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EXPOSÉ D'ILAN PAPPÉ À LA CONFÉRENCE DE
STUTTGART
Soutenir le Droit au retour des réfugiés,
c'est dire NON au racisme israélien
Lundi 10 janvier 2011
Je remercie tous les
organisateurs ; je sais qu’il a fallu beaucoup d’efforts pour
nous réunir tous. C’est une grande réussite. (…) Vous nous avez
également donné une magnifique occasion de nous rencontrer les
uns et les autres et nous vous en sommes très reconnaissants. En
raison de l’oppression israélienne, il est plus facile de se
rencontrer ici qu’en Palestine où pourtant nous devrions être
autorisés à le faire ; espérons-le, un jour nous serons tous
réunis là-bas, sans devoir nous rendre dans les collines gelées
de Stuttgart pour créer une vie commune !
Je pense que c’est bien
l’essentiel de l’histoire sioniste de ne pas permettre aux gens
de mener une vie normale, de ne pas leur permettre d’être des
amis normaux, et de les obliger à passer par toutes ces
difficultés pour satisfaire cette aspiration humaine élémentaire
qui est de vivre ensemble.
Nous vivons des temps très
bizarres. D’une part, en tant que militants, nous ne pourrions
pas avoir rêvé un meilleur gouvernement israélien. Je pense en
effet que ce gouvernement rend tout-à-fait superflue une analyse
sophistiquée de ce qu’est le sionisme en Israël. Il est très
facile d’expliquer, non seulement ce qu’est la politique menée
par Israël, mais aussi l’idéologie raciste qui la sous-tend.
D’autre part, l’économie israélienne est celle qui a connu les
plus grands succès au cours des trois dernières années ; elle a
fait beaucoup mieux que l’Allemagne, beaucoup mieux que la
plupart des puissances économiques de l’Occident ; son système
bancaire est très stable, sa monnaie est l’une des plus fortes
dans le monde et elle ne souffre pas du tout de toutes les
difficultés qui ont affecté les économies capitalistes
occidentales au cours des trois dernières années.
Le résultat est un écart très
déconcertant entre ce que le citoyen occidental moyen pense
d’Israël et la façon dont les Israéliens, en particulier les
Juifs israéliens, se voient eux-mêmes. Ils pensent qu’ils vivent
dans une société très performante ; ils croient que le conflit
israélo-arabe est une chose du passé, que la question
palestinienne est terminée ; que, oui, il y a un problème à
Gaza, que oui il y a un problème avec le Hezbollah au Liban,
mais que c’est un problème qui concerne l’ensemble du monde, que
ce n’est pas un problème qui concerne particulièrement les
Israéliens ; que cela fait partie de la soi-disant guerre contre
le terrorisme.
Nous vivons aussi des temps
bizarres car, en dépit de cela - Mazin Qumsiyeh en a parlé hier
en détail, je n’ai donc pas à le répéter - nous vivons aussi une
époque où certaines politiques particulières et spécifiques
d’Israël sont sévèrement critiquées. Les gens vont manifester
contre le massacre à Gaza, les gens vont manifester contre
l’attaque de la flottille pour Gaza, et pourtant, personne n’ose
attaquer l’idéologie qui est derrière ces politiques. Il n’y a
pas de manifestations contre le sionisme, parce que le Parlement
européen considère, même une manifestation contre le sionisme,
comme de l’antisémitisme.
Imaginez qu’à l’époque de
l’apartheid en Afrique du Sud, vous n’ayez pas été autorisé à
manifester contre l’apartheid sud-africain, mais seulement
contre le massacre de Soweto ! Cela, est encore un grand succès
israélien. Et l’Allemagne joue un rôle très important dans ce
succès, dans le fait que le principal problème et la principale
raison des politiques criminelles [d’Israël] n’est pas analysé,
n’est pas discuté, n’est pas abordé, seulement les symptômes. Je
ne suis pas médecin, mais je sais que si vous traitez les
symptômes et non la cause de la maladie, vous ne guérissez pas
le patient.
