Impressions de Russie
L'or sucré de la
Russie
Hugo Natowicz
© Hugo Natowicz
Lundi 7 mars 2011
"Impressions de Russie" par Hugo Natowicz
Quand mes amis me demandent une idée de souvenir original à
ramener de Russie, je leur conseille un produit qui cristallise
de nombreux aspects de la culture russe: le miel, intimement lié
à la terre et au labeur de ce pays.
Pour prendre la mesure de ce que représente le miel en
Russie, rien de plus simple. Il suffit de se rendre à l'une des
foires qui se tiennent régulièrement dans la capitale: à
l'automne près du parc Tsaritsyno (qui vaut le coup d'œil) et en
février dans le centre des expositions de la place du Manège.
Les stands de producteurs s'étendent sur plusieurs hectares,
arpentés par des milliers de visiteurs passés au détecteur de
métaux dès l'entrée. D'emblée, on est frappé par l'animation qui
règne ici.
Au total, la foire regroupe un millier d'apiculteurs venus
avec plus de 3.000 tonnes de miel de toute la Russie et au-delà,
sous le patronage du gouvernement de la ville de Moscou. Les
miels les plus populaires sont tous représentés. Pour le plus
grand bonheur des acheteurs et des flâneurs, tous les produits
peuvent être ici dégustés: les pots trônent sur les tables avec
leurs petites cuillers en plastique jetables.
Voici le miel de mélilot, un grand classique, et le miel
d'acacia translucide, très apprécié et un peu plus coûteux. Les
miels toutes fleurs de l'Altaï, région connue pour son écologie
irréprochable, jouissent d'un franc succès. Les miels de
framboisier et de sainfoin ont eux aussi la cote. On peut se
distraire les papilles avec un gobelet de medovoukha,
l'hydromel russe.
Toutes les régions russes sont représentées, de l'Extrême
orient au Caucase en passant par le montagneux Altaï. Le
Tatarstan, grande région apicole, est lui aussi aux avant-postes
avec son tchak-tchak, sorte de chips sucrées au miel.
Il semblerait que la confrérie du miel soit restée insensible à
la chute de l'URSS: voici un producteur venu du Kirghizstan qui
propose un miel blanc et onctueux cultivé au bord du lac
Issyk-Koul aux eaux azures, ou encore des apiculteurs kazakhs.
Les stands de l'Abkhazie, une république sécessionniste
géorgienne reconnue par Moscou, sont très présents, certainement
un coup pouce du grand voisin russe.
La "folie du miel" qui règne en ces lieux est frappante.
L'ébullition de la foire semble d'ailleurs inversement
proportionnelle à la confiance qu'éprouvent les Russes envers
les médecins. Car on vient avant tout ici pour se soigner, comme
cette retraitée qui sillonne les allées avec ses paniers.
D'ailleurs, les anciens et les vétérans bénéficient de
ristournes non négligeables sur toute la production.
"Le tilleul est recommandé contre la grippe et les maladies
pulmonaires comme la bronchite. Le framboisier est excellent
pour le foie. Le miel sombre de renouée, c'est super contre les
maladies biliaires et rénales. Contrairement à ce qu'on raconte,
il ne faut jamais mélanger le miel au thé, ça tue les qualités
du produit", m'explique doctement Sergueï, un producteur de
Saratov, qui dissertera par la suite sur la proportion entre
glucose et fructose.
Les produits dérivés du miel possèdent eux aussi des vertus
curatives. En tête la propolis, nectar doté de propriétés
anti-infectieuses souvent mélangé au miel, et la gelée royale,
la star des produits de la ruche réputée pour ses vertus
anticancer. Les Russes apprécient également le pain d'abeilles (perga).
Excellent contre les problèmes de virilité, assure Sergueï un
sourire en coin.
Bientôt en bourse?
Le miel en Russie, c'est presque une branche de l'économie,
représentée par un syndicat, l'Union des apiculteurs de Russie
fondée en 1891 et forte de 400.000 adhérents. Un lobby
pourrait-on dire: l'ancien maire de Moscou Iouri Loujkov,
apiculteur aguerri, avait beaucoup fait pour améliorer la
représentation du secteur dans la capitale en sponsorisant
l'organisation des foires. Malheureusement, sa folie pour ces
petits insectes bourdonnants a contribué à lui faire perdre sa
place: alors que les Moscovites asphyxiaient dans la fumée des
incendies, M. Loujkov évacuait ses abeilles. Un affront qui ne
lui a plus laissé de grâce aux yeux de l'opinion publique.
Une question me tracasse: peut-on vivre du miel? "Oui, et il
y a possibilité de gagner correctement sa vie, même si c'est un
labeur très dur. En général c'est une affaire familiale, nous
par exemple, sommes apiculteurs depuis trois générations", me
souffle Ioulia, une productrice de Krasnoïarsk. Celle-ci arpente
les multiples foires qui ont fleuri dans l'énorme pays,
inspirées par celles de la capitale.
"Le miel c'est notre pain. Si vous avez du miel vous ne
manquerez jamais de rien, vous pouvez même payer au magasin avec
ce produit", m'assure-t-elle.
Le miel, monnaie d'échange? Y aurait-il donc un indice
boursier, comparable à la cote de ces valeurs russes que sont le
pétrole et les matières premières? Anatoli Gamzov a monté au
Tatarstan une entreprise visant à utiliser l'apiculture comme
une arme contre le chômage. Il parle en économiste chevronné de
cette activité un brin folklorique. En pleine crise, il donnait
des conférences afin d'expliquer aux chômeurs comment se
convertir en entrepreneurs grâce à l'"or sucré".
"Le prix du paquet de 70.000 à 80.000 abeilles nécessaire au
lancement d'une start-up apicole a nettement augmenté
en raison de la disparition des abeilles en Europe et en Russie.
Il coûte environ 4.500 roubles (un peu plus de 100 euros).
L'apiculture est pourtant le secteur agricole qui rapporte le
plus, pour un investissement minime. Récemment un de nos
fermiers a vendu 300 paquets, faites le calcul!", explique-t-il.
Produit biblique aux vertus curatives et gustatives, le miel
conserve donc un rôle socioéconomique de premier plan. Il donne
en outre un bon aperçu du potentiel agricole de la Russie, qui
compte 40 millions de personnes vivant en milieu rural. Un
secteur qui fait l'objet d'une attention croissante, comme en
témoigne la récente visite du premier ministre Poutine à Tambov
afin d'évoquer les perspectives de la Russie agricole.
© 2011 RIA Novosti
Publié le 10 mars 2011
Le
sommaire d'Hugo Natowicz
Le dossier
Monde
Les dernières mises à
jour
|