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Impressions de Russie
Premiers
balbutiements de la police russe
Hugo Natowicz
© Hugo Natowicz
Lundi 14 mars 2011
"Impressions de Russie" par Hugo Natowicz
Au terme d'un débat sur Internet lancé par le président
Medvedev, la loi de réforme de la police russe est entrée en
vigueur le 1er mars. Les Russes l'attendaient avec une méfiance
teintée d'ironie: le document, conformément auquel la "milice"
est rebaptisée "police" afin de rompre avec l'héritage
soviétique, a d'emblée fait l'objet des boutades les plus
diverses.
Le "ment" (flic en russe) a ainsi été rebaptisé "pent", et le "militsioner"
est devenu "politsioner". Jeux de mots traduisant la crainte
d'un changement de surface, et qui en disent long sur la
méfiance de la population envers cette loi. La police nouvelle
mouture a du pain sur la planche pour reconquérir la confiance
de la population: selon une enquête de février 2010, 67% des
citoyens "craignent" les forces de l'ordre et 77% ne se sentent
pas protégés contre l'arbitraire des policiers.
Les mesures visant à opérer la mue sont à première vue
drastiques. Officiellement, l'ensemble du corps a été limogé.
Tous les fonctionnaires sans exception devront, afin d'endosser
l'uniforme de policier, réussir une "réattestation" visant à
tester leur connaissance de la loi, ainsi que leur aptitude
physique et morale à exercer leurs fonctions. Au menu, un
passage par le détecteur de mensonge afin d'évaluer leur
honnêteté, mesure décriée par certains experts pour son manque
de fiabilité.
Les policiers qualifiés seront mis en attente de logement de
fonction, et subiront une augmentation. En moyenne, un
lieutenant de police devrait toucher un salaire de 45.000
roubles, soit plus de mille euros. Un niveau censé limiter la
course aux bakchichs des fonctionnaires de police.
Le protocole subira lui aussi des modifications. Désormais, les
policiers devront invoquer une raison valable pour procéder à un
contrôle d'identité et en cas d'interpellation, le suspect se
verra signifier ses droits. La police sera également dotée de
prérogatives plus étendues, comme le droit de pénétrer dans le
domicile des suspects ainsi que dans les bureaux. La
"présomption d'innocence" dont bénéficient les hommes en
uniforme a quant à elle généré la préoccupation des défenseurs
des droits de l'homme.
Mais c'est le pivot de la réforme qui laisse les experts
pantois: selon Guennadi Goudkov, vice-président de la commission
de la Douma pour la sécurité, les effectifs seront réduits de
20%. Un allègement qui se fait selon lui au détriment de
l'efficacité. Ces mises à pied s'inscrivent par ailleurs dans
une tendance plus large qui englobe également l'armée, purgée
d'un grand nombre d'officiers.
Vladimir, policier pendant dix ans avant de devenir vigile pour
des compagnies de gardiennage privées, est extrêmement dubitatif
quant aux chances de succès de la réforme. "Certes on augmente
les salaires, mais pas par le biais d'un investissement
supplémentaire de l'Etat: un flic va voir sa paie augmenter
grâce au limogeage de son collègue. Résultat, il y aura encore
moins de personnels affectés à chaque secteur, et l'insécurité
va augmenter. A mon époque, j'étais déjà débordé. Là, ce sera
pire", s'insurge-t-il.
Le doute semble donc régner, d'autant que la réforme fait ses
premiers pas dans un climat de scandale: courant février, le
Service fédéral de sécurité (FSB) révélait l'existence d'un
vaste réseau de casinos clandestins dans la région de Moscou,
dégageant des bénéfices de 10 millions de dollars par mois. Le
pot aux roses a été rapidement découvert: Ivan Nazarov,
propriétaire du réseau, avait "acheté" une série de
personnalités au sein de la police et du parquet, notamment en
les envoyant en vacances tous frais payés dans des stations
balnéaires à l'étranger pour plusieurs millions de dollars. Un
nouveau scandale qui vient jeter une lumière crue sur les
rouages d'une institution grippée par la corruption.
Modèle géorgien?
Pour mieux comprendre les enjeux et perspectives de la
réforme, on peut se tourner vers l'exemple de la Géorgie, par
ailleurs ennemi juré de Moscou. Les situations se ressemblent à
plus d'un titre: police corrompue, liens avec le crime organisé,
postes à vendre… la réforme initiée en 2004 par Mikhaïl
Saakachvili visait elle aussi à réhabiliter l'institution aux
yeux de la population.
La réforme s'est également traduite par des limogeages massifs,
une hausse des salaires, et un rebranding comparable à celui
mené par Medvedev. A plusieurs années de distance, on peut dire
que le succès a été au rendez-vous dans plusieurs domaines: la
corruption au sein de la police de la route a nettement reculé,
le niveau d'efficacité ayant dans le même temps connu une nette
hausse. La confiance envers la police a grimpé en flèche.
Toutefois, la police géorgienne reste une institution qui manque
de transparence, régulièrement impliquée dans des persécutions
contre l'opposition.
L'exemple géorgien semble indiquer qu'une rupture avec le passé
est possible si elle est accompagnée d'une véritable volonté
politique. Entre espoirs démesurés des politiques et pessimisme
le plus total au sein de la population, la réforme de la police
aura fort à faire pour prouver qu'un changement est possible.
© 2011 RIA Novosti
Publié le 17 mars 2011
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