Donc je pense que ce dont
nous avons vraiment besoin, en tant que militants – je pense
qu’il est plus facile de vous parler de cela qu’à des gens qui
ne savent rien du conflit ou qui se situent totalement de
l’autre côté – c’est de changer un peu ce que nous faisons. Pas
en ce qui concerne notre campagne BDS (Boycott,
Désinvestissement, Sanctions) qui a beaucoup de succès ; ou le
genre d’actions que nous faisons en Allemagne et ailleurs en
solidarité avec le peuple palestinien. Je pense que c’est un
chapitre remarquable de l’activité de la société européenne, pas
moins remarquable, comme cela a été souligné hier, que le
chapitre de la lutte contre l’apartheid, mais, pour la plupart
d’entre nous, nous n’utilisons pas encore le bon langage. Nous,
la plupart d’entre nous, n’utilisons pas encore le genre de
vocabulaire que nous devrions utiliser pour faire passer le
message au sujet du problème dont nous nous occupons.
Parce que l’un des plus
grands paradoxes de ce qui se passe en Israël et en Palestine,
est que, d’une part, ce n’est pas une histoire compliquée ;
c’est une histoire que l’on a déjà vue : des colons européens
qui arrivent pour, soit liquider, soit expulser le peuple
autochtone. À cet égard les sionistes n’ont rien inventé de
nouveau. Mais d’autre part, Israël a réussi, avec l’aide des
alliés qu’il a partout dans le monde, y compris dans ce pays, à
construire cette explication complexe …… qui est tellement
complexe que seuls les Israéliens sont capables de la
comprendre ! Et vous n’êtes pas autorisé à intervenir, surtout
si vous êtes Allemand, vous n’êtes pas autorisé à interférer
dans cette analyse, car elle est très complexe !
Non, ce n’est pas du tout
complexe. Et c’est pourquoi l’histoire est si importante.
Comprendre l’histoire, pas si complexe, de ce qu’a été le
mouvement sioniste et de ce qu’il est en train de faire aux
autochtones de la Palestine, c’est cela toute l’histoire. Oui,
il y a d’autres histoires qui lui sont connectées, je suis
d’accord : le sort des juifs en Europe, l’Holocauste, que
sais-je, les relations entre le christianisme et le judaïsme au
cours des 2’000 ans écoulés, mais ce sont des à-côtés. Elles ne
sont pas l’histoire principale, elles font partie de l’histoire,
mais ce n’est pas par elles qu’il faut commencer.
C’est pourquoi, en Israël,
quand ils apprennent l’histoire de leur propre pays - même,
malheureusement, les étudiants palestiniens qui sont citoyens
israéliens - ils commencent à Odessa. Je me souviens de cet
étudiant palestinien, à l’Université, qui me disait « pouvez-vous
nous expliquer pourquoi nous, qui sommes nés à R...ou à S... ou
dans le Néguev, nous devons commencer notre histoire à Odessa ? »
Ils ne savaient même pas où se trouvait Odessa. Et je lui ai
dit : c’est parce que vous êtes sous occupation, même à
l’intérieur d’Israël, pas seulement en Cisjordanie, pas
seulement dans la bande de Gaza. Les Palestiniens vivant en
Israël sont aussi sous occupation, et sont aussi colonisés,
et si nous ne comprenons pas cela, nous ne
pourrons pas sortir de l’impasse.
Parce que ce qu’on appelle le
« processus de paix », qui a commencé en
1967, semble se dérouler sur Mars, sur la lune ! C’est, dans
l’histoire, le seul processus de paix que je connaisse qui n’ait
jamais eu aucun rapport avec le problème qu’il était censé
résoudre. Ce dont ils parlaient, à Genève en 1977, à Madrid en
1991, à Oslo en 1993, avait très peu à voir avec l’essence du
problème. Ils traitaient des symptômes - je suis d’accord - mais
pas de l’essence du problème.
