Impressions de Russie
La presse russe en
réflexion
Hugo Natowicz
© Hugo Natowicz
Vendredi 13 mai 2011
"Impressions de Russie" par Hugo Natowicz
La presse russe revient de loin. Pour illustrer son passé
soviétique trouble, le centre de photographie contemporaine
Fotodoc organise une exposition de clichés de l'agence TASS
refusés par la censure, intitulée "Neformat".
Les clichés recalés pèchent généralement sur un détail: ici,
une banderole du 1er mai est roulée en tube (une insulte pour le
slogan patriotique); là, des jeunes gens sont habillés à la mode
d'un Occident dont ils font implicitement la propagande, en
affichant un comportement qui frise la délinquance. Autre
exemple: un cliché montre que les travailleurs en liesse
descendus pour la manifestation sont encadrés par une rangée de
soldats. Inadmissible pour une armée présentée comme l'amie du
peuple, qui lui-même ne songerait pas un seul instant à s'en
prendre à l'ordre établi…
Où en est le journalisme russe en matière d'indépendance
vis-à-vis du pouvoir? Le thème est particulièrement sensible,
quand on sait que la vie de la société russe est rythmée par des
meurtres non élucidés de journalistes, comme celui d'Anna
Politkovskaïa, tuée de plusieurs balles à bout portant en 2006.
Une opposante dont la mort à longtemps généré de lourds soupçons
en direction du pouvoir, dont elle critiquait âprement les
guerres menées en Tchétchénie.
Les meurtres de journalistes ont été politisés à outrance, se
convertissant en levier de pression sur des autorités russes
prêtes à tout pour conserver leur image face à l'occident. A
trop soupçonner le Kremlin de vouloir faire taire les
journalistes "libres", on en outre a fait de ces derniers des
cibles faciles pour toute organisation désireuse de discréditer
les dirigeants russes.
Vus à travers le prisme de la presse occidentale, les
journaux russes seraient toujours soumis la houlette d'un
pouvoir autoritaire qui ne supporterait aucune critique. Au
milieu de cette "presse muselée", le journal d'opposition Novaïa
gazeta, où travaillait Mme Politkovskaïa, mériterait seul un
certain crédit. Le passage à tabac d'Oleg Kachine, journaliste
de Kommersant, a légèrement bousculé cette vision, en montrant
que la presse libre n'était pas forcément d'opposition…
La relation du pouvoir avec les journalistes change. Tournant
important, le président Medvedev est personnellement intervenu
suite à l'agression d'Oleg Kachine, afin que ce dernier soit
soigné dans les meilleures conditions. Début mai, RSF se
félicitait de l'aboutissement de l'enquête sur le meutre de
l'avocat Stanislav Markelov et de la journaliste Anastassia
Babourova. "Une fois n'est pas coutume, une enquête sérieuse a
été menée sur l'assassinat d'un défenseur des droits de l'homme
et d'une journaliste en Russie. Cela est suffisemment rare pour
mériter d'être salué", a communiqué Reporters sans frontières
De la censure à l'autocensure
Y a-t-il une censure à l'époque actuelle en Russie? Si l'on
met à part les limites de la déontologie, il n'existe plus en
Russie de pression du pouvoir proprement dite, qui viserait à
masquer tel ou tel événement, ou à influer directement sur son
traitement. La tentative serait bien vaine, à l'heure où le
scoop est généralement filmé et posté directement sur les blogs.
Nombre de scandales, mettant directement en cause le pouvoir,
sont ainsi remontés dans la presse traditionnelle. En
concurrençant les journaux traditionnels, la Toile a modifié la
presse en profondeur. Il convient en outre de signaler que dans
l'ensemble, le pouvoir ne cherche pas à restreindre la liberté
sur Internet.
Un des principaux défis du journalisme russe réside désormais
dans l'autocensure, c'est-à-dire les limites que le journaliste
s'impose par peur de froisser des intérêts divers. Un problème
que l'agence RIA Novosti prend à bras le corps en menant un
véritable travail de fond. En témoigne le mailing suivant envoyé
aux employés de l'agence en 2008 après une réunion du conseil de
rédaction. Loin d'un appel à caresser le pouvoir dans le sens du
poil, l'agence montre un souci de défendre son indépendance sans
épargner les dirigeants de tout niveau.
"AUTOCENSURE: nous en avons déjà parlé à de nombreuses
reprises. L'agence n'a pas vocation à aduler le pouvoir en
place. Cela concerne le niveau fédéral mais aussi l'échelon
régional. Même les régions avec lesquelles nous avons des
relations contractuelles (…). Nous n'avons peur de détériorer
nos relations avec personne en Russie, plus, nous recherchons
une telle détérioration. Personne ne va vous en vouloir si vous
avez mené à mal les liens avec une région donnée. Il n'y a
qu'une condition, respectez les standards du travail
journalistique: liens de qualité, approche équilibrée, citations
exactes, etc."
Vingt ans après l'effondrement de l'URSS, toutes les leçons
sont certes loin d'avoir été tirées. Toutefois, la presse russe
possède un recul indéniable envers son passé, comme en témoigne
l'initiative "Neformat". Autrefois soumise corps et âme au
pouvoir, la presse s'interroge sur son histoire et tente de
redéfinir les contours de sa liberté actuelle.
L'approche politisée de la liberté de la presse en Russie ne
doit pas cacher la profonde évolution et le dynamisme du
journalisme dans ce pays.
© 2011 RIA Novosti
Publié le 18 mai 2011
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