Tribune
Nicolas Sarkozy et
l'Euro:
chronique d'un aveuglement
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Samedi 13 juillet 2013
Source :
RIA Novosti
"Promenades
d'un économiste solitaire" par Jacques
Sapir
Nous vivons actuellement une période
de grande confusion intellectuelle. Le
discours tenu par Nicolas Sarkozy lors
de la réunion de l’UMP, le parti du
centre-droit français, le prouve.
Qu’a dit l’ancien Président ? Tout
simplement que la mort de l’Euro c’est
la mort de l’Europe, et la mort de
l’Europe, c’est bien connu, c’est la
guerre. À ce tableau apocalyptique ne
manquent plus que les pluies de sang, la
Peste et le Cholera ! Les propos de
Nicolas Sarkozy manquent complètement de
sérieux et ils le discréditent. Ce sont
des propos de fin de banquet, indignes
d’un ancien responsable politique de son
niveau.
Le nombre d’économistes qui ont pris
conscience, non seulement des dangers de
l’Euro mais surtout de l’inéluctabilité
de sa mort, ne cesse d’augmenter ces
derniers mois. On l’a vu récemment avec
l’ancien chef des études économiques de
la CNUCED, Heiner Flassbeck, ou avec le
livre de l’économiste portugais João
Ferreira do Amaral Porque devemos
sair do Euro (Pourquoi nous devons
quitter l’euro), et ceci sans compter
les prix « Nobel » comme Paul Krugman et
Dani Rodrick dont la critique de la
monnaie unique est dévastatrice.
Pourtant, le personnel politique
français se distingue de droite à
gauche, à l’UMP tout comme au PS, par sa
frilosité et son inconscience sur cette
question. Ce n’est visiblement pas le
cas en Allemagne où Oskar Lafontaine,
ancien Président du SPD et co-fondateur
du parti de gauche Die Linke,
mais aussi des hommes politiques du
centre-droit ont pris nettement position
pour une fin rapide de l’Euro.
Avec de nombreux économistes, dont
certains appartiennent au monde
l’entreprise comme d’autres au monde
universitaire comme on a, dans un texte
commun (1), mis en garde les
gouvernements européens sur les dangers
que l’Euro fait courir à l’Union
européenne. Aujourd’hui, en effet, le
plus grand danger pour la construction
européenne provient de l’Euro qui épuise
les économies et condamne les dirigeants
à des politiques à courtes vues aux
conséquences suicidaires. Si l’Europe
est aujourd’hui menacée c’est par les
19,3 millions de chômeurs qu’il y a dans
la zone Euro, un chiffre qui s’est accru
par rapport à mai 2012 de 1,46 millions.
Si l’Europe est effectivement menacée
c’est par la récession qui touche les
pays de l’Europe du Sud et qui est
provoquée par les politiques mises en
œuvre dans le seul but de sauver l’Euro.
Tout le monde comprend que la fin de
la monnaie unique ne signifiera pas la
fin de l’Union Européenne. L’Euro n’est
pas le drapeau de l’Europe ; ce n’est
qu’un instrument, et il est temps de
reconnaître qu’il a fait faillite. En
fait, cette faillite date même d’avant
la crise de 2007. Déjà, la croissance
était plus faible dans la zone Euro que
dans les pays de l’UE qui ne sont pas
membres de l’Euro, et elle était encore
plus faible par rapport aux pays de
l’OCDE qui n’étaient pas membres de la
zone Euro.
C’est d’ailleurs injurier gravement
les pays de l’UE qui ne sont pas membres
de la zone Euro, comme la
Grande-Bretagne, le Danemark, la
Pologne, ou la Suède, pour ne citer que
ces derniers, que d’affirmer que la mort
de l’Euro entraînera la fin de l’UE.
La question n’est donc pas de savoir
si cette explosion va se
produire mais quand aura-t-elle
lieu. Peut-être la crise viendra-t-elle
de la Grèce et du Portugal qui sont
aujourd’hui étranglés par les politiques
d’austérité mises en place conjointement
par l’Union européenne et la Banque
Centrale Européenne. Peut-être cette
crise sera provoquée par l’Espagne, qui
coule sous nos yeux ou par l’Italie qui
s’enfonce toujours plus dans la crise.
