Opinion
La France en
récession :
surprise ou évolution logique ?
Jacques
Sapir
© Jacques
Sapir
Vendredi 17 avril
2013 Source :
RIA Novosti
"Promenades
d'un économiste solitaire" par Jacques
Sapir
L’INSEE vient de reconnaître que la
France est en récession. Le temps n’est
plus ou les représentants du
gouvernement nous chantaient sur tous
les tons, et parfois avec toute
l’assurance de ces polytechniciens qui
ne connaissent rien à la réalité, que la
croissance en 2013 serait de +0,8%.
C’était à l’automne dernier, mais qui
s’en souvient encore ? La nouvelle est
en train de déclencher une polémique,
tout à fait inutile par ailleurs, sur la
« responsabilité » de la politique de
François Hollande. Ce dernier n’a fait,
en réalité, que continuer la politique
de son prédécesseur. Le graphique
ci-dessous indique bien que le mouvement
a commencé en 2011 (et donc sous la
présidence Sarkozy) mais qu’il s’est
accentué avec François Hollande. À cela,
pas de mystère. Ce dernier applique la
même politique d’austérité que celle de
son prédécesseur à l’Elysée.
Graphique
1 - © Photo Source: INSEE
Les données de l’INSEE sont très
claires à cet égard. La consommation est
stagnante ou décroît depuis plusieurs
trimestres et, naturellement, la
production suit le mouvement.
Il y a un point cependant qui
apparaît comme plus inquiétant encore
que la récession qui se manifeste à
travers les données du PIB : c’est la
chute de l’investissement et de la
demande. En fait les deux mouvements
sont profondément liés. Une entreprise
n’investira que si elle a des
perspectives de profit (sauf si elle
fait de la philanthropie, ce qui est
rarement le cas). Quand la demande se
contracte, les occasions de faire du
profit diminuent. Or la demande, après
avoir récupérée de la crise de 2008, se
contracte depuis plusieurs mois et ce
quelle que soit la manière dont on la
calcule.
Graphique 2 - © Photo Source: INSEE
Bien entendu, on pourrait imaginer
que la contraction de la demande
intérieure en France pourrait être
compensée par une forte demande
extérieure. Mais ceci soulève alors deux
problèmes. D’une part, les principales
économies de la Zone Euro (sauf
l’Allemagne) sont elles-mêmes en
récession, et la demande y décroît même
plus vite qu’en France. D’autre part,
pour pouvoir gagner sur l’extérieur un
espace de profit, il faut être
compétitif. Hors, depuis 2003, la
compétitivité française s’est
détériorée, et l’Euro n’est pas pour
rien dans ce processus.
Graphique
3 - © Photo Source: INSEE
On voit par ailleurs que ce n’est pas
la réforme des 35h qui a dégradé la
compétitivité, mais bien la mise en
œuvre des politiques allemandes de
transfert du poids des charges des
entreprises vers les ménages, politiques
qui sont l’équivalent d’une dévaluation
masquée et qui sont la démonstration que
le gouvernement allemand a mené une
politique d’exploitation de ses voisins.
Le fait que l’excédent commercial de
l’Allemagne soit passé de 66% à 72% pour
sa part réalisé DANS la zone Euro en est
une autre preuve.
On constate la dégradation de la
balance commerciale à partir du début de
2004, le déficit commercial atteignant
son maximum au 1er trimestre 2011. Par
la suite, la réduction de la demande
intérieure a limité l'ampleur de ce
déficit, mais ce fut au détriment du
taux de croissance qui, dès la fin de
2011 a commencé a stagner. En réalité,
la demande intérieure des ménages reste
le déterminant principal de la
croissance, ce que montre le graphique
suivant.
Graphique
4 - © Photo Source: INSEE
On peut aussi constater d'ailleurs
que la demande n'explique qu'une partie
de la croissance. C'est tout à fait
normal et il faut se tourner, pour le
reste, vers l'investissement productif
soit celui des entreprises
non-financières et des ménages. On
remarque alors que, hormis la période de
la crise (2ème trimestre 2008-fin 2009
et depuis le 2ème trimestre 2012) la
relation entre l’investissement et le
PIB est elle-même assez stable.
Cependant, l'investissement productif
lui aussi décroît, comme nous l'avons
remarqué au début de cette note. Ce qui
est plus grave est que toutes ses
composantes sont affectées d'un même
mouvement, qu'il s'agisse des
entreprises (non-financières) ou des
ménages, et ceci en dépit de taux
d'intérêt très bas. Les entreprises, en
particulier celles de petite taille,
réduisent leurs investissements afin de
conserver de la liquidité. De ce point
de vue, on ne peut que constater
l’existence d’un cercle vicieux entre
l’activité et l’investissement. La
stagnation de la demande décourage
l’investissement, ce qui contribue à
dégrader un peu plus le niveau général
de la demande.
La demande des ménages, elle, est
ponctionnée tant par l’impôt que par les
entreprises qui veulent reconstituer
leur taux de marge. Dans ces conditions,
et compte tenue de la politique fiscale
et budgétaire du gouvernement qui ajoute
aux tendances récessives, il y a peu de
chances que le mouvement s’inverse.
Ajoutons à cela l’impact du
ralentissement de la croissance en Chine
et aux États-Unis, et l’on verra qu’il
n’y a rien à attendre de positif pour la
seconde moitié de 2013 et même pour
2014. De ce point de vue, l’entrée de la
France en récession n’est pas une
nouvelle surprenante. C’est la
conséquence logique des évolutions de
ces derniers trimestres.
La solution qui s’impose, devant le
blocage institutionnel en Allemagne sur
la question de la hausse des salaires,
ne peut être qu’une dissolution de la
zone Euro et une dévaluation compensant
les effets de la politique allemande du
début des années 2000. C’est la voie de
la raison et de la sagesse. Il ne faut
plus tarder à cet égard.
*Jacques Sapir est un économiste
français, il enseigne à l'EHESS-Paris et
au Collège d'économie de Moscou
(MSE-MGU). Spécialiste des problèmes de
la transition en Russie, il est aussi un
expert reconnu des problèmes financiers
et commerciaux internationaux. Il est
l'auteur de nombreux livres dont le plus
récent est La Démondialisation (Paris,
Le Seuil, 2011).
©
RIA Novosti
Publié le 18 mai 2013
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