Et cela, c’est le second plus
grand succès israélien : le fait que non seulement l’opinion
publique ne traite pas de l’essence du problème, mais que le
processus de paix lui aussi réussisse à l’éviter. Donc si vous
revenez à l’histoire, et que vous utilisez
aujourd’hui le bon vocabulaire, vous n’êtes pas
anachronique ; vous êtes en réalité une personne très pertinente
et tout-à-fait à jour. Je vais vous expliquer ce que je veux
dire.
Si vous dites que le sionisme
est du colonialisme, vous êtes l’étudiant le plus jeune et le
plus à jour que j’aie rencontré. Quiconque tenterait de vous
décourager en disant que c’est anachronique, que ce n’est pas
utile, que c’est de l’antisémitisme ... est lui-même
anachronique ; il vit sur la lune ou sur Mars, et peut continuer
à parler de quelque chose qui n’a rien à voir avec ce qui se
passe sur le terrain.
En fait, si vous connaissez
l’hébreu, vous savez que toute la langue hébraïque, de 1882
jusqu’à aujourd’hui, qui a été construite pour décrire ce que le
mouvement sioniste est en train de faire en Palestine, utilise,
encore et encore, les mots « hityachwut,
hituachahut » ; et la seule façon de
traduire ces mots est COLONISER. Il n’y a pas d’autre
traduction.
Ainsi le mouvement sioniste,
à la fin du 19ème siècle, époque où le colonialisme disposait de
très bonnes relations publiques, utilisait très volontiers le
mot coloniser. Mais, par la suite, les sionistes ont appris que
le colonialisme n’était pas si populaire, alors ils l’ont
traduit différemment, ils ont trouvé le mot « settlement »
[« implantation »], qui signifie quelque
chose d’autre en anglais ; et ils ont trouvé cette réponse : « Oui,
c’est coloniser, mais ce n’est pas comme “coloniser”, c’est une
chose différente ».
Encore une fois,
c’est complexe, et nous seuls, les
Juifs israéliens pouvons comprendre pourquoi la colonisation
israélienne et le colonialisme blanc en Afrique « ne
sont pas pareils ». Mais si vous n’êtes pas un Juif
israélien, vous ne pouvez pas le comprendre ; si vous n’êtes pas
un sioniste Juif israélien, bien sûr, vous ne pouvez pas le
comprendre ! Et je pense qu’il est important de ramener cela,
dans nos écoles, dans notre approche du public, dans nos
négociations avec les élites politiques de ce pays, et en
Occident, et de dire : vous avez affaire avec le dernier projet
colonialiste et, aussi bizarre que cela puisse paraître, même au
XXIème siècle, ce projet colonialiste emploie les mêmes
tactiques que le colonialisme du XIXème siècle.
Je pense que toute personne
décente en Occident, comme au temps du colonialisme, ne prendra
pas parti pour le colonialisme. Mais vous devez nettoyer votre
vocabulaire, vous devez nettoyer votre esprit et vous devez
penser que ce que les gens disent à propos de ce que vous dites
est absolument sans pertinence. Ce qu’ils disent n’a pas
d’importance ; ils vont vous considérer comme antisémite même si
vous soutenez la solution de deux États parce que cela signifie
que vous ne soutenez pas la solution de deux États comme ils
l’entendent. Parce que vous ne comprenez pas le problème ; vous
pensez que la solution de deux États consiste en un État
souverain et indépendant sur la Cisjordanie et la bande de Gaza,
non, vous ne comprenez pas.
L’État pour les Palestiniens,
c’est deux Bantoustans, divisé par douze en Cisjordanie, et
clôturé comme un camp de concentration à Gaza, qui n’a pas de
connexion entre les deux, et qui a une petite municipalité à
Ramallah que l’on appellera gouvernement ; voilà l’État. Et si
vous ne comprenez pas que c’est un État, cela montre [de leur
point de vue] que vous avez encore beaucoup à apprendre sur la
complexité du conflit !