Peut-être enfin cette crise viendra d’un
blocage de l’Allemagne, et l’on sait que
le tribunal constitutionnel de Karlsruhe
doit se prononcer sur la légalité des
dernières opérations de la BCE et
pourrait bien les considérer illégales
car entrant en concurrence avec d’autres
mesures prises dans le cadre du
Mécanisme Européen de Solidarité ou MES.
Mais, quel que soit le scénario, cette
crise surviendra. Les autorités
monétaires ont épuisé leurs moyens
d’action.
Quand la crise surviendra, ce serait
folie que de s’accrocher à l’Euro, ce
dont rêvent encore des politiciens
français comme Pierre Moscovici (le
Ministre des Finances) ou Harlem Desir,
le calamiteux responsable du Parti
Socialiste. Il faudra ou constater ou
prononcer la dissolution de l’Union
Monétaire. Mais à cela, pour l’instant,
nul n’est prêt. Et c’est bien cette
incapacité de regarder la réalité en
face, à gauche comme à droite, qui pose
aujourd’hui un redoutable problème.
Remarquons ici que si cette dissolution
était prononcée par un conseil européen,
elle resterait une décision européenne
et conforterait, en un sens, les autres
institutions de l’Union européenne.
C’est l’UE qui se déciderait à mettre
fin à une expérience malheureuse.
Politiquement, cela a une grande
importance.
Économiquement, il faudra
naturellement mettre en place
immédiatement dans chaque pays un
contrôle des capitaux sur le modèle de
celui qui a été mis en place à Chypre
pour éviter la spéculation. Ensuite,
dans chaque pays on convertira les
comptes bancaires (compte courant et
comptes d’épargne) en monnaie nationale
au taux de 1 pour 1. Cette opération se
fera sans douleur pour la population
dont l’épargne mais aussi les dettes
seront ainsi transformées de l’Euro en
monnaie nationale. Puis on procèdera à
des dévaluations de fait, dont le
montant peut être calculé sans grandes
difficultés (-25% pour la France, -30%
pour l’Italie…). Les dettes seront re-libellées
automatiquement en monnaies nationales
pour ce qui concerne les bons du Trésor
qui ont été émis nationalement. Telle
est la règle du droit international qui
s’appliquera alors. Il faut savoir que,
pour la France, cela porte sur 85% du
montant de la dette, qui sera ainsi
automatiquement re-libellé en Francs.
Bien entendu les produits importés des
pays ayant réévalué par rapport à nous
augmenteraient tandis que nos
exportations verraient leurs prix
baisser. Pour le litre de super, et
compte tenu de l’importance des taxes
dans le prix final, cela représenterait
une hausse de 7,5%. Par contre, le prix
en Dollar d’un Airbus baisserait de 5% à
7% ... (2)
La croissance reviendrait très vite
dans la totalité des pays d’Europe du
Sud. Des calculs montrent que l’on
pourrait avoir une croissance totale de
15% à 22% dans les quatre années suivant
la dissolution de l’Euro pour la France.
Cette croissance serait aussi très forte
en Espagne, en Italie et surtout en
Grèce qui pourrait avoir dans les deux
premières années après la dissolution de
l’Euro un gain de 18% à 25%.
(1)The European Solidarity
Manifesto.
(2) Et ceci en incluant le fait
qu’environ 40% du prix final de l’avion
est issu de composants fabriqués hors de
la zone Euro…
*Jacques Sapir est un économiste
français, il enseigne à l'EHESS-Paris et
au Collège d'économie de Moscou
(MSE-MGU). Spécialiste des problèmes de
la transition en Russie, il est aussi un
expert reconnu des problèmes financiers
et commerciaux internationaux. Il est
l'auteur de nombreux livres dont le plus
récent est La Démondialisation (Paris,
Le Seuil, 2011).
©
RIA Novosti
Publié le 15 juillet 2013
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