Impressions de Russie
Leçons de
démocratie
Hugo
Natowicz
© Hugo Natowicz
Vendredi 11 novembre
2011
"Impressions
de Russie" par Hugo Natowicz
L'histoire de la construction
européenne montre que ses promoteurs
n'ont pas une grande estime de l'opinion
populaire. On ne peut que se remémorer
la Constitution européenne, rejetée par
les Français et les Hollandais lors d'un
référendum en 2005. Les principaux
points (et surtout l'esprit) de ce
document d'obédience libérale n'ont pas
manqué d'être repris, presque tels
quels, dans le traité de Lisbonne adopté
par les gouvernements des Etats membres,
plus accommodants que leurs peuples.
Restait l'Irlande, dont la
constitution interdisait d'adopter un
tel document sans consulter les
électeurs. Après un nouveau "non"
populaire, les bureaucrates européens
répliquaient en organisant un second
vote. Heureusement, les Irlandais
avaient eu le temps de "mûrir", pour
finalement accepter le traité. Un
revirement principalement dicté par les
difficultés économiques minant le tigre
celtique, dont seule la solidarité
européenne semblait pouvoir venir à
bout.
Le premier ministre Papandreou,
annonçant récemment la tenue d'un
référendum visant à savoir si les Grecs
souhaitaient réellement sacrifier leur
avenir au nom du plan d'aide européen, a
fait l’unanimité contre lui. Non pas au
sein de la population, mais parmi les
gouvernements, banquiers, et cercles
européistes, qui dénonçaient en chœur la
"trahison" d'une Europe censée rester à
l’écart des peuples. C’est sans
provoquer d'étonnement particulier
qu'intervenait l’annulation du
plébiscite.
On peut avancer différentes
explications à ce rejet systématique de
la volonté populaire dans l’édification
européenne. L'une d’elles veut que les
humeurs du peuple soient responsables
des grands conflits qui ont secoué le
XXe siècle, et qu’un référendum soit par
essence "populiste". Aux yeux des élites
bruxelloises, le référendum est
forcément un recours à de bas instincts
(repli sur soi, nationalisme, j’en
passe). Et tant pis si une telle
conception prend à rebours le "droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes",
pourtant consacré par la Charte des
Nations unies.
Cette tendance possède également des
causes "structurelles". Surfant
récemment sur Internet, je suis tombé
sur un document jetant une lumière assez
crue sur cette étrange conception de la
volonté générale, considérée par
Rousseau comme la base du contrat
social. Il s'agissait d'un article titré
: "Les euro-fédéralistes financés par
les chefs espions américains".
L'expression est choquante, et l’on
pourrait y voir la patte de quelques
partisans de la théorie du complot, s’il
n’avait été publié dans le très sérieux
journal britannique Telegraph du 19
septembre 2000 sur la base de documents
déclassifiés américains. En voici un
florilège :
"Des documents américains
déclassifiés montrent que le
renseignement américain a mené une
campagne dans les années 50 et 60 afin
d’accélérer la création d’une Europe
unie. Il a financé et dirigé le
mouvement fédéraliste européen. Le
document confirme les suspicions
exprimées à l’époque selon lesquelles
l’Amérique travaillait agressivement en
coulisses pour faire de la Grande
Bretagne un Etat européen (…). Les
leaders du mouvement européen (Retinger,
le visionnaire Robert Schuman et
l’ancien premier ministre belge
Paul-Henri Spaak) étaient tous traités
comme de simples employés par leurs
sponsors américains. Le rôle américain
était traité comme une opération
confidentielle. Le financement (de
l’organisation en charge de l’opération,
ndlr) provenait des fondations Ford et
Rockefeller, ainsi que d’entreprises
possédant des liens étroits avec le
gouvernement US".
La suite est encore plus
intéressante: "Le département d’Etat a
lui aussi joué un rôle. Un mémo de la
section européenne daté du 11 juin 1965,
conseille le vice-président de la
Communauté économique européenne, Robert
Marjolin, d’atteindre l’union monétaire
de façon furtive. Le document recommande
de supprimer le débat jusqu’au point où
l’adoption de ces propositions
deviendrait virtuellement inévitable".
Ce document confirme, si besoin
était, que la démocratie n’a jamais été
inscrite dans l'ADN de l’Union
européenne. Un bloc qui n'a jamais
ignoré se construire au-dessus de la
volonté populaire, dans une conception
élitiste de l'histoire.
Mais alors que penser des leçons de
démocraties données par l'Europe
(notamment) à la Russie, où le parti au
pouvoir est accusé de profiter de sa
domination pour verrouiller le système
électoral, marginalisant un nombre
croissant d'électeurs? Les situations
sont en réalité plus proches qu'il n'y
paraît. Dans chaque cas, la volonté
populaire est bafouée au nom
d'impératifs historiques proclamés par
la classe dirigeante.
En Russie, le besoin de "stabilité"
brandi par le pouvoir sert de
justification; en Europe, l'impératif
fédéraliste a enfanté un système
politique déconnecté de la volonté du
peuple.
L’opinion de l’auteur ne coïncide
pas forcément avec la position de la
rédaction
© 2011 RIA Novosti
Publié le 14
novembre 2011
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