Le
colonialisme est un message du passé que nous devrions
accepter et que nous devrions traiter, et nous devrions recruter
des anciens combattants de même que des cohortes de jeunes
militants pour travailler sur une chose pour laquelle il devrait
être partout facile de recruter des gens : la lutte contre le
colonialisme, la lutte contre l’idée que quelqu’un de
l’extérieur a le droit de démolir la vie des gens qui sont à
l’intérieur. Car c’est cela qu’ils ont fait en 1882, et en 1948,
et c’est cela qu’ils ont fait hier dans le Néguev, ou en
Cisjordanie, et ils vont le faire encore la semaine prochaine si
nous continuons à parler de négociations de paix, de solution à
deux États, de toutes sortes de concepts sans pertinence qui
n’ont rien à voir avec les réalités sur le terrain.
Le
second concept du passé sur lequel je pense que nous
devrions insister et que nous devrions transmettre, que ce soit
pour essayer de protester contre quelque chose qu’Israël est en
train de faire aujourd’hui, ou que ce soit pour commémorer en
janvier ce qu’Israël a fait dans la bande de Gaza, ou lorsque
nous commémorons en mai le crime qu’Israël a commis en 1948, est
celui du nettoyage ethnique.
C’est, bien sûr, un concept
qui a été développé dans les années 1990 à cause de ce qui s’est
passé au cours des guerres dans les Balkans, mais même avant ces
évènements, le nettoyage ethnique était considéré par la
communauté internationale comme une idéologie et une politique
inacceptables. Seul le génocide est considéré par la communauté
internationale comme une chose pire que le nettoyage ethnique.
Et bien souvent les deux sont liés, comme on peut le voir dans
d’autres endroits, et comme on peut le voir en Israël et en
Palestine. Lorsque vous autorisez la poursuite d’une politique
de nettoyage ethnique, il n’y a pas à être surpris si ses
auteurs passent un jour à un génocide. Parce que dans les deux
cas, vous devez totalement déshumaniser les personnes que vous
expulsez ou massacrez, même si ce sont des enfants ; elles
doivent être totalement déshumanisés.
Quiconque a vécu en Israël
assez longtemps, comme c’est mon cas, sait que la principale
corruption subie par les gens au cours du service militaire est
la totale déshumanisation des Palestiniens. C’est pourquoi,
quand il voit un bébé palestinien, un soldat israélien ne voit
pas un bébé, il voit un ennemi potentiel. Entre chasser le bébé
de la maison à coups de pieds, et tuer le bébé, la route n’est
pas très longue. Et je pense que le message à transmettre
touchant la purification ethnique est un message de
criminalisation, non des politiques de l’État d’Israël, mais de
criminalisation de l’État d’Israël.
Et c’est ce que nous devrions faire.
Nous devrions le faire parce
que seule une approche fasciste de la vie prétendrait que, dans
toute situation historique, un État et un pays sont une seule et
même chose. Non, ce n’est pas le cas. Parfois l’État représente
la pire chose qui puisse arriver à un pays. Et la pire chose qui
soit arrivée à la Palestine, c’est l’État d’Israël. Si nous
voulons faire de la Palestine un pays où les gens pourraient
vivre comme des égaux, en fait vivre de bien des façons mieux
que dans d’autres parties du Moyen-Orient, peut-être même mieux
que dans certaines parties de l’Europe, il faut mettre au
premier plan le pays, au détriment de l’État. Je sais que ce
n’est pas facile, et il ne s’agit pas de mettre en question le
droit des États à exister.
