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IRIS
Lula au
Proche-Orient :
Un déplacement inattendu, accepté par les parties
Jean-Jacques Kourliandsky
Luiz Inacio Lula da Silva
Jeudi 18 mars 2010
Le chef de l’Etat brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva a
effectué une visite considérée par certains observateurs, comme
insolite et parfois incongrue, au Proche-Orient. Le contexte, en
effet, celui d’une reprise des affrontements
israélo-palestiniens, n’était pas des plus propices. Les
Etats-Unis acteur majeur ont signalé leur malaise de façon
publique. L’Union européenne, partie prenante du Quatuor, en
charge de la paix et du dialogue avec les Etats-Unis et la
Russie, s’apprête à dépêcher sa représentante extérieure.
Comment comprendre dans un tel contexte la visite d’un chef
d’Etat représentatif de la nouvelle gauche latino-américaine à
l’un des gouvernements israéliens les plus conservateurs et qui
venait d’annoncer la mise en chantier de 1600 logements en terre
palestinienne ? Le Brésil, qui plus est, n’a pas jusqu’ici
manifesté d’intérêt pour une région du monde dont il est
géographiquement, culturellement et politiquement éloigné. La
visite de Luiz Inacio Lula da Silva à Jérusalem et Ramallah est
en effet la deuxième jamais effectuée par un responsable de
l’Exécutif brésilien. Et la première, bien lointaine, avait été
réalisée par l’empereur Dom Pedro II de Bragance en 1876. Le
territoire visité, la Palestine alors arabe, était encore une
colonie de l’Empire ottoman.
Pourtant la visite, bien que peu couverte par les grands media
occidentaux, s’est passée de façon étonnamment sereine et
constructive. Le président brésilien s’est adressé aux députés
israéliens. Il a rencontré le premier ministre Benjamin
Netanyaou, ainsi que le président de la République, Shimon Péres
et Tzipi Livni, responsable du parti Kadima. Ces différents
entretiens ont été l’occasion de rappeler et confirmer les
moments saillants d’une amitié historiques. Reuben Rivlin,
président de la Knesset, s’est servi au cours de l’audition
solennelle de Lula, afin de maintenir symboliquement l’ordre des
débats, du marteau utilisé en novembre 1947 par le diplomate
brésilien, Osvaldo Aranha, qui présidait la séance de
l’Assemblée générale des Nations unies ayant approuvé la
création de l’Etat d’Israël. Le chef de l’Etat brésilien a
ensuite sacrifié avec emphase et conviction aux exercices
protocolaires exigés par un voyage en Israël, une visite du
musée de l’holocauste et la mise en terre d’un arbre de paix.
La reconnaissance de la réalité palestinienne par Lula, l’avait
conduit à se rendre en Cisjordanie sans visiter Israël en 2003.
Le Brésil condamne la politique de colonisation de la
Cisjordanie. Il l’a rappelé sans détour à Jérusalem. Lula a reçu
au Brésil Mahmoud Abbas, chef de l’Exécutif palestinien. Il l’a
revu le 16 mars 2010. Il a rencontré à Damas en 2004 son
homologue syrien. Et en 2005 le Brésil a Eté à l’origine de la
création d’une première rencontre entre pays de la Ligue arabe
et d’Amérique du sud. Ces rencontres ont été pérennisées. Le
Brésil a depuis élargi le champ de ses rapports au Moyen-Orient
à l’Iran. Iran et Brésil ont signé plusieurs accords de
coopération. Le Brésil a reçu Mahmoud Ahmadinejad. Lula est
attendu à Téhéran en mai prochain. Le premier magistrat
brésilien a rappelé aux autorités et à la presse israélienne que
le Brésil rejetait l’éventualité de sanctions aggravées à
l’égard de l’Iran. Il a ajouté que le Brésil entendait maintenir
la porte ouverte à un dialogue avec l’Iran et comprenait son
intention de se doter de capacités nucléaires civiles. Il y
avait là matière à suspendre une visite qui pouvait être
considérée inamicale par les autorités d’Israël.
Mais seul, Avigdor Lieberman, ministre des affaires étrangères,
a marqué une distance ostentatoire avec l’hôte de marque de son
pays. Lula ayant refusé de fleurir comme ses hôtes le lui ont
proposé hors du programme négocié au préalable par les
chancelleries, la tombe de Theodor Herzl, fondateur du sionisme,
Avigdor Lieberman a derechef pris la décision d’ignorer la
présence en Israël du président des Etats-Unis du Brésil. Il a
suspendu sa participation aux activités diplomatiques et
protocolaires organisées à l’occasion de cette visite
brésilienne. Des associations sionistes se sont bruyamment
exprimées, pour sanctionner une diplomatie brésilienne
curieusement condamnée, non comme unilatérale, mais comme
« tiers-mondiste » et datée. Mais on l’a vu le programme s’est
déroulé comme prévu. Le président brésilien a été reçu par les
plus hautes autorités de l’Etat. Sa suite composée de plusieurs
dizaines d’entrepreneurs a exploré les pistes de coopération
ouvertes par la prochaine entrée en vigueur du traité de
libre-échange Israël-Mercosur.
