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Rapport
Monde: Bientôt la fin
des munitions à dispersion ?
Des bombes à dispersion
israéliennes
Photo: Human Rights
Watch
JOHANNESBOURG, 20 mai 2008 (IRIN)
Pour de
nombreuses personnes, l’interdiction d’une arme militaire dont
98 pour cent des victimes seraient des civils devrait être une
affaire vite réglée ; pourtant, pendant deux semaines, les
représentants des gouvernements et les parties concernées seront
guidés par les termes « munitions à dispersion ayant des
conséquences humanitaires inacceptables » pour rédiger une
convention destinée à freiner l’usage de ces armes, voire à les
interdire complètement.
Depuis le 19 mai, à Dublin, capitale irlandaise, des
représentants gouvernementaux venus des quatre coins de la
planète se réunissent en effet à l’occasion de la Conférence
diplomatique de Dublin sur les munitions à dispersion. Aucun
protocole n’aura suscité une telle vague de soutien
international depuis la Convention sur l’interdiction des mines
antipersonnel de 1997, signée par 155 Etats.
L’on s’attend toutefois à ce que les 37 Etats qui n’ont pas
signé la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel,
également connue sous le nom de Traité d’Ottawa (dont la Chine,
l’Inde, Israël, la Russie, l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis)
refusent également d’être parties à une convention qui
limiterait l’usage des munitions à dispersion.
Si les parties parviennent à un consensus, quel qu’il soit, un
traité sera ratifié dans le courant de cette année en Norvège,
où le processus a été lancé, en février 2007.
« Nous devons mettre un terme aux souffrances humaines
inacceptables, causées par l’usage des munitions à dispersion »,
avait alors déclaré le ministre norvégien des Affaires
étrangères Jonas Gahr Store, au cours d’une conférence tenue à
Oslo, la capitale. « Ces souffrances ne sont pas une conséquence
inévitable et inéluctable de la guerre moderne. Elles sont
l’effet d’un groupe particulier d’armes, créées pour des
scénarios de conflit autres que ceux auxquels nous sommes
confrontés aujourd’hui ».
« L’objectif de cette conférence véritablement historique [de
Dublin] est de négocier les dispositions finales d’un traité
international qui interdira l’usage, la production, le stockage
et le commerce des munitions à dispersion, et établira un cadre
pour assurer que les droits des rescapés et des communautés
touchées sont convenablement appliqués », a dit Thomas Nash,
coordinateur international de la Cluster Munition Coalition, qui
représente plus de 250 organisations non-gouvernementales (ONG)
dans 70 pays.
Mais le diable risque fort d’être dans le détail.
Le diable dans le détail
Handicap International (HI), une ONG dont l’objectif est
d’améliorer les conditions et la qualité de vie des personnes
handicapées dans les pays en voie de développement et les zones
en période d’après-guerre, définit ainsi les sous-munitions à
dispersion : il s’agit d’explosifs qui, pour agir, se détachent
de la munition principale ou d’un distributeur de munitions.
Cette définition inclut tous les explosifs conçus pour exploser
un certain temps après la dispersion ou le largage à partir de
la munition à dispersion principale, ainsi que les munitions
parfois désignées sous le nom de sous-munitions (larguées à
partir de munitions à dispersion), les grenades (lancées à
partir du sol, à l’aide de lance-roquettes ou de lance-missiles)
et les « munitions conventionnelles améliorées ».
May-Elin Stener, conseillère ministérielle à l’ambassade de
Norvège à Pretoria, en Afrique du Sud, a expliqué à IRIN qu’elle
s’attendait à de longs débats techniques à Dublin ; il sera en
effet essentiel, a-t-elle dit, de définir les munitions à
dispersion aux conséquences humanitaires inacceptables pour
pouvoir élaborer une convention qui assure la protection
humanitaire nécessaire.
Selon les analystes qui connaissent bien les
objectifs de cette convention sur l’interdiction des munitions à
dispersion, une interdiction complète et générale qui
s’appliquerait à toutes les armes composées de plus d’une
sous-munition explosive compromettrait l’usage de certaines
munitions, qui ne ressemblent guère aux munitions à dispersion
traditionnelles.
De nombreuses munitions à dispersion frappent sans discernement,
malgré le principe de guerre selon lequel les souffrances
civiles disproportionnées, provoquées par des attaques armées
sont illégales.
Dès lors, le développement et l’usage d’armes capables de
distinguer une cible militaire -par exemple une caserne à côté
d’un hôpital- font l’objet d’une obligation juridique et
humanitaire.
Selon les experts, il est probable que la convention visera à
interdire toutes les munitions à dispersion qui laissent un
grand nombre de restes explosifs après avoir été lancées, même
si elles sont équipées de mécanismes de sécurité intégrés.
Il est en revanche peu probable que les munitions à dispersion
capables de faire la distinction entre les cibles militaires et
les civils (à condition qu’elles soient équipées de mécanismes
de sécurité intégrés) entrent dans le cadre de la convention :
l’on ne considère pas qu’elles vont à l’encontre de l’objectif
de prévention des « conséquences humanitaires inacceptables ».
