Opinion
Florange : une
occasion manquée de collaboration
entre la France et la Russie
Jacques
Sapir
© Jacques
Sapir
Samedi 15 décembre
2012 Source :
RIA Novosti
"Promenades d'un économiste
solitaire" par Jacques Sapir
Alors qu’il est beaucoup question
d’accords économique entre la France et
la Russie, les derniers événements à
Florange laissent planer un doute sur le
sérieux avec lequel le gouvernement
français traite ces questions.
Florange restera, et avec raison,
dans les mémoires comme l’un des plus
grands échecs du début de quinquennat de
François Hollande. Les ouvriers se sont
sentis trahis et abandonnés. Mais cela a
été aussi un mauvais coup porté à la
collaboration économique Franco-Russe.
Les négociations entre le
gouvernement français et MITTAL au sujet
du site de Florange ont accouché de l’un
des plus mauvais accords que l’on puisse
imaginer. Il revient à faire confiance
au groupe MITTAL pour investir sur une
période de 5 ans 180 millions d’Euros
(mais dont 127 millions étaient déjà
programmés), alors que ce groupe n’a pas
exactement bonne réputation sur ce
point. La manière dont le groupe MITTAL
s’est brutalement désengagé du projet à
hautes technologies européen ULCOS, qui
devait être mis en œuvre à Florange,
prouve que ce groupe n’a nullement
l’intention d’investir dans le long
terme.
Par ailleurs, si MITTAL s’engage à
reclasser les salariés de la « partie
chaude » du site de Florange le
gouvernement français a très peu obtenu
de MITTAL(1), qui va pouvoir continuer
de se désengager de son activité de
production d’acier pour se désendetter
et continuer de se tourner soit vers
l’amont (les mines) soit vers l’aval
(l’utilisation des métaux).
Il y a avait pourtant une autre
solution, représentée par un groupe de
repreneurs potentiels de l’ensemble du
site, parmi lesquels on comptait le
groupe belge Cockerill Maintenance et le
groupe russe SEVERSTAL. Une fois encore,
un gouvernement français a fait un choix
purement financier, au détriment de ceux
représentant une logique industrielle.
Rappelons qu’en 2006, SEVERSTAL avait
cherché à reprendre ARCELOR, pour se
voir devancer par MITTAL.
Les méthodes de MITTAL sont, hélas,
bien connues. Lors de la privatisation
de la sidérurgie Sud Africaine, MITTAL,
qui avait racheté environ 80% des
capacités de production, n’a pas investi
mais a augmenté les prix des produits
laminés de 30%, tuant ainsi l’industrie
automobile locale(2), et compromettant
dans une large mesure la stratégie de
développement adoptée par le nouveau
pouvoir de Pretoria(3). Ceci a provoqué
l’élaboration de règles de plus en plus
stricts encadrant la production d’acier.
Dans les faits, le gouvernement de la
République d’Afrique du Sud a cherché à
se dégager de l’emprise de MITTAL (4).
Cet exemple montre bien que, pour
MITTAL, seule prime la logique
financière de court terme. Le groupe,
aujourd’hui très lourdement endetté
(plus de 23 milliards de dollars), n’a
pas de stratégie dans la sidérurgie.
Mais il en a une quant au développement
de ses profits, ou plus précisément des
dividendes de ses actionnaires, dont la
famille Mittal à hauteur de 40%. On
conçoit que ce précédent n’incite guère
à l’optimisme quant à la pérennité du
site de Florange.
Une stratégie de développement des
activités « chaudes » (les
hauts-fourneaux) était et est
parfaitement possible. On sait depuis
des dizaines d’années que la production
de fonte et d’acier dégage des gaz à
hautes températures, qui n’étaient
jusqu’à présent que source de pollution.
Or, depuis environ dix ans se sont
développées des activités permettant la
réutilisation de ces gaz, soit pour
produire de l’énergie, soit pour
développer des productions chimiques à
haute valeur ajoutée.