C’est que sans doute les bonnes relations entretenues par le
Brésil avec les Palestiniens, le monde arabe et même l’Iran,
constituent un atout dans un monde menacé par l’exclusion
mutuelle et l’unilatéralisme. Le gouvernement du président Lula
a démontré ces dernières années les vertus de l’oxymore
diplomatique. Il a aidé à tendre des ponts, entre Colombie et
Venezuela au sein de l’UNASUR. Il a facilité à Copenhague en
décembre 2009 un compromis minimal entre Etats-Unis et Chine. Le
Brésil a été à l’origine de nouvelles gouvernances au sein de
l’OMC. Toutes choses observées avec de plus en plus d’attention
à Jérusalem, à Ramallah, à Damas et Téhéran. Les bons rapports
avec les uns, Iraniens, Palestiniens et Syriens, n’ont pas
empêché une reconnaissance en bonne et due forme de la réalité
israélienne par le gouvernement Lula. Il a ainsi rappelé que le
Brésil avait en 1947 parrainé avec d’autres la naissance
d’Israël, et avait ultérieurement condamné toute assimilation du
sionisme au racisme. Ces rappels ont été accompagnée de paroles
symboliquement fortes. « La visite du Musée de l’holocauste »,
a-t-il dit, « devrait être obligatoire pour tous ceux qui
prétendent au gouvernement d’une nation ». « L’humanité »,
a-t-il ajouté, « devrait répéter chaque jour, jamais plus,
jamais plus ». La visite s’est inscrite dans une continuité de
contacts avec les autorités israéliennes. De façon
exceptionnelle, Avigdor Lieberman, ministre des affaires
étrangères, avait eu droit à un entretien avec le président
brésilien en 2009. Shimon Pérès avait également été reçu à
Brasilia en 2009. La visite officielle effectuée par Lula, la
première jamais effectuée par un chef d’Etat brésilien en
Israël, les 15 et 16 mars 2010, avait donc valeur de
confirmation, geste manifestement apprécié par le président et
le premier ministre d’Israël, à un moment où leur pays montré du
doigt pas ses amis traditionnels, est dans une impasse
diplomatique. Cette reconnaissance morale et diplomatique
quelque part équilibre d’autres prises de position, à l’égard
des Palestiniens, et de l’Iran, et d’autres contacts avec leurs
dirigeants. Cette politique des deux fers au feu est d’autant
mieux comprise et acceptée que le Brésil n’a jamais accompagné
ses options extérieures de gesticulations militaires. Détenteur
de la technologie nucléaire militaire, il y a renoncé
unilatéralement en signant les traités de Tlatelolco et le TNP.
Les déclarations brésiliennes en faveur de la paix, du dialogue
avec l’Iran, comme entre Israéliens et Palestiniens, en sont
d’autant mieux écoutées.
Il est encore trop tôt pour tirer les éventuelles leçons de ce
déplacement en partie triple, Israël et Palestine aujourd’hui et
Iran dans quelques semaines. Quelques remarques malgré tout
peuvent être faites au vu des réactions. Les puissances établies
ont manifesté leurs doutes et leurs réserves. La Secrétaire
d’Etat Hillary Clinton est allée à Brasilia peu avant le départ
de Lula pour lui signaler la préoccupation du président Obama.
Bruxelles a décidé d’envoyer sa représentante extérieure à
Jérusalem et Ramallah. Et les premiers intéressés dira-t-on ?
Qu’en pensent-ils ? Yitzhak Eldan, chef du protocole du
ministère israélien des affaires étrangères, a fait la
déclaration suivante : « Nous apprécions la visite au musée de
l’Holocauste, bien que rien ne puisse remplacer l’hommage à
Theodor Herzl. Mais il y a eu beaucoup d’éléments positifs,
beaucoup de ponts vont être bâtis grâce à ce voyage. Le
président et le premier ministre israéliens ont suggéré à Lula
d’inviter au Brésil Bachar El-Assad afin de relancer le
processus de paix. Salam Fayad, premier ministre palestinien, a
de son côté indiqué que « le Brésil bénéficiant de prestige
universel » est appelé à jouer un rôle de médiation ».
« L’ampliation de ce processus refléterait », a-t-il ajouté,
« un nouvel ordre mondial dans lequel le poids du Brésil ne peut
être ignoré ». Le rabbin Israël Lau, président du mémorial de
l’Holocauste, a publiquement interpellé Lula, lui demandant de
favoriser une rencontre « n’importe où, et peu importe quand »
entre chefs d’Etat israélien et iranien ». Le quotidien
« Haaretz », en a tiré une leçon souvent ignorée des medias
européens et nord-américains. « Lula n’est pas un idéologue,
mais un négociateur ».
La morale de l’histoire reste à écrire. Toutefois en haut de la
page pourrait figurer cette remarque du chef de l’Etat
brésilien, méritant d’être lue à Washington, comme à Paris,
Londres et Moscou : « Les parties prenantes au conflit et les
gens impliqués dans le processus sont depuis longtemps
désabusés. Il est temps d’introduire dans le jeu de nouveaux
acteurs (..) capables d’avancer de nouvelles idées. Ces acteurs
doivent avoir accès à tous les niveaux du conflit : en Israël,
en Palestine, en Iran, en Syrie, en Jordanie et en bien d’autres
pays ».
Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS
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Publié le 19 mars 2010 avec l'aimable autorisation de l'IRIS.
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