Promenades d'un économiste solitaire
Zone euro : le «
mieux de la mort » ?
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Mardi 17 janvier
2012
La zone euro semblait connaître un
moment de répit en cette première moitié
de janvier 2012. Les taux d’intérêts qui
étaient encore très élevés à la fin du
mois de décembre avaient baissé, en
particulier sur l’Italie en l’Espagne.
L’Espagne avait pu emprunter le jeudi 12
pour le double des sommes espérées,
tandis que l’Italie, le vendredi 13
avait placé des obligations à 2 ans à
moins de 5%, taux inconnu, et pour tout
dire inespéré après les catastrophiques
émissions du début de décembre. Mais, à
la mi-journée en ce vendredi 13 (tiens,
tiens, aurions des raisons d’être
superstitieux… ?), tombait l’annonce de
la dégradation de la note de la France
et de l’Autriche. Ainsi, la France avait
fini par perdre le AAA qui symbolisait
la politique financière menée par le
Président Sarkozy.
L’explication de l’amélioration
conjoncturelle de la situation, qui
ressemble fort à ce que les Romains
appelaient dans l’antiquité le « mieux
de la mort », est simple. C’est
l’injection importante de liquidité
réalisée par la Banque Centrale
Européenne à la fin du mois de décembre
2012 qui a permis cette détente des taux
d’intérêts. En élargissant les
contreparties que les banques
commerciales sont autorisées à lui
apporter et en étendant ses lignes de
crédit, elle a apporté à ces banques
plus de 450 milliards d’Euros. Les
effets se sont fait sentir sur les
marchés obligataires, du moins à court
terme. Ceci explique pourquoi les
émissions de bons du Trésor tant
Italiennes qu’Espagnoles ont été des
succès. Mais les problèmes de fond ne
sont toujours pas réglés.
Les banques commerciales européennes,
en effet, se précipitent immédiatement
pour déposer les titres qu’elles ont
achetés auprès de la Banque Centrale
Européenne. Ce mécanisme dit de « prise
en pension », leur permet de se
refinancer à des taux très faibles. Il
signifie qu’il n’y a toujours pas de
marché interbancaire en Europe, un
problème récurrent depuis la fin du mois
d’octobre. La BCE a pu soulager
temporairement les banques, elle n’a
nullement réglé le problème.
Aujourd’hui le montant total de ces «
prises en pension » est d’ailleurs
impressionnant : 489 milliards d’euros,
auxquels il convient d’ajouter les plus
de 200 milliards d’euros de dettes
souveraines des pays « à risque » qui
ont été rachetés aux banques par la BCE.
Par ailleurs, la situation reste très
préoccupante dans plusieurs pays. Ainsi,
en Espagne se débat-elle toujours dans
une crise très grave des finances
locales. La montée des impayés publics
se poursuit et, aujourd’hui, les régions
ne trouvent plus de préteurs si ce n’est
à des taux usuraires : la Catalogne a
été obligée d’emprunter à plus de 9%.
Cette montée des impayés a d’ores et
déjà des conséquences graves dans le
secteur privé, où les impayés se
manifestent à leur tour. C’est un
processus que l’on a connu en Russie de
1995 à 1998. Chaque vague d’impayés
publics engendrent une vague encore plus
grande d’impayés privés, qui à leur tour
provoquent des impayés fiscaux, qui vont
à leur tour provoquer de nouveaux
impayés publics.
Une mauvaise nouvelle ne venant
jamais seule, on apprenait, pratiquement
simultanément, que les négociations pour
le restructuration de la dette grecque
était suspendue et que, de toute
évidence, les pays de la zone Euro
devrait encore contribuer à hauteurs de
plusieurs dizaines de milliards à un
nouveau plan de sauvetage de la Grèce.
Enfin, en Italie, les rumeurs se
multiplient quant à un retour de M.
Berlusconi, dont le nom seul fait
désormais l’effet d’un chiffon rouge
agité sous l’œil des banquiers.
Cette incapacité des pays européens à
trouver des solutions viables n’est pas
une nouveauté. La gestion de la crise,
depuis l’automne 2009, a été en effet
marquée par des solutions partielles et
temporaires, des bricolages ad-hoc et
des effets d’annonce de dégonflant
rapidement. Avec une constance digne
d’une meilleure cause on a toujours
refusé de prendre au sérieux cette crise
et de lui apporter les solutions qui
s’imposent, soit une avancée vers le
fédéralisme européen soit une
dissolution ordonnée de la zone euro.
Mais, tout se paye.
Les pays de la zone euro sont
désormais confrontés à l’heure de
vérité. Connaissant les (mauvais)
réflexes des politiciens, on doit
s’attendre à ce qu’ils repoussent encore
les décisions, dans l’espoir de gagner
quelques mois, voire quelques semaines.
Le fait que nous soyons en année
électorale en France, et que certains
des candidats – Marine Le Pen et Nicolas
Dupont-Aignan pour ne pas les nommer –
font campagne sur le thème de la sortie
de l’euro, va certainement contribuer
largement à ce processus.
Comme Anne Boleyn sur l’échafaud,
nous pouvons presque les entendre dire «
encore une minute, monsieur le bourreau
». Mais les marchés financiers
pourraient se révéler autrement plus
intraitables qu’un bourreau humain.
Il n’est pas sur qu’ils laissent au
gouvernement français puisse aller à
l’élection Présidentielle de mi-avril
sans qu’une catastrophe ne se produise
d’ici là.
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas
forcément avec la position de la
rédaction.
Jacques Sapir est un
économiste français, il enseigne à
l'EHESS-Paris et à l'École d'économie de
Moscou (MSE-MGU). Spécialiste des
problèmes de la transition en Russie, il
est aussi un expert reconnu des
problèmes financiers et commerciaux
internationaux.
Il est l'auteur de nombreux livres dont
le plus récent est La Démondialisation
(Paris, Le Seuil, 2011).
© 2011
RIA Novosti
Publié le 19 janvier 2012
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