Le haut-fourneau ne doit plus être
envisagé comme une entité unique mais
comme la pièce centrale d’un ensemble
d’activités liées, on peut ici parler de
« cluster », dont la somme dégage des
profits importants, ce qui contribue à
faire baisser fortement le coût de
l’acier produit. Contrairement à une
idée reçue, la sidérurgie n’est pas une
activité du passé, mais une activité
d’avenir entraînant dans son sillage des
activités connexes à haute technologie.
Mais, ceci implique des investissements
importants, et une association étroites
entre la société productrice d’acier et
des sociétés chargées de ces activités
connexes.
Les salariés de Florange se retrouvent
ainsi piégés par la politique des divers
gouvernements français qui ont empêché
la mise en place d’une stratégie
industrielle véritable sur le site comme
en 2006, quand ARCELOR a fait le choix
de MITTAL comme repreneur contre le
groupe russe SEVERSTAL. Or, il existait
à l’époque d’importants accords entre
ARCELLOR et SEVERSTAL qui étaient
complémentaires sur leurs différentes
activités.
Mais, MITTAL a été en mesure de
proposer plus d’argent aux actionnaires
privés d’ARCELOR, emportant le morceau.
Une occasion unique de mettre en place
une réelle logique de développement
industriel a été perdue à l’époque.
Aujourd’hui, en favorisant un compromis
boiteux avec MITTAL et en refusant de
prendre ses responsabilités, le
gouvernement français rend à nouveau
impossible l’émergence d’une réelle
stratégie industrielle.
Une telle stratégie, qui aurait pu se
développer en collaboration avec la
Russie, aurait été l’occasion de
développer ces activités à haute
technologie que l’on a mentionnées
ci-dessus. On aurait été dans une
logique « gagnant-gagant », avec un
maintien et même un développement de
l’emploi en France et l’acquisition par
SEVERSTAL de la maîtrise de ces
technologies de pointe pour pouvoir les
réinvestir en Russie.
On connaît l’importance que les
autorités russes accordent à une
modernisation et une diversification de
l’industrie. Avec le développement des
activités connexes à la partie chaude du
site, c’était tout une filière que l’on
pouvait créer. Le gouvernement français,
en choisissant la solution proposée par
MITTAL n’a pas seulement capitulé en
rase campagne devant un financier. Il a
aussi fermé la porte à une collaboration
fructueuse avec la Russie.
C’est une décision lourde de
conséquences, tant en France, qu’en
Russie et pour les relations
Franco-Russes.
(1)
« Florange : "Le
Monde" publie le contenu de l'accord
secret conclu entre le gouvernement et
ArcelorMittal »
(2) Fine B. and R.
Rustormjee, The Political Economy of
South Africa – From Mineral-Energy
Complex to Industrialization, London,
Hurst & Company, 1996.
(3) Department of
Trade and Industry (DTI), Accelerating
Growth and Development – The
Contribution of an Integrated
Manufacturing Strategy, Pretoria, 2002
(4) Roberts S. et N.
Zalk, “Addressing market power in a
small, isolated, resource-based economy:
the case of steel in South Africa”,
Centre on Regulation and Competition,
3rd International Conference, 7- 9
Septembre 2004. Nimrod Zalk était
directeur du Strategic Competitiveness
Unit dans le Department of Trade and
Industry (DTI), Pretoria.
Jacques Sapir est un
économiste français, il enseigne à
l'EHESS-Paris et au Collège d'économie
de Moscou (MSE-MGU). Spécialiste des
problèmes de la transition en Russie, il
est aussi un expert reconnu des
problèmes financiers et commerciaux
internationaux.
Il est l'auteur de nombreux livres
dont le plus récent est La
Démondialisation (Paris, Le Seuil,
2011).
©
RIA Novosti
Publié le 15 décembre 2012
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