« La plupart des débats engagés au cours des négociations
porteront sur la définition des munitions à dispersion, sur les
taux d’échec et les "solutions" techniques », pouvait-on lire
dans Circle of Impact: The Fatal Footprint of Cluster Munitions
on People and Communities, un rapport sur l’impact des munitions
à dispersion sur les personnes et les communautés touchées,
publié par HI en 2007.
Le rapport cite les propos d’un représentant de l’armée, qui a
demandé pourquoi les chercheurs étaient « surpris » par le
constat initial que 98 pour cent des victimes des sous-munitions
à dispersion étaient des civils.
« Il importe néanmoins de rappeler que les munitions à
dispersion sont des armes imprécises, conçues pour frapper une
superficie plus vaste que bien d’autres armes conventionnelles,
en dispersant des sous-munitions explosives plus petites mais
particulièrement mortelles », notait le rapport de HI.
Un usage remis en question
Les premières demandes d’interdiction de ces armes ont été
formulées il y a 30 ans, mais c’est l’usage qu’en ont fait les
forces israéliennes aux derniers jours du conflit
israélo-libanais de 2006 qui a donné l’élan nécessaire à
l’adoption d’un traité destiné à interdire ou à limiter leur
utilisation.
Les munitions à dispersion ont été utilisées pour la première
fois par les forces soviétiques contre les formations de chars
allemands pendant la Deuxième guerre mondiale, et leur deuxième
utilisation connue est attribuée à l’armée de l’air allemande,
pendant l’attaque de la ville portuaire britannique de Grimsby.
Ce témoignage, livré par un témoin oculaire il y a plus de 60
ans, pourrait aisément être confondu avec les dernières
expériences des villageois libanais. « Il y en avait sur les
toits, dans les lits, pendues par une aile à travers les
plafonds, et le seul moyen pour les équipes de déminage de s’en
débarrasser était de les faire exploser avec une charge à
l’endroit même où elles étaient tombées », aurait rapporté un
pompier de Grimsby.
Une jeune victime d'une bombe à dispersion au Liban en
2006
Photo: Dina Debbas/UNICEF
A l’époque, seuls 25 pour cent environ des 1
000 sous-munitions larguées sur Grimsby avaient explosé
immédiatement ou dans les 30 minutes qui avaient suivi l’impact,
faisant 14 morts. br>
Dans leur article sur le bombardement de Grimsby, intitulé The
Humanitarian Effects of Cluster Munitions: Why Should We Worry?
(Les Conséquences humanitaires des munitions à dispersion :
pourquoi s’inquiéter ?), John Borrie et Rosy Cave ont cité les
propos de plusieurs habitants de Grimsby : « Le reste des
sous-munitions non-explosées traînait sur les routes et les
toits, ou dans les branches des arbres et les haies. Une heure
après l’annonce de la fin de l’alerte, il y avait 31 morts de
plus, et bien d’autres blessés ».
« Malgré la réaction immédiate des autorités, il aura fallu plus
de 10 000 heures de travail, réparties sur les 18 jours
suivants, pour retirer les sous-munitions et rouvrir le port »,
ont noté John Borrie et Rosy Cave.
« On estime que pendant le seul conflit de 2006 [au Liban],
largement plus de quatre millions de sous-munitions à dispersion
ont été larguées », observait HI dans Circle of Impact.
La plupart de ces munitions à dispersion dataient de l’époque du
Vietnam, et les sous-munitions avaient un taux d’échec élevé.
Environ un million de personnes ont fui le Sud-Liban, ce qui a
sans aucun doute réduit le nombre des victimes, selon HI, mais
les frappes aériennes ont fait 16 victimes signalées, dont neuf
étaient des enfants. Seules deux des victimes ont été touchées
par des sous-munitions à dispersion non-explosées pendant la
période du conflit ; il s’agissait d’un père et de son fils de
11 ans.
Mais tandis que les personnes déplacées retournaient chez elles
au cours du premier mois qui a suivi le cessez-le-feu du 14 août
2006, « les munitions à dispersion faisaient trois victimes par
jour. Jusqu’à la fin de l’année 2006, on comptait en moyenne
deux victimes par jour, et en janvier (2007), on recensait en
moyenne deux victimes par semaine », selon HI.
Utilisation militaire
Deux cent dix types différents de munitions à dispersion
auraient été produits dans environ 34 pays. Selon Human Rights
Watch, une organisation internationale de défense des droits
humains, environ 75 pays en constituent actuellement des
réserves, qui représenteraient plusieurs millions de munitions à
dispersion, composées de milliards de sous-munitions distinctes.
Les munitions à dispersion ont été développées pendant la Guerre
froide pour être utilisées contre de vastes formations de chars
et d’infanterie pendant le conflit conventionnel opposant les
forces du Pacte de Varsovie à celles de l’Organisation du traité
de l’Atlantique nord.
À ce jour, elles ont été utilisées dans au moins 21 pays, mais
rarement, sinon jamais, comme il était prévu qu’elles le soient,
-c’est-à-dire en tant qu’armes à lancer contre des chars et
d’importantes formations d’infanterie- et généralement à
proximité immédiate des populations civiles.
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