Tunisie
La Tunisie rêvée
du chef salafiste Mohamed Khouja
Imed Bahri
Photo:
Kapitalis
Mercredi 23 mai 2012
Le salafiste fondateur de Jibhat Al
Islah (Front de la Réforme), parti
autorisé le 11 mai par le gouvernement
dirigé par les islamistes d’Ennahdha,
déplore la «campagne de dénigrement»
à laquelle son parti fait face «de
la part des laïcs».
Par Imed Bahri
A ceux qui prétendent l’autorisation
de son parti est incompatible avec la
démocratie, la transition pacifique des
pouvoirs et l’Etat civil que souhaite la
majorité des Tunisiens, Mohamed Khouja
affirme, dans un entretien à nos
confrères de ‘‘Bloomberg.com’’,
que le Front de la Réforme veut apporter
la preuve que la démocratie et l’islam
ne sont pas incompatibles et qu’ils
pourraient même coexister, même dans un
pays réputé laïque et qui a donné
naissance à des soulèvements populaires
ayant déclenché le «printemps arabe».
Les autorités, pour leur part,
affirment que ce parti a été autorisé
aux termes de la loi sur les partis
politiques, qui exige le respect des
fondements civils et même laïcs de
l’Etat tunisien.
Logo du
Front de la Réforme: la lumière jaillit
du Coran.
La Tunisie
n’est pas (encore) le Salafistan
Qu’en est-il au juste de ce parti qui
préconise l’application de la chariâ
et la mise en place d’un Etat islamique?
Pour son président et fondateur, «le
Front de la Réforme est un parti
politique qui se fonde sur l’approche de
la sunna (la tradition du prophète,
Ndlr) et sur le respect des concepts
des ‘‘salaf’’ (prédécesseurs
vertueux de la nation islamique, Ndlr).»
Mais quoi encore? M. Khouja ne cesse
d’affirmer que son parti est respectueux
des «valeurs laïques de l’Etat»
et des «particularismes de
l’expérience démocratique dans un cadre
pacifique éloigné de toute forme de
violence et de haine dans l’ensemble du
paysage politique.»
Le principe de la liberté défendue
par la démocratie n’est pas antinomique
avec la foi islamique, et «nous ne
voyons pas une contradiction entre la
chariâ et le modernisme contemporain»,
explique encore M. Khouja, en se
référant, tout de même, à la chariâ,
la loi islamique, un corpus qu’il prend
en bloc et dont il n’exclue rien.
Le mode
vestimentaire salafiste complètement
étranger aux mœurs tunisiennes.
M. Khouja est ce qu’on appelle un
salafiste, c’est-à-dire un
fondamentaliste musulman, qui adhère à
une interprétation stricte de l’islam.
Il appartient à une mouvance très
conservatrice qui constitue une force
politique montante en Tunisie et dans le
reste des pays arabo-musulmans, après
des décennies de répression par les
gouvernements vaguement laïques qui
étaient en place dans ces pays.
La montée en puissance des Salafistes
suscite des inquiétudes légitimes parmi
les laïcs et les modernistes, qui leur
reprochent, souvent à juste titre, de
vouloir imposer à leurs compatriotes et
coreligionnaires une application stricte
des préceptes de l’islam.
Ils les soupçonnent aussi de vouloir
limiter les droits acquis par les femmes
et nuire gravement à l’activité
touristique, l’une des principales
sources de revenus de la Tunisie, en
interdisant notamment la vente d’alcool
dans les restaurants ou la mixité sur
les plages et dans les établissements
publics.
Les Salafistes en Tunisie n’ont pas
cherché à démentir les accusations de
leurs adversaires. La preuve: ils ont
déjà attaqué une salle de cinéma (CinémAfricArt,
à Tunis), une chaîne de télévision (Nessma)
qui a diffusé un film jugé attentatoire
à la foi musulmane (‘‘Persépolis’’),
agressé des artistes de théâtre, des
journalistes, des écrivains et des
activistes de la société civile, appelé
au meurtre des juifs, saccagé et mis le
feu dans un magasin de vente d’alcool
(cette semaine à Sidi Bouzid), etc. Sans
parler des menaces qu’ils profèrent
quasi-quotidiennement à l’encontre de
leurs concitoyens et, surtout,
concitoyennes dont le mode de vie ou les
vêtements sont jugés non conforme à la
chariâ.
La réforme
mais dans le cadre du legs islamique
En dépit de tous ces reproches
adressés aux gens de sa mouvance
religieuse, idéologique et politique, M.
Khouja continue d’affirmer que le Parti
de la Réforme «est un parti
politique fondé sur les principes de la
réforme mais dans le cadre de l’héritage
islamique». Et il assure: «Le
programme de notre parti n’impose rien,
ni tenue vestimentaire ni conduite
personnelle, dans la vie quotidienne des
Tunisiens». Il ajoute : «Nous
n’allons pas utiliser la force pour
interdire le vin ou les vêtements de
plage.» Au lieu de cela, le parti
va utiliser «la persuasion et des
conseils» pour changer les
attitudes jugées non conformes à la
chariâ.
Ainsi
parlait Mohamed Khouja.
Beau programme qui ne rassurera pas
grand-monde parmi les laïcs et
modernistes qui y voient une menace aux
acquis de la société tunisienne, forgée
par un siècle et demi de réformisme et
d’ouverture à la modernité. Car on peut
raisonnablement se demander où
s’arrêteraient la persuasion et les
conseils et où commenceraient les
injonctions musclées et les lois
liberticides, lorsque ce parti sera au
pouvoir?
Aussi, le principal défi pour le chef
du Front de la Réforme, qui regroupe
plusieurs dirigeants jugés dans les
années 1980 pour leur participation au
Front islamique, est-il de changer la
perception, à ses yeux «erronée»,
d’une Tunisie en passe de devenir une
sorte de Salafistan. N’est-ce pas ainsi
que notre pays est décrit, aujourd’hui,
à tort ou à raison, par de nombreux
médias nationaux et internationaux?
Copyright © 2011
Kapitalis. Tous droits réservés
Publié le 23 mai 2012 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
Le dossier
Tunisie
Les dernières mises à jour
|