Opinion
Bachar al-Assad
aurait pu devenir le Salaheddine de
notre ère
Jacob Cohen
© Jacob
Cohen
Vendredi 30 août 2013
Le président syrien avait une
opportunité historique de s’élever
au-dessus de sa condition et de
rendre à la Nation arabe sa fierté,
sa dignité et son indépendance. En
lançant ses forces contre l’ennemi
sioniste que l’Empire avait installé
là pour semer la zizanie entre les
Arabes, les affaiblir, les endormir,
et pour finir les soumettre.
Mais pour ce faire, il eût fallu
avoir l’étoffe d’un héros,
c’est-à-dire être habité par un
idéal, donner tout pour le réaliser,
et ne s’embarrasser d’aucune
contingence d’ordre matériel ou
moral.
Ce court portrait ne correspond
malheureusement pas à Bachar Al-Assad
ni à aucun dirigeant arabe actuel.
Les rares qui ont tenté de s’y
identifier dans les années 50 et 60
ont été balayés sans ménagement.
À quoi ressemble aujourd’hui une
direction arabe ? Cette définition
vaut pour tous les États arabes quel
que soit leur régime politique.
C’est une caste de plusieurs
milliers de personnes – j’aurais
préféré le terme de « nomenklatura »
par lequel on désignait ce groupe de
responsables dans les anciens pays
communistes – incluant le personnel
politique, les haut gradés
militaires et sécuritaires, les
hommes d’affaires, la hiérarchie
judiciaire, l’élite intellectuelle
et médiatique, les dignitaires
religieux, les hauts fonctionnaires,
les responsables universitaires, et
les parasites qui gravitent autour.
Fatalement, l’Autorité palestinienne
s’est aussi développée sur ce
schéma. Sa caste vit bien et dispose
de permis spéciaux pour voyager et
contourner les check-points. En
contrepartie elle « négocie » en se
faisant plumer. Et ses forces de
sécurité, formés par la CIA,
protègent les colonies et arrêtent
les résistants à l’occupation.
Toutes ces nomenklaturas se savent
illégitimes. Aucune direction arabe
n’a reçu l’onction démocratique.
Elles n’ont que mépris pour leur
peuple. Leur raison d’être se ramène
finalement à profiter au maximum des
privilèges de leur condition et à
perpétuer cet état de fait. Leurs
discours ont depuis longtemps perdu
toute crédibilité, toute adéquation
avec le réel. Mais qu’importe ? En
uniforme militaire ou en costume
cravate, en djellaba royale ou en
tenue folklorique, les dirigeants
arabes ont mis leur survie au-dessus
de tout. Quitte à accepter le
rapport de force imposé par l’Empire
et ses prolongements humiliants.
Pourquoi 22 pays arabes ont accepté
de renoncer à la maîtrise de la
filière nucléaire après la
destruction de la centrale irakienne
– totalement pacifique – par
l’aviation sioniste ? Pourquoi aucun
pays arabe n’a ouvert une ambassade
à Ramallah alors qu’il en a le
privilège et forçant l’occupant à
moins violer la Convention de
Genève ? Pourquoi les fonds arabes
ne se déversent pas sur Al-Qods pour
empêcher sa judaïsation ? Pourquoi
ne pas constituer une flotte arabe
pour forcer le blocus de Gaza alors
que la Turquie l’a tenté ?
Parce que l’Empire a tracé des
lignes rouges à ne pas franchir.
« Vous pouvez gueuler, c’est
autorisé, mais pas d’actions
concrètes ! » leur disent Obama et
Netanyahou. Et les nomenklaturas
obéissent. Tout simplement parce
qu’elles craignent pour leurs
privilèges. Les fonds qu’elles ont
détournés et les biens immobiliers
qu’elles ont acquis, se trouvent en
Occident. Elles pourraient en être
dépossédées en un tournemain, pour
« biens mal acquis ». Leurs
dirigeants pourraient être interdits
de voyages et même être traduits
devant la CPI (un organe aux mains
de l’Amérique) pour quelque crime
réel ou imaginaire.
Ce n’est pas un hasard si les 2
seuls pays qui ont osé braver ces
interdits en annonçant un changement
de politique à l’égard d’Israël
étaient l’Egypte et la Tunisie, dont
les gouvernements démocratiquement
élus pouvaient s’appuyer sur le
consensus et les aspirations de
leurs peuples. On sait ce qu’il en
est advenu de la 1ère.
Quant à la seconde, elle ne perd
rien pour attendre.
Et la Syrie n’a pas fonctionné
différemment, malgré son
positionnement politique
particulier. Seule la laisse qui la
tient est un peu plus longue que
celle qui tient les autres pays
arabes. 1ère
illustration : Israël voulait une
tranquillité absolue sur le Golan
syrien conquis et annexé en 1967.
Aucun coup de feu n’a été tiré en 46
ans d’occupation. 2ème
illustration : Israël se réserve le
droit de bombarder toute
installation qui lui semblerait
attentatoire à sa domination. Ainsi
en 2007, l’aviation sioniste a
détruit ce qui pouvait ressembler à
une centrale nucléaire en
construction, un centre de recherche
ou une base de missiles en
territoire syrien. Inutile de
préciser que le régime de Damas n’a
pas bronché.
Cette soumission quasi naturelle –
l’habitude est une seconde nature –
explique certainement l’attitude
actuelle du président Assad.
Celui-ci avait une carte historique
à jouer.
Assad a dû comprendre très vite
qu’il avait affaire à des menées
subversives menées par ses ennemis –
l’Empire et ses larbins arabes –
pour le dégommer. Ils ne le
lâcheront pas. Des milliers de
mercenaires avec des moyens
considérables sont mobilisés. Les
médias ont pris fait et cause pour
eux. La stratégie de l’Empire était
évidente : faire durer la guerre le
plus longtemps possible, déjà 30
mois. Car si on avait voulu se
débarrasser de lui au début, on
aurait trouvé un prétexte pour
l’assassiner dans l’un de ses
palais.
Quelle alternative lui
restait-t-il ? Soit sombrer sous les
bombes de ses ennemis, soit sortir
« victorieux » et régner sur un pays
divisé, morcelé, dévasté, ruiné.
Alors que s’il avait pensé en
« héros arabe », il aurait lancé,
dès le début, des dizaines de
milliers de missiles sur Tel Aviv,
rien que sur Tel Aviv. Endommageant
sérieusement le centre économique et
militaire d’Israël. Et lançant ses
centaines de milliers de combattants
vers le Golan et le lac de
Tibériade. Bien sûr, le réponse du
régime sioniste serait foudroyante.
Mais ! Avantage immédiat : les
« rebelles » auraient retourné leurs
armes contre l’ennemi commun et tous
les pays arabes se seraient mis de
son côté. Les destructions infligées
par les sionistes ne seraient pas
pires que celles d’aujourd’hui. Et
une ivresse de résistance aurait
réveillé le monde arabe.
Mais Bachar Al-Assad a été formaté
pour penser en termes de chef de
clan. Et même s’il avait rêvé d’agir
en Salaheddine – qui sait ? – sa
propre nomenklatura l’en aurait
empêché.
Ainsi la Nation arabe va poursuivre
son destin historique actuel, entre
dictature de castes, soumission à
l’Empire et développement contrôlé
par ses maîtres extérieurs.
Jacob Cohen
30 août 2013
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