Nous sommes des individus,
nous sommes des militants, nous n’avons pas le pouvoir de
contester le droit d’un État à exister, nous n’avons pas le
pouvoir d’éliminer des États - Israël a le pouvoir d’éliminer
des États, pas nous. Ce que nous avons, c’est le
pouvoir moral de dire aux gens :
le type d’État que vous avez fondé, et le type d’État que vous
soutenez, est en train de détruire le pays dans lequel vous
vivez. La création de cet État a conduit, en 1948, à l’expulsion
de la moitié de la population indigène de la Palestine.
Montrez-moi n’importe quelle autre situation où la communauté
internationale viendrait dire, sous le slogan de la paix : pour
faire de ce pays un endroit paisible, il fallait expulser la
moitié des gens qui y vivaient.
Ce n’est qu’en Israël et en
Palestine que l’on a ce moment historique bizarre où les Nations
Unies - incarnant la volonté de la communauté internationale -
disent au monde qu’elles autorisent Israël à expulser la moitié
de la population de la Palestine au nom de la paix. Et quand
vous commencez par là l’histoire d’Israël, il est très difficile
de vous rétracter ; vous devez expliquer qu’en fait vous devez
étudier l’histoire, et revenir à 1947 et 1948, et dire que la
partition, ou l’idée de partition est une idée immorale. Ce
n’est même pas une bonne idée de « real »
politique, mais cela bien sûr on ne pouvait pas le savoir en
1947. Je peux comprendre, qu’en 1947-1948, on aurait dit
« voyons si, en divisant le pays en deux » cela pourrait
marcher. Qui pouvait le savoir ?
Mais 60 ans plus tard,
peut-on encore prétendre que de couper en deux le bébé, si vous
voulez, est différent du jugement de Salomon ? Vous connaissez
l’histoire du jugement de Salomon ? Vous connaissez cette
histoire du bébé et des deux mères [qui se le disputent], et que
c’est la véritable mère qui refuse que le bébé soit coupé en
deux. Nous savons qui est la véritable mère dans le cas d’Israël
et de la Palestine. Nous savons qui est tout le temps prêt,
soi-disant, à le couper. Donc je pense que toute l’idée de la
purification ethnique est liée au soutien international qui lui
a été fourni ; pas par un soutien direct, mais par l’accord et
le consentement des Nations Unies, et par la suite de la
Communauté européenne et des États-Unis, pour dire que la seule
façon d’établir la paix en Palestine, c’était que les Israéliens
expulsent assez de Palestiniens, et s’emparent d’une partie
suffisante de la Palestine pour créer la « seule
démocratie du Moyen-Orient ».
Avec le projet sioniste, ils
ont corrompu le sens commun de tout le vocabulaire que nous
avions en Occident à la fin des années 1940 et au début des
années 1950. C’est ainsi que vous établissez une démocratie ? En
expulsant la population autochtone, de sorte que vous puissiez
avoir une majorité juive ? Mais c’est ce que tous les jeunes
Israéliens croient. Ils apprennent dans les départements de
science politique que, pour construire une société démocratique,
où la majorité peut décider ce qu’il faut faire, vous avez le
droit de définir d’abord qui constitue la majorité, même par le
meurtre de l’autre partie, de façon à être sûr de ce que sera le
résultat des élections démocratiques.
Les Israéliens ne trouvent
pas du tout bizarre que, si vous établissez une démocratie, vous
pouvez aussi perpétrer un nettoyage ethnique, et un génocide, de
façon à obtenir le bon électorat pour la future démocratie. Mais
beaucoup de gens en Occident parlent d’Israël comme d’un État
démocratique ; parce que, disent-ils, c’est la majorité qui vote
et qui décide quoi faire. Le fait que la majorité doit être
maintenue en permanence par le nettoyage ethnique, par des
massacres, par la colonisation, par l’emprisonnement [des
Palestiniens] dans de grands ghettos comme Gaza, n’est jamais
évoqué comme faisant partie de la démocratie israélienne.
