Opinion
Offensive médiatique
contre un pays en flammes
Hugo Natowicz
© RIA Novosti.
Mikhail Fomichev
Dimanche 22 août 2010
«
Faillite du système Poutine », « système à bout de souffle », «
failles de la verticale du pouvoir »… A croire que les feux de
forêt qui ont fait 52 morts directes et plongé la Russie dans
une profonde détresse étaient moins un événement tragique que la
confirmation d’une analyse politique réchauffée : l’infâme
système politique russe doit tomber. La première faille, mille
fois détectée, annonçant l’écroulement tant attendu de l’édifice
de tout un pays.
A n’en
pas douter, la conclusion des analyses était trouvée d’avance :
il fallait coûte que coûte illustrer l’illusion sans avenir
du système Poutine. En ce mois d’août 2010, les journalistes en
poste à Moscou avaient fort à faire pour combler le vide
médiatique laissé par le départ en vacances de notre cher
président et l’absence de ses assauts populistes.
Alors
on a dégainé la grosse artillerie. Là où les différences de
pensée entre les journaux s’étaient déjà sérieusement estompées,
on s’est retrouvé face à une masse homogène et consensuelle de
papiers dont les extrapolations politiques primaient sur le
factuel, et le sensationnel sur la détresse humaine, tout
bonnement niée. Est-ce ce manque total de compassion qui doit
rapprocher les Russes de l’occident ?
Le
Monde, qui invoque implicitement l’image de Sarkozy en parlant
de l’ »hyper-premier ministre russe » (Poutine, pompier et
pyromane) aurait beaucoup gagné à aller jusqu’au bout de sa
comparaison. Aurait-on eu idée d’imputer la canicule de 2003
(surmortalité de 15.000 personnes rien qu’en France) ou la
tempête Xynthia (53 victimes dans l’hexagone principalement en
raison de la construction dans des zones inondables)
exclusivement à la faillite du « système Sarko » ? A plus
forte raison quand on lit que le phénomène russe est « beaucoup
plus intense » (Météo France) que la canicule meurtrière subie
par la France il y a sept ans ? Une catastrophe naturelle
n’est-elle pas automatiquement le révélateur des faiblesses de
l’édifice humain, toujours fragile face à la nature ?
Qu’il
s’agisse d’incendies en Californie ou en Russie, d’inondations
en Chine ou de glissements de terrain en Allemagne, la société
est sans cesse prise dans une dialectique avec la nature, la
seconde révélant les failles de la première. On ne saurait en
blâmer la Russie plus qu’un autre pays.
Malheur
aux vaincus
Peut-être pour y avoir trop cru, nos intellectuels et leurs
successeurs n’ont jamais pardonné la faillite de l’URSS. La
chute angoissante d’un système dans lequel la plupart voulaient
croire et le traumatisme qu’elle a généré sont loin d’avoir
épuisé leurs conséquences. Mais le fait est là : s’il ne fait
pas bon être vaincu, il est encore plus suspect d’avoir le
toupet de se relever. De la voix de ses journalistes, la France
jubilait en voyant la fière Russie « contrainte » d’accepter un
aide internationale.
Joie
aussi de jouer sur les associations hâtives en raison d’une «
menace nucléaire » clairement gonflée afin de semer la panique:
les experts étaient lâchés, nous allions être empoisonnés par le
césium des Russes. Réminiscence tombant à point nommé de
Tchernobyl, symbole la décrépitude de l’URSS.
Quel
expatrié en Russie n’a pas eu droit à une centaine de coups de
fil de ses amis et de sa famille, paniqués par les informations
relayées par des médias nous dépeignant en train de tiédir dans
une des morgues de la mégalopole russe ?
Les
rédactions s’autorisent apparemment, quand elles ont affaire à
la Russie, à laisser de côté les principes de rigueur et de
précaution: on vend de la peur. Sans vouloir nier la réalité
cruelle à laquelle fait face le peuple russe et les défauts
inhérents à son système politique, on peut tout de même
s’interroger sur l’insistance des médias à faire des malheurs de
la Russie un fonds de commerce, en présentant le pays sous un
jour le plus noir possible*.
De
l’alcoolisme aux morgues peines à craquer, en passant par les
réminiscences de Tchernobyl et l’image d’un régime autoritaire
n’ayant qu’une obsession – cacher et mentir à ses concitoyens –
la France recherche inlassablement, au nom d’une liberté de
critiquer poussée jusqu’à l’absurde, une nouvelle faille dans un
pays chancelant.
Crispés
dans leur rôle de substitut de l’opposition russe, les journaux
français ont oublié une chose: Internet, qui ne fait l’objet
d’aucune censure en Russie, a concurrencé les médias
traditionnels en les forçant à plus de transparence. Il ne se
passe pas un jour sans que des scandales « remontent » dans la
presse grâce aux internautes de plus en plus actifs et enclins à
faire entendre leur voix.
Démocratie fragilisée, crispation autour de l’ »identité
nationale », malaise grandissant: alors que la France sombre
dans le soupçon, les charges contre la Russie s’intensifient.
Cette dernière serait-elle l’exutoire de frustrations
typiquement françaises?
* Tout
effort d’objectivité ou de rééquilibrage étant automatiquement
catalogué au chapitre « paranoïa pro-russe refusant de constater
les défauts du pays »
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