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Comment être juif après Gaza ? Le cri de colère d'Esther
Benbassa
Ian Hamel
Mardi 17 novembre 2009
C’est incontestablement l’un des meilleurs livres parus cette
année. Très court, mais très corsé et très courageux. Dans
« Etre juif après Gaza », l’intellectuelle Esther Benbassa se
demande jusqu’à quand la grande majorité des juifs de France
va-t-elle continuer à cautionner les yeux fermés tous les actes
d’Israël ? Même les plus odieux, comme les bombes au phosphore
déversées sur Gaza.
Curieusement, il est presque difficile de faire
une synthèse de ce petit ouvrage de 74 pages. Tant chaque mot
est pesé. Ce n’est absolument pas en pamphlet, avec son pesant
d’exagération, de provocation. C’est simplement un cri, un cri
de rage ou de colère d’une Française qui se présente ainsi :
« C’est parce que je suis une Juive sans Dieu qu’Israël fait
partie de la religion que je n’ai pas, mais c’est aussi parce
que j’y ai grandi que je tiens à son existence et ne puis donc
qu’être critique ».
Née à Istanbul, Esther Benbassa a fait des
études supérieures en Israël, à l’université de Tel-Aviv, puis
en France, à Paris. A l’Ecole pratique des hautes études (EPHE),
elle occupe une chaire du judaïsme moderne et contemporain. On
lui doit notamment une « Histoire des Juifs de France » et « La
souffrance comme identité ».
Le persécuté devient
persécuteur
Que dit-elle ? Que les Israéliens sont
« égarés » par leur nationalisme. Un nationalisme que redoutait
déjà un Juif en 1917, instituteur à Ispahan.
« Le premier usage de leur liberté que font les peuples
nouvellement délivrés du joug est de persécuter les éléments
étrangers se trouvant parmi eux, et que la tyrannie qu’ils
exercent est en fonction directe de celle qu’ils ont supportée »,
écrivait cet instituteur au début du siècle dernier.
Une attitude qui n’est pas propre aux Juifs.
Qu’ont fait les esclaves libérés aux Etats-Unis et renvoyés en
Afrique pour créer le Liberia ? Ils ont aussitôt opprimé leurs
frères africains… « En devenant israéliens, ces
Juifs ont-ils été frappés d’amnésie jusqu’à oublier les
principes premiers de l’éthique, socle de leur être juif ? »,
s’interroge Ester Benbassa dans « Etre juif après Gaza » (*).
Comment des Juifs, dont les parents ont vécu la persécution, la
souffrance, peuvent-ils tolérer qu’un autre peuple, les
Palestiniens, connaisse un sort similaire ?
Passer de victime à
bourreau
Si l’expression n’était pas galvaudée, on dirait
que l’intervention de l’armée israélienne sur Gaza en décembre
2008 et janvier 2009, est la goutte d’eau qui a fait déborder le
vase. Comment tolérer une opération qui a tué entre 1 166 et 1
417 personnes, en majorité des civils (contre 13 Israéliens) ?
qui a provoqué la coupure de 75 % de l’électricité de la bande
de Gaza, qui a privé un demi million de Gazaouis d’accéder à
l’eau courante ? Pour l’intellectuelle, cette offensive contre
Gaza s’apparente bien davantage à une guerre coloniale qu’à une
guerre de défense. Comment justifier l’utilisation de bombes au
phosphore, qui provoquent sur les corps des dégâts irréparables,
en violation du droit humanitaire ?
« Gaza, c’est un nouveau mur
qui s’élève en diaspora, celui de l’impossible communication
entre les Juifs et leur entourage, qui ne peut plus comprendre
leur excessive tolérance à l’endroit d’Israël », lance
Esther Benbassa, qui ne veut pas « être juive et
rejeter Israël. Je ne veux pas non plus être juive et approuver
cette guerre immorale que mène Israël ».
Si la diaspora se
détournait…
C’est l’un des aspects les plus originaux
brièvement abordé dans cet ouvrage : par ses excès, Israël ne
va-t-il pas se couper petit à petit des Juifs du reste du monde,
devenus de moins en moins autistes ? Selon un chiffre lancé par
le président du Crif (Conseil représentatif des institutions
juives de France), 95 % des Juifs de l’Hexagone aurait approuvé
l’intervention israélienne dans la bande de Gaza. Esther
Benbassa constate qu’aux Etats-Unis, les Juifs américains, que
l’on imagine encore plus pro-israéliens, n’étaient que 75 % en
mars 2009.
Chiffre encore plus significatif, 69 % des Juifs
américains « soutiendraient sans réserve les
efforts de leur pays pour aboutir à un accord de paix associant
un gouvernement d’unité nationale, réunissant le Hamas et
l’Autorité palestinienne ». Il n’est pas non plus
inintéressant de souligner qu’Israël affiche un solde migratoire
proche de zéro, ceux qui partent étant pratiquement aussi
nombreux que ceux qui arrivent. Vu l’état de guerre perpétuel,
Israël n’apparaîtrait plus forcément comme la terre promise aux
yeux de la diaspora.
(*) Esther Benbassa,
« Etre juif après Gaza »
, CNRS Editions, 4 €
Ian Hamel, Journaliste, publie
“L’énigme Oussama Ben Laden” aux Editions Payot le 5 novembre
2008, auteur également du livre « La vérité sur Tariq Ramadan,
sa famille, ses réseaux, sa stratégie » aux éditions Favre,
préface de Vincent Geisser.
Publié le 17 novembre 2009 avec l'aimable
autorisation d'Oumma.com
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