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Une crise de la conscription ?
Ilan Greilsammer


Soldats israéliens au Liban

3 octobre 2007

L’armée n’attire plus. Le sujet est certes ancien mais jusqu’à présent, il ne faisait pas particulièrement de vagues… Que s’est-il donc passé ces derniers mois ?

D’après la loi, chaque Israélien âgé de 18 ans doit faire son service militaire, qui est de trois ans pour les garçons et de deux années pour les filles. Au-delà de l’aspect strictement « obligatoire » du service, cet engagement militaire a toujours été considéré comme l’un des fondements éthiques et identitaires de l’Etat juif. En servant le pays, on manifeste par là-même qu’on est un « vrai » fils du peuple israélien.
Il est exact que, dès la création de l’Etat d’Israël en 1948, David Ben Gourion et ses collègues du gouvernement ont décidé d’exempter du service militaire deux segments de la population. Tout d’abord, bien sûr, les Arabes israéliens. Tout le monde comprenait que tant que le monde arabe serait en guerre contre Israël, on ne pourrait obliger un jeune Palestinien, citoyen d’Israël, à se battre contre des soldats appartenant à son peuple, voire à sa propre famille. On voulait épargner au citoyen arabe un dilemme moral totalement insoluble, et on a préféré libérer les minorités non juives de la conscription, d’autant que, pensait-on à l’époque, leur loyauté à l’égard de l’Etat juif pouvait être sujette à caution. Seuls les Druzes et les Bédouins ont été contraints au service. L’autre exemption, celle-ci beaucoup plus ambiguë et controversée, est celle que Ben Gourion a accordée aux ultra-orthodoxes. Comme ces jeunes étudiaient en yeshiva toute la journée, et que les « sortir de force » de leurs études talmudiques constituait un casus belli pour les « Hommes en noir », Ben Gourion a trouvé préférable de ne pas créer de tension avec ces milieux et leur a accordé une exemption totale du service militaire. Il est vrai qu’en 1948, cette exemption ne concernait que quelques centaines de jeunes, et que beaucoup de laïques pensaient qu’on pourrait « vivre avec ».

Un phénomène de société
Au fil du temps, ces deux exemptions ont posé de plus en plus de problèmes. Tout d’abord, l’armée constitue en Israël un puissant outil d’intégration. D’où qu’il vienne, quelle que soit son origine ethnique, religieuse ou sociale, le conscrit entre ainsi dans le « melting pot » israélien et s’intègre à la société. Les Arabes et les ultra-orthodoxes sont malheureusement restés « en dehors », à la périphérie. Autre aspect des choses, la dimension économique : le soldat qui a servi dans Tsahal reçoit à sa sortie de l’armée des primes et des prêts qui lui permettent de se lancer dans la vie active avec les meilleures chances de réussite. Ni les Arabes ni les jeunes des yeshivot ne bénéficient de ces avantages. De plus, ces deux secteurs « exemptés » sont précisément ceux qui ont la démographie la plus dynamique. Aussi, l’exemption qui ne concernait qu’un faible pourcentage de la population touche aujourd’hui des milliers de jeunes, ce qui est de plus en plus considéré comme inacceptable. A présent, nombreuses sont les voix qui s’élèvent contre cette situation et qui posent la question : pourquoi ces jeunes ne feraient-ils pas, au lieu du service armé qu’on ne peut leur imposer, un service civil qui durerait le même temps, dans les hôpitaux, les écoles, ou même dans leur propre communauté ? Pourquoi certains jeunes Israéliens peuvent-ils « entrer dans la vie professionnelle » dès la fin de leurs études secondaires alors que la masse doit « perdre » trois ans ? Ce débat est ancien et ce n’est pas cela qui inquiète le plus les Israéliens en 2007.
Ce qui est nouveau, c’est qu’un nombre croissant de jeunes issus des milieux laïques ne veulent plus faire les trois ans d’armée et cherchent par tous les moyens à échapper à la conscription. Précisons que ce phénomène, qu’on appelle en hébreu « hichtamtout » (échapper à ses responsabilités), ne touche pas les jeunes sionistes religieux. Au contraire, comme ceux-ci considèrent que l’Etat d’Israël et ses forces armées ont un caractère « saint » et sacré, le service militaire est pour eux un devoir absolu, national et religieux (ce qui entraîne même, chez certains, et notamment chez les colons, des dérives ultra-nationalistes et anti-arabes). Par contre, un nombre croissant de jeunes laïques, qu’ils viennent de Tel-Aviv ou des kibboutzim, n’ont plus envie de « gaspiller » trois années de leur vie en se mettant constamment en danger. Ils considèrent au fond que Tsahal peut très bien « se débrouiller sans eux », qu’ils ont bien mieux à faire, qu’une carrière profitable ou de brillantes études les attendent, qu’ils n’ont pas de temps à perdre et qu’il y a de toute façon bien assez de conscrits… Là encore, il faut préciser que cela ne concerne pas les jeunes qui agissent sur base de positions idéologiques. Il y a toujours eu, depuis la guerre des Six-Jours, un petit noyau d’objecteurs de conscience pour qui servir dans une « armée d’occupation » est insupportable. Mais ce groupe est très peu nombreux, et il n’a pas vraiment gêné Tsahal. Aujourd’hui, c’est plus le refus de servir par indifférence, par paresse, par manque d’intérêt, par fuite des responsabilités qui inquiète. Il y a à peine quelques années, avec l’éthos collectif des Israéliens, un jeune n’aurait jamais osé avouer en public qu’il « ne voulait pas faire l’armée ». Il aurait invoqué des raisons idéologiques ou médicales…