Je pense que c’est cela que
nous devrions mettre en lumière. La seule
façon de maintenir Israël comme un État démocratique, selon
l’idéologie sioniste, est de continuer à être un État criminel.
C’est presque comme de permettre dans la pire sorte de prison, à
la pire espèce de criminels d’avoir un système démocratique, par
la force de leurs armes, par la force brutale, par leur
puissance.
Le
troisième et dernier concept dont je voudrais vous
parler, vient du colonialisme et du nettoyage ethnique qui sont
les principales idéologies moteur de l’État juif. Le nettoyage
ethnique et le colonialisme sont en effet les raisons pour
lesquelles il y a un État juif en Israël. Ce n’est pas, bien
sûr, ce que l’on enseigne, aussi bien aux Israéliens nés en
Israël qu’aux gens qui soutiennent Israël dans le monde. On nous
parle de deux idéologies. On nous parle de la nécessité de
trouver un endroit sûr pour les juifs, et nous savons que ce
n’est pas un endroit très sûr pour les juifs – au contraire,
Israël est le seul endroit dangereux pour les juifs, c’est là
qu’ils sont morts en grand nombre depuis 1948 -, et que c’est
l’endroit où les juifs peuvent se recréer en tant que mouvement
national et où ils peuvent exercer leurs droits à
l’autodétermination.
Mais nous savons qu’Israël ne
s’intéresse pas au droit à l’autodétermination pour les juifs,
c’est pourquoi il encourage des centaines et des milliers de
non-juifs dans le monde à venir s’installer en Israël, car ce
qui est important pour Israël n’est pas l’autodétermination pour
le peuple juif, ce qui est important pour Israël est de
s’assurer que ce ne soit pas un État arabe. Et si vous êtes un
Bahaï, et que vous vivez sur une montagne dans l’Himalaya, mais
que vous n’êtes pas un Arabe, vous deviendrez un citoyen
israélien juif en un rien de temps, si vous êtes prêt à venir.
Il n’y a pas de problème. Les rabbins feront en sorte que vous
soyez un juif et, si vous êtes un homme, ils pourront vous faire
subir quelque opération douloureuse, mais dans l’ensemble vous
êtes le bienvenu car vous n’êtes pas un Arabe. Et si vous êtes
un Arabe juif, vous devrez vous « désarabiser », sinon vous ne
serez pas le bienvenu dans la société juive israélienne.
Ainsi, le troisième et
dernier concept est celui de la pureté
ethnique. La pureté ethnique de
l’État, et cela est lié au droit au retour [des
réfugiés palestiniens]. La plupart des gens, et spécialement
certains de nos meilleurs amis – et je ne dis pas cela
ironiquement puisque je viens de publier un livre avec Noam
Chomsky, que j’inclus ici – certains de nos meilleurs amis sont
contre le droit au retour. Ils s’appuient sur des considérations
pratiques ; ils vous diront qu’il est irréaliste de dire aux
réfugiés qu’ils devraient s’attendre à la possibilité de
revenir ; ils vous diront qu’ils devraient [au contraire] être
encouragés à réfléchir à un avenir différent.
Je voudrais dire que, dans
cette analyse, le point de départ n’est pas la praticabilité,
n’est pas la « real » politique. Parce que
si la base d’analyse de la situation est la « real »
politique – comme le fait Uri Avnery, comme le fait Noam
Chomsky, et beaucoup d’autres, et ce n’est pas cyniquement que
je dis « nos bons amis », ils sont mes bons amis mais je suis,
sur ce point, en total désaccord avec eux – cela signifie que
c’est l’équilibre des forces qui détermine votre attitude.
Eh bien, si c’est l’équilibre
des forces – comme nous l’avons entendu hier, entre la plus
grande et la plus puissante armée du Moyen-Orient, et les plus
faibles forces militaires du monde – qui détermine notre
attitude, nous ne devrions même pas être réunis aujourd’hui.
