant ainsi ce concept) un état défini
explicitement sur une base ethnique[5]?
Pourquoi la notion de culpabilité collective (appliquée au
peuple allemand, français etc.) n'est-elle pas de
« l'essentialisme raciste » et donc d'extrême droite? N'est-ce
pas encore plus le cas quand cette culpabilité devient
transmissible aux descendants?
Si l'on veut bien
élargir ainsi la notion d'extrême droite (ce qui me semble
justifié d'un point de vue conceptuel et historique), on se rend
compte que le gouvernement français, la plupart des médias et
des intellectuels, et bien sûr, une bonne partie de la « gauche
antifasciste » sont d'extrême droite, ce qui complique
considérablement la nécessaire « lutte contre l'extrême
droite ». Il ne suffit pas de ne pas « ouvrir son antenne » à
Soral ou à de Benoist, mais il faudrait la refuser à
pratiquement tout le monde. De plus, l'extrême droite la plus
dangereuse est-elle celle de la « nostalgie », ou celle qui
influence la politique et la pensée occidentale actuelles?
Finalement, il est
regrettable de voir que des articles comme celui de REFLEXes
sont repris par des associations pro-palestiniennes comme l'AFPS
(ou Bellaciao). Bien sûr, ils ont le droit de le faire,
là n'est pas la question. Mais le fait de diffuser certains
articles plutôt que d'autres est un choix politique, et ce choix
peut être discuté. Or ce choix signifie que la priorité, pour
ces organisations, n'est pas de défendre la liberté d'expression
mais bien de hurler avec les loups dans la dénonciation des
« méchants » (Dieudonné, Blanrue etc.).
Comment ne pas voir que
le discours sur l'holocauste est instrumentalisé pour soutenir
Israël et pour faire taire les critiques (la question n'étant
pas de « mettre en cause » l'holocauste, mais de se demander
pourquoi cet événement doit déterminer notre politique
étrangère)? Le temps où une majorité de gens aimaient
réellement Israël, « la seule démocratie au Moyen-Orient », « la
villa au milieu de la jungle » etc. est passé. Mais l'étape qui
reste à franchir, pour qu'une autre politique envers le
Moyen-Orient soit possible, est de libérer la parole et de faire
cesser l'intimidation et la culpabilisation à propos de tout ce
qui concerne Israël et le sionisme.
La « solidarité avec la
Palestine » commence ici, principalement dans la lutte
contre les réseaux pro-israéliens. Diffuser et faire connaître
le livre de Blanrue, ou celui de Mearsheimer et Walt, défendre
la liberté d'expression, aider à libérer le discours et à ouvrir
le débat, c'est réellement « aider la lutte des Palestiniens »,
et c'est l'aider de façon essentielle.
Nous ne devons pas
montrer aux sionistes que nous sommes « gentils », en nous
« démarquant » sans arrêt de X ou de Y qui a eu une parole trop
dure ou trop franche, mais montrer que nous sommes libres
et que le temps de l'intimidation est passé. Heureusement, de
même que les Palestiniens résistent, il existe encore des gens
en France qui défendent les principes les plus élémentaires de
la République et de la laïcité. Il ne reste plus qu'à souhaiter
que les « antifascistes » se joignent à eux.
[1]
Remarque sur la récente réglementation de la
censure prussienne, 1842,
Textes philosophiques, 1842-1847, Cahier Spartacus, no 33, 1970.
[2]
Au cours duquel (en décembre 2008) Dieudonné fit
remettre un « prix de l'infréquentabilité et de
l'insolence» à Robert Faurisson, par son assistant
déguisé en costume de déporté. Suite à cela, Dieudonné
est poursuivi, entre autres, pour insultes à caractère
raciste.
[3]
Il faut néanmoins rappeler que si la liberté
d'expression était respectée en France, il n'y aurait
jamais eu d'affaire Faurisson, ce dernier serait
probablement inconnu et il n'y aurait probablement pas
eu le show du Zénith. La censure incite toujours à la
transgression et il n'y a aucune raison de penser que
l'affaire du Zénith soit la dernière du genre, quelles
que soient les peines qui seront prononcées.
[5]
Par exemple, où faut-il situer sur le spectre
politique la citation suivante: « Si l’on regarde une carte du monde, en allant vers l’est : au-delà
des frontières de l’Europe, c’est-à-dire de la Grèce, le
monde démocratique s’arrête. On en trouve juste un petit
confetti avancé au Moyen-Orient : c’est l’État d’Israël.
Après, plus rien, jusqu’au Japon. [...] Entre Tel-Aviv
et Tokyo règnent des pouvoirs arbitraires dont la seule
manière de se maintenir est d’entretenir, chez des
populations illettrées à 80%, une haine farouche de
l’Occident, en tant qu’il est constitué de
démocraties. » Elle est de Philippe Val (dans
Charlie-Hebdo, 26 juillet 2006), ancien
directeur de Charlie-Hebdo et actuel directeur de
France Inter. Voir Le plan B, Frappes
médiatiques sur le Liban, 5 janvier 2009 (http://www.leplanb.org/spip.php?page=article&id_article=102); ce journal précise: « selon le Rapport des Nations unies sur le
développement humain de 2003, seuls trois pays au monde
avaient alors un taux d’illettrisme supérieur à 80%. Et
aucun d’entre eux n’était situé entre Tel-Aviv et Tokyo,
puisqu’il s’agissait du Burkina Faso, du Mali et du
Niger. Ailleurs, entre Tel-Aviv et Tokyo, le taux
d’illettrisme était de 23% en Iran, de 9% en Chine, de
7% aux Philippines. Et... de 13% au Liban. »
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