Fuite ou bravoure
Aujourd’hui, dire autour de soi qu’on ne veut pas servir n’est plus vraiment « illégitime » et a même atteint une certaine normalité, ce qui est grave. Tsahal a une certaine responsabilité dans cette situation dans la mesure où il suffit qu’un jeune conscrit aille chez le psychologue militaire (le « kaban »), invente une quelconque histoire invraisemblable, et le psychologue s’empresse de le réformer pour éviter d’éventuelles complications… Pourquoi s’en inquiète-t-on précisément aujourd’hui ? C’est que la seconde guerre du Liban de l’été 2006, guerre malheureuse qui a révélé de graves dysfonctionnements au sein de l’armée, a entraîné deux phénomènes contradictoires. D’un côté, cette guerre inutile et meurtrière a encouragé de nombreux jeunes à chercher à se faire exempter, de l’autre, elle a mis en évidence l’exceptionnelle bravoure et l’abnégation des jeunes soldats qui ont participé aux combats, alors que le Haut commandement multipliait les erreurs. D’un côté, la fuite, la « hichtamtout », de l’autre, la bravoure, la « gvoura ». Le contraste est apparu aux yeux de l’opinion publique et a suscité un énorme débat. Il y a aussi le fait que beaucoup d’artistes ou de chanteurs célèbres, comme Aviv Gefen ou Avri Lider, ont décidé de « ne pas faire l’armée » et que ces personnalités médiatiques choquent de plus en plus l’opinion. Récemment, le ministre de la Défense, Ehoud Barak, a tiré la sonnette d’alarme lorsqu’il a dit : « Si nous n’y prenons pas garde, Tsahal ne sera plus “l’armée du peuple”, mais l’armée de la moitié du peuple… ».

***

Les chiffres
D’après le Bureau des Ressources Humaines de Tsahal, 25 % des jeunes Israéliens âgés de 18 ans, qui devraient commencer leur période militaire de trois ans ne font pas leur service. Ces données impressionnantes constituent une nette augmentation par rapport au passé, ce qui explique que la classe d’âge mobilisée à l’été 2007 a été la moins nombreuse de ces dernières années. Sur ces 25 %, 11 % sont toujours les ultra-orthodoxes qui refusent de faire l’armée pour des raisons religieuses en arguant du fait qu’ils passent leur temps à la yechiva. En termes israéliens, ils déclarent au Bureau de Recrutement que « la Torah est leur activité ». On constate d’ailleurs que leur pourcentage augmente (+ 1 % par rapport à l’an dernier). Environ 4 % ne sont pas recrutés car ils ont commis des actes de délinquance. Mais surtout, les 10 % restants sont des jeunes réformés pour raisons « médicales » ou « psychologiques » ou bien parce qu’ils résident à l’étranger. Ce sont parmi eux que se cachent ceux qui, simplement, « ne veulent pas faire l’armée ».

Ilan Greilsammer, correspondant israélien

© CCLJ 2005
Publié le 4 octobre 2007 avec l'aimable autorisation du CCLJ



Source : CCLJ
http://www.cclj.be/...


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