Nous devrions céder aux diktats israéliens. Nous savons que les
Israéliens sont très clairs au sujet de ce qu’ils veulent : ils
veulent autant de territoire palestinien que possible, avec
aussi peu de Palestiniens que possible ; c’est ce qu’ils
voulaient en 1882, et c’est ce qu’ils veulent en 2010. Cela n’a
pas changé. Les moyens ont changé, les circonstances historiques
ont changé, mais la vision de ce qui serait une florissante et
prospère société israélienne, à savoir une société avec aussi
peu d’Arabes que possible, et autant de territoire palestinien
que possible, cela n’a pas changé. Donc, si la « real »
politique détermine notre attitude, nous devrions céder à cette
vision.
En tout état de cause, nous
ne nous occupons pas de « real » politique
quand nous contestons ce que veut Israël. Et la raison pour
laquelle les Israéliens refusent, même de reconnaître, le droit
au retour, sans parler de la mise en œuvre pratique de ce droit,
ce n’est pas comme certains le pensent parce qu’ils auraient un
sérieux problème de conscience à admettre qu’ils ont expulsé et
massacré un peuple, trois ans après l’Holocauste. J’ai cru
autrefois que c’était là le problème, je l’admets. Je le
croyais, j’étais plein d’espoir parce que je suis un optimiste ;
n’étant pas très grand, je voyais la moitié du verre plein. Je
croyais que les Israéliens ne voulaient pas parler du droit au
retour parce que des gens qui, comme Uri Avnery par exemple,
avaient été impliqués dans le nettoyage ethnique, se sentaient
malheureux à ce sujet. Et je croyais que, si vous parliez du
droit au retour, vous apportiez … comme une sorte de panacée, le
remède à la maladie.
Non, malheureusement je pense
que cela n’a rien à voir avec ça. D’un point de vue sioniste
cela fait sens : les Arabes ne sont pas les bienvenus. Qu’il
s’agisse des Arabes que nous avons expulsés, ou des Arabes que
nous n’avons jamais touchés, ou de ces Arabes juifs qui
insistent à demeurer arabes même s’ils sont juifs, ils ne sont
pas les bienvenus car nous voulons être une démocratie ! Et ces
gens voudraient venir ! C’est la principale raison qui est
derrière le refus israélien du droit au retour.
Alors – et je vais terminer
là-dessus - quand vous soutenez le droit au retour [des réfugiés
palestiniens], vous ne soutenez pas seulement, ce que nous
faisons tous, le droit des personnes expulsées à revenir si
elles le veulent. Vous ne reconnaissez pas seulement le crime de
nettoyage ethnique de 1948, vous n’adhérez pas seulement aux
résolutions des Nations Unies qui soutiennent très clairement le
droit au retour, vous dites en plus un très
simple NON au racisme. C’est cela que vous faites. Vous
dites NON au seul État raciste du Moyen-Orient.
Nous n’avons pas de très
jolis régimes au Moyen-Orient, je suis d’accord ; les régimes
politiques du Moyen-Orient ne sont guère inspirants, je ne
recommanderais pas aux futures sociétés de s’en inspirer pour
construire leurs politiques ; mais aucun d’eux n’est raciste. Le
seul État raciste est l’État juif d’Israël.
Un des seuls moyens de s’en prendre à cet État raciste est de le
contester sur la question du droit au retour des réfugiés.
Non pas parce qu’il serait praticable ou pas praticable, mais
parce qu’il touche au code génétique de l’État juif. L’idée que
vous pouvez coloniser n’est pas nouvelle. Mais l’idée que vous
pouvez, au XXIème siècle, maintenir cette colonisation en
maintenant ouvertement un État raciste, ne devrait pas être
considérée comme acceptable, surtout pas dans ce pays. MERCI.
Le texte
de cet exposé a été établi en anglais par Claudine Faendrich
à partir de
l’enregistrement vidéo de la Conférence de Stuttgart
(novembre 2010) et traduit en